Marcel Alexandre BERTRAND (1847-1907)

Né le 2/7/1847 à Paris, fils de Joseph BERTRAND et de Louise Céline ACLOCQUE. Neveu du grand mathématicien Charles HERMITE (1822-1901 ; X 1842) qui avait épousé Louise BERTRAND et petit-neveu de André-Gabriel ACLOQUE (1778-1834) anobli par Louis XVIII avec le titre de baron Acloque de Saint-André. Le frère de Louise Céline ACLOCQUE, Marcel ACLOQUE (1820- ; X 1839, corps des ponts et chaussées, ing. en chef de la Cie des chemins de fer Paris-Lyon) était un camarade de promotion de Joseph BERTRAND.
Décédé le 13/2/1907 à Paris

En épousant Mathilde MASCART en 1886, il devient le gendre de Eleuthère MASCART (1837-1908 ; professeur de physique au Collège de France, membre de l'Académie des Sciences)

Enfants :

  • Jeanne, décédée en 1900, ce qui provoque le désespoir de son père
  • Fanny, qui épouse William Laparra (1873-1920), peintre, prix de Rome
  • Claire, qui épouse Willy Eisenschitz (1889-1974), peintre
  • Yvette, qui épouse Eugène Raguin
  • Thérèse, docteur et membre de l'Académie de médecine, épouse de Philippe Fontaine (fils aîné de Arthur Fontaine)

    Bref résumé de carrière

  • Promotion de 1867 de l'Ecole polytechnique, entré en 1869 au Corps des mines et à l'Ecole des Mines de Paris
  • Chargé du sous-arrondissement minéralogique de Vesoul et de l'établissement thermal de Luxeuil (1873-1877)
  • Chargé du contrôle de l'exploitation des chemins de fer de l'Est (1877)
  • Ingénieur au Service de la carte géologique de France (1878)
  • 1886 : Prix VAILLANT (concours de géologie), en commun avec MM. Michel-Levy, Barrois, Offret, Kilian et Bergeron
  • 1888 : premier lauréat du prix FONTANNES de la Société Géologique de France
  • Professeur de géologie à l'Ecole des Mines de Paris (1886-1907)
  • Vice-président de la Société Géologique de France (1886, 1891) puis Président (1891)
  • 1890 : Prix VAILLANT
  • 1893 : Prix PETIT D'ORMOY (sciences naturelles)
  • 1896 : élu membre de l'Académie des Sciences dans la Section de Minéralogie
  • 1900 : il perd son père et sa fille Jeanne ; début du déclin
  • 1902 : Officier de la Légion d'Honneur


    Biographie par W. KILIAN, professeur à la Faculté des Sciences de Grenoble, et J. RÉVIL, Président de la Société d'Histoire Naturelle de Savoie

    La science géologique et la Géologie des Alpes en particulier ont été cruellement frappées par la mort prématurée, survenue le 13 février 1907, d'un de leurs représentants les plus éminents, de Marcel Bertrand. Les géologues du Dauphiné et de la Savoie, qui s'honorent d'être ses élèves, tiennent, en donnant dans ce recueil un résumé de sa vie et de ses travaux, à rendre un suprême hommage au savant qui fut une des gloires de l'École française et qui ouvrit des voies fécondes à la tectonique alpine, à envoyer un souvenir ému à l'ami qui fut l'un des instigateurs de leurs recherches.

    Fils du célèbre mathématicien, Joseph Bertrand, membre de l'Académie française et secrétaire perpétuel de l'Académie des Sciences, il a soutenu dignement la lourde charge d'un nom aussi illustre, et, comme l'a dit M. Henri Becquerel, non seulement il a su le porter sans défaillance, mais il a réussi à y ajouter un nouvel éclat.

    Né le 2 juillet 1847, Marcel-Alexandre Bertrand passa par l'École Polytechnique (de 1867 à 1869) et sortit de notre grand Établissement national comme Élève-ingénieur des Mines. Après avoir fait son devoir comme lieutenant d'artillerie en 1870, il fut chargé, en 1872, du sous-arrondissement minéralogique de Vesoul (Haute-Saône), où il séjourna quelques années. Attaché, en 1877, au Service de la Carte géologique détaillée de la France, il revint à Paris où devait désormais se dérouler toute sa carrière scientifique. Nommé peu après (1886) Professeur de Géologie à l'École nationale des Mines, où il remplaça Béguyer de Chancourtois dans la chaire d'Élie de Beaumont, il sut donner, dès le début, à son enseignement une ampleur vraiment magistrale et s'attacha surtout à reconstituer l'histoire des chaînes de montagnes et des zones de plissement. Promu Ingénieur en chef des Mines en 1886, Bertrand devint, en 1896, membre de l'Académie des Sciences, dont il avait été plusieurs fois lauréat, et où il prit la place de Pasteur. Pendant cette dernière période, la plus féconde de sa vie scientifique, il multiplia ses travaux qui, tous, sont marqués d'une puissante originalité, qui ont renouvelé la science des montagnes et qui ont fait de lui, suivant l'expression de M. Termier, le chef incontesté de l'École orogénique et tectonique française, l'incomparable maître pour qui la formation des montagnes a semblé un moment n'avoir plus de secrets.

