Marie Georges HUMBERT (1859-1921)

Photo ENSMP

Orphelin. Fils de Joseph Émile TIQUET et de Jeanne Marie Idalie TIQUET, habitant Baignes (Hte Saône).

2 mariages :

  • Marié en premières noces en 1890 à Melle Marie JAGERSCHMIDT (1868-1892) fille d'un diplomate ; nièce de Jean Jacques Auguste JAGERSCHMIDT (1818-1851 ; X 1836), et petite-fille du baron FEUILLET de CONCHES, (introducteur des ambassadeurs sous Napoléon III), mère de Pierre HUMBERT ; Marie était la soeur de Madeleine JAGERSCHMIDT (1872-1901), première épouse du général Charles MANGIN. Après le décès des deux soeurs, HUMBERT et MANGIN restèrent en contact, ce qui permit à MANGIN de faire la connaissance de sa 2ème épouse, Antoinette CAVAIGNAC.
  • Remarié en 1900 à Suzanne LAMBERT-CAILLEMER, mère de 2 filles.

    Catholique. Décrit dans le registre matricule de Polytechnique comme : Cheveux châtain clair - Front ordinaire - Nez aquilin - Yeux bruns - Bouche moyenne - Menton rond - Visage rond - Taille 167.

    Son fils, Pierre Marie HUMBERT (1891-1953 ; X 1910, considéré comme un aussi grand mathématicien que son père, lui-même marié à Mlle ANDOYER fille d'un astronome académicien), a publié les oeuvres de son père de 1929 à 1936.

    Reçu premier au concours de l'École normale supérieure, il préfère entrer à l'Ecole polytechnique (promotion 1877 ; entré classé 8ème, sorti classé 2ème), et à l'Ecole des Mines de Paris. Il appartient alors au corps des mines. En 1880, il est envoyé à Vesoul. Il est ensuite attaché à Paris au contrôle de l'exploitation des chemins de fer, réseaux Est et Nord (1885-1895).

    Il est attaché à l'Ecole des mines du 1/11/1896 à sa démission le 1/8/1912, en qualité de professeur de construction et de résistance des matériaux.

    Marie Georges HUMBERT fut un mathématicien, inspecteur général des mines, répétiteur auxiliaire (1884) puis professeur d'analyse à l'École polytechnique (1895) et à l'École des mines. En 1912 il est nommé professeur au Collège de France (où il suppléait déja à Jordan depuis 1904).
    Ses mémoires se rapportent à la théorie des courbes et des surfaces algébriques. Il fait des recherches sur le théorème d'Abel, sur les applications des transcendantes à la géométrie et complète la théorie des surfaces cyclides. Auteur d'un "Cours d'analyse professé à l'École polytechnique (1903-1904)".

    Membre de l'Académie des sciences (1901).



    Marie Georges Humbert, élève de Polytechnique
    (C) Collections Ecole polytechnique


    PAROLES PRONONCÉES AUX OBSÈQUES DE M. GEORGES HUMBERT
    MEMBRE DE L'INSTITUT,
    INSPECTEUR GÉNÉRAL DES MINES,
    PROFESSEUR AU COLLÈGE DE FRANCE,
    PROFESSEUR HONORAIRE A L'ÉCOLE POLYTECHNIQUE
    le 25 janvier 1921.

    Publié dans Annales des Mines, 11ème série, tome 11, 1921.

    I.- DISCOURS DE M. C. JORDAN,
    Membre de l'Institut,
    AU NOM DE L'ACADÉMIE DES SCIENCES.

    La mort ne se lasse pas de frapper l'Académie des Sciences. Elle vient encore de nous enlever un de nos confrères les plus éminents et les plus aimés.

    Georges Humbert s'est éteint doucement le 23 janvier dernier. Cette mort était le dénoûment d'une longue maladie, dont toute la tendresse d'une épouse dévouée n'avait pu réussir à arrêter les progrès.

    Il appartenait à notre Compagnie depuis 1901. Sa vive intelligence, le charme dosa conversation, la droiture de son caractère avaient conquis la sympathie de tous ceux qui l'approchaient.

    Chargé par l'Académie de présenter ses condoléances à cette famille en deuil, qu'il me soit permis d'y joindre l'expression de là douleur personnelle que me fait éprouver la perte d'une vieille amitié.

