COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGEO) (séance du 16 mars 2011)
Résumé.
Par sa proximité géographique avec l'Europe, la diversité de ses formations géologiques et son potentiel minier, le Maroc a attiré, à partir du XIXe siècle, des géologues et prospecteurs miniers, dont plusieurs Français, qui ont parcouru le pays dans des conditions rendues difficiles par l'insécurité et le manque de voies de communication. L'établissement d'un protectorat de la France au Maroc en 1912 a donné une forte impulsion à la présence des géologues français. Entre cette date et le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, les autorités du protectorat ont créé des organismes publics de recherche couvrant tous les aspects de la géologie fondamentale ou appliquée, tels que le Service des mines et de la Carte géologique, en 1921, qui accueillit des missions d'un certain nombre de géologues issus des écoles et universités françaises. Parallèlement, dans le domaine minier ou pétrolier, des entreprises publiques ou parfois privées mirent en place des Services géologiques qui contribuèrent de façon parfois importante à la connaissance du pays. De ce fait, cette période donna lieu à la publication de monographies régionales accompagnées de cartes géologiques aux échelles de 1/100 000 et 1/200 000. L'essor économique du Maroc entre la Seconde Guerre mondiale et le retour à l'indépendance, en 1956, favorisa le développement du Service géologique du Maroc, grâce au recrutement de géologues français permanents, opérant dans tous les secteurs de recherche : carte géologique, géologie des gîtes minéraux et hydrogéologie. La cartographie géologique connut un grand développement avec l'exécution de levers plus précis, publiés aux échelles de 1/100 000 et 1/50 000 et l'établissement d'une carte générale du Maroc à 1/500 000. Au point de vue scientifique, la période fut également marquée par la préparation du 19e Congrès géologique international d'Alger, en 1952. Après 1956 et l'accession à l'indépendance du Maroc, une coopération fructueuse avec la France permit à des géologues français de réaliser encore d'importants travaux, particulièrement dans les domaines de l'hydrogéologie et des études gîtologiques et métallogéniques. Par ailleurs, la réunification du Maroc permit également un approfondissement des études sur les chaînes rifaines, d'où une meilleure compréhension de leur structure et de leurs relations avec les chaînes alpines de la Méditerranée occidentale.
Mots-clés : Maroc - Services géologiques - géologie - hydrogéologie - gîtologie - géologie minière - géologie pétrolière - géologues français - historique - XIXe siècle -XXe siècle.
Abstract.
By its géographie proximity to Europe, the diversity of its geological formations and its mining potential, Morocco has drawn, from the 19th century, geologists and mining prospectors, including several French, who travelled through the country in conditions made difficult by the insecurity and the lack of roads. The establishment of a protectorate of France to Morocco in 1912 gave a strong impulse to the presence of the French geologists. Between this date and the outbreak of the World War II, the protectorate authorities have created public research services covering ail aspects of basic or applied geology, such as the Service of Mines and Geological Map, in 1921, which allowed missions to a number of geologists from French high level schools and universities. At the same time in the mining or oil field, some private or public companies founded geological surveys, which contributed to the knowledge of the country. As a resuit, during this period were published régional monographs accompanied by geological maps at scales of 1:100,000 and 1:200,000. Between the end of World War II and the return to independence in 1956, économie growth of Morocco promoted the development of the Geological Survey of Morocco, by means of recruitment of permanent French geologists, operating in ail fields of research: geological map, minerai deposit geology and hydrogeology. Geological mapping had a great development with the performance of more précisé surveys, published at scales of 1:100,000 and 1:50,000 and the establishment of a general map of Morocco at scale of 1:500,000. From a scientific point of view, the period was also marked by the préparation of the 19th International Geological Congress of Algiers, in 1952. After 1956 and accession to independence of Morocco, a fruitful coopération with France allowed French geologists to go on extensive work, particularly in the fields of hydrogeology and ore-deposit studies. Moreover, the réunification of Morocco enabled a development of studies related to Rif Mountains giving a better understanding of their structure and their relations with the Western Mediterranean alpine ranges.
Key words : Morocco - Geological Survey - geology - hydrogeology - mining geology - Petroleum geology - French geologists - historical record - 19th century - 20th century.
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Entre la deuxième moitié du XIXe siècle et la première moitié du XXe, l'activité des géologues français au Maroc a permis de faire bénéficier ce pays d'une infrastructure et d'une base de connaissances géologiques tout à fait remarquables. Cette action a évidemment été facilitée par un contexte politique éminemment favorable mais également, sur un plan plus général, par l'intérêt que le Maroc a, de tout temps, suscité chez les voyageurs et explorateurs européens. Cela d'abord par sa proximité géographique avec l'Europe (14 km dans la partie la plus étroite du détroit de Gibraltar), mais également pour ses richesses minières potentielles, réelles ou supposées. Sur le plan simplement géologique, le pays offre une remarquable variété de terrains couvrant l'ensemble de l'échelle stratigraphique et impliqués dans des systèmes montagneux édifiés par une succession de phases orogéniques allant de l'Antécambrien au Pliocène (Fig. 1). Enfin, comme le rappelle André Michard (1976), « l'intérêt géologique du Maroc est d'ailleurs renforcé, sur le plan théorique, du fait qu'il ne s'agit pas d'un échantillon quelconque de la croûte terrestre mais d'un modèle structural bien précis. Etudier la géologie marocaine, c'est étudier la marge d'un continent, mieux : c'est étudier le « coin » d'un vieux continent bordé par deux zones mobiles ». À cela il faut ajouter des conditions climatiques relativement favorables permettant, presque partout, de travailler sur le terrain pratiquement en toute saison, ainsi que de très bonnes conditions d'affleurement.
On peut faire remonter la connaissance du Maroc aux Phéniciens, qui furent probablement les premiers à s'aventurer sur les rivages de ce pays, et ce dès le XIe siècle avant notre ère. Jusqu'au début du XIXe siècle, ce sont surtout des voyages d'explorateurs qui ont progressivement conduit à une vision de plus en plus exacte de la géographie du pays, matérialisée par la production de cartes à petites échelles de plus en plus précises. Ce n'est que dans le courant du XIXe siècle que ces relations de voyage se sont enrichies de véritables observations géologiques. Les Français y prirent une part importante dès le XIXe siècle mais surtout pendant la première moitié du XXe siècle.
Dans les lignes qui vont suivre, nous nous sommes essentiellement attachés à évoquer l'apport spécifique des chercheurs français dans la connaissance géologique du Maroc. En ce qui concerne plus généralement l'histoire de la recherche géologique dans ce pays, le lecteur trouvera, dans la littérature géologique, ancienne ou récente, des documents dont il nous a paru utile de rappeler ici l'existence.
Dans son ouvrage de synthèse, Le Maroc physique, paru en 1912, Louis Gentil (1868-1925) exposait déjà de façon très détaillée « l'évolution des connaissances scientifiques sur le Maghreb », résultant des voyages et explorations qui se sont succédé depuis l'Antiquité. On y trouve en particulier des données très utiles sur l'historique de la connaissance géographique et cartographique du Maroc et des pays voisins.
En 1933, Pierre Despujols (1888-1981), ingénieur des mines, publia un Historique des recherches géologiques au Maroc (zone française) des origines à 1930. Il y donna un inventaire, relativement détaillé et documenté par une importante bibliographie, des résultats obtenus par les géologues, aussi bien avant qu'après l'établissement du protectorat français (1912).
Une contribution intéressante est celle d'Édouard Roch (1901-1975) qui, dans son ouvrage de synthèse, Histoire stratigraphique du Maroc (1950), fit le point sur les travaux réalisés dans ce pays entre les deux guerres mondiales. En début d'ouvrage, cet auteur donne une liste bibliographique de « notes, mémoires et ouvrages divers renfermant des renseignements sur le Maroc et en particulier sur le Maroc occidental », dont le premier titre remonte à 1878.
Dans le premier tome de son Histoire géologique du Précambrien de l'Anti-Atlas (1963), Georges Choubert (1908-1986) fit débuter cette publication par un exposé très détaillé de l'historique de la connaissance géologique du Maroc, en y distinguant trois stades : premiers essais de pénétration (1809-1893), époque des grandes explorations générales (1884-1924), époque d'exploration méthodique (1925-1936). Cet auteur mit évidemment l'accent sur les travaux concernant le Sud marocain.
En 1965, Philippe Morin (1909-1987) publia les deux premiers tomes de sa monumentale Bibliographie analytique des Sciences de la Terre - Maroc et régions limitrophes (depuis le début des recherches géologiques à 1964). À côté de notices bibliographiques détaillées, Philippe Morin développe, pour la plupart des auteurs, des biographies résumées, très précieuses. Il publiera également des suppléments à cette bibliographie pour les travaux publiés jusqu'à l'année 1976 (L'absence d'index géographique, ce que l'auteur lui-même regrettait, peut rendre cette bibliographie difficileà utiliser pour des chercheurs peu au fait de la géologie marocaine. Dans une certaine mesure, cetinconvénient peut être surmonté par la consultation d'ouvrages généraux tels que les Éléments degéologie marocaine d'André Michard (1976), dont le texte fourmille de renvois bibliographiques).
L'histoire de la Découverte des terrains à graptolithes du Maroc de 1845 à 1958 donna l'occasion à Solange Willefert (1997) de réaliser une mise au point très détaillée des recherches géologiques au Maroc pendant cette période, plus particulièrement orientée vers les découvertes concernant les terrains paléozoïques, avec, ici aussi, une importante liste de références bibliographiques.
Plus récemment, dans un ouvrage de synthèse, en anglais, Continental evolution : the geology of Morocco, (2008), Yves Missenard, André Michard et Michel Durand-Delga évoquent, d'une façon renouvelée, les étapes majeures de l'exploration géologique du Maroc (Major steps in the geological discovery of Morocco).
Nous pensions au départ borner cet exposé avec deux repères historiques. Le premier, en 1847, correspond à l'arrivée au Maroc d'Henri Coquand (1811-1881), qui se considérait lui- même comme le premier géologue ayant mis le pied dans ce pays. Le second, en 1956, est moins significatif bien que marquant le retour du Maroc à son indépendance. Mais cet évènement n'a pas interrompu une coopération géologique avec la France qui se poursuit, selon d'autres modalités, encore aujourd'hui. De ce fait, nous irons jusqu'à évoquer, mais de façon plus succincte, la période allant de 1956 à 1976, marquant une transition avec l'autonomie scientifique du pays et couronnée en quelque sorte par la synthèse d'André Michard (1976). Nous avons ainsi choisi d'évoquer les grandes périodes suivantes :
Géographes, géologues, commerçants ou simples aventuriers, les Français n'ont évidemment pas été tenus à l'écart de l'engouement suscité par le Maroc, principalement pendant tout le XIXe siècle. À partir de 1830, et au fur et à mesure de l'avancement de la conquête de l'Algérie voisine, cette pénétration s'en est trouvée accélérée. Durant cette période, ces voyages eurent pour cadre un contexte géopolitique particulier.
Le pouvoir du sultan du Maroc, affaibli, devait faire face à d'importantes difficultés économiques. Ces problèmes, surtout vers la fin du XIXe siècle firent le jeu de puissances européennes, essentiellement l'Allemagne, l'Espagne et la France, soucieuses de prendre pied dans l'Empire chérifien, attirées en grande partie par l'espoir d'y exploiter les richesses minières. À ce sujet, il faut reconnaître qu'une certaine anarchie régnait à l'époque dans la gestion du domaine minier marocain. Comme l'a rappelé Pierre Despujols dans son Historique des recherches minières au Maroc (1936), avant la promulgation du dahir (décret) de 1914 qui devait réglementer la prospection minière au Maroc, les découvertes faites par les étrangers étaient déclarées aux consulats et légations dont ils relevaient. Dans ce contexte particulier, cet auteur, dans cette même publication, ainsi que, plus tard, Henri Rungs et Henri M. Salvan (1987) ont bien décrit la rivalité existant dans ce domaine comme dans d'autres entre la France et l'Allemagne et particulièrement l'activisme de cette dernière puissance. À titre d'exemple, les intrigues des frères Mannesmann auprès du grand Vizir du Sultan étaient censées permettre à l'Allemagne d'obtenir des concessions dans la plupart des mines de fer du Maroc.