    Vers 1880, l'École stratigraphique de la Sorbonne, inspirée par Edmond Hébert, brillait de tout son éclat ; de nombreux et remarquables travaux analytiques avaient fait connaître dans tous leurs détails les terrains sédimentaires des diverses régions de la France, et, malgré des erreurs notables dues à la méconnaissance de l'importante notion des faciès qu'Hébert se refusa pendant longtemps à appliquer avec toutes ses conséquences, des résultats considérables avaient été acquis sur l'extension des mers anciennes et sur la succession des horizons fossilifères. Mais si ce côté systématique de la Géologie et la stratigraphie la plus minutieuse avaient été l'objet de l'attention exclusive de l'Ecole française, les questions orogéniques et les dislocations de l'écorce terrestre n'avaient, depuis Elie de Beaumont, que fort peu occupé les géologues de notre pays. L'apparition du célèbre ouvrage d'Edouard Suess, La face de la Terre, dont il devait plus tard présenter dans une éloquente préface la traduction au public français, exerça sur l'orientation des études de Bertrand une influence décisive en le dirigeant vers la géologie régionale, en lui ouvrant des horizons plus vastes et en lui suggérant des vues synthétiques qui étaient demeurées absolument étrangères à l'école purement stratigraphique d'Hébert.

    Comme Collaborateur du Service de la Carte géologique détaillée de France, il eut à s'occuper successivement du Jura, de la Basse-Provence et des Alpes. Nous le suivrons dans ses recherches sur chacune de ces régions où il apporta, avec une ample moisson d'observations nouvelles, des aperçus généraux sur la structure de chacune d'elles, qui ont eu, pour la plupart, un retentissement considérable et dont devront désormais tenir compte tous ceux qui, après lui, auront à les étudier.

    Ce fut d'abord la chaîne du Jura qui fit l'objet de ses recherches et à laquelle il consacra huit années d'explorations. A l'époque où Bertrand fut chargé d'établir la carte d'une partie importante des chaînes jurassiennes françaises (feuilles de Gray, Besançon, Saint-Claude et Lons-le-Saulnier), les terrains jurassiques supérieurs de ces régions n'avaient, à part ceux des environs de Gray et de Montbéliard, été l'objet d'aucune étude de détail. Les idées les plus contradictoires régnaient, notamment au sujet de leur parallélisme avec les dépôts de la province méditerranéenne. En suivant les couches pas à pas, et grâce à la conception des faciès, dont le premier initiateur avait été, dans le Jura suisse, le « sauvage » mais génial Gressly de Soleure, il arriva à démontrer, par une brillante et précise analyse, qu'entre Gray et Saint-Claude le faciès et la faune « coralligènes » se développent, suivant les points, à des niveaux différents. Il fut ainsi amené à distinguer une oolithe rauracienne, une oolithe astartienne et une oolithe virgulienne. Comme l'a fait ressortir M. Henri Douvillé, c'était là un résultat d'une extrême importance qui permettait d'établir un synchronisme exact entre les assises du bassin parisien et celles du bassin méditerranéen. En même temps apparaissait avec netteté, grâce aux travaux de Bertrand qui conciliaient en un tableau synthétique les recherches antérieures de Conlejean, Thurmann, Choffat, Ogérien, Benoît, Etallon, le recul progressif des formations coralliennes vers le Sud.

    Ces résultats furent unanimement acceptés, deux ans plus tard (1885), lors d'une session extraordinaire de la Société Géologique dans le Jura, réunion qui est restée mémorable et que Marcel Bertrand présida avec une autorité et une compétence incontestables, abordant tour à tour les problèmes stratigraphiques et tectoniques les plus délicats ; une floraison d'intéressants mémoires, comme ceux de l'abbé Bourgeat, d'Abel et d'Albert Girardot et de G. Boyer, dus en grande partie à son instigation, témoignent de l'heureuse influence qu'exerça cette rénovation des méthodes de travail dans la région déjà classique des Monts Jura.

    Cependant bien qu'il se soit montré stratigraphe habile et averti dans ses études sur les niveaux coralligènes du Jura franc-comtois et sur le Pliocène de la Bresse, Bertrand se tourna bientôt exclusivement vers les problèmes de tectonique pure ; c'est principalement dans cet ordre d'idées qu'il eut le mérite d'être un initiateur et un précurseur.