    Avant de devenir illustre, Humbert avait été mon élève, et j'en étais fier à juste titre. Plus tard, il m'a succédé dans les chaires de l'École polytechnique et du Collège de France. Ses leçons pouvaient servir de modèle. On y retrouve les qualités d'élégance et de clarté qui distinguent tous ses écrits.

    D'autres peuvent se contenter de semer des idées fécondes, laissant à autrui le soin de les faire fructifier. Il était plutôt le moissonneur qui récolte à pleines gerbes, bat et met en grange. La liste des problèmes qu'il a abordés serait bien longue ; il n'en est pourtant aucun dont il n'ait donné la solution complète et définitive.

    Les méthodes de la haute analyse et celles de la géométrie lui étaient également familières ; et, en les mariant habilement, il lui est arrivé plus d'une fois de rendre intuitives par des représentations ingénieuses les propositions les plus ardues de l'arithmétique.

    Ses travaux sur les surfaces algébriques, sur les applications du théorème d'Abel, sur les fonctions continues, resteront des modèles. Mais son oeuvre capitale est l'étude des transformations singulières des fonctions hyperelliptiques et des multiplications complexes auxquelles elles donnent naissance.

    Une maladie grave l'empêchait depuis assez longtemps d'assister aux séances de l'Académie ; mais elle n'avait pas ralenti son labeur scientifique. Il poursuivait avec une sorte de passion des recherches sur les formes quadratiques et m'en a entretenu plusieurs fois. Mais chaque question résolue en suggérant une autre, il est resté longtemps sans rien publier. Quelques Notes sur ce sujet viennent pourtant de paraître dans les Comptes rendus. Mais tout porte à croire qu'il était en possession de beaucoup d'autres résultats aussi intéressants que ceux qu'il a publiés. Il faut espérer qu'on en trouvera la trace dans ses papiers. Il serait trop triste d'avoir à déplorer ici une perte semblable à celle causée par la mort d'Halphen, enlevé comme Humbert en plein travail et dans la maturité de son génie.

    II.- DISCOURS DE M. PAUL PAINLEVÉ,
    Membre de l'Institut.

    MESDAMES, MESSIEURS,

    Celui dont nous déplorons aujourd'hui la mort prématurée est une des plus pures figures de la science française contemporaine. Un philosophe a dit que l'être intime du savant se reflète, pour qui sait voir, en son oeuvre scientifique. Affirmation qu'on a parfois contestée, mais que vérifient d'une manière éclatante les travaux et la vie de Georges Humbert. De même qu'il portait en lui une âme de cristal, son oeuvre a du cristal la transparente lucidité et la netteté impeccable des contours.

    Notre illustre doyen, qui fut son maître, a retracé avec l'autorité qui s'attache à sa science, les grandes lignes de cette oeuvre.

    Comment ne pas admirer avec lui l'élégance, la sobriété, la clarté qui la caractérisent au point d'en faire oublier parfois la profondeur? Georges Humbert a bu élargir et prolonger la route audacieuse et féconde qui relie les théories les plus modernes des fonctions aux propriétés tangibles des courbes et des surfaces ou aux vérités, arithmétiques les plus abstraites. L'ère semblait close de ces découvertes géométriques saisissantes et simples qui, au XIXe siècle, ont ajouté aux gloires de l'antiquité grecque les noms des Poncelet, des Chasles, des Poinsot. Affrontant des problèmes dont la complexité ne semblait comporter que des réponses inachevées et confuses, Georges Humbert a obtenu sur les aires des sphères et des quadriques des énoncés d'une si parfaite beauté qu'ils suffiraient à réaliser sa noble ambition d'inscrire son nom parmi ceux de ces grands géomètres.

    Ce n'est pas seulement par ses découvertes, c'est par son enseignement que son influence lui survivra, car la netteté de sa parole égalait la netteté de sa pensée. Ses cours de l'École polytechnique, de cette École à laquelle il appartenait de toute son âme, sont des modèles où la vigueur, la précision irréprochable des démonstrations et des théorèmes se concilient avec une merveilleuse brièveté. Les vingt générations de polytechniciens qu'il a formés garderont l'empreinte de ses leçons, comme d'autre part la phalange de jeunes savants qu'il rassemblait autour de lui au Collège de France et auxquels il prodiguait si généreusement ses idées, poursuivront par leurs recherches l'application et le développement de ses méthodes.