Mais ces tentatives de pénétration au Maroc se heurtaient à de sérieux problèmes. Durant tout le XIXe siècle et dans les premières années du XXe siècle, il était particulièrement difficile pour des étrangers de voyager et de séjourner dans ce pays, pour des raisons évidentes de sécurité, si l'on excepte les ports de Tanger et de Mogador (actuelle Essaouira) et, dans une certaine mesure, les zones dites « bled maghzen », soumises au pouvoir du Sultan, à géométrie variable suivant l'autorité de ce dernier. A contrario, les déplacements dans les secteurs dénommés « bled es siba » où cette autorité n'était pas reconnue, relevaient de l'exploit pour des étrangers. Quelles que soient les régions traversées, un autre handicap était la rareté et la mauvaise qualité des voies de communication et l'absence de documents topographiques fiables, même si, çà et là, les voyageurs pouvaient utiliser pour leurs déplacements des cartes à petite échelle, dont la qualité pouvait, dans certains cas, avoir atteint un niveau convenable.
Henri Coquand (1811-1881), futur professeur de géologie à la faculté des sciences de Marseille, auteur de travaux importants sur la Provence, l'Espagne et l'Italie, arriva au Maroc en 1847 pour réaliser une expertise, à la demande de négociants marseillais associés à un « Maure » à qui le sultan du Maroc avait accordé une concession de mine à Tétouan (Coquand, 1847a, b). C'est à cette occasion qu'il fit la déclaration maintes fois relatée : « j'ai apporté d'autant plus de soin et de zèle dans mes explorations que j'étais le premier géologue qui mit le pied sur le sol marocain ». Cette mission de quatre mois le conduisit à étudier le littoral méditerranéen du Maroc, depuis le détroit de Gibraltar jusqu'aux confins de l'Oranie. Parmi les difficultés à mener cette étude, il souligna le fait de marcher « constamment dans des contrées dépourvues de routes et sur lesquelles on n'a même pas l'avantage d'être renseigné par des cartes géographiques même mauvaises ». Il réalisa quelques coupes dans le Rif, qu'il désignait à tort sous le terme de « Petit Atlas » (Fig. 2).
Les formations qu'il y décrivit permettent d'identifier, avec plus ou moins de certitude, les unités internes de la chaîne - Ghomarides, Sebtides et Dorsale calcaire - et ce qui correspond à notre nappe numidienne. Dans sa communication à la Société géologique de France (/oc, cit), il consigna également les résultats de sa mission sur le plan minier. Pour lui, le district métallifère du Rif « renfermerait des mines si nombreuses et si productives de cuivre, de plomb et de fer que des tribus entières... seraient exclusivement adonnées à leur exploitation et au traitement des minerais extraits ».
Marie-Gustave Bleicher (1838-1902), médecin militaire, archéologue et géologue, étudia la région comprise entre Tanger et Meknès dans le cadre d'une mission partie d'Oranie.
Parmi les Français qui visitèrent le Maroc dans la deuxième moitié du XIXe siècle, il faut tout naturellement citer Charles de Foucauld (1858-1916), qui sous les habits traditionnels des juifs et accompagné du rabbin Mardochée Abi Serrour, lui-même grand voyageur, parcourut le Maroc en onze mois (1883-1884), de Tanger à Lalla Marnia (Algérie), en passant par Meknès, le Moyen et le Haut Atlas, le Tafilalet et la vallée de la Moulouya. Si, dans la relation de son voyage, Charles de Foucauld n'a pratiquement pas évoqué la géologie des régions traversées, l'abondance de ses observations géographiques, concrétisée par de nombreux croquis, et la précision de ses relevés topographiques, furent largement mises à contribution pour l'établissement des premières cartes du Maroc à l'échelle du 1/200 000. Et comme le rappelait Georges Choubert (1963), c'était toujours avec une certaine émotion qu'au hasard de parcours sur le terrain, on retrouvait, signalés sur les cartes topographiques, les itinéraires qu'il avait décrits.
Pour avoir une idée de la motivation des voyageurs attirés par le Maroc, malgré les risques encourus, il est intéressant de citer l'aventure de Camille Douls (1864-1889) qui n'hésita pas, en 1887, à se faire déposer sur un point de la côte atlantique marocaine entre le Rio de Oro et le cap Bojador, en se faisant passer pour un naufragé, ce qui lui valut d'être fait prisonnier par les Maures. Adopté par ses ravisseurs, il parcourut avec eux, entre le cap Garnet (150 km au sud du cap Bojador) et Agadir, des itinéraires le long du littoral atlantique et des traverses, orientées sud-est - nord-ouest. Il put ainsi réaliser de précieuses observations concernant la pétrographie et la botanique dans ce qui constitue aujourd'hui les provinces sahariennes du Maroc (Fig. 3).
Mais c'est surtout au début du XIXe siècle que des explorations géologiques plus systématiques eurent pour cadre le Maroc. Les géologues français n'attendirent d'ailleurs pas l'établissement du protectorat français, effectif en 1912, pour intervenir dans ce pays, iis furent favorisés dans ce sens par la présence française en Algérie, pays qui constitua en quelque sorte une base de départ pour ces missions, et cela d'autant plus que le générai Lyautey (1854-1934), à la suite d'évènements qui mettaient en cause la sécurité de ressortissants français, ira, avec ses troupes, occuper dès 1904 une grande partie du Maroc oriental, depuis la frontière algéro-marocaine jusqu'à l'oued Moulouya. Trois géologues français jouèrent, à des titres divers, un rôle prépondérant durant la période allant de 1901 à 1912 : Abel Brives, Louis Gentil et Paul Lemoine.
Abel Brives (1868-1928) débuta sa carrière en Algérie en étudiant les terrains tertiaires du Chélifetdu Dahra. Il arriva au Maroc en 1901 et y fit cinq voyages, de décembre 1901 à juillet 1907. Contrairement à ses prédécesseurs, Abel Brives n'utilisa aucun stratagème pour parcourir des zones encore peu sécurisées. C'est vêtu à l'européenne, accompagné de son épouse qu'il réalisa ses observations sur le terrain. Assez paradoxalement, il attribuait à la présence de son épouse une partie de sa réussite auprès des populations. Comme il l'écrivait (1909), « la femme est respectée ; elle jouit dans l'Atlas d'un prestige incontesté et souvent par elle nous pûmes obtenir des concessions que les hommes ne nous auraient jamais accordées ».
Abel Brives a essentiellement parcouru le Maroc occidental et plus particulièrement le Rif occidental, les Rehamna, les Djebilet et l'Atlas occidental. Pierre Despujols a signalé en détail les résultats obtenus par Brives (1933). Dans le Rif et le Prérif, il met notamment en évidence la présence de Lias dans les rides prérifaines (Jebel Zalagh), et décrit avec une certaine précision ce qui sera attribué plus tard à la nappe numidienne. Dans l'ensemble du Maroc occidental, il ajustement compris le rôle joué par le Permo-Trias dans la tectonique. Il a consigné une partie de ses observations sur une carte à 1/1 000 000 ( géologique de la plaine de Marrakech et des plateaux occidentaux).
On a parfois attribué à Abel Brives la paternité de la découverte des gisements de phosphates marocains : dans une note de 1908, il décrit effectivement un niveau phosphaté au Sud de Marrakech, au sein d'une série attribuée à l'Éocène inférieur. Il semble qu'à l'époque cette découverte n'ait pas eu beaucoup de retentissement, peut-être du fait de controverses sur l'âge « suessonien » des niveaux décrits. Il faut aussi mettre en avant des considérations politiques qui auraient peut-être incité la France à minimiser provisoirement l'impact économique de ces résultats. Pour certains, d'ailleurs (Rungs et Salvan, 1987), l'Allemagne et peut-être la Grande-Bretagne avaient déjà eu vent de l'existence au Maroc de gisements de phosphates, bien antérieurement à la publication d'Abel Brives, datée de 1908. On sait maintenant (Boujo et Salvan, 1986) qu'il a fallu attendre 1917 pour que « le Commandant Burseaux, ancien directeur des mines de Gafsa » (Tunisie) identifie « comme phosphate le sable des carrières utilisées par le Génie pour la construction d'ouvrages dans les environs d'Oued Zem ». Indépendamment de cette découverte, Abel Brives fut considéré comme le premier géologue ayant apporté des informations fiables sur la nature et la répartition des gisements minéraux marocains (Despujols, 1936, p. 17).
Comme beaucoup de pionniers de l'exploration géologique du Maroc, Louis Gentil (1868- 1925) a débuté sa carrière en Algérie, pays dont il était natif (Bourcart, 1961). Se destinant d'abord à la chimie, il s'orienta vers la minéralogie de l'Algérie. Ses premiers travaux, consacrés à l'étude du volcanisme de la Tafna, entre Oran et la frontière marocaine, sous la direction d'Alfred Lacroix, déboucheront sur une thèse de doctorat ès sciences soutenue en 1902 et lui vaudront le prix Fontannes en 1903. Maître de conférences à l'université de Paris, Louis Gentil arriva pour la première fois au Maroc en 1904, en tant que membre de la mission dirigée par René de Segonzac (1866-1962), patronnée par le Comité du Maroc, la Société géologique de France et l'Association française pour l'Avancement des Sciences. Louis Gentil fit ensuite plusieurs voyages, échelonnés de 1904 à 1911, qui lui permirent d'étudier notamment la région du Rif située entre Tanger et Tétouan, la plaine du Haouz, le Haut-Atlas occidental, le massif volcanique du Siroua, le Souss, la trouée de Taza et le bassin inférieur de la Moulouya. Parlant couramment l'arabe, il parcourut des régions du Maroc où régnait encore une grande insécurité. Dans une de ses conférences (1906a), il fait allusion aux conditions dans lesquelles il travaillait sur le terrain, notamment dans le Haut-Atlas : « J'ai adopté les vêtements musulmans, persuadé que je ne pourrais aller loin en costume européen. Tandis que ce dernier est indispensable en Bled Makhzen - parce que, dans les régions soumises, les Marocains sont pécuniairement responsables de la mort d'un chrétien - il en est tout autrement en Bled Siba, où l'on serait très exposé sans le travestissement musulman ou juif ».
Évidemment, dans ces conditions et pour ne pas attirer l'attention, il dut se contenter d'un matériel de travail assez sommaire : boussole de Peigné, baromètre anéroïde Naudet, pour mesurer les altitudes, ânes ou mulets pour ses déplacements. En l'absence de cartes topographiques et n'étant pas en mesure de réaliser des relevés astronomiques, il estimait les distances au jugé, en fonction du temps passé pour aller d'un point à un autre. Il appuyait ses observations sur des croquis et de très nombreuses photographies orientées, reportées avec une grande précision sur ses itinéraires. Ardent défenseur des intérêts français au Maroc, alors contrecarrés par les intrigues allemandes qui débouchèrent en 1911 sur le « coup d'Agadir » (l'Allemagne envoya un croiseur stationner dans la rade d'Agadir), il intervint personnellement auprès de Joseph Caillaux, alors ministre des Affaires étrangères, pour ne pas laisser le Souss à l'Allemagne (Il fut aussi le témoin des troubles qui agitaient le Maroc à cette époque. Dans une conférence donnée à Clermont-Ferrand en 1918, il relata ces incidents en détail).
Sur le plan scientifique, l'apport de Louis Gentil a été considérable et on peut dire que son oeuvre marque une révolution dans la connaissance géologique du Maroc. Il serait trop long d'énumérer dans le détail l'ensemble de ses découvertes.
Dès ses premières missions, il apporta d'importantes précisions sur la stratigraphie des massifs hercyniens du Haut-Atlas occidental et de leur couverture mésozoïque (1905). Il découvrit notamment à cette occasion, pour la première fois au Maroc et la troisième fois en Afrique (après ceux de Tindesset, recueillis par la mission Foureau-Lamy en 1898 et ceux d'Hassi-el-Khenig, découverts en 1902 par le lieutenant Cottenest [Morin, 1965 ; Willefert, 1997]), un gisement de graptolithes (Willefert, 1997). Il va également être le premier à débrouiller la structure et l'histoire tectonique du Haut-Atlas marocain (1906 b, 1910). À cette occasion, il fut conduit à réfuter certaines hypothèses de ses prédécesseurs, en particulier Abel Brives, concernant la tectonique de l'Atlas occidental (1907). Il en résulta une carte géologique de ce secteur à 1/1 000 000, qui figure dans l'édition française de la Face de la Terre d'Eduard Suess (1907-1918). Par contre, la mise en évidence d'un ennoyage des structures de la chaîne vers l'Atlantique conduisit Louis Gentil à envisager une liaison hasardeuse avec l'archipel des Canaries, voire avec le continent mythique de l'Atlantide (1917), idée d'ailleurs plus ou moins reprise par Pierre Termier (1922).