    Le besoin de se rendre compte du mécanisme qui a produit les dislocations dont on se contentait jusqu'alors de constater la présence sous le nom de « failles », en leur prêtant une allure verticale et rectiligne parfois invraisemblable et incompatible avec la réalité, et la préoccupation de faire de ces cassures « un sujet d'études et non plus un simple objet de constatation », l'avaient déjà poussé, dans le Jura, à porter son attention sur des accidents fort curieux. C'est ainsi que les « failles courbes » des environs de Besançon firent l'objet d'une intéressante note de sa part, dans laquelle apparaît, pour la première fois, l'importante notion des charriages et des plans de glissement; on lui doit aussi une étude sur les « failles d'affaissement » qu'il distingua judicieusement des précédentes. La réunion extraordinaire de la Société Géologique de France dans le Jura marque également une étape importante dans l'histoire de la tectonique du Jura français ; elle fut le point de départ d'une nouvelle orientation des recherches et l'avènement d'une méthode plus rationnelle dans les travaux des géologues locaux. Ce fut notamment dans cette région que l'un de nous eut le privilège d'être initié par Bertrand à l'observation et qu'il reçut sur le terrain, du maître encore débutant, de fortes et fécondes leçons dont le souvenir lui est cher.

    Au cours de la mission envoyée par l'Académie des Sciences en Andalousie, à l'occasion du tremblement de terre de 1885, le génie intuitif de Bertrand, son sens profond de la tectonique et la précision de son esprit d'observation se manifestèrent d'une façon toute spéciale. Les explorations effectuées par la mission fournirent les éléments d'une monographie de la région subbétique, ouvrage fondamental auquel l'un de nous eut l'honneur de collaborer, et qui est encore aujourd'hui la meilleure vue d'ensemble que l'on possède de la chaîne bétique ; elle a servi de point de départ aux recherches récentes de MM. René Nicklès et Robert Douvillé, qui en ont confirmé les principales données. Parmi les résultats de cette mission, il convient de rappeler la découverte d'une série d'horizons fossilifères dans les terrains secondaires et tertiaires, la notion du détroit nord-bétique à l'époque miocène, de son ensablement progressif, de son remplacement par des lagunes et de sa suppression à l'époque pontienne ; de l'ouverture récente (pliocène) du détroit de Gibraltar ; la distinction des chaînes bétiques et de la zone subbétique, l'histoire des mouvements orogéniques dans ces chaînes, etc.

    Dès 1882, Bertrand avait abordé l'étude de la Basse-Provence, à laquelle il consacra de longues années d'explorations et où il donna toute la mesure de son talent. Là encore il marquait son empreinte d'une façon indélébile, en montrant que cette contrée, considérée avant lui comme « peu disloquée », est, en réalité, un pays où les phénomènes de plissement ont eu une intensité exceptionnelle et en font peut-être le pays le plus compliqué qui ait jamais été décrit. A ce point de vue, la région du Beausset (Var), entre Toulon et Marseille, est particulièrement curieuse. Les assises y sont disposées en un large pli synclinal où les bancs crétacés sont concordants entre eux, ainsi qu'avec le Jurassique sous-jacent. Dans ce bassin, d'apparence si régulière, existe cependant une singulière anomalie. La colline qui s'élève au Sud du Beausset a ses sommets formés de terrains plus anciens que ceux de sa base (Trias et Infralias). Ces terrains étaient regardés comme les restes d'un ancien récif de la mer crétacée. Marcel Bertrand fit justice de cette interprétation ; il put démontrer que le Trias est en réalité au Beausset superposé au Crétacé et qu'il fait partie d'une masse autrefois poussée sur ce Crétacé, puis ensuite isolée de sa racine par dénudation : il fit voir que l'îlot du Beausset était ce qu'il appelait un lambeau de recouvrement.

    L'éminent géologue réussit encore à démontrer que le Crétacé forme dans cette région un pli couché vers le Nord, tandis que le Trias constitue un autre pli couché sur le premier, dont le sommet est également situé au Nord, et qui se rattache, par ses racines, aux plis méridionaux du bassin.

    Dans une série de mémoires successifs qui jalonnent la période laborieuse de ses campagnes en Provence, Bertrand établit par des monographies de détail d'une sagacité et d'une ingéniosité extrêmes les caractères de la structure de cette curieuse région.

    C'est ainsi qu'il reconnut le rôle primordial qu'y jouent les déplacements horizontaux : la Provence est un pays de plissements, un morceau de la chaîne alpine, réunissant les Alpes proprement dites aux Pyrénées; les plis couchés et les charriages horizontaux y sont la règle ; ces plis sont habituellement couchés vers le Nord ; ils présentent de remarquables sinuosités de leurs « lignes directrices » et des accidents transversaux témoignant de mouvements postérieurs à leur formation ; enfin des bassins d'affaissement viennent masquer et interrompre localement sur la carte le tracé de ces grands plis. - De convaincantes vérifications apportées par les travaux de mines de Fontanieu et par les recherches de M. Vasseur, d'abord opposé aux conclusions hardies de Bertrand, ont définitivement rallié à ces vues la très grande majorité de nos confrères et si quelques faits révélés par les travaux récents de la Galerie de la Mer, près de Marseille, prêtent encore à des discussions d'ailleurs tendancieuses, ce ne sont là que points de détail qui ne portent en rien atteinte aux résultats d'ensemble sur la structure de la région provençale que nous a révélés le génie de Marcel Bertrand.