    Cet enseignement, il y a un mois à peine que, malgré son coeur défaillant, il voulut le poursuivre encore. Et comme les médecins lui objectaient le mortel danger qu'un tel effort lui faisait courir : « Quelle plus belle fin pourrais-je rêver, répondait-il, que de mourir dans ma chaire au Collège de France? » Belle réponse qui caractérise sa vie. Il n'en est aucune qui ait été plus droite, plus unie que la sienne. Depuis son adolescence, si brillamment précoce, jusqu'à son dernier souffle, il l'a consacrée jour après jour au culte de la science, aux devoirs de sa charge, à l'amour attentif et profond des siens. Sous des apparences volontiers ironiques, sous une parole vive, spirituelle et parfois acérée, il dissimulait avec une sorte de pudeur l'âme la plus délicate et la plus sensible à l'amitié. C'est dans la lecture des grands poètes, dans l'audition des grands musiciens qu'il cherchait un délassement à ses travaux ; car aucune des pures manifestations de la beauté humaine ne lui était étrangère, et il sentait profondément cette mystérieuse correspondance qui existe entre les formes lyriques de l'art et les sévères harmonies des mathématiques.

    Hélas ! voici prématurément brisée cette noble existence ; et par une cruauté du destin, le fils si cher sur lequel il s'était penché, solitaire, durant des années, n'a pu, frappé d'un mal brutal, venir lui apporter un suprême adieu. Du moins, son admirable compagne et ses deux filles dont il suivait lui-même l'éducation avec tant d'amour, ont su, par leur vigilante sollicitude, adoucir l'amertume de ses derniers instants.

    Ami si cher, fidèle compagnon de plus de trente années, te voici donc entré avant nous dans le grand repos que ta foi profonde envisageait sans crainte. L'au-delà de la vie t'apparaissait comme une sorte d'harmonieuse clarté où se fondent et se réconcilient toutes les nobles aspirations des hommes. Comme le bon laboureur à la fin de sa journée, tu peux dire : « J'ai bien rempli ma tâche, et je m'endors paisible dans la maison de mon père ». Oui, dors en paix : tu laisses dans le coeur des tiens, dans le coeur de tous ceux qui t'ont connu, de tous ceux qui t'ont aimé, une impérissable image qui les guidera dans l'accomplissement des plus durs devoirs.

    III.- DISCOURS DE M. MAURICE CROISET,
    Membre de l'Institut,
    AU NOM DU COLLEGE DE FRANCE.

    Le savant éminent auquel le Collège de France adresse ici un dernier adieu enseignait parmi nous les mathématiques depuis près de dix-sept ans. La haute valeur de ses leçons, qui s'était affirmée dès le premier jour, se faisait de plus en plus reconnaître et apprécier de tous ceux qui étaient le mieux en état d'en juger. D'autre part, si importantes qu'aient été ses publications, il n'est pas douteux que l'activité féconde de son esprit n'eût encore à se manifester dans des études originales et dans des découvertes nouvelles. Sa mort prématurée inflige au Collège de France et à la Science une perte dont nous sentons toute l'étendue.

    La carrière de Georges Humbert fut rapide et brillante. Reçu à l'École polytechnique en 1877, il en sortait en 1879 avec le titre d'élève-ingénieur des Mines. Déjà son goût pour la recherche mathématique s'était clairement révélé. Aussi cinq ans après, en janvier 1884, était-il appelé en qualité de répétiteur à la même école, tout en continuant à exercer ses fonctions d'ingénieur des Mines. En 1895, il y était nommé professeur et abandonnait alors la carrière active dans laquelle il était d'abord entré. C'est qu'en effet Humbert était mathématicien de vocation. A la suite d'Hermite et de notre cher collègue, M. Jordan qui, je crois, avaient été l'un et l'autre ses maîtres, il se sentait attiré invinciblement vers la science pure, dont l'attrait s'exerce avec tant de puissance sur les intelligences éprises avant tout de vérité. Il ne m'appartient pas de parler ici de ses travaux. D'autres l'ont fait et le feront encore avec une compétence qui me fait défaut. Il me suffit de rappeler que, six ans plus tard, en 1901, sa réputation lui ouvrait les portes de l'Académie des Sciences, où il succédait à Hermite.