Dans le Nord du Maroc, ses observations vont le conduire à des hypothèses sur la formation du détroit de Gibraltar (1909) et l'existence et le fonctionnement d'un détroit sud-rifain au Néogène. Des observations menées conjointement avec Maurice Lugeon et Louis Joleaud (1918a, b) le mèneront à mettre en évidence plusieurs nappes de charriage dans la région prérifaine. En 1923, il va préciser ses interprétations et, notamment, la composition de la nappe prérifaine, qui « repose sur les marnes du deuxième étage méditerranéen avec interposition d'un Trias lagunaire, laminé, étiré ». Il faut rappeler que cette hypothèse de chevauchements importants des formations prérifaines sur les dépôts tertiaires du détroit sud-rifain fut alors jugée hérétique, notamment par Pierre Termier (1928), qui penchait plutôt pour des extrusions (extravasions) de dômes de sel triasique. Louis Gentil, à cette occasion, revit son interprétation tectonique des rides prérifaines où il voyait « une région d'écailles ou de plis imbriqués n'ayant que très peu chevauché l'un sur l'autre ».
On lui doit également la reconnaissance géologique des massifs des Kebdana et des Beni-Snassene où l'une de ses contributions les plus importantes fut d'en préciser la tectonique.
Les résultats acquis personnellement par Louis Gentil au cours de ses voyages au Maroc et l'utilisation exhaustive des données accumulées par ses prédécesseurs lui permirent de réaliser des travaux de synthèse qui ont constitué un jalon important dans la connaissance géologique du pays. Dès 1912, il publie Le Maroc physique, ouvrage fondamental dont une grande partie est consacrée à la géologie. Dans ce volume figure un schéma qui est probablement le premier essai de cartographie géologique de l'ensemble du pays (Fig. 4). Plus tard, en 1920, il signera la première carte géologique du Maroc à l'échelle de 1/1 500 000.
Après l'établissement du protectorat français en 1912, Louis Gentil devint conseiller scientifique du résident général Lyautey. C'est à ce titre qu'il intervint plus tard pour que les phosphates marocains, principale richesse minière du pays, ne tombent pas sous la coupe d'intérêts privés, ce qui devait aboutir à la création, en 1920, de l'Office chérifien des Phosphates, organisme d'État, dirigé à l'origine par Alfred Beaugé (1878-1935) et qui existe encore de nos jours sous le nom de Groupe OCP.
L'activité officielle de Louis Gentil contribua également à la création, à Rabat, en 1920, de l'Institut scientifique chérifien, à partir et en prolongement d'un laboratoire de géologie qu'il avait créé à Marrakech, en 1907.
Louis Gentil bénéficia, dans le Maroc du protectorat, d'une très grande notoriété dépassant largement le cercle des géologues. On ne comptait plus dans le pays les avenues et rues qui portaient son nom, lequel fut également donné au second centre minier de l'Office chérifien des phosphates, dans le bassin des Ganntour (actuellement Youssoufia). Cependant, dès que le pays eut recouvré son indépendance, l'apport de Louis Gentil dans l'essor économique du Maroc fut passé sous silence, au moins dans les cercles officiels. De plus, comme l'a noté Jacques Bourcart dans sa notice nécrologique tardive (1961), la disparition de Louis Gentil en 1925, passa presque inaperçue, même dans les milieux scientifiques. À cela Jacques Bourcart envisage plusieurs raisons : la guerre du Rif qui faisait rage à ce moment et qui accaparait l'attention, les controverses parfois assez vives notamment avec Pierre Termier, conseiller du gouvernement chérifien, à partir de 1921, au sujet des nappes prérifaines, et peut-être aussi le comportement difficile de Louis Gentil avec certains de ses collègues.
Dans la longue et foisonnante carrière scientifique de Paul Lemoine (1878-1940), le Maroc ne constitua somme toute qu'un épisode assez bref. C'est le Comité du Maroc qui lui confia une mission en 1904, dans le « bled Maghzen » - zone soumise à l'autorité du sultan, entre Mogador (Essaouira), Safi et la Kasbah du Glaoui, dans le Haut-Atlas de Marrakech (Lemoine, 1905 a). Au départ, ses observations devaient se raccorder à celles de Louis Gentil qui, lui, opérait plutôt en « bled Siba », domaine échappant en principe à l'autorité chérifienne. Dans ce secteur géographiquement limité et dans le laps de temps relativement court qui lui était imparti, Paul Lemoine apporta une contribution essentielle, notamment dans l'analyse de la stratigraphie des terrains mésozoïques et cénozoïques, confirmant en particulier les découvertes d'Abel Brives sur la série phosphatée (1905 b).
Un autre des mérites de Paul Lemoine et non des moindres fut sa contribution à la connaissance de la tectonique du Haut-Atlas occidental : sa coupe du jbel Hadid (1905 c), montrant un anticlinal aigu avec un coeur de Trias intrusif mit en évidence un type de structure rencontré fréquemment depuis dans les chaînes plissées de l'Afrique du Nord. Il reconnut également, toujours dans cette région du Haut-Atlas, deux directions de plissement différentes, l'une, d'orientation Nord-Est, affectant les terrains paléozoïques, l'autre, parallèle à la chaîne, déformant les couches mésozoïques (1905 d). Il insistait également sur la présence de deux phases orogéniques « l'une postcrétacée et prémiocène, l'autre postmiocène ».
Pratiquement au moment où des géologues français parcouraient les régions septentrionales et occidentales du Maroc, d'autres, opérant en Algérie, firent de nombreuses incursions dans l'Est du pays, notamment sur les Hauts-Plateaux et l'Atlas saharien. Cette pénétration fut naturellement favorisée par l'avancée des troupes françaises dans ces régions, dont le commandement n'attendit pas la signature du traité de protectorat pour légitimer cette intervention, qui devint effective en 1907 avec la prise d'Oujda. Il est à signaler que le général Lyautey, commandant en chef de ces troupes, encourageait les missions d'exploration géographique ou géologique des territoires nouvellement conquis. D'ailleurs plusieurs de ces missions furent conduites par des militaires, soit qu'ils menaient eux-mêmes ces explorations, soit qu'ils consignaient des observations et récoltaient des échantillons étudiés par d'autres.
Georges-Barthélémy-Frédéric Flamand (1861-1919), géologue au Service de la Carte géologique de l'Algérie, puis directeur de ce Service, réalisa ainsi d'importantes observations sur les terrains paléozoïques des différentes parties de l'Atlas saharien et des chaînes de l'Ougarta, ainsi que sur les formations mésozoïques du Sud-oranais. Sa monumentale thèse publiée en 1911 sur le « Haut-Pays de l'Oranie et sur les territoires du Sud » englobait une partie des Hauts-Plateaux marocains, où il introduisit notamment le concept de « terrain des Gour » pour désigner le remplissage pontico-pliocène résultant de la destruction des reliefs atlasiques.
Explorateur et géographe, Émile-Félix Gautier (1864-1940), professeur à l'université d'Alger, étendit ses recherches sur la région de Figuig (1905) et les Hauts-Plateaux méridionaux marocains où il mit en évidence le volcanisme pliocène du Chott Tigri (1914).
Déjà bien amorcée, la présence des géologues français au Maroc se trouva évidemment confortée par la signature, le 30 mars 1912, du traité de Fès instaurant le protectorat français.
Un des pionniers de cette période fut sans conteste Philibert Russo (1885-1965), médecin militaire, hydrologue et géologue. Sa carrière ayant déjà été décrite en détail dans des publications précédentes (David et Miguet, 1969 ; Médioni, 2008) nous nous bornerons ici à en rappeler les faits principaux au Maroc.
Philibert Russo parcourut ce pays, de 1913 à 1927, en accompagnant les troupes chargées de la « pacification ». Les loisirs et les facilités de circulation que lui procurait son état de médecin militaire, chargé, entre autres, de l'approvisionnement de l'armée en eau potable, lui permirent de parcourir le Maroc central (chaîne hercynienne et « plateau des phosphates »), le Haut-Atlas, le Maroc oriental et le Rif où, à la faveur de la coopération militaire franco-espagnole pendant la guerre du Rif (1921-1926), il put parcourir les chaînes rifaines jusqu'à la Méditerranée.
Explorateur et travailleur infatigable, Philibert Russo a laissé un nombre impressionnant de publications sur le Maroc. Travaillant le plus souvent sur des secteurs encore géologiquement peu connus, Russo a évidemment accumulé beaucoup de données et d'observations nouvelles. À partir de 1927, il travailla souvent en compagnie de son épouse Léonie.
Dans le Maroc central hercynien, il mit en évidence le granite des Rehamna, précisa certains traits stratigraphiques du Carbonifère et du Permo-Trias, ainsi que de la couverture crétacée-éocène du « plateau des phosphates ».
Philibert Russo s'est beaucoup intéressé à l'accident sud-atlasique qu'il a parcouru à la fois sur le terrain et en s'appuyant sur des prises de vue photographiques aériennes.
De ses incursions sur la partie nord-orientale de la chaîne rifaine, il apporta une large moisson d'observations concernant aussi bien la stratigraphie de séries schisteuses monotones, considérées comme paléozoïques, que la tectonique en « écailles imbriquées », voire en nappes de charriage.
Mais son travail le plus important et le plus durable reste sans aucun doute l'étude de la région des Hauts-Plateaux du Maroc oriental, qui fera d'ailleurs l'objet d'une thèse soutenue en 1926.
Malheureusement pour Philibert Russo, les conditions particulières de son activité et un relatif isolement vis-à-vis d'autres géologues, ont souvent eu un impact négatif sur la validité des résultats acquis. Ainsi des données observées localement ont été extrapolées de façon souvent imprudente sur de longues distances. Cela explique peut-être que ses travaux n'aient pas eu l'influence à laquelle on aurait pu s'attendre du fait de leur volume impressionnant, à l'exception de ceux concernant les Hauts-Plateaux. En revanche, il convient de souligner le rôle de promoteur que Russo a joué dans l'organisation de la recherche hydrogéologique au Maroc (Ambroggi et Margat, 1961 ; Margat, 1958).
Les résultats acquis par les uns et les autres durant cette période héroïque trouveront leur concrétisation dans la Carte géologique provisoire du Maroc dressée par Louis Gentil et publiée à l'échelle de 1/1 500 000, en 1920, « par ordre de M. le Maréchal Lyautey, Résident général de la République française au Maroc ». Ce document, sur lequel on retrouve les principaux traits de la géologie du Maroc, est naturellement d'un degré de précision très variable suivant les régions. Si l'on reconnaît bien, dans leurs grandes lignes, les formations de la Meseta marocaine et du Haut-Atlas, les chaînes rifaines sont traitées de façon très sommaire et la majeure partie de l'Anti-Atlas fait encore figure de terra incognita. Le graphisme général des contours de cette carte et sa légende relativement sommaire témoignent des incertitudes et des approximations de la connaissance géologique du Maroc à cette époque.
La Première Guerre mondiale se traduisit évidemment par un ralentissement des études géologiques au Maroc. Philibert Russo lui-même, par exemple, dut interrompre son séjour pour participer aux combats en France.
Après la guerre, un évènement important fut la création, en 1919, sur l'initiative d'Honoré Lantenois (1863-1940), ingénieur des mines et conseiller du résident général Lyautey, du Service des mines, auquel sera rattaché, en 1921, la Carte géologique, marquant ainsi l'institution d'un service géologique qui deviendra rapidement l'un des plus brillants de l'empire colonial français. Jusqu'en 1940, ce Service des Mines et de la Carte géologique fut dirigé par un ingénieur des mines, Pierre Despujols (1888-1981) qui, remarquable animateur, souligna largement (1933, p. 69-73) l'intérêt de la géologie générale pour les recherches d'eau, les prospections minières et pétrolières et les travaux publics. Un de ses grands mérites fut aussi d'avoir su attirer au Maroc des ingénieurs et des géologues de valeur qui contribuèrent à l'essor de la géologie marocaine pendant un demi-siècle.