    D'après notre regretté Maître, ces divers phénomènes sont dus à une même cause : à des refoulements, en tout semblables à ceux des Alpes de Claris et à ceux de la région houillère du Nord, bien que ces derniers soient d'un autre âge. La formation des plis couchés et des charriages horizontaux apparaît ainsi comme une phase normale des mouvements orogéniques. Dans un ingénieux mémoire rédigé dix ans plus tard (1898) et consacré au bassin du Fuveau, Bertrand eut du reste l'occasion de montrer que des analogies de structure frappantes existent entre la bordure de ce bassin et celle de la cuvette houillère franco-belge.

    Enfin, nous ajouterons que, dans une remarquable étude publiée dans les Bulletins du Service de la Carte géologique en 1899, et dans laquelle il résumait ses divers travaux sur la Basse-Provence, il s'efforça d'établir qu'il aurait existé sur tout le Nord de cette région une grande nappe de terrains charriés horizontalement, et que cette nappe aurait été plissée ultérieurement avec son substratum. Lorsque l'état de sa santé le força à interrompre la série de ses travaux sur la Provence, auxquels il avait associé MM. Collot, Zürcher et Vasseur, Bertrand n'avait pu encore réaliser d'une façon qui le satisfit complètement la synthèse de la géologie provençale, mais les éléments du problème étaient nettement posés et le principe qui certainement doit en fournir la solution clairement indiqué.

    Entre temps (1884) Bertrand avait publié un mémoire qui passa d'abord presque inaperçu, bien qu'il portât en germe l'explication de la plupart des anomalies tectoniques observées dans la chaîne alpine et dans d'autres régions plissées du globe.

    C'était une notice sur les rapports de structure des Alpes de Glaris et du bassin houiller du Nord. Au lieu d'expliquer la constitution des premières par deux grands plis déversés l'un vers l'autre (l'un vers le Nord et l'autre vers le Sud) et d'accepter la notion déjà classique du « double pli glaronnais », il interpréta cette disposition comme due à un pli unique. Il avança que le pli septentrional n'était pas un véritable pli, prenant naissance en profondeur, mais une simple masse charriée produite par le déroulement du pli méridional et séparée de cette « racine » par l'érosion. L'analogie de cette disposition avec celle des assises du sous-sol de la région du Nord de la France, qu'avait décrite M. Gosselet, est en effet saisissante. Pour cette dernière contrée, ces considérations devaient plus tard conduire leur auteur à des conclusions d'un grand intérêt pratique sur la continuation probable des terrains houillers en profondeur. Les « phénomènes de recouvrement » ne sont pas spéciaux, ajoutait-il, aux Alpes de Glaris. Ils se retrouvent à l'Est jusque dans le Tyrol (Rhäticon) et en Savoie ils se poursuivent jusqu'aux environs de Faverges. Cette communication, qui fut peu discutée et n'eut pas le retentissement mérité, devait, quelques années plus tard, révolutionner les notions jusqu'alors admises sur la constitution des régions montagneuses et expliquer en particulier la structure de la plus grande partie du front septentrional des Alpes. C'est incontestablement à Marcel Bertrand que revient l'honneur d'avoir nettement indiqué le rôle des charriages dans les régions disloquées. Cette notion fut, plus tard, brillamment appliquée aux Alpes Suisses par M. Schardt, puis par M. Lugeon, dont les brillants et beaux travaux rallièrent successivement à cette théorie des savants éminents comme Albert Heim, Steinmann et Uhlig, qui l'avaient d'abord vivement combattue; en 1903, notre ami M. P. Termier l'appliqua aux Alpes Orientales.

    Le massif du Môle et les collines du Faucigny en Haute-Savoie avaient fait, en 1892, l'objet d'une monographie détaillée de la part de Bertrand, qui crut reconnaître, à la suite d'une étude très précise et remarquablement documentée, une « arête de rebroussement » des plis subalpins dans la vallée de l'Arve ; mais les chaînes intra-alpes de la Maurienne et de la Tarentaise devaient lui fournir l'occasion de découvertes intéressantes et d'une portée plus générale.

    Charles Lory, l'un des maîtres incontestés de la Géologie française, nous était brusquement enlevé en 1889, laissant inachevées plusieurs cartes géologiques de nos massifs alpins. On doit à Marcel Bertrand une attachante notice biographique sur la vie et les travaux du maître grenoblois. Peu après il fut placé à la tête des collaborateurs 2 désignés pour continuer l'oeuvre du regretté professeur, et nul aujourd'hui ne peut parler des Alpes Françaises sans rappeler pour quelle grande part il contribua à la connaissance de leur structure. Au nombre des grandes questions restées en suspens à la mort de Ch. Lory se trouvait notamment celle de l'âge des « Schistes lustrés ». Cette puissante formation si développée dans les chaînes intra-alpines franco-italiennes avait été classée dans le Trias par Ch. Lory, tandis que nos confrères italiens, MM. Zaccagna et Mattirolo, la considéraient comme antérieure au terrain houiller. S'étant rallié tout d'abord à cette dernière interprétation, Bertrand l'abandonna bientôt avec une louable loyauté scientifique en publiant un important mémoire qui ouvrait une voie sûre à nos recherches et établissait d'une façon définitive que les Schistes lustrés sont d'âge mésozoïque. Cette attribution a été confirmée par des découvertes récentes de fossiles, faites tant en Italie qu'en Suisse.