    Le Collège de France, à son tour, fut heureux, de l'accueillir en 1904, comme suppléant de M. Jordan. Il exerça cette suppléance pendant huit ans. Lorsque M. Jordan, en 1912, prit sa retraite, ce fut tout naturellement à Humbert qu'échut l'honneur de cette redoutable succession. On savait qu'il serait le digne continuateur du maître illustre qui, soit à l'École polytechnique, soit au Collège de France, avait fait admirer à tant de générations de mathématiciens la force et la clarté de son esprit et qui reste aujourd'hui encore toujours égal à lui-même. Fidèle à l'esprit du Collège, le nouveau professeur eut à coeur d'aborder tour à tour les problèmes nouveaux que la hardiesse de l'investigation mathématique a fait surgir dans ces derniers temps. S'il m'était permis de rappeler simplement ici le programme des cours qu'il a professés de 1912 à 1920, cette sèche énumération nous le ferait voir ardent à reprendre pour son compte les questions les plus neuves et les plus difficiles, à entrer dans les vues les plus subtiles, et toujours réussissant à découvrir des applications imprévues, à faire de nouveaux pas dans ce domaine infini des hautes mathématiques, où l'imagination et l'abstraction semblent s'unir exceptionnellement pour permettre à l'esprit humain des conquêtes sans limites. Il avait d'ailleurs les meilleures qualités d'un maître et il goûta la satisfaction de former des élèves qui lui firent honneur. Mais je dois ajouter que si Humbert était possédé de la passion de la science à laquelle il s'était voué, s'il sentait les joies qu'elle comporte, il n'était pas homme à s'en laisser éblouir. Je garde le souvenir de quelques entretiens où j'ai eu l'occasion de reconnaître en lui cette fermeté de jugement du vrai savant, qui a trop vécu dans la Science pour n'en pas connaître les limites.

    Dans les relations de la vie, Humbert était un excellent collègue, dont nous avons tous apprécié la droiture et la simplicité. Une certaine réserve naturelle ne lui permettait pas d'intervenir fréquemment dans nos délibérations intérieures. Il se renfermait, par un scrupule peut-être exagéré, dans ce qu'il croyait être de sa stricte compétence. Mais, lorsqu'il était amené à se prononcer, comme il eut à le faire récemment à propos de la chaire d'histoire des sciences, son avis était d'autant plus écouté. On était assuré qu'il était fondé sur une saine et loyale appréciation des personnes et des choses.

    Si sa vie a été trop courte pour la réalisation complète de tout ce qu'elle promettait, elle a été du moins féconde et bien remplie. Le Collège de France, qui s'associe à la douleur de sa famille, partagera aussi avec elle la fierté d'un souvenir qu'il entend conserver précieusement.

    IV.- DISCOURS DE M. WALCKENAER,
    Inspecteur Général des mines,
    AU NOM DU CORPS DES MINES.

    Si la parole m'est cédée pour rendre hommage, au nom du Corps des Mines, aux services rendus par Georges Humbert dans sa carrière d'ingénieur, c'est que, étant de peu son ainé, cette parité d'âge m'a valu d'être son camarade de promotion et son ami.

    Excellente et précieuse amitié ! Son origine date de plus loin que notre entrée à l'École polytechnique. Elle remonte à une séance de composition du Concours général entre lycées et collèges, où un voisinage de hasard nous laissa une impression de sympathie qui fut le premier de nos liens. Liens bientôt solidement noués dans la camaraderie de l'école, resserrés au cours des années d'études à l'École des Mines, et si forts, que, dans la suite de nos vies, il n'est ni satisfaction, ni peine, ni deuil de l'un qui n'ait retenti dans le coeur de l'autre, en même temps que dans les coeurs délicats et dévoués d'un petit nombre d'amis de choix communs à nous deux.

    Au sortir de l'École des Mines, en 1882, Georges Humbert fut chargé du sous-arrondissement minéralogique de Vesoul et attaché, en même temps, au contrôle de l'exploitation des chemins de fer de l'Est. Mais ses travaux mathématiques, dont il ne m'appartient pas de parler, ne tardèrent pas à lui faire reprendre le chemin de l'École polytechnique en qualité de répétiteur d'analyse.