Un peu à la manière de son aîné français, le Service de la Carte géologique du Maroc fit largement appel à des géologues chargés de mission, installés temporairement dans le pays, pour des périodes plus ou moins longues, à côté de quelques géologues permanents dont le premier fut Jules Barthoux (1881-1965), connu également sous les noms de Jules Couillat-Barthoux, il étudia les formations métamorphiques etpaléozoïques des Rehamna et des Djebilet. Pierre Despujols sut également s'attacher le concours de personnalités éminentes pour superviser, de façon épisodique, les réalisations des géologues de terrain. Avec le titre officiel de « Conseiller du Gouvernement chérifien », cette fonction fut d'abord assurée par Pierre Termier (1859-1930), de 1921 à sa disparition, puis par Paul Fallot (1889-1960). Il faut noter que l'absence d'université scientifique au Maroc, jusque dans les toutes dernières années du Protectorat, eut pour effet de donner aux géologues du Service de la Carte géologique et à ses chargés de mission, un rôle prépondérant dans la recherche géologique fondamentale dans le pays. Il est également intéressant de noter que, pendant toute cette période, les Français eurent de facto le quasi monopole de la recherche géologique dans la « zone française » du Maroc. Il faudra attendre la fin du Protectorat, après 1956, pour voir arriver sur le terrain des géologues d'autres nationalités... y compris marocains.
Même en l'absence, apparemment, de planification précise, les priorités des études géologiques et de cartographie ont naturellement d'abord concerné les régions « utiles » du Maroc occidental, à l'exception notable des Hauts-Plateaux où Philibert Russo bénéficia d'un concours de circonstances particulières. Entraient également en ligne de compte les problèmes de sécurité dans les déplacements dans un pays qui ne fut complètement sûr qu'en 1934.
Comme ce fut également le cas en France, l'extension géographique de ces travaux était en partie tributaire de l'état d'avancement de la couverture topographique. Sauf exceptions, le fonds retenu fut celui à 1/200 000, dit « de reconnaissance », établi par le Service géographique de l'Armée et qui avait vocation à couvrir l'ensemble du territoire. Cette carte, en courbes de niveaux, était d'une qualité plus ou moins acceptable dans le Maroc occidental et une partie des chaînes atlasiques, mais elle s'avérait franchement insuffisante, voire même inexistante, dans beaucoup d'autres secteurs. Les géologues étaient souvent contraints de rectifier eux-mêmes certains éléments de ces fonds topographiques déficients. Les régions rifaines et prérifaines, où la géologie présente une certaine complexité, furent d'emblée publiées à 1/100 000. Ainsi, c'est à cette échelle que Fernand Daguin (1889-1948) signa, en 1928, la première carte éditée par le Service, qui couvrait la région prérifaine. La première carte géologique à 1/200 000 fut l'oeuvre, en 1930, d'Édouard Roch (Région des Abda et des Djebilet occidentales). Les coupures élémentaires de cette carte à 1/200 000 constituaient des rectangles d'un grade carré, soit une superficie de 5 500 à 5 700 km2, suivant la latitude. Pour la publication des cartes géologiques, ces coupures à 1/200 000 étaient généralement réunies, de façon à intéresser des entités géographiques ou géologiques déterminées de bien plus grande étendue.
Dans la plupart des cas, ces cartes géologiques étaient accompagnées de notices explicatives et elles ont été souvent établies à la suite de monographies régionales substantielles, parfois de thèses d'État, publiées dans la série des Notes et Mémoires du Service des mines et de la Carte géologique, publications qui, sous des noms légèrement différents, en fonction des modifications des structures administratives, se sont poursuivies jusqu'à nos jours. Cette série fut inaugurée en 1927 par le très important mémoire de Fernand Daguin (1889-1948) sur la géologie de la région prérifaine.
Nous avons déjà vu que, dès 1913, Louis Gentil avait pris l'initiative de proposer à l'administration du gouvernement chérifien la création d'un institut destiné à organiser les recherches nécessaires à l'exploration scientifique du pays. Officiellement créé en 1914, l'Institut des Recherches scientifiques fonctionna avec des moyens très faibles jusqu'à sa réorganisation, en 1920, en Institut scientifique chérifien, placé sous la direction du Dr Jacques Liouville (1879-1960). À côté de divers services impliqués dans les sciences biologiques, la météorologie, la climatologie, l'hydrologie et l'océanographie, l'Institut possédait un Service de géologie et de géophysique, qui, par le biais de subventions, et grâce à l'action de son directeur, François-Alexis Rolland, finança plusieurs missions géologiques dont bénéficièrent, en particulier, Jacques Bourcart (1891-1965) et Georges Lecointre (1888- 1972). Actuellement, cet organisme, sous le nom d'Institut scientifique de Rabat, est rattaché à l'universitéMohammed V de Rabat. Il comprend également un réseau de stations sismologiques, une bibliothèque et un Muséum d'Histoire naturelle.
En 1926, Jacques Liouville institua au sein de son Institut, un Bureau hydrogéologique qui, jusqu'en 1933, fut dirigé par Philibert Russo, assisté de son épouse.
En étroite liaison avec l'Institut scientifique, fut créée, en 1920, la Société des Sciences naturelles et physiques du Maroc, qui, notamment par la publication d'un bulletin et de mémoires, a joué un rôle de la plus haute importance dans la vie scientifique du Maroc (Morin, 1965, p. 1453-1454). Cette société savante eut le privilège d'assurer la publication de la première monographie géologique régionale du Maroc (Lecointre, 1926). Au sein de la Société, c'est encore Philibert Russo qui créa et dirigea à partir de 1931, le Comité d'Études des Eaux souterraines regroupant plusieurs spécialistes et assurant la publication de cartes et d'articles de synthèse jusqu'en 1939 (Ambroggi et Margat, 1961).
En 1920 fut créé l'Office chérifien des Phosphates (OCP) sous forme d'un organisme d'État à caractère industriel et commercial dont la direction était confiée à Alfred Beaugé (1878-1935), ingénieur du Génie militaire (Salvan, 1986). L'année suivante était créé le premier centre phosphatier à Khouribga pour exploiter le gisement des Oulad Abdoun. Un deuxième centre, Louis-Gentil (actuellement Youssoufia), fut ouvert, en 1931, dans le bassin des Ganntour. Dès sa création, cet organisme confia plusieurs missions à des géologues extérieurs à l'OCP : Justin Savornin (1876-1970), Marcel Solignac, Léonce Joleaud (1880- 1938), André Cailleux (1907-1986), Camille Arambourg (1885-1969), ce dernier ayant joué un rôle essentiel dans l'étude paléontologique des vertébrés des phosphates marocains.
À la suite de la découverte par deux géologues belges, André Brichant et Jules Harroy (1886-1955), en 1927, de schistes et grès attribués au Houiller dans la région de Jerada, au Maroc oriental (Harroye et Brichant, 1928), la Société Ougrée-Marihaye mena des recherches qui permirent la mise en évidence d'un gisement d'anthracite exploitable industriellement. Ces résultats amenèrent la création, en 1929, de la Société des Charbonnages de Djérada, où des géologues apportèrent une contribution majeure à la stratigraphie des terrains carbonifères du Maroc oriental.
Sur la lancée de la découverte du bassin houiller de Jérada, et sous l'impulsion d'Eirik Labonne (1888-1971), secrétaire général du Protectorat, fut créé en 1928, le Bureau de Recherches et de Participations Minières (BRPM), dont la direction fut confiée à Léon Migaux (1897-1974). Dans l'esprit de ses promoteurs, il s'agissait de donner une forte impulsion aux recherches minières et de rendre possible un effort de l'État dans ce domaine, parallèlement ou en association avec des entreprises privées, notamment par le biais de prises de participations. Il importait aussi d'éviter qu'une concurrence effrénée entre opérateurs miniers privés produise un morcellement des grands gisements, préjudiciable à une exploration et un développement rationnels. Au départ, l'activité du BRPM était limitée au charbon et au pétrole mais, à partir de 1938, elle fut étendue à tous les types de gisements miniers. La contribution du BRPM à la connaissance géologique du Maroc a été importante mais n'a malheureusement donné lieu qu'à peu de publications accessibles, le cadre de travail et les impératifs économiques de l'établissement imposant à ses ingénieurs un devoir de réserve [Les deux exceptions notables sont les publications de Louis Clariond (1900-1961) et Octave Horon (1922-1982)]. Le statut original du BRPM servit de modèle appliqué à d'autres Bureaux miniers de l'ex-Union française et, en particulier, en 1948, au Bureau Minier de la France d'outremer (BUMIFOM), un des ancêtres du Bureau de Recherches géologiques et minières (BRGM) actuel.
Connus bien avant l'établissement du protectorat français au Maroc, les indices superficiels d'hydrocarbures de la zone prérifaine donnèrent lieu, dès 1918, à des recherches systématiques, sur l'initiative du général Lyautey. Ils conduisirent à l'exécution de deux sondages positifs en 1919 et 1923. Toutefois, les apports financiers de l'Office national des Combustibles liquides, dès 1926, et les quelques initiatives de groupes privés comme la Compagnie française des Pétroles ne furent pas suffisants pour assurer un développement de ce type de recherches. Aussi, en 1928, sur l'initiative du BRPM, les différents acteurs techniques et financiers de la recherche pétrolière au Maroc s'associaient pour constituer, en 1929, la Société chérifienne des Pétroles (SCP). Dès sa création, la SCP se dota d'un Service géologique, dirigé de 1930 à 1938 par Jean-Pierre-Victor Lacoste (1901-1942), puis par Willy Bruderer jusqu'en 194818. Les géologues qui se succédèrent au sein de ce Service apportèrent une contribution essentielle à la connaissance géologique du Rharb et de la zone prérifaine. La situation de quasi monopole de l'exploration et de la production pétrolière au Maroc dont bénéficia la SCP pendant de longues années lui laissa les mains libres pour autoriser la publication de beaucoup des résultats acquis par ses géologues [À partir des années 1960, la Société chérifienne des pétroles étendit son champ d'activité à la région d'Essaouira et à la « zone des plis marginaux» (Hauts-Plateaux)].
La frontière politique séparant les zones espagnole et française du Maroc n'était pas de nature à favoriser la connaissance de ce système montagneux relativement complexe.
Côté espagnol (sous l'égide de la Comisión de Estudios geológicos de Marruecos, instituée en 1915), la contribution française la plus importante a été celle de Paul Fallot (1889-1960). Les observations qu'il a réalisées, en compagnie d'Agustin Marin (chef de la Commission géologique du Maroc espagnol) et de Maurice Blumenthal, lui permirent (1937) de réaliser une importante monographie sur le Rif septentrional. Michel Durand-Delga (1961, p. 225-227) a souligné l'importance de ce travail dont les conclusions et interprétations, notamment en ce qui concerne la Dorsale calcaire, ont largement résisté à l'épreuve du temps (Fig. 6).
Dans l'introduction à ce mémoire, Paul Fallot donna un historique détaillé des recherches géologiques entreprises dans le Rif septentrional depuis le XIXe siècle. Il évoqua également les problèmes posés par la géologie de cette région : sur la tectonique, il revint sur son rejet catégorique de i'aliochtonie de la chaîne calcaire ; en ce qui concerne la stratigraphie et les coordinations paléogéographiques, les connaissances acquises sur les régions voisines - Andalousie, Rif méridional et oriental, Algérie - y permirent de notables avancées sur ces points. Les conclusions les plus significatives concernaient le cadre structural : ainsi la planche XVIII de son mémoire fournit un bon schéma des rapports entre le Rif et les cordillères Bétiques d'Andalousie ; on peut y remarquer le caractère relativement limité de ces corrélations, contrairement à ce qui avait été admis auparavant.
René Abrard (1892-1973) étudia le système des rides prérifaines au nord de Meknès pour arriver à des conclusions voisines de celles de Louis Gentil (1921).
Jacques Bourcart (1891-1965) arriva au Maroc en 1911, comme militaire; il fit notamment partie d'une escorte de spahis accompagnant Louis Gentil, qui allait devenir son beau-père. C'est d'ailleurs après la mort de dernier en 1925 qu'il reviendra travailler au Maroc. Tout au long de sa longue carrière marocaine, on retrouvera Jacques Bourcart dans différents secteurs du royaume - Rharb et Pré-Rif -, régions côtières atlantiques, Haut-Atlas et Anti-Atlas, etc. Ses études et travaux ont concerné l'ensemble de la série stratigraphique depuis le Précambrien jusqu'au Quaternaire. Dans le Rif, ses travaux ont essentiellement porté sur la stratigraphie des terrains mésozoïques et cénozoïques du Rharb, du Pré-Rif (région d'Ouezzane) et du Méso-Rif (Djebalas, Izarène) (1930). En 1932, fut publiée une carte géologique à 1/100 000 de ses secteurs d'études du Rharb, du Pré-Rif et des Djebalas.
Léon Lutaud (1883-1964) entreprit dès 1918 des études géologiques dans le Rharb occidental où il reconnut l'existence de la nappe prérifaine, ensemble complexe de terrains triasiques et tertiaires (1921).
