Urbain Jean Joseph LE VERRIER (1811-1877)

Fils de Louis Baptiste LE VERRIER et de Marie Jeanne Joséphine Pauline de BAUDRE.
Epoux de Marie Lucile Clotilde CHOQUET.
Père de Louis Paul Urbain LE VERRIER (1848-1905 ; X 1867, corps des mines) et de Jean Charles Léon LE VERRIER (né en 1838 ; X 1856, corps des mines).

Ancien élève de Polytechnique (promotion 1831, entré classé 4 et sorti classé 8 sur 121 élèves). Corps des Manufactures de l'Etat.

Il travaille sur le phosphure d'hydrogène dans le laboratoire de Gay-Lussac à l'École d'application. Laissant à Regnault le poste vacant de répétiteur de chimie à Polytechnique, il devient répétiteur de géodésie et de machines (1837) de Savary, qu'il remplace (1839). Ses travaux sur les planètes intéressent Arago, qui l'incite à étudier les perturbations alors inexpliquées d'Uranus, et qui le soutient pour entrer à l'Académie des sciences. Il découvre ainsi Neptune (31 août 1846) peu après son entrée à l'Institut. Il est le créateur de la chaire de mécanique céleste à la Sorbonne. Il intrigue dès 1847 pour prendre la place d'Arago à la tête de l'Observatoire. En 1850, il est rapporteur de la commission mixte chargée de réformer Polytechnique, mais le volumineux rapport de cette commission ouvre une ère de médiocrité dans les programmes de l'Ecole. Élu à la Législative, il entre au Sénat (1852) et devient inspecteur général de l'enseignement supérieur. Directeur de l'Observatoire après la mort d'Arago (1853), il mécontente ses collaborateurs par son autoritarisme (1854). On lui adjoint un comité de surveillance, puis on le remplace par Delaunay (1870). Mais il reprend ses fonctions en 1873, après le décès de Delaunay.

Président fondateur de l'Association scientifique de France, il met en place le service des avertissements météorologiques à la suite de la tempête du 14 novembre 1854 en mer Noire pendant le siège de Sébastopol qui causa la perte de 35 navires dont le navire amiral français "Henri IV", et qui fut ainsi à l'origine du service météorologique français.


Le texte qui suit a été publié dans le Livre du Centenaire de l'Ecole polytechnique, 1897.

Le Verrier a été de son vivant la plus glorieuse personnification de L'Astronomie française. Une découverte capitale, fruit prémédité d'un labeur admirablement conduit, l'a fait arriver, jeune encore, à une célébrité universelle; et ses travaux ultérieurs, si le mérite en échappe davantage à l'appréciation du vulgaire, n'ont pas diminué ses titres à une renommée exceptionnelle. Par un singulier contraste, cet homme, à la science duquel il a été rendu tant d'hommages, devait aussi soulever contre lui des haines d'une violence extraordinaire. Cependant, si vive qu'ait été l'attaque, elle n'a jamais atteint le savant; et l'acharnement avec lequel il a été combattu n'a pas réussi à amoindrir une valeur scientifique dont l'évidence défiait toute contestation.

Urbain-Jean-Joseph Le Verrier naquit à Saint-Lo le 11 mars 1811. Admis à l'Ecole [polytechnique] en 1831, il en sortit sans que rien eût trahi chez lui, en dehors d'un grand zèle au travail, aucune vocation pour une branche déterminée de la science. Entré dans le service des Tabacs, il commença bientôt, sous les auspices de Gay-Lussac, des recherches chimiques sur les composés hydrogénés du phosphore. Le succès en fut assez marqué pour que son nom se trouvât mis en balance avec celui de Regnault, lorsque, en 1837, une place de répétiteur de Chimie devint libre à l'École. Mais, au même moment, une autre vacance se produisit près du cours de Géodésie et d'Astronomie. Le Verrier, pour laisser le champ libre à son concurrent, consentit à changer la direction de ses travaux: inspiration heureuse entre toutes, comme un prochain avenir allait le démontrer!

