Jules FLEURY

Ecole des Mines de Paris (promotion 1867). Ingénieur civil des Mines.

Bulletin de l'Association des Anciens Elèves de l'Ecole des Mines de Paris, 1906 :

Jules Fleury, en quittant l'École des Mines, se souvint que son oncle, Sauvage, était directeur des chemins de fer de l'Est. Il entra dans la traction et débuta par les fonctions les plus modestes, celles de chauffeur de locomotives. Trouvant, sans doute, que l'avancement ne venait pas vite, il accueillit les propositions, avantageuses en apparence, que lui fit une Compagnie qui se proposait d'établir la distribution d'eau de la ville de Guayaquil (République de l'Equateur). Une fois arrivé, il se mit courageusement au travail malgré la chaleur et les moustiques et apprit l'espagnol. A peine la Compagnie, qui l'avait amené là, eut-elle reçu de la municipalité un assez fort acompte sur les travaux, que ses directeurs abandonnèrent l'entreprise et prirent le plus prochain vapeur, laissant Fleury sans autre argent que celui qu'il pouvait avoir personnellement en poche. Notre Camarade, qui n'avait peut-être pas eu l'approbation, sans restriction, de sa famille, ne voulut pas cependant avoir l'air d'avoir fait un coup de tête, il pensa tirer parti de cette leçon de choses un peu dure tout d'abord et en sortir tout seul, sans se faire rapatrier. Il montra là cet esprit pratique qu'il a toujours eu ; il considéra le théodolite et les autres instruments que ces voleurs lui avaient heureusement laissés entre les mains, c'est là qu'il chercha son salut. Il se mit facilement en rapport avec de riches propriétaires du pays, auxquels il offrit de faire le nivellement de leurs terrains en vue de l'irrigation. Se souvenant de son cours d'agriculture de l'École, il n'eut pas de peine à faire comprendre que, si près de l'Equateur, avec un soleil aussi brillant, il ne fallait pas oublier l'arrosage pendant la saison sèche. Il réussit parfaitement; on l'appelait de tous les côtés et on le payait grassement ; il encaissa une assez forte somme et songea au retour ; il se rapatria fièrement avec les ressources qu'il s'était créées par son travail.

Une fois en France, il partit pour l'Egypte, dans le service des dragues de la Compagnie du canal de Suez. C'est là qu'il se forma aux grands travaux publics, qui devaient faire sa spécialité désormais et établir sa renommée. Il y resta longtemps, en y laissant une excellente réputation du travail consciencieux et de bonne conduite.

C'est là qu'on vint le chercher pour diriger les travaux du Port des Galets qui devait servir de tête au chemin de fer qu'on construisait à l'île de la Réunion.

On sait, par ce qui se passe à Madagascar, pour le moment, combien il est dangereux, dans ces sortes de travaux, de remuer des terres. Un de mes camarades de lycée, qui était passé par l'École centrale, fut un second de Fleury ; tandis que celui-ci se tirait merveilleusement indemne, l'autre mourait des fièvres paludéennes.

Fleury, qui était marié, revint avec sa famille ; il fut décoré et rentra dans la Compagnie de Suez ; mais, cette fois, il resta à Paris, dans l'administration de la rue Charras ; c'est là qu'il prit sa retraite.

Son état de santé, que ses longs séjours à l'étranger, dans les régions chaudes et tropicales, avaient dû ébranler sans doute, commença à demander quelques soins.

Cependant, il se fit agréer comme professeur à l'École libre des sciences politiques et devint secrétaire perpétuel de la Société d'Économie politique. Nous l'avons vu, comme membre du bureau de la Société des Ingénieurs civils, toujours sur la brèche, se faisant une spécialité des questions de canaux et de voies hydrauliques, suivant les congrès à l'étranger et venant en rendre compte avec une haute compétence. Il était vice-président et ses collègues désiraient lui acccorder la présidence. Un ancien élève de l'Ecole centrale fut nommé à sa place.

Nous nous rappelons tous combien Fleury était aimé à l'Association; il venait à nos dîners annuels, quoique son verre fut surtout plein d'eau dans les derniers temps, où il était au régime. On aimait à le voir prendre la parole et quand, modestement, il n'y songeait pas, les jeunes qui avaient fait sa connaissance et les anciens, qui le connaissaient depuis longtemps, se joignaient pour réclamer de lui une improvisation. Il s'en acquittait bravement avec une bonhommie, une expérience et une finesse spirituelle qui obtenaient l'approbation générale.

Ferdinand GAUTIER.