Le Pré-Rif a fait l'objet des travaux importants de Fernand Daguin (1889-1948). Raymond Ciry (1950) a retracé en détail la carrière de ce géologue, élève de Charles Jacob (1872-1962) à Toulouse. Agrégé en 1914, il commence une carrière de professeur de sciences naturelles dans plusieurs lycées de province, avant d'occuper en 1921 et pour très peu de temps, un poste de préparateur à la faculté des sciences de Montpellier. En effet, en 1922, à la demande d'Honoré Lantenois, Fernand Daguin fut chargé de deux missions pour le tout nouveau Service des mines et de la Carte géologique du Maroc, avant son détachement, en 1923, pour deux ans dans ce même Service.
Le secteur géographique étudié en détail par Daguin et les incursions menées dans les régions avoisinantes lui permettront de donner un schéma d'ensemble de la région dont les grandes lignes sont encore valables aujourd'hui. Ce travail fit l'objet de deux ouvrages importants : un mémoire en 1927 qui inaugura la série des publications du Service des mines et de la Carte géologique du Maroc, prix Fontannes en 1929, et une carte géologique à 1/100 000. Parmi les principaux résultats de ce travail, on relève la confirmation de l'existence, dans la partie septentrionale de son secteur d'étude, d'une grande nappe de charriage, à matériel triasique et nummulitique, venant du Nord, déversée vers le Sud, jusqu'aux environs de Fès. Sous la poussée de cette nappe, le substratum mésozoïque a été plissé et les rides anticlinales, asymétriques, ainsi constituées donnent lieu à des virgations, compliquées d'écaillage, dirigées à la fois vers l'Ouest et le Sud : les rides prérifaines. Leur étude stratigraphique et pétrographique a mis en évidence la présence d'une roche constituée de débris d'origine granitique, quartz et feldspath, non déformés (grès du Zerhoun), en partie jurassiques, suggérant la proximité d'un socle, contre lequel seraient venues buter ces rides prérifaines. Or il se trouve que des forages pétroliers implantés sur les rides les plus occidentales ont confirmé l'existence d'un substratum granitique, par ailleurs très fracturé et imprégné d'huile. Plus à l'Est, vers le col du Touhaar, Fernand Daguin allait retrouver le contact anormal des calcaires blancs à silex de la nappe prérifaine sur les argiles vindoboniennes de l'avant-pays.
En dehors de la zone prérifaine, Fernand Daguin étudia un certain nombre de secteurs du Haut-Atlas marocain. En 1928, il intégra la faculté des sciences de Bordeaux et consacra alors l'essentiel de ses recherches à la géologie du bassin d'Aquitaine. En 1948, sur le chemin de retour d'une mission en Martinique, il trouva la mort dans un accident d'hydravion. La carrière de Daguin et les circonstances de son décès conduisirent le gouvernement français à le citer à l'ordre de la nation.
Paul Fallot (1943) a retracé la carrière de Jean-Pierre-Victor Lacoste (1901-1942). Formé à l'université de Nancy, il participa en 1926 à une expédition du Pourquoi pas ? au Scoresbysund, sur la côte orientale du Groenland. En 1927, il est appelé au Maroc par Pierre Despujols pour effectuer des levés géologiques dans le Rif. C'est tout naturellement qu'en 1929 il intégra la toute nouvelle Société chérifienne des Pétroles où il anima ce qui deviendra le Service géologique de l'entreprise. L'essentiel de ses résultats a été exposé dans une importante monographie (1934) qui valut à son auteur, en 1935, le prix Fontannes de la Société géologique de France. La contribution de Jean-Pierre Lacoste a été particulièrement importante en ce qui concerne la stratigraphie et la sédimentologie : présence de formations gypso-salines dans le Crétacé, séparation entre les marnes bathyales du Crétacé et celles du Miocène, faciès côtiers, ou même momentanément continentaux, pendant le Jurassique au droit des rides prérifaines actuelles. Par contre, ses interprétations tectoniques étaient en opposition avec celles émises par Fernand Daguin. Au lieu de nappes, Lacoste, pour expliquer la position anormale des formations triasiques, penchait plutôt pour des plis diapirs ou des injections de Trias dans des anticlinaux perçants. Cependant, des tournées sur le terrain en compagnie de Paul Fallot et Jean Marçais le firent par la suite changer d'avis et se ranger à l'hypothèse « nappiste ».
Né à Alger et fils de l'orientaliste William Marçais, Jean Marçais (1904-1991) fut naturellement conduit à travailler au Maroc lorsque Pierre Despujols fit appel à lui en 1929 pour étudier la partie orientale du Rif dans la zone d'influence française. Il réalisa ce travail d'abord au Service des Mines et de la Carte géologique, avant de le poursuivre, à partir de 1932 à l'Institut scientifique chérifien, dont il assura la direction de 1942 à 1946. Sur un terrain particulièrement complexe, Jean Marçais mit en évidence la présence d'une nappe rifaine laissant apparaître plusieurs fenêtres, et qui se serait mise en place au Miocène (1942). Il allait détailler et préciser ses conceptions dans un cadre plus large à l'occasion du 19e Congrès géologique international tenu à Alger en 1952, pour lequel un des livrets-guides des excursions marocaines faisait le point sur la connaissance de l'ensemble de l'orogène rifain (Fallot et Marin, 1952). Les responsabilités administratives prises par Jean Marçais dès 1942, et surtout à partir de 1946 où il prit la direction du Service géologique du Maroc, l'empêchèrent d'aller plus avant dans ses recherches personnelles, mais ses qualités humaines et son rôle d'animateur contribuèrent grandement au développement des recherches géologiques dans ce pays. Il continua néanmoins à suivre de très près les progrès enregistrés dans la connaissance du Rif. L'importante découverte et l'étude de restes humains fossiles dans le Quaternaire des environs de Rabat (1934) est aussi à porter à son actif.
Partie intégrante de la « ceinture varisque », la Meseta marocaine couvre un vaste domaine du Maroc occidental. C'est une région d'affleurements paléozoïques et de massifs granitiques largement affectés par l'orogénie hercynienne. L'évolution ultérieure de ce système montagneux a conduit à l'établissement d'une pénéplaine, recouverte par des sédiments peu épais, triassico-liasiques à l'Est et au Nord-Est, sur le « causse » moyen- atlasique et crétacés et tertiaires, au Sud, sur le plateau des Phosphates. Par sa situation géographique proche du littoral et des grandes agglomérations urbaines et aussi du fait de l'importance de ses ressources minières, la Meseta est un élément essentiel du « Maroc utile ».
C'est toujours à la demande de Pierre Despujols et d'Honoré Lantenois qu'Henri Termier (1897-1989), neveu de Pierre Termier, arriva au Maroc en 1925, après un court séjour à l'université de Montpellier. Intégré comme géologue permanent au Service des mines et de la Carte géologique, il s'est vu chargé de l'étude d'une vaste région, encore géologiquement peu connue, et dont la « pacification » par les troupes françaises n'était pas encore totalement achevée. Henri Termier va y réaliser, pendant dix ans, un travail considérable, débouchant en 1936, sur une oeuvre monumentale, les Études géologiques sur le Maroc central et le Moyen Atlas septentrional, ouvrage qui valut à son auteur, outre le titre de Docteur d'Etat, le prix Bordin de l'Académie des sciences, le prix Fontannes de la SGF et le prix du Maroc..
Dans le premier tome de cette monographie, Henri Termier va établir de façon précise la stratigraphie des formations paléozoïques, en faisant très souvent des parallèles avec celle observée dans d'autres régions. Le tome 2 expose les résultats concernant la stratigraphie des terrains post-triasiques. Une description des faunes recueillies et de la pétrographie des roches fait l'objet du troisième tome. Cette monographie est complétée, pour une large part, par une Carte géologique provisoire du Maroc central à 1/200 000, publiée en 1932, accompagnée, en 1939, d'une notice explicative reprenant les principaux résultats obtenus sur le terrain.
En 1942, Henri Termier est rejoint au Maroc par la paléontologue Geneviève Delpey (1917-2005) qu'il épousera en 1945. Désormais, le nom de Geneviève Termier sera pratiquement associé à toutes les publications de son époux, mais sa contribution personnelle sera surtout très importante sur le plan de l'étude des fossiles : en 1947 et 1950 seront publiés les deux volumes de la Paléontologie marocaine. Geneviève Termier constituera au sein du Service, à Rabat, une importante collection de fossiles de référence.
Les époux Termier ont apporté leurs compétences à l'étude d'autres régions du Maroc, comme ce fut le cas pour le massif granitique du Tichka (Haut-Atlas). En outre, dans les très nombreux ouvrages généraux publiés par les Termier, on retrouve beaucoup références à des exemples marocains.
L'histoire de la connaissance géologique de la Meseta marocaine durant cette période serait incomplète sans mentionner la contribution de Georges Lecointre (1888-1972). Il fut initié dès son plus jeune âge à la paléontologie par sa mère, la comtesse Pierre Lecointre qui, dans son château de Grillemont (commune de La Chapelle-Blanche (37240), en Indre-et-Loire), avait rassemblé une collection des faluns de Touraine. Sa vocation de géologue fut éveillée par la rencontre en 1896 de Gustave-Frédéric Dollfus (1850-1931) et par le passage, à Grillemont, en 1900, d'une excursion du Congrès géologique international (Alimen, 1961). Après avoir obtenu un diplôme d'ingénieur-chimiste à Nancy en 1906, il compléta sa formation de géologue auprès de René Nicklès, Émile Haug, Auguste Michel-Lévy, Louis Gentil et Marcelin Boule. En 1913, Émile Haug lui propose comme sujet de thèse l'étude du Néogène et du Quaternaire de la côte atlantique du Maroc, du Cap Spartel à Agadir. Grâce à Marcelin Boule, il obtint une subvention du fonds Roland Bonaparte de l'Académie des sciences qui lui permit de partir au Maroc en 1914. Il commença ce travail dethèse au Nord de l'oued Sebou mais, à la déclaration de guerre, il fut mobilisé sur place. Gravement malade, et hospitalisé à l'hôpital d'Anfa, près de Casablanca, il mit à profit saconvalescence pour découvrir des faunes cambriennes à Paradoxides dans des schistes etquartzites du littoral casablancais (Lecointre, 1918), ce qui était une première en Afrique (Fig. 7). Cette découverte réorienta provisoirement ses recherches qui portèrentessentiellement sur les terrains paléozoïques de la partie occidentale de la Meseta et quiaboutirent en 1926 à la première monographie régionale publiée sur le Maroc (Lecointre, 1926). En 1933, il bénéficia de la collaboration de Mgr Gaston Delépine (1878-1963) pourétendre ses recherches vers le Nord du Maroc (Goguel, 1974). Il devait par la suite seconsacrer essentiellement à l'étude des terrains pliocènes et quaternaires du Marococcidental.
Le Moyen-Atlas a bénéficié des levers d'Henri Termier et du chanoine Gonzague Dubar(1896-1977). Ce dernier, paléontologue et stratigraphe formé à Lille, après avoir été ingénieur-chimiste, soutint une thèse en 1925 sur le Lias des Pyrénées françaises. Appelé au Maroc en1930 par Henri Termier et Paul Fallot, il s'attaqua à la stratigraphie et à la cartographie duMoyen-Atlas septentrional. Les formations liasiques retinrent particulièrement son attention enraison des faunes très particulières de grands lamellibranches et de térébratules et zeilleriesmultiplissées qu'elles renferment (Dubar, 1931 et 1932). En 1937, il signa avec Henri Termier une Carte géologique provisoire du Moyen Atlas septentrional à 1/200 000. Cette carte se raccorde à celle du Maroc central publiée en 1932 par Henri Termier et déborde largement surle bassin de la haute Moulouya avec le massif paléozoïque d'Aouli, ce qui représente au total une superficie cartographiée de 15 600 km2. Gonzague Dubar allait d'ailleurs poursuivre ses recherches au-delà de la cuvette de la haute Moulouya pour réaliser la Carte géologique provisoire du haut Atlas de Midelt, publiée en 1939. La notice explicative de cette dernière carte (1943, perdue puis publiée en 1949) est un document fondamental pour la connaissance de la stratigraphie et de la paléogéographie des terrains jurassiques (Lias-Dogger) d'une grande transversale Nord-Sud de la chaîne du Haut Atlas, avec, en particulier, des cartes des différents faciès des terrains du Lias et du Dogger. Gonzague Dubar apporta également son concours de paléontologue et de stratigraphe à d'autres régions du Maroc, telles que le Rif.