    Cette importante question résolue, notre regretté confrère pouvait continuer plus utilement ses explorations en Maurienne et Tarentaise (Savoie). On lui doit d'avoir établi, avec M. Termier, l'âge permien et permo-houiller d'une partie des Gneiss (Gneiss du Grand-Paradis, du Mont-Pourri, etc.) des zones intra-alpines et d'avoir ainsi mis en évidence la persistance des actions métamorphiques dans les Alpes ; il publia dès 1894 les résultats de ses recherches dans une notice dont la plupart des données ont été confirmées par les travaux ultérieurs et montra notamment dans cette magistrale étude que le trait caractéristique de la structure des Alpes Françaises est la structure en éventail composé. Cette structure, entrevue déjà par Alph. Favre, a depuis été reconnue par tous ; lors même qu'elle paraît, d'après les plus récentes interprétations, produite par des « plissements en retour » dans un ensemble de nappes ou de plis couchés vers l'Ouest, elle n'en existe pas moins en fait et c'est Bertrand qui, avant tout autre, l'a mise en évidence. Les plis de l'Ouest se couchent vers la France, ceux de l'Est vers l'Italie. La zone des terrains houillers, de Bourg-Saint-Maurice à Briançon, est le centre de l'éventail ainsi formé et l'axe des plissements.

    Une disposition remarquable que présente, en Savoie, cet axe anticlinal médian est de s'ouvrir autour d'une amande synclinale elle-même accidentée de plis et formant le « Mont Jovet », et plus loin, à partir de Sainte-Foy, autour d'une autre amande de structure analogue, « la Grande-Sassière ». Cette « structure amygdaloïde », fréquente dans les Alpes, présente souvent une disposition inverse de la précédente, c'est-à-dire un noyau anticlinal entouré de bandes synclinales. Les plis situés à l'Est de la bande houillère sont en effet sinueux, et cette sinuosité, dont il proposa une ingénieuse explication et dont il constata la généralité, serait due à l'interposition de sortes de lentilles, allongées dans le sens de la direction. Ces lentilles sont, le plus souvent, des noyaux anticlinaux, eux-mêmes accidentés de plis qui ne se prolongent pas au delà de la lentille anticlinale. On peut citer comme type les massifs anticlinaux de la Vanoise et surtout du Mont-Blanc, qui se dressent au milieu de cuvettes synclinales élargies. On peut comparer, dit-il, cette structure à celle d'un gneiss amygdaloïde dans lequel les feuillets s'infléchissent autour de gros noyaux de quartz et de feldspath.

    Dans un mémoire postérieur, paru en 1896, le savant professeur, dont nous avions eu l'honneur d'être maintes fois les compagnons de courses, donnait une description des massifs situés au Nord de l'Isère entre Moutiers et le Mont-Blanc. Il y distinguait cinq bandes principales, orientées du Sud-Ouest au Nord-Est, et confirmait les conclusions formulées par nous sur l'existence du terrain nummulitique dans cette partie des Alpes.

    Cette même année, il publiait, avec M. Étienne Ritter, une note d'une portée considérable, sur la structure de la chaîne du Mont Joly, près de Saint-Gervais. Les deux auteurs y montraient que cette chaîne, jusqu'alors considérée comme de structure relativement simple, « présente un empilement de plis rabattus jusqu'à l'horizontale, et que, pour chacun de ces plis superposés, on peut observer sans discontinuité son rattachement à la partie droite » ou « racine ». Cette importante constatation permettait de saisir, pour ainsi dire sur le fait, le mécanisme de la formation des grands plis couchés. Complétée par les données acquises par Bertrand en Provence, sur les lambeaux de recouvrement, elle permettait d'édifier une théorie rationnelle des charriages. Ainsi se trouvaient définitivement et profondément modifiées les conceptions anciennes relatives à la formation des montagnes, et Bertrand pouvait affirmer que « le rôle des déplacements horizontaux est une des questions fondamentales de la géologie des Alpes ».

    L'on peut dire que l'École géologique de notre pays doit une bonne part des succès qu'elle a remportés, depuis trente ans, à l'influence de Marcel Bertrand ; l'admirable sincérité, la méthode rigoureusement critique et la sagacité qu'il apporta à l'étude des importants problèmes soulevés par l'exploration géologique des Alpes Occidentales suscitèrent autour de lui toute une pléiade de disciples, et si quelqu'un tente un jour, avec le recul nécessaire à l'impartialité, de faire la part de chacun dans l'histoire de nos idées sur la structure géologique des Alpes, il apparaîtra certainement que ce fut notre maître regretté qui, avec Edouard Suess et Albert Heim, ouvrit la voie dans laquelle se sont depuis engagés à sa suite la plupart des géologues alpins ; tous n'ont fait que développer les données qu'il avait eu le premier le mérite d'indiquer ; plusieurs, moins prudents et moins critiques, mais plus audacieux que lui et séduits par l'attrait des solutions théoriques, n'ont su se garder d'exagérations regrettables dont les conséquences ont parfois momentanément retardé les progrès de la tectonique.

