Joseph Jean Baptiste Jules LEVALLOIS (1799-1877)

Photo ENSMP

Polytechnique (promotion 1816 ; entré classé 23ème, sorti classé 24ème, et 3ème dans les Mines), corps des mines.

Fils de Joseph Jean Baptiste LEVALLOIS, receveur particulier, et de son épouse née Marthe Joséphine SUSANNE. Frère de Roméo Joseph LEVALLOIS (né en 1801 ; X 1819). Taille 1,77 m (d'après le registre matricule de Polytechnique).

Informations communiquées par Bernard Feuga :

Levallois a joué un rôle déterminant dans le développement de l'exploitation du sel en Lorraine au début du 19ème siècle, d'abord en tant qu'ingénieur du service des mines (c'est lui qui contrôlait les travaux de la mine de Vic-sur-Seille (1821-1825) puis de celle de Dieuze (ouverte en 1826)), puis en tant que directeur de la mine de Dieuze, après que l'Etat eut décidé d'en prendre le contrôle. Il resta directeur des Salines de l'Est après leur privatisation. Il est l'auteur d'une étude de référence sur la recherche et l'exploitation du sel dans le département de la Meurthe, parue en 1834 dans les Annales des Mines (et que la direction des Annales lui avait commandé). Le nom (et la signature) de Levallois apparaissent très souvent dans les dossiers des Archives Nationales relatifs à la mine de Dieuze.

Par ailleurs, indépendamment du sel, Levallois a certainement apporté une contribution significative à la connaissance de la géologie de la Lorraine, puisqu'on a donné son nom à un niveau repère du Keuper supérieur de notre région, les "argiles de Levallois". Il présida la Société Géologique de France en 1860.

Il termina sa carrière comme Inspecteur général des mines. Il fit partie, avec Thirria et Dufrénoy d'une commission qui préparait une législation sur les sources d'eau minérale.


L'exploitation minière en Lorraine au début du XIXème siècle et le rôle de LEVALLOIS
par Annette CHOMARD-LEXA (communication personnelle, 2003) (extraits)

- L'exploitation du sel débuta dès 1803 avec la fabrique de soude à Saltzbrönn, Château-Salin (1826), puis Moyenvic et Sarralbe (1831). En 1818, on découvrit que le sel gemme était à 65 mètres de profondeur à Vic-sur-Seille mais l'exploitation ne commença en profondeur qu'en 1827. Les recherches étaient dirigées par les ingénieurs des mines, de Gargan et Voltz. A cette époque, il n'y avait pas de carte géologique du tout! Ce fut ensuite au tour de Levallois, jeune ingénieur en chef des mines à Dieuze, de poursuivre ces études. Il ira dans le Würtemberg et le pays de Bade avec Voltz en 1828. (...)

- L'exploitation du fer : La Lorraine est connue pour son minerai de fer oolithique des étages Toarcien-Aalénien: ce niveau ne fut pourtant pas le premier exploité : vers 1800, on exploitait le minerai de fer d'alluvions de qualité très médiocre comme à Saint-Pancré. Ce niveau fut sans doute exploité d'abord à partir d'éboulis sur les côtes de Moselle, les travaux souterrains ayant été plus tardifs : on fondait en fait un mélange de minerai oolithique et de minerai d'alluvions sur place comme dans la vallée de Montvaux, Sexey-aux-forges, Chavigny, où il fut signalé par Demimuid qui demanda l'autorisation de construire deux hauts-fourneaux en 1835, à Ludres et à Champigneulles. (...)
Le niveau de grès des Vosges fournissait aussi un peu de fer comme dans le canton de Lorquin (vers 1785) ainsi que dans la plaine de Creutzwald jusqu'en 1861.

Vivenot-Lamy, né en 1802 à Ligny-en-Barrois, était maître de forge à Champigneulles. Après des années noires (révolution de 1830, choléra en 1832, faillite en 1838-1841) il découvrit du minerai de fer à Champigneulles, Frouard, Liverdun, « grâce aux notions de géologie acquises auprès de Mrs Sauvage et Buvignier ». Mais il dut lutter trois ans « contre l'incrédulité de Mrs Guibal et Levallois qui prétendait que les traces qu'(il avait) pu découvrir ne valaient pas la peine de s'y arrêter ». En 1843, Guibal écrivait une note sur l'oolithe ferrugineuse qui alimentait le haut fourneau Demimuid. Dans ses mémoires, Vivenot-Lamy écrivit :« M. Levallois accordant sans doute plus de confiance aux connaissances géologiques de M. Guibal qu'à celle d'un inconnu, n'ajouta aucune fois à mes révélations et refusa de se rendre à mes pressantes sollicitations en allant reconnaître sur les lieux l'exactitude des faits ; sur ces entrefaites, je fis la connaissance d'un maître de forge de la Meuse qui avait peut-être intérêt a ce que la Meurthe n'eut pas de minerai, car en présence de quelques personnes notables de Nancy, il plaisanta et tourna en ridicule ma découverte(...) mon compte fut réglé et pendant quelques temps je ne passai que pour un halluciné (...) ». En 1844, Sauvage, cet ami dévoué, vint par hasard à Nancy, intercéda auprès de Levallois qui se décida à visiter : il fut étonné mais convaincu et l'annonça à son discours de réception à l'Académie la même année. Dans ce discours on peut lire : « nous avons un gîte métallique de grande étendue, c'est la couche de minerai de fer oolithique qui se trouve à la base de toute les côtes de l'arrondissement de Nancy, mais ce gîte n'est presque pas mis en valeur actuellement et doit être considéré comme une réserve».