Édouard Roch (1901-1975), géologue stratigraphe de l'école grenobloise, arriva au Maroc en 1925 à l'initiative de Wilfrid Kilian (1862-1925), comme chargé de mission au Service des mines et de la Carte géologique, jusqu'en 1930. Au départ, il devait cartographier toute la région littorale entre Mogador (Essaouira) et Agadir. Mais l'insécurité qui régnait encore dans le Sud marocain l'obligea à se consacrer essentiellement à l'étude des Djebilet et du Haut-Atlas occidental. Les résultats obtenus ont été consignés dans une importante monographie publiée en 1930 (ce travail fit l'objet d'une thèse de doctorat d'Etat et reçut le prix Fontannes et le pris James Hall de l'Académie des sciences). Il y donna une analyse stratigraphique détaillée des formations qui affleurent dans ce vaste secteur : Paléozoïque des Djebilet et du massif ancien du Haut-Atlas, Permo-Trias du couloir d'Argana-Bigoudine, Mésozoïque des plis atlasiques, Cénozoïque et formations « oligo-miocènes » résultant du démantèlement de la chaîne. Il souligna la relative simplicité des mouvements tectoniques du début du Cénozoïque et fut amené à critiquer les interprétations tectoniques d'Abel Brives. Parallèlement à cette monographie, Édouard Roch publia trois cartes géologiques à 1/200 000.
De 1931 à 1936, Édouard Roch occupa un poste permanent au Service des mines et de la Carte géologique et eut une activité régionalement plus diversifiée. De 1937 à 1939, il fut de nouveau chargé de mission. Pendant la Seconde Guerre mondiale, il rédigea une Histoire stratigraphique du Maroc publiée en 1950.
Pour compléter la connaissance du Haut-Atlas, il y a lieu de signaler ici la contribution de Léon Moret (1890-1972). En tant que chargé de mission au Service des mines et de la Carte géologique, de 1927 à 1929, il étudia la partie centrale de la chaîne, dont il donna, en 1930, une carte géologique à 1/200 000 et, en 1931, une monographie régionale. Il y décrivit la géologie suivant trois grandes zones (subatlasique septentrionale, axiale, subatlasique méridionale), séparées par de grands accidents et qui lui permirent de mettre en évidence les variations de faciès des terrains allant du Jurassique au Miocène. Dans ses conclusions, Léon Moret compare le Haut-Atlas aux Pyrénées : pour résumer sa pensée, il distingue « d'une part, le socle ancien formé de roches primaires, dont le plissement date surtout de la phase hercynienne et, d'autre part, la couverture post-hercynienne (secondaire et tertiaire) de ce socle qui porte la marque des mouvements pyrénéo-alpins ». Il reconnaît cependant la difficulté à préciser l'âge exact de ces plissements.
Louis Neltner (1903-1985), ingénieur des mines et géologue, fut chef adjoint du Service des mines et de la Carte géologique du Maroc, aux côtés de Pierre Despujols, de 1927 à 1931. Il apporta une contribution majeure à la stratigraphie des terrains anciens de la zone axiale du Haut-Atlas et de l'Anti-Atlas. On lui doit, entre autres, la découverte d'Archaeocyathidae dans le Haut-Atlas, ce qui permit de définir l'extension du Cambrien dans le Sud marocain, et, dans l'Anti-Atlas, la mise en évidence de la double discordance de Tizi-n-Tarhatine qui prouvait la présence de l'Antécambrien et sa subdivision en deux termes, qu'il attribua à l'Archéen et à l'Algonkien (Fig. 8). Appelé, en 1931, comme professeur de géologie à l'École des mines de Saint-Etienne, il continua cependant à travailler au Maroc de façon épisodique jusque dans les années 1950.
On doit à Jacques Bourcart (1891-1965), que nous avons déjà vu à l'oeuvre dans le Rif, des travaux menés seul ou avec d'autres, tels Édouard Roch, concernant le Haut-Atlas et l'Anti-Atlas, aussi bien sur le Précambrien que sur les terrains paléozoïques et mésozoïques (1935). Ces travaux ont vu leur concrétisation par deux cartes géologiques à 1/200 000, publiées en 1942.
Ingénieur civil des mines, Louis Clariond (1900-1961), entra au Bureau de Recherches et Participations minières (BRPM) en 1930 et, parallèlement à ses responsabilités au sein de cet établissement, entreprit des études géologiques importantes sur l'Antécambrien du Sud marocain et accessoirement sur les bassins houillers marocains. Il fut un des rares ingénieurs du BRPM à pouvoir publier ses travaux (1935). Concernant le Sud marocain, on peut se faire une idée de l'importance de son travail grâce à une carte à 1/200 000 levée de 1932 à 1936 et publiée en 1944.
Appelé au Maroc par Paul Fallot, Georges Choubert (1908-1986) fut d'abord chargé d'effectuer des levers dans la Meseta orientale (Rekkame et Hauts-Plateaux). Dans cette vaste région, parcourue auparavant par Philibert Russo (1926), Georges Choubert, en seulement quatre courtes notes à l'Académie des sciences, en actualisa la structure et la stratigraphie du Lias et du Dogger (1937a, b ; 1938a, b). Un des résultats majeurs obtenus par Georges Choubert à cette occasion fut de mettre en évidence, au cours de l'Aaléno- Bajocien, le passage des faciès de mer profonde du Haut-Atlas oriental, à ceux de plateforme dans la région des Hauts-Plateaux (Fig. 9). Travaillant dans des conditions difficiles du fait de la très mauvaise qualité des fonds topographiques, il réalisa néanmoins dans ce secteur des levés précis restés inédits mais largement utilisés sur la carte à 1/500 000 (feuille Oujda, 1951 et 1954). À partir de 1936, il va essentiellement travailler sur l'Anti-Atlas, d'abord au sein de la « Mission de l'Or », puis comme chef de la « brigade hydrogéologique du Souss ». L'ensemble des travaux de Georges Choubert dans l'Anti-Atlas fit l'objet d'une thèse soutenue en 1960 et publiée en 1963. Comme nous le verrons, Georges Choubert eut par la suite la responsabilité, aussi bien administrative que scientifique, des programmes de cartographie géologique au Maroc.
Parmi les importantes découvertes paléontologiques de cette époque dans le domaine atlasique, il faut citer les gisements de dinosauriens étudiés par Albert-Félix de Lapparent (1905-1975), dans le Bathonien marin du synclinal d'El-Mers (Moyen-Atlas), dans le Bathonien continental de la région de Ouaouizarht, ainsi que sous forme d'empreintes de pas dans des marnes rouges du Lias supérieur de Demnate (Haut-Atlas).
Le géographe Jean Dresch (1905-1994) apporta sa touche personnelle et originale par sa collaboration avec Édouard Roch et Louis Neltner dans la connaissance de l'Anti-Atlas et du Haut-Atlas (1941). Dans cette dernière chaîne et dans la plaine du Haouz de Marrakech, Jean Dresch reconstitua l'évolution des reliefs en définissant des cycles d'érosion et de sédimentation qu'il tenta de mettre en parallèle avec les terrasses marines du littoral atlantique.
Pour avoir une idée des progrès réalisés durant cette période dans la connaissance géologique du Maroc, il suffit d'examiner la carte géologique à 1/1 500 000, publiée en 1936 et dressée par Branko Yovanovitch (1895-1939). La comparaison de cette dernière avec celle de Louis Gentil (1920) montre les avancées considérables enregistrées dans cette courte période de 16 ans. Les contours géologiques ont un tracé beaucoup plus affirmé et la légende est plus détaillée. Il n'existe plus de zones laissées en blanc et l'allure générale des différentes unités géologiques du pays est tout à fait comparable à celle que nous connaissons actuellement. C'est le cas notamment pour l'Anti-Atlas et les hammadas des confins algéro-marocains, particulièrement négligés sur la carte de Louis Gentil.
Dans le détail, une quinzaine de cartes géologiques dites « provisoires » furent éditées durant cette période. Aux cartes géologiques à 1/100 000 couvrant une partie du Rharb et des chaînes rifaines et prérifaines situées dans la zone française du Protectorat, il faut ajouter les cartes à 1/200 000 couvrant une partie de la Meseta et la quasi-totalité des Moyen et Haut-Atlas (Fig. 10).
La Seconde Guerre mondiale n'a eu finalement que peu de répercussions sur l'activité des recherches géologiques au Maroc, si l'on excepte la mobilisation de certains géologues, et surtout, à partir de fin 1942, la suspension des relations avec la métropole, avec pour conséquences immédiates la difficulté d'éditer certains documents, tels que les cartes géologiques.
Dès 1940, le Service des mines et de la Carte géologique fut scindé en deux unités, le Service des Mines, proprement dit, organisme de contrôle et de gestion du domaine minier, et une Section géologique, dirigée par Henri Termier. En 1946, ce dernier céda la place à Jean Marçais qui devint le chef du Service géologique du Maroc.
La même année, le Service géologique fut à son tour divisé en trois unités : la Section de la Carte géologique, dirigée par Georges Choubert (1908-1986) et secondé, à partir de 1954 par Anne Faure-Muret (1917-2003), la Section d'Études des Gîtes minéraux (SEGM), avec à sa tête Jules Agard (1916-2003), et le Centre des Études hydrogéologiques (CEH), dont le chef fut Albert Robaux jusqu'en 1953, date à laquelle il fut remplacé par Robert Ambroggi (Élève de Paul Fallot à l'Institut de géologie de Nancy, Robert Ambroggi réalisa également d'importantes études stratigraphiques dans le Haut-Atlas occidental). Cette organisation subsista, telle quelle, jusqu'en 1956, année de l'indépendance du Maroc.
La relative prospérité du Maroc dans l'immédiat après-guerre autorisa l'administration du protectorat à étoffer ses effectifs. Ce fut notamment le cas au Service géologique qui recruta, le plus souvent sur concours, des géologues qui se virent proposer un statut de fonctionnaire. Après que le Maroc eut recouvré son indépendance, ces fonctionnaires furent administrativement rattachésà des corps techniques français et purent continuer à travailler au Maroc dans le cadre d'accords franco-marocains de coopération.
Parmi les géologues qui furent recrutés par la Section, citons par ordre chronologique : Gabriel Colo (1923-1974), Henri Salvan, Marie-Louise Petitot, Renaud du Dresnay (1923-2004), Jean Hindermeyer, Henri Hollard (1922-1980), Gabriel Suter (1920-2008), Paul Kuntz, Georges Cherotzky (1902-1977) et Anne Faure-Muret (1917-2003).
À la différence de la période précédente, l'activité des géologues tendit rapidement à s'orienter vers des études de stratigraphie détaillée ou de géologie structurale. De ce fait, il y eut moins de monographies régionales. Il faut dire que la connaissance de la géologie des différents domaines marocains était déjà bien avancée dans ses grandes lignes, mais aussi que, comme partout ailleurs, la recherche dans les sciences de la Terre allait s'orienter différemment.
Autodidacte, Gabriel Colo fut engagé par Henri Termier comme conservateur des collections du Service géologique. Il bénéficia de l'appui de Gonzague Dubar et de nombreux autres spécialistes. Après avoir travaillé un temps sur le Paléozoïque du Maroc central et de l'Anti-Atlas, Gabriel Colo entreprit une étude exhaustive du Jurassique du Moyen-Atlas septentrional (1961), qui fit l'objet d'une thèse dirigée par Henri Termier et soutenue à Paris en 1956. Après son départ en 1956, il dirigea le Centre de recherches de la Société des Pétroles d'Aquitaine.
Dès son entrée au Service géologique du Maroc, Henri Salvan consacra l'essentiel de son activité à l'étude des séries phosphatées du Maroc, exerçant, de facto, le travail qui sera dévolu plus tard au Service géologique de l'Office chérifien des Phosphates, auquel il continua à apporter son concours. Dans ses recherches, il fut secondé par Camille Arambourg (1885-1969) pour la détermination et la description des poissons et des reptiles des phosphates. Après 1956, Henri Salvan étendit ses recherches à d'autres séries crétacées et éocènes, notamment dans la province de Tarfaya. Dans les années 1960, il étudia la sédimentologie et la minéralogie des évaporites du Trias marocain.
Marie-Louise Petitot fut chargée en 1950 de la conservation des collections paléontologiques du Service géologique. Elle y entreprit des recherches personnelles sur les échinodermes fossiles du Jurassique et du Crétacé marocains (1959), objet d'une thèse soutenue en 1958.