    La solution complète du problème, dont Marcel Bertrand avait si merveilleusement et si nettement dégagé les termes, nous promettait sans doute un mémoire magistral dont la portée aurait certainement dépassé celle de ses autres publications. Déjà dans une série de notes successives, émanées du cours qu'il professait à l'École des Mines et empreintes d'une puissante et féconde originalité, il s'était élevé à des vues très générales et avait essayé de dégager les lois générales des déformations de l'écorce terrestre. C'est ainsi qu'il avait étudié successivement les zones circumpolaires de plissement, la formation des géosynclinaux précurseurs de ces chaînes et celle du continent européen, la coordination des bassins houillers et des roches éruptives par rapport aux trois chaînes anciennes définies par Ed. Suess, à ces grandes unités, dont l'histoire domine celle de tout l'hémisphère Nord et auxquelles il ajouta une quatrième, la chaîne huronienne.

    On doit à Bertrand d'avoir précisé l'histoire de ces chaînes et d'avoir établi d'une façon saisissante leur liaison avec une série de mouvements du sol, de phénomènes éruptifs et de phénomènes sédimentaires qui constituent, pour chacune d'entre elles, de véritables récurrences. En 1897 paraissait, dans les comptes rendus du Congrès international tenu à Zurich en 1894, un important travail dû à sa plume et traitant de la récurrence de certains faciès : roches gneissiformes et dépôts schisteux plus ou moins cristallins dans les zones de plissement de divers âges. C'est ainsi que les gneiss d'âge permo-houiller, les Schistes lustrés d'âge secondaire, le Flysch d'âge tertiaire, disait-il, réalisent, pour la zone de plissement alpine, un « cycle » complet, analogue à ceux des chaînes plus anciennes et embrassant la série des terrains sous un nombre restreint de faciès, directement liés aux mouvements qui ont formé la chaîne. On peut donc conclure pour la zone alpine comme pour les chaînes huronienne, calédonienne et hercynienne, à « la liaison ordonnée de tous les phénomènes tectoniques, sédimentaires et éruptifs, autour de l'histoire des chaînes de montagnes ».

    Dans un autre ordre d'idées, Bertrand mit en évidence, en se servant de la méthode de reconstitution du fond des anciennes mers et en tenant compte des ondulations des terrains dans les diverses régions de la France, la fréquence de systèmes conjugués de plis orthogonaux et la tendance des plis de divers âges à se former suivant les mêmes axes. Le réseau des déformations terrestres, composé de méridiens et de parallèles, serait fixe ; ses pôles ne coïncideraient pas avec ceux de la rotation actuelle. Bertrand chercha à faire rentrer dans ce réseau théorique les sinuosités des zones de plissement, à expliquer les arêtes de rebroussement dont il a décrit de nombreux exemples, et à faire coïncider avec les noeuds de ce système les dômes ellipsoïdaux granitiques reconnus par lui.

    C'est de ces problèmes d'orogénie que se préoccupait surtout Marcel Bertrand pendant les dernières années de son activité scientifique ; les deux dernières notes communiquées par lui, en 1900, à l'Académie des Sciences, sont consacrées à des considérations de cet ordre et sont intitulées, l'une : Essai d'une théorie mécanique de la formation des montagnes, et l'autre : Déformation tétraédrique de la Terre et déplacement du Pôle. Après avoir rappelé, dans la première, que les chaînes européennes sont allées en se déplaçant progressivement vers le Sud, il admet, comme cause de leur édification, les phases suivantes qui se seraient succédé d'une façon nécessaire et pour ainsi dire automatique : 1° formation d'une cuvette géosynclinale dissymétrique, dont le fond avance vers le Sud, ce qui amène la production d'un bourrelet ; 2° poussée sur la cuvette de ce bourrelet marginal qui, reformé sans cesse, donne naissance à une nappe de charriage s'avançant vers le Nord ; 3° élévation en masse de l'édifice, ainsi construit en profondeur.

    Ces essais théoriques, très séduisants pour l'esprit et clairement formulés, s'ils ne donnent pas encore une solution définitive du processus orogénique, - car le problème est complexe entre tous et d'autres facteurs encore nous semblent devoir être pris en considération, - témoignent néanmoins grandement de la puissance des conceptions de leur auteur ; ils le placent au premier rang des créateurs de la Tectonique, cette branche de la Géologie qui s'est donné pour mission d'étudier les lois des dislocations de l'écorce terrestre et dont les récentes conquêtes, auxquelles Bertrand eut une grande part, ont modifié si complètement nos idées relatives à la formation des reliefs terrestres.