Avec une rare hardiesse, le nouveau répétiteur d'Astronomie aborde pour commencer la grande question de Mécanique céleste, qui, depuis Euler, avait tant occupé les géomètres : celle de la stabilité du système solaire. Il comble des lacunes laissées par ses devanciers, pousse les calculs beaucoup plus loin qu'ils n'avaient fait et attire, par la largeur de ce début, la bienveillante attention d'Arago, qui lui conseille de s'appliquer à la théorie de Mercure. Le Verrier accomplit ce nouveau travail, qu'il devait perfectionner encore en 1859, et étudie ensuite le mouvement de diverses comètes périodiques. Son mérite est dès lors si évident que l'Académie n'hésite pas à lui donner, en janvier 1840, la succession de Cassini. Aussitôt le nouvel élu s'attaque à la théorie d'Uranus. Acceptant l'idée, plusieurs fois émise, que les perturbations de cette planète étaient dues à un astre inconnu, il s'efforce de définir les éléments du corps troublant. Dès le 1er juin, il est en mesure d'en fixer approximativement la position. Un peu plus tard, il la précise encore davantage. Enfin, le 23 septembre 1846, Galle, l'astronome de Berlin, à qui Le Verrier vient de donner, le jour même, communication de ses chiffres, dirige sa lunette vers le point indiqué et aperçoit sans difficulté la planète nouvelle.

Dès que ce résultat fut connu, une immense émotion s'empara de tout le monde savant. Il y avait là plus qu'une découverte de premier ordre; c'était un événement d'une portée philosophique incalculable. La confiance était désormais acquise aux conclusions de la science, qui pouvait maintenant prétendre à imposer un respect sans limites, mérité par un aussi merveilleux accord entre la théorie et l'expérience. Comme l'écrivait Encke à Le Verrier : « Votre nom sera à jamais lié à la preuve la plus éclatante de l'attraction universelle qu'on puisse imaginer. » Pour la France, le succès prenait les proportions d'une victoire nationale; non seulement parce que la découverte était l'œuvre d'un savant français, mais parce qu'on apprit alors qu'un habile astronome anglais, M. Adams, avait poursuivi depuis longtemps l'étude du même problème; de telle sorte que, seules, la puissance de calcul et l'incroyable célérité déployées par notre compatriote lui avaient assuré la priorité. C'est l'honneur de l'École Polytechnique qu'un des siens ait été l'heureux instrument d'un pareil triomphe scientifique.

Devenu populaire en un moment, comblé de distinctions et recherché par toutes les Académies d'Europe, Le Verrier fut alors adjoint au Bureau des Longitudes, et l'on créa pour lui une chaire de Mécanique céleste à la Faculté des Sciences. Puis vint la tourmente de 1848, après laquelle il joua un rôle politique qui lui valut, dès 1850, une grande influence dans les conseils du Gouvernement. C'est à cette époque que, étant membre de la Commission de réorganisation de l'Ecole Polytechnique ainsi que de la Commission mixte chargée de la réforme de l'enseignement, il exerça sur la rédaction des programmes, en vue de diminuer la part de la théorie pure, une action que les amis de la haute science ont été unanimes à déplorer, tendance en vérité bien faite pour surprendre chez un homme qui avait toujours su mener de front, avec ses grands calculs, les spéculations les plus élevées des Mathématiques!

Heureusement Le Verrier n'en poursuivait pas moins ses travaux de Mécanique céleste. Il avait entrepris de doter les astronomes d'un code définitif et complet des calculs, de dresser les Tables du mouvement apparent du Soleil, enfin d'établir la théorie ainsi que les Tables de toutes les planètes, tant intérieures qu'extérieures. Ce labeur immense, il le poursuivit durant trente années, faisant preuve, a dit M. Faye (Discours aux funérailles), « d'une puissance d'abstraction vraiment extraordinaire, d'une géométrie souple et pénétrante, aidée de toutes les ressources du Calcul infinitésimal ». Le jour où la Société astronomique de Londres décernait à l'auteur sa grande médaille d'or, Adams, l'émule de Le Verrier, ne craignait pas de dire : « Le seul homme a eu la patience et la force de parcourir d'un pas assuré le système du monde solaire, en calculant avec la dernière précision les effets innombrables des actions réciproques. Qui l'aurait jamais cru s'il ne nous avait pas été donné de le voire » Enfin, l'illustre directeur de Greenwich, Airy, loin de contredire à ce jugement, appelait Le Verrier « le géant de l'Astronomie moderne ».

C'est au cours de ce grand travail, dont les Annales de l'Observatoire enregistraient au fur et à mesure les résultats, que Le Verrier a été conduit à soupçonner l'existence, encore mystérieuse, d'une planète intra-mercurielle. En même temps, il a fixé, par le calcul, la valeur de la parallaxe du Soleil, avec une précision que les observations du passage de Vénus n'ont pas réussi à atteindre. Enfin, il a établi ce théorème, que l'ensemble des planètes situées entre Mars et Jupiter forme tout au plus un trentième de la masse terrestre.