Ingénieur géologue, diplômé de l'École de géologie de Nancy, Renaud du Dresnay (1923-2004), se vit confier par Georges Choubert les levers de la majeure partie du Haut-Atlas oriental. Ces travaux le menèrent rapidement à s'intéresser à la stratigraphie et à la sédimentologie des séries jurassiques (et accessoirement crétacées) de l'ensemble du domaine atlasique marocain. Il apporta ainsi un concours précieux à la compréhension de la genèse de certains gîtes minéraux liés à des contextes sédimentaires tels que, par exemple, ceux de Bou-Arfa (manganèse) et de Beni-Tadjit (plomb-zinc).
Jean Hindermeyer, géologue et ingénieur agronome, entreprit, dès 1949, des travaux de cartographie de détail sur le Précambrien, le Paléozoïque et le volcanisme récent de l'Anti- Atlas et des hammadas du Sud marocain.
Dès son arrivée au Service géologique, Henri Hollard (1922-1980) fut amené à entreprendre des levés sur les formations précambriennes et paléozoïques du Sud marocain, en relation avec la préparation du Congrès géologique international de 1952 et l'achèvement de feuilles de la carte géologique à 1/500 000. À partir de 1955, il a consacré l'essentiel de son activité à l'étude du Silurien et du Dévonien du Sud marocain où il a pu étudier ces séries dans d'excellentes conditions d'affleurement. Il a assuré lui-même les déterminations paléontologiques des trilobites et des brachiopodes. On lui devra également la coordination de la carte géologique du Maroc à 1/1 000 000 publiée en 1985.
Jacques Destombes, recruté à la Section d'Études des Gîtes minéraux (SEGM), où il étudia entre autres les gisements de fer de l'Anti-Atlas, fut conduit à étudier en détail l'Ordovicien de ce massif montagneux, ce qui lui permit de proposer une révision d'ensemble de cet étage pour tout le Maroc.
Ingénieur diplômé de l'École des Mines de Pribram (République tchèque), Georges Cherotzky (1902-1977) débuta sa carrière marocaine en 1932 comme hydrogéologue. Après un court passage dans l'industrie minière, il entra, en 1950, au Service de la Carte géologique à Rabat. Dès lors, l'essentiel de son activité a été consacrée à l'étude pétrographique des roches éruptives de plusieurs régions du Maroc.
Élève de Paul Fallot, Gabriel Suter (1920-2008) contribua à préciser la géologie du Maroc central, notamment sur le Paléozoïque de l'anticlinorium Khouribga-Oulmès, où il établit notamment la première échelle lithostratigraphique du Silurien. Mais progressivement, à partir de 1953, son activité se consacra essentiellement à l'étude détaillée des zones externes du Rif en rédigeant des cartes à 1/50 000 d'une grande précision, inaugurant ainsi un programme de cartographie géologique détaillée qui fut étendu par la suite à l'ensemble des chaînes rifaines.
Elle aussi élève de Paul Fallot, Anne Faure-Muret (1917-2003) arriva à la Section de la Carte géologique du Maroc en 1954, où son activité essentielle consista à épauler Georges Choubert, aussi bien pour la rédaction des cartes géologiques à 1/500 000 que pour ses travaux sur le Précambrien et l'animation de la section. De 1957 à 1963, elle assura également un enseignement de géologie à la faculté des sciences de Rabat.
Sous l'impulsion de Georges Choubert, cette période fut marquée par des développements importants dans la cartographie géologique. Vers le milieu des années 1950, les géologues purent disposer de photographies aériennes verticales à grande échelle (entre 1/40 000 et 1/50 000), réalisées par l'Institut géographique national français et son annexe du Maroc pour servir de base à la préparation de cartes topographiques précises en courbes de niveau. L'interprétation de ces photos aériennes, à l'aide de stéréoscopes de bureau, fut d'un très grand secours dans un pays comme le Maroc où la faiblesse du couvert végétal dans beaucoup de secteurs permettait une étude fine de la tectonique et des continuités lithologiques. De plus, l'utilisation sur le terrain d'assemblages de ces clichés permit, au moins dans un premier temps, de pallier l'insuffisance voire l'absence des fonds topographiques. Dans un autre ordre d'idées, l'utilisation par les géologues de véhicules tous terrains contribua à faciliter grandement leurs déplacements.
Par rapport à la période précédente, on assista à une certaine normalisation des échelles retenues lors de la publication des cartes géologiques, en fonction de la complexité géologique, de l'intérêt économique et évidemment de la disponibilité des fonds topographiques. Ainsi l'échelle du 1/200 000 fut conservée pour l'Anti-Atlas et certaines parties du Haut-Atlas, mais en utilisant les coupures régulières assemblées deux à deux par couple Nord-Sud. Le 100 000e, plus détaillé, fut utilisé pour la Meseta centrale, certains secteurs du Haut- et du Moyen-Atlas et plus tard, sur les Hauts-Plateaux. Enfin la cartographie géologique détaillée des chaînes rifaines fut d'emblée publiée à 1/50 000. Malheureusement et contrairement à la période précédente, ces cartes ne furent pas systématiquement accompagnées de notices explicatives (Fig. 11).
Un des grands projets de la Section de la Carte géologique fut la réalisation de la Carte géologique du Maroc à l'échelle de 1/500 000 en six feuilles. Cette série de cartes, dont la conception était déjà imaginée avant la Seconde Guerre mondiale, fut mise en chantier en 1947 et publiée entre 1950 et 1959. Pour ce programme ont été utilisés les levers existants ou effectués pour l'occasion par i'ensembie des géologues du Service. L'édition utilisa un fonds topographique établi spécialement pour ce projet. Le graphisme extrêmement fouillé de cette carte a permis d'y figurer, sans perte d'information, tous les détails des cartes géologiques à 1/200 000 et à 1/100 000, déjà publiées ou inédites. Sa coordination fut l'oeuvre de Georges Choubert, assisté pour la partie graphique par une équipe de dessinateurs cartographes placée sous la direction de Daniel Keguith (1891-1963). Cette réalisation valut à Georges Choubert le prix Doisteau-Blutet de l'institut de France en 1959.
Nous avons vu précédemment que, sous l'impulsion de Philibert Russo, avait été mis sur pied, en 1931, au sein de la Société des Sciences naturelles du Maroc, un Comité d'Études des Eaux souterraines (CEES) qui devait notamment publier des articles de synthèse et des cartes hydrogéologiques. En 1933, ce dispositif fut complété par une Mission hydrologique du Souss, qui, avec des compétences géographiques étendues progressivement à la vallée du Dra et au Haouz de Marrakech, fonctionna jusqu'en 1939. Les problèmes posés par les pénuries d'eau dans le Sud du pays, qui allèrent jusqu'à provoquer des épisodes de famine, incitèrent l'administration à consolider cette organisation. Jacques Bourcart soumit à Pierre Despujols un projet de Mission hydrogéologique du Sud. La réalisation pratique de ce projet incomba à Paul Fallot, alors directeur de l'École de géologie de Nancy, qui proposa de confier la direction de cette mission à Albert Robaux. En 1943, Jacques Bondon, qui avait succédé à Pierre Despujols à la tête du Service des mines, demanda la création d'un organisme officiel pour la recherche et l'étude des eaux souterraines dans tout le Maroc. Ce n'est finalement qu'après la fin de la Seconde Guerre mondiale, en 1946, que fut créé le Centre des Études hydrogéologiques (CEH) (Ambroggi et Margat, 1961). En 1961, le CEH fut détaché du Service géologique pour être rattaché à l'Ofice national des irrigations,placé sous la tutelle du ministère des Travaux publics et dont le domaine d'activité s'étendait à toutes les phases du cycle de l'eau.
Albert Robaux dirigea le CEH jusqu'en 1954, date à laquelle il fut remplacé par Robert Ambroggi. Furent recrutés à cette époque, Etienne Stretta, Pierre Taltasse, Edmond Bolelli, Jean Margat, Lucien Monition, Guy Thuille, René Bourgin, Marcel Nérat de Lesguisé, Louis Moullard et François Mortier.
Dés 1947 fut décidée la décentralisation des activités du CEH avec les créations successives des centres régionaux d'Oujda, de Fès, du Centre (Rabat-Casablanca), de Meknès-Tafilalt, de Marrakech et d'Agadir.
L'idée première de la création de cette structure revint à Pierre Despujols qui chargea, en 1941, Henri Termier alors chef du Service géologique, d'en assurer la réalisation en réunissant autour de lui un premier noyau de géologues et de minéralogistes comprenant Jules Agard, Philippe Morin, François Permingeat et Georges Jouravsky. Après la Seconde Guerre mondiale, en 1946, fut officiellement créée la Section d'Études des Gîtes minéraux (SEGM) dont la direction fut confiée à Jules Agard. À l'équipe déjà constituée précédemment vinrent s'adjoindre Jean Bouladon, Christophe Gaudefroy, Jacques Destombes, André Jeannette, Robert Moussu et Jacques Lucas. Au sein de la section, chaque géologue était chargé d'un problème métallogénique particulier. L'activité des géologues de la SEGM fut placée sous la supervision d'Eugène Raguin. Les brillants résultats de la SEGM furent récompensés, en 1952, sur la proposition de Paul Fallot, par le prix Joseph Labbé de l'Académie des sciences (Morin, 1965).
Parallèlement à l'étude des gîtes métallifères, la SEGM se préoccupa également de ce que l'on appelait à l'époque les « substances utiles » (matériaux pour l'industrie, le bâtiment, etc.). À ce titre la SEGM se lança, dès 1956, dans la publication de cartes géotechniques à grande échelle (1/20 000 à 1/50 000) autour de certaines grandes agglomérations marocaines telles que celles de Casablanca, Fès, Safi, Tanger et Rabat.
En 1952 fut créé à Rabat, à proximité de l'Institut scientifique chérifien, un Centre d'Études supérieures scientifiques (CESS) placé, pour l'enseignement et la validation des diplômes, sous la tutelle de l'université de Bordeaux. Un département de géologie et paléontologie y fut créé dans un premier temps avec le concours des chercheurs de l'Institut scientifique chérifien.
Marcel Gigout, élève de Charles Jacob, après une brève carrière dans l'enseignement secondaire au Maroc, se vit confier par Henri Termier l'étude de la partie occidentale de la Meseta marocaine. Il en étudia tout d'abord les terrains paléozoïques mais, très rapidement, à partir de 1946, ses travaux s'orientèrent vers l'étude du Quaternaire du littoral atlantique marocain. La synthèse de ces deux préoccupations scientifiques apparaît dans une monographie publiée en 1951. Au CESS de Rabat, il assura les cours de stratigraphie et de pétrographie de licence.
Paléontologue, spécialiste des vertébrés, Emile Ennouchi, élève de Léonce Joleaud et Charles Depéret, étudia surtout les mammifères fossiles des formations pliocènes et quaternaires du Maroc. Il toucha également à la paléontologie humaine avec l'étude de restes de néanderthaliens découverts dans les Jebilet, au jbel Irhoud (1962). On lui doit également l'installation, à l'Institut scientifique chérifien, d'une salle d'exposition des vertébrés fossiles du Maroc. Il assura un enseignement de géologie générale au SPCN et de paléontologie en licence.
Deux autres jeunes chercheurs firent fonction d'assistants auprès du département de géologie-paléontologie. Guy Cogney entreprit une étude des formations paléozoïques des environs de Rabat (1957). Yolande Charnot débuta sa carrière par l'étude des camélidés fossiles du Quaternaire marocain (1953), avant de réorienter ses recherches sur la physiologie des dromadaires actuels.
Une partie notable de l'activité du Service géologique fut consacrée à la préparation de cette importante manifestation scientifique qui concernait officiellement les trois pays de l'Afrique du Nord, plus la Mauritanie et une partie de l'ex-AOF (Durand-Delga, 2004 et 2005). La délégation marocaine, forte de près de 90 personnes, réunissait des ingénieurs et des géologues du Service des mines, du Service géologique, mais également d'entreprises minières et pétrolières publiques ou privées (La Société chérifienne des Pétroles contribua à la publication de cartes géologiques concernant le Rharb et le Prérif). À cette occasion, un effort considérable fut entrepris pour compléter la cartographie géologique existante. Les minutes inédites des levers effectués par les géologues, notamment dans le Maroc central, le Maroc oriental et l'Anti-Atlas furent reportées sur les fonds topographiques à 1/200 000 et reproduites à l'échelle, pour une cinquantaine de coupures et en un nombre réduit d'exemplaires, suivant un procédé photographique mis au point par la firme allemande Agfacolor. Un assemblage de ces cartes fut monté et exposé dans une des salles où se tenaient les séances du Congrès.