Notre pauvre Vivenot-Lamy dut ensuite chercher de l'aide financière qu'il trouva en la personne de Monsieur de Meixmoron, gendre de Mathieu de Dombasle. D'autres suivirent et la Société de Champigneulles se créa.
Malheureusement le 24 Février 1848 porta un coup fatal aux activités; une deuxième société Vivenot Père et Fils et Cie vit le jour en 1852, date à laquelle on découvrit du minerai de fer à Lay-Saint-Christophe. Vivenot-Lamy envoya même une lettre au Président de la République en 1849 qui resta sans réponse. Il demanda longtemps une station et une gare qui lui furent refusées et c'est l'ingénieur des mines Sauvage [devenu en 1861 directeur de la Compagnie des chemins de fer de l'Est] qui ne lui obtint une halte qu'en 1864, érigée en station en 1873.

Les études de Levallois sur la constitution géologique du département de la Meurthe parues en 1862 donnent très peu de détails sur les épaisseurs et sur la composition chimique donc les applications industrielles et agricoles sont limitées.

Levallois est de plus un piètre paléontologue. Son entêtement à ne pas vouloir reconnaître la présence de fer dans la région de Nancy et de Pont-à-Mousson nous laisse apparaître un personnage tout puissant comme en témoigne Vivenot-Lamy, maître de forge à Champigneulles dans la Meurthe (voir plus haut): ce témoignage montre comment, à cette époque, les ingénieurs des mines percevaient les "amateurs" et cette aventure laisse quelque peu songeur quant on constate que l'entêtement d'un ingénieur, qui ne voulut peut-être pas reconnaître ses torts, alla jusqu'à minimiser la découverte et retarder ainsi l'exploitation du gisement de fer qui allait faire bien plus tard la grande richesse de la Lorraine ! Levallois attendra 1862 (21 ans après la découverte de Vivenot) pour avouer que c'est là qu'il faut chercher le minerai de fer!

- Levallois dans la controverse de l'Hettangien

L'histoire du stratotype de l'Hettangien, préservé depuis 1985 par le statut de réserve naturelle, débuta avec l'observation de Victor Simon en 1828. Malgré les travaux du géologue suisse Renevier en 1864, elle n'aboutit pas à un consensus immédiat : d'une part, pas avant la fin du XIXe siècle pour sa reconnaissance en tant qu'étage et d'autre part, pas avant 1962 pour sa position exacte sur l'échelle stratigraphique internationale, intimement liée à celle du Rhétien, pour lequel seul Olry Terquem plaida en faveur d'un âge triasique. La controverse, dont le noyau dur se situe entre 1842 et 1868, comportait des arguments paléontologique, stratigraphique et pétrographique. Deux écoles de pensée s'affrontèrent : celle de la géologie appliquée, surtout industrielle et agronomique représentée par des ingénieurs tels que Levallois ou Buvignier, et celle plus fondamentale de la paléontologie stratigraphique représentée par Olry Terquem. Ce dernier fut précurseur dans ce domaine en France : il fut en fait le seul à intégrer à la fois les aspects paléontologiques et stratigraphiques. Quant à Levallois, il s'opposa toujours à la vérité pourtant si bien défendue par Terquem, déclarant préférer les vues de ses confrères. Pire, il ne reconnut jamais ses erreurs puisqu'en 1864, il fit silence sur le sujet et se consacra à la question de la limite Trias-Lias. Ces deux écoles cohabitèrent sans se mêler jusqu'en 1900 où les apports de paléontologie stratigraphique à la géologie appliquée feront faire de grands progrès, se révélant indispensables à l'essor que va connaître la géologie prospective et minière de cette région.

Annette CHOMARD -LEXA
12 rue du Général de Gaulle
57130 JOUY AUX ARCHES

Voir Chomard-Lexa, 2003, La controverse de l'Hettangien, Bull.Inf.Geol.Bass.Paris, 40, n°2, 8-18.