En 1853, après la mort d'Arago, Le Verrier était devenu directeur de l'Observatoire. Bien que, jusqu'à cette date, il n'eût jamais fait que de l'Astronomie théorique, il sut se tenir à la hauteur de ses nouveaux devoirs, présider avec vigilance à l'amélioration d'un matériel quelque peu vieilli, « et devenir observateur chaque année plus sûr et plus habile » (J. Bertrand, Eloge de Le Verrier).

Malheureusement, la direction de ce grand établissement comportait autre chose : d'abord la formation des futurs astronomes; ensuite la conduite d'un personnel déjà ancien, fort attaché au précédent régime, et chez lequel l'autorité du nouveau directeur, nommé par le pouvoir sans l'avis d'aucun corps savant, soulevait une opposition d'autant plus aigre que les dissentiments politiques venaient encore l'envenimer. Or, d'une part, Le Verrier n'avait « ni le goût d'enseigner ni la patience d'instruire », ce qui écartait les débutants. D'autre part, il était d'un caractère inflexible et hautain, d'une humeur inégale, aggravée par un état de santé toujours défectueux. Extrêmement autoritaire, exigeant une application au travail dont lui-même donnait, d'ailleurs, le constant exemple, il se montrait implacable pour le faux savoir comme pour la paresse, attaquant de front les erreurs ou les infractions au service, « sans tempérer dans ces rencontres et ces chocs de l'esprit la rudesse du fond par la bonne grâce facile de la forme ». Personne, en un mot, n'a jamais mis moins de souplesse dans l'exercice de son droit, ni pris moins de souci de conquérir la sympathie d'autrui. Aussi fut-il bientôt l'objet de rancunes et de haines irréconciliables. Plus d'une fois, à partir de 1860, l'écho de cette lutte relentit dans l'enceinte habituellement plus sereine de l'Académie des Sciences. Peut-être l'acharnement des adversaires eût-il fatigué l'opinion publique si, de son côté, la défense s'était montrée moins amère et plus mesurée. Mais la rudesse de l'athlète, en même temps qu'elle accroissait l'irritation de ses ennemis, en venait parfois à décourager ses propres partisans. Un jour vint, au commencement de 1870, où ceux-ci se trouvèrent les moins forts, et Le Verrier fut destitué.

Peu de temps après, la chute de l'Empire ajoutait à cette défaite les soucis de la gène, auxquels venaient se joindre ceux de la maladie et du chagrin, sans affaiblir chez le vaincu l'ardente passion du travail. Du reste, une réparation l'attendait. Quand la mort inopinée de Delaunay eut rendu vacante la direction de l'Observatoire, Thiers, interprète du sentiment public, qui avait toujours discerné, à travers toutes ces billes, que « le plus fort, c'était Le Verrier ». n'hésita pas à lui rendre, en 1873, le poste qu'il avait si longtemps occupé, et où désormais son autorité devait être tempérée par un Conseil composé de personnalités éminentes. Le Verrier se remit au travail, luttant avec énergie contre le mal qui le minait. Le 1er septembre 1877, il signait le bon à tirer de la dernière feuille imprimée de la théorie de Neptune, sa planète. Trois semaines après, ayant prononcé avec la sérénité résignée d'un chrétien le Nunc dimillis, il entrait dans l'éternel repos.

Auparavant, il avait su rendre au pays un service signalé. C'est à son initiative qu'est due l'institution du service des avertissements météorologiques, facilitée par la création de l'Association scientifique de France, dont Le Verrier fut le fondateur et le président zélé, il se servit aussi avec succès de cette institution pour donner une vive impulsion à l'observation des étoiles filantes. A la vérité, il vit un jour s'élever, à côté de la Société qu'il avait créée, une autre du même genre qui, bien qu'elle répudiât formellement toute idée d'hostilité, ne se distinguait pas assez par la spécialité de son but pour qu'on ne fût pas tenté d'y soupçonner quelque arrière-pensée. Aujourd'hui le temps a fait son œuvre, et les deux associations, fondues en une seule, attestent la pacification des esprits. Puisse cette union effacer le souvenir des luttes d'autrefois, et nous préserver d'en voir renaître de semblables, car l'histoire, dans son impartialité, sera forcée de reconnaître que la science, au nom de laquelle on prétendait mener la campagne, n'en a recueilli aucun bénéfice.

A. DE LAPPARENT.