Comme cela est souvent le cas en pareille circonstance, le Congrès d'Alger a été l'occasion, pour chacun des pays concernés, de proposer une synthèse de leurs résultats par le biais de monographies, tant sur le plan régional que thématique. Pour le Maroc en particulier, plusieurs ouvrages importants publiés à cette occasion furent autant de jalons dans la connaissance géologique du pays et constituèrent des références dans leurs domaines respectifs jusque dans les années 1970, voire 1980.
Le premier volume d'un ambitieux projet sur la Géologie du Maroc comprenait une introduction donnant un aperçu sur la structure d'ensemble du pays due à Georges Choubert et Jean Marçais. Une deuxième partie, intitulée Histoire géologique du domaine de l'Anti-Atlas, rédigée par Georges Choubert, faisait le point sur les connaissances concernant le Sud marocain.
Les géologues de la Section d'Études des Gîtes minéraux furent mis à contribution pour une Géologie des gîtes minéraux marocains, ouvrage d'une importance considérable, dépassant le seul cadre marocain car, pour la première fois, était traité l'ensemble des connaissances sur les gîtes minéraux d'un pays. Complétant en quelque sorte cette monographie, Louis Eyssautier, directeur de la production industrielle et des mines du Protectorat, rédigea un panorama sur l' Industrie minière de la zone française du Maroc.
Autour de Jean Dresch, une équipe de géographes et de géologues exposa les Aspects de la géomorphologie du Maroc. De même, Albert Robaux, chef du CEH, réunit l'ensemble de ses collaborateurs pour rédiger une Hydrogéologie de la zone française du Maroc, appelée à un grand succès et qui fut même l'objet d'une traduction en russe !
Les excursions au Maroc furent préparées et dirigées avec un soin tout particulier et permirent aux congressistes de se rendre compte de visu des progrès considérables réalisés dans la connaissance géologique du pays. Certains des seize livrets-guides de ces excursions furent d'ailleurs l'occasion de publier des résultats ou des synthèses jusque-là inédites, comme, par exemple, les trois fascicules consacrés à la chaîne du Rif, et dont l'un exposait les résultats obtenus dans une partie de la zone du protectorat espagnol (Fig. 12).
Le 2 mars 1956, la France reconnaissait l'indépendance et l'unité du Maroc, mettant ainsi un terme aux quarante quatre années d'administration directe du Protectorat. Elle était suivie, le 7 avril de la même année, par l'Espagne qui, à son tour, renonçait à sa souveraineté sur le Nord du pays. Les vingt années qui suivirent ces évènements constituèrent une période charnière au cours de laquelle le Maroc indépendant allait tout naturellement, d'abord sur un plan national, assurer la formation et la mise en place de cadres et chercheurs marocains et ensuite, sur un plan international, diversifier ses partenaires de coopération. Cependant le Maroc et la France veillèrent, par le biais d'accords de coopération technique, à assurer la continuité de l'Administration et des Services publics. Au sein du Service géologique du Maroc, non seulement la plupart des cadres et techniciens français furent maintenus à leur poste, y compris, au moins pour un temps, les chefs des trois sections (Service de la Carte géologique, dirigé par Georges Choubert, Service d'Études des Gîtes minéraux, dirigé par Jules Agard et Centre des Études hydrogéologiques, dirigé par Robert Ambroggi), mais des géologues et ingénieurs, français pour la plupart, furent recrutés, dans des conditions matérielles satisfaisantes mais avec des contrats à durée déterminée.
Les géologues français recrutés au cours de cette période furent, par ordre d'arrivée :
Sur le plan de la connaissance géologique du Maroc, la réunification du pays eut une conséquence heureuse immédiate. Un renouvellement notable des conceptions sur l'orogène rifain, dont la majeure partie était auparavant située en « zone espagnole », intervint, dès 1957, à la suite de missions de reconnaissance de Michel Durand-Delga et Maurice Mattauer (1928-2009). Les travaux de ces deux universitaires, ainsi que ceux de leurs élèves issus de plusieurs universités françaises, puis, par la suite marocaines, permirent notamment de mieux définir les différentes unités structurales de l'édifice rifain, d'en préciser la stratigraphie et leurs relations tectoniques. L'expérience acquise par Michel Durand-Delga et Maurice Mattauer, notamment sur les chaînes telliennes et kabyles d'Algérie permit de compléter un schéma cohérent de l'évolution paléogéographique et structurale de ce secteur et de le replacer dans l'ensemble de l'arc bético-rifo-tellien. C'est ce qui fut présenté notamment, dès 1962, dans le Livre à la mémoire de Paul Fallot, publié par la Société géologique de France. Sous l'impulsion de ces deux chercheurs, les chaînes rifaines furent aussi l'objet d'études de détail concrétisées par la publication de nombreuses cartes géologiques à 1/50 000. Les progrès enregistrés dans le Rif virent également leur contrepartie dans une meilleure compréhension de la géologie de certaines unités des chaînes telliennes en Algérie (Durand- Delga, 1961).
Toujours dans l'ex-zone espagnole, l'étude des terrains autochtones métamorphiques des Temsamane, à l'extrémité nord-est de l'arc rifain, permit à Anne Faure-Muret et Georges Choubert de proposer un nouveau modèle tectonique étendu à l'ensemble de la Méditerranée occidentale (1975).
Le domaine mésétien varisque enregistra pendant cette période des progrès considérables, notamment en ce qui concerne la pétrogenèse profonde hercynienne et l'identification des phases tectoniques. Dès les années 1970, l'existence de chevauchements importants, voire de nappes de charriage fut reconnue dans les Jebilet et la région de Khénifra (Huvelin, 1967, 1973).
Parallèlement à ses fonctions de chef de la Section de la Carte géologique, qu'il assura jusqu'en 1967, Georges Choubert reprit l'étude du Précambrien de l'Anti-Atlas. Pour pouvoir disposer d'une échelle d'âges absolus applicables à ces formations, il obtint la création, au sein de la Division de la géologie à Rabat, d'un Laboratoire de géochronologie, dont la direction fut confiée à René Chariot et qui fonctionna de 1964 à 1972.
Dans un autre domaine des géosciences, la Section d'Études des Gîtes minéraux, sous l'impulsion de son chef, Jules Agard, organisa à Rabat en 1962 un Colloque sur des gisements stratiformes de plomb, zinc et manganèse du Maroc. Cette manifestation scientifique, la première de cette envergure dans ce pays depuis le Congrès géologique international de 1952, rassembla une quarantaine de participants venus d'horizons variés (École des mines de Paris, École de géologie de Nancy, BRGM, sociétés minières, etc.) et permit d'utiles confrontations entre les partisans d'une genèse hydrothermale des gîtes métallifères et les tenants d'une formation syngénétique. Le choix et la mise en pratique de cette dernière hypothèse, très en faveur à cette époque, eut pour résultat positif de relancer les prospections de gîtes stratiformes, notamment dans la haute Moulouya et le Maroc oriental. Cette réunion scientifique fut également l'occasion de présenter des résultats acquis dans des études stratigraphiques et sédimentologiques menées parallèlement à celles concernant les gîtes minéraux (Fig. 13).
Pendant toute cette période, les questions relatives aux ressources en eau firent l'objet d'une attention particulière. De notables modifications de structure eurent pour effet de rapprocher les eaux souterraines des eaux superficielles, avec la création en 1961 de l'Office national des irrigations (Résultat, entre autres, de la fusion du Centre des Études hydrogéologiques et du Service d'Hydrologie superficielle du ministère des Travaux publics). Dans ce nouveau contexte, l'activité fut marquée par une forte présence des hydrogéologues français, maintenus sur place au titre de la coopération technique franco-marocaine, ou intégrés au sein d'un organisme français, le Bureau de Recherches géologiques et minières (BRGM) et détachés au Maroc. Un des résultats notables de cette coopération fut la publication, de 1971 à 1977, d'un ouvrage exhaustif en trois tomes sur les Ressources en eau du Maroc, dans lequel, suivant un découpage régional, étaient traitées aussi bien les eaux superficielles que souterraines, tant sur le plan qualitatif que quantitatif, couvrant 3 grands domaines : Rif et Maroc oriental ; plaines et bassins du Maroc atlantique ; domaines atlasique et sud-atlasique.
Les conséquences dramatiques du séisme, survenu à Agadir le 29 février 1960, furent l'occasion d'une étude détaillée du contexte géologique et géophysique de cette catastrophe, qui devait conduire les autorités marocaines à édicter des règles de construction parasismiques (Duffaud et al., 1962).
Toujours durant ces deux décennies, il faut signaler deux contributions majeures de géologues français à la valorisation des géosciences au Maroc.
Entre 1965 et 1979, Philippe Morin, géologue au Service d'Études des Gîtes minéraux, publia successivement les cinq volumes d'une Bibliographie analytique des Sciences de la Terre concernant le Maroc et les régions limitrophes. L'importance de ce travail dépasse le seul cadre de la bibliographie et offre une contribution essentielle à l'histoire des recherches géologiques dans le pays. Un travail comparable fut réalisé pour l'hydrogéologie par Jean Margaten 1958. Philippe Morin fut également pendant de longues années responsable des publications de la Division de la géologie, pour lesquelles il mit au point des règles très précises de rédaction et de présentation (1968).
Sous le titre apparemment modeste d' Éléments de géologie marocaine, André Michard, détaché comme maître de conférences à la faculté des Sciences de Rabat, publia en 1976 une mise au point exhaustive sur la connaissance géologique du Maroc. Cet ouvrage connut un grand succès, marqué par deux rééditions portant sa diffusion à 6 000 exemplaires. Le contenu de cet ouvrage, publié 56 ans après la carte géologique de Louis Gentil, peut témoigner à lui seul de l'importance et de la qualité des études géologiques menées au Maroc, pour une grande partie par des Français.
Le fait que cet ouvrage fondamental soit l'oeuvre d'un universitaire et non pas d'un géologue du Service géologique, témoigne d'un tournant important. Dans les années qui suivirent le retour à l'indépendance, les autorités marocaines installèrent des universités dans la plupart des grandes villes du pays. La majeure partie de la recherche géologique fondamentale au Maroc sera dorénavant surtout l'affaire de jeunes universitaires français et marocains, travaillant en étroite collaboration, dans le cadre d'accords particuliers entre établissements d'enseignement et de recherche des deux pays. La Division de la géologie, quant à elle, devait surtout axer son activité sur la cartographie géologique et sur des activités de conseil et d'expertise sur la géologie des gîtes minéraux.
Dans un premier temps, le Centre des Études supérieures scientifiques de Rabat fut érigé en faculté des sciences et rattaché à l'université Mohammed V. Parmi les géologues qui y enseignèrent durant cette période, figurent André Michard, déjà cité, dont les recherches portèrent sur l'étude du massif des Rehamna (domaine mésétien, 1967) et Lucienne Rousselle, qui entreprit une révision générale des faunes de brachiopodes du Dogger marocain (1965). Une étroite collaboration s'instaura entre cette structure universitaire et le Service géologique. C'est dans ce cadre qu'intervinrent Anne Faure-Muret et Maurice Mattauer pour assurer des cours ou organiser des excursions sur le terrain.
En conclusion, on peut affirmer que les géologues français ont fortement marqué de leur empreinte plus d'un siècle de recherches géologiques fondamentales et appliquées au Maroc. Il faut évidemment reconnaître que le contexte politique et administratif a été, au moins jusqu'en 1956, éminemment favorable au développement de leur activité dans ce pays. Les résultats obtenus, que ce soit dans la connaissance géologique du pays, laquelle n'a rien à envier à celle des pays dits industrialisés ou, plus généralement dans la mise en place de structures de recherches et de valorisations des ressources minérales, ont résisté à l'épreuve du temps et aux aléas de la décolonisation. Loin de s'éteindre avec l'accession du Maroc à l'indépendance, la présence géologique française s'est poursuivie en s'adaptant à la nouvelle donne dans un cadre harmonieux de coopération bilatérale, que ce soit entre universités des deux pays ou instituts de recherche. Même si cela n'apparaît pas toujours dans les discours officiels de dirigeants marocains, les hommages appuyés rendus à des géologues français en certaines occasions témoignent encore du prestige de cet héritage (Ce fut le cas notamment lors d'un Colloque international organisé à Rabat en 1999, où un hommageparticulier a été rendu à Georges Choubert, ou à l'occasion du décès d'Anne Faure-Muret en 2003).