    L'esquisse que nous venons de faire, des travaux du plus attachant et du plus regretté de nos maîtres, permet de mesurer la perte que la Science a faite en lui ; il est permis d'affirmer qu'ainsi qu'il advint pour Elie de Beaumont, l'un de ses prédécesseurs dans la chaire de l'École des Mines, son nom demeurera à jamais attaché à quelques-unes des plus brillantes conquêtes de la Géologie française; son souvenir restera indissolublement lié à la rénovation qu'ont subie à la fin du xix siècle nos connaissances dans le domaine de l'orogénie.

    Le développement si harmonieux et si rigoureusement logique des recherches de Marcel Bertrand pendant sa trop courte carrière nous donne une image instructive de l'évolution des tendances de l'École géologique moderne et du développement graduel des principes de la Tectonique dans ces vingt dernières années ; elle constitue à ce titre une page importante de l'histoire de notre Science qui fera suite à celle dont il a lui-même si brillamment retracé les traits les plus caractéristiques dans sa magistrale introduction à l'édition française du beau livre d'Ed. Suess.

    Ce n'est pas sans une profonde émotion que nous apportons notre tribut d'admiration à l'oeuvre du savant qui nous rappelle les moments les plus lumineux de notre carrière scientifique, au génie de l'ami dont la loyale et franche critique, la passion désintéressée de la vérité, les généreux enthousiasmes, les conseils paternels prodigués au cours de tant de courses communes sur les sentiers montagneux du Jura, de l'Andalousie et de nos belles Alpes françaises, ont laissé dans notre esprit des traces fécondes et ineffaçables. C'est au cours de l'une des excursions effectuées avec J. Révil qu'il fut victime d'un grave accident et qu'il faillit perdre la vie ; tombé dans la crevasse d'un glacier, il ne put en être retiré de suite et dut y séjourner près d'une heure et demie.



    Marcel Bertrand, professeur à l'Ecole des mines
    (C) Photo ENSMP

    Cette photo est affichée à l'Ecole, 60 boulevard Saint-Michel, Salle Michel Chevalier


    Bulletin de l'Association amicale des anciens élèves de l'Ecole des mines de Paris, Janvier-Février-Mars 1920 :

    Conférence offerte par M. P. Termier, membre de l'Institut, le 1er mars 1920.
    Marcel Bertrand et la Tectonique

    Parmi les anciens élèves de l'Ecole, il y en a dont les noms sont peut-être plus répandus, mais combien est pâle le flambeau qu'ils ont allumé à côté de la torche ardente qu'a portée Marcel BERTRAND !

    Après avoir concouru en 1870 à la défense de la patrie, il entra à l'Ecole, Qu'y fit-il ? Probablement peu de chose ; la géologie consistait à celle époque à dresser des listes de fossiles et à affubler la terre d'un réseau géométrique que l'on faisait cadrer, qu'elle le veuille on non, avec sa forme. Marcel Bertrand n'était certainement pas un grand géologue quand il sortit de l'Ecole.

    Envoyé à Vesoul et chargé par le Conseil départemental de refaire la carte de la région, il y fit la connaissance de géologues amateurs, un type aujourd'hui disparu. Six ans plus tard, son père le fit affecter au service de la carte géologique de France, malgré l'opposition de son chef de service qui n'avait qu'une médiocre confiance dans les services que pourrait lui rendre le jeune géologue.

    Au cours de ses travaux dans la région du Jura, Marcel Bertrand avait commencé à s'intéresser à la géologie ; il publia à cette époque une note sur les failles du Jura entre Besançon et Salins. C'était la première fois qu'on étudiait ainsi les failles ; jusque-là, on avait admis qu'elles étaient rectilignes et on les acceptait toutes faites, comme une explication facile des énigmes qu'on ne pouvait résoudre.

    Après la lecture d'un livre d'Edouard Süss, où l'auteur expliquait le mécanisme des grands phénomènes géologiques, Marcel Bertrand commença à se passionner pour la géologie. Il se mit à étudier la Provence, le bassin houiller du Nord, et découvrit une explication aussi lumineuse que simple au double pli des Alpes de Glaris. A ce moment, parut le livre d'Edouard Sûss « Das Antliz der Erde », qui l'enthousiasma, et fit de lui un géologue pour la vie, et plus spécialement un géologue de montagne.

    Entre temps, Marcel Bertrand était devenu professeur à l'Ecole des Mines. Chancourtois, successeur d'Elie de Beaumont, et continuateur de ses idées jusque dans ses exagérations, étant fatigué, prit en 1884 un aide pour le remplacer. Il choisit Marcel Bertrand, mais avec une certaine appréhension, car il considérait ses théories comme un peu révolutionnaires. En 1886, à la mort de Chancourtois, Marcel Bertrand lui succéda ; ce fut un professeur plein d'enthousiasme, et le suscitant chez ses élèves, dans ses cours et pendant les courses géologiques.

    De 1887 à 1889, Marcel Bertrand travailla en Provence et expliqua l'anomalie stratigraphique du Beausset, qui avait déjà fait couler des flots d'encre, Ce fut le point de départ des nouvelles théories. Puis Marcel Bertrand commença ses courses dans les Alpes. Une chute dans une crevasse de 15 mètres de profondeur, au glacier de Rhèmes, faillit interrompre sa brillante carrière en 1891 ; il resta heureusement serré entre les parois étroites du gouffre, à moitié plongé dans l'eau glacée, et put en être retiré sans conséquences.

    En 1894, au congrès de Zurich, Marcel Bertrand, qui avait déjà une grande réputation, fit une conférence qui eut un retentissement énorme. Deux ans plus tard, une de ses courses en Algérie eut un succès considérable. Au cours du voyage, il trouva au terrain traversé une ressemblance étonnante avec le trias de la Provence ; questionné à ce sujet, le géologue qui dirigeait la caravane répondit que ce ne pouvait être du trias, car il reposait sur du crétacé. Mais la découverte de quelques fossiles par un jeune professeur non géologue donna raison à Marcel Bertrand et montra que cette Afrique du Nord, qu'on considérait comme géologiquement simple, était horriblement compliquée, et d'une exploitation difficile.

    Un peu plus tard, Marcel Bertrand trouva au Mont Joly une accumulation de plis couchés que personne n'y avait encore vus ; il en chercha l'enracinement et le trouva. La liaison entre un pays de plis et un pays de plaine était faite ; ce fut le point de départ de théories nouvelles.

    L'année 1897, année du grand congrès de Saint-Pétersbourg, fut peut-être l'année la plus fructueuse de Marcel Bertrand. En 1898-1899, la Provence lui livra ses derniers secrets. A la même époque, passant quelques jours dans le bassin houiller du Gard, il en expliqua la formation d'une façon tellement simple que personne n'y crut, et qui fut cependant confirmée vingt ans après par des études ultérieures.

    Ces études incessantes des charriages l'entraînèrent dans des considérations vertigineuses ; acceptant l'hypothèse du tétraèdre terrestre, il chercha sa déformation à travers les âges. Il y a là un moment de vertige qui est la seule partie imparfaite de son œuvre.

    Marcel Bertrand s'était marié en 1886 ; en avril 1900 il perdit sa fille aînée Jeanne, enfouie dans une sablière. Il en eut un énorme chagrin et, depuis, il ne fit que décliner ; en 1901, il était obligé d'abandonner son cours ; il mourut dans la douleur en 1907.

    Quels étaient les principes de Marcel Bertrand ?

    C'était un homme de génie. Il avait l'inspiration créatrice, l'horreur du chaos, créant avec les éléments de la science un monde harmonieux et clair. Il avait l'inconscience prophétique, voyant quinze ou vingt ans avant les autres et prophétisant naturellement ; il lui arrivait même d'oublier ses théories et de les examiner longtemps après, aussi minutieusement que si elles n'étaient pas de lui.

    Il fut le chef de l'école française qui fit beaucoup pour le renouvellement de la géologie. En 1903, au Congrès de Vienne, la carte géologique des Carpathes, dressée par le célèbre professeur Oulic tomba entre les mains d'un élève de Marcel Bertrand, professeur à l'Université de Lausanne, qui y releva immédiatement une faute. Une excursion fut décidée et un mois après Oulic reconnaissait que l'école française avait raison : les Carpathes provenaient d'un charriage.

    Marcel Bertrand fit connaître la prédominance des déplacements horizontaux et tangentiels considérés avant lui comme de peu d'importance. Il coordonna tout en géologie, autour des chaînes de montagnes successives, montrant que chaque chaîne a ses gneiss, des schistes dans son axe, des sédiments grossiers répartis parallèlement à la chaîne. Il eut quelques idées moins heureuses, et qui ne sont pas restées, sur la continuité des plissements et la répartition des matières volatiles dans les couches de houille ; les couches d'égale teneur seraient concentriques et l'inspection des couches permettrait ainsi de déterminer le centre du bassin. Malgré la demande de M. Bertrand, l'idée n'a pas été étudiée avec tout le soin voulu.

    Le caractère dominant de Marcel Bertrand était la simplicité. Toujours affable, toujours prêt à critiquer, il avait l'épigramme facile, et s'appliquait la critique à lui-même. Sur le terrain, au bout de quelques jours, il avait l'air d'un chemineau, mais d'un chemineau grandiloquent ; il disait des vers. Il a passé vite sur cette terre ; sa vie productive n'a duré que vingt ans, mais il a pendant ce court laps de temps édifié une œuvre indestructible. Il a laissé l'exemple du désintéressement absolu, de l'amour de la vie simple. C'était un type accompli d'une humanité supérieure.

    Je voudrais que cette rapide esquisse vous laisse son image indestructible pour que vous pensiez à lui dans vos méditations géologiques. Pour moi, il fut mon maître sur le terrain, il me communiqua son enthousiasme ; c'était le génie de la montagne. Il est pour moi le géologue, c'est-à-dire l'homme qui voit ce que personne ne voit, qui entend ce que personne n'entend, qui vit bien plus que les autres hommes, car sa vie se prolonge des deux côtés, dans un passé fabuleux et dans un avenir illimité.


    Marcel BERTRAND, élève de Polytechnique
    (C) Photo Collections Ecole polytechnique