    L'Administration des travaux publies, justement soucieuse de ne pas se priver d'un ingénieur qui assurait son service de la manière la plus avisée et la plus utile, le chargea, alors, à la résidence de Paris, d'un arrondissement de contrôle de l'exploitation du réseau du Nord, puis, à partir de juillet 1885, l'attacha en outre au service des carrières de Paris et du département de la Seine. Il collabora activement à ce dernier service pendant dix ans, jusqu'en 1895. C'est à cette époque que, devenu professeur à l'École polytechnique, il fut, mis à ce titre à la disposition du Ministre de la Guerre, et, dorénavant, se consacra surtout au haut enseignement scientifique, où la voix de maîtres éminents vient de rappeler combien il excellait.


    Plaque commémorative située dans les catacombes parisiennes.
    Crédits photographiques : Ecole des mines de Paris et Aymeline Wrona. Photo réalisée sur une idée de Gilles Thomas.
    Voir aussi : Les murs de l'histoire / L'histoire des murs, par Gilles Thomas

    Il continua néanmoins, pendant quelques années, à donner ses soins à l'art de l'ingénieur, dans une des branches de son enseignement. Il fut professeur du cours de construction à l'École nationale supérieure des Mines. Il avait un sentiment si juste et si consciencieux des méthodes et des limites de chaque domaine intellectuel, que, avant d'entreprendre de donner des leçons sur cette science appliquée, il avait tenu à en contrôler lui-même les bases expérimentales, en suivant longuement dans un atelier de construction, l'application des formules de la résistance des matériaux et les résultats de cette application.

    C'était en effet l'un des traits les plus remarquables de sa haute intelligence, que la compréhension parfaite de tous les points de vue, et une souplesse d'esprit qui lui permettait de ne se laisser jamais absorber et confiner dans un seul ordre de connaissances. Sa pensée était toujours alerte. On a dit mieux que je ne saurais le faire ce qu'était la valeur de ses spéculations analytiques, et comme il savait unir à la rigueur du raisonnement le génie des solutions élégantes et une merveilleuse clarté. Ce que je puis ajouter, c'est combien générale était sa culture intellectuelle, combien vif et original le tour de son imagination, combien variés ses goûts ; littérature, poésie, musique, avec quelle richesse d'enthousiasme il goûtait toutes les belles choses !

    En même temps que de son esprit, parlerai-je de son coeur? Ici je m'arrête, de crainte de toucher d'une main indiscrète aux douleurs qui donnent à ces funérailles un cortège de larmes et un douloureux écho lointain.

    Cher Georges Humbert! ta famille, tes amis, tes élèves et parmi eux les quelques disciples choisis que tu aimais tant à former, ne répondraient pas à ton exemple et à ton désir, s'ils te pleuraient comme ceux qui n'ont pas d'espérance ; mais ils souffriront de ne plus voir et sentir parmi eux ici-bas la lumière de ton intelligence et le rayonnement de ton affection.

    V.- DISCOURS DE M. CARVALLO.
    Directeur des Études de l'École polytechnique,
    AU NOM DU CORPS ENSEIGNANT DE L'ÉCOLE.

    C'est au camarade devenu mon collègue et mon ami que je viens rendre un dernier hommage au nom du personnel enseignant de l'École polytechnique.

    Humbert a donné sa vie à la science et à l'enseignement, à l'École polytechnique, à l'École des Mines, au Collège de France, à l'Institut. Mais c'est surtout à l'École polytechnique qu'il a manifesté les divers aspects de sa personnalité : l'élève, le savant, l'examinateur, le professeur, l'homme.

    Tout de suite, comme élève en 1877, s'il s'est révélé géomètre, montrant une préférence marquée pour la rigueur idéale des mathématiques, éprouvant un malaise des images infidèles, contradictoires même qu'on rencontre trop souvent dans l'exposé des sciences physiques. Il était plus attiré par le domaine de la pensée abstraite que par la compréhension du monde matériel ; par la découverte des vérités mathématiques qui sortent définitives du cerveau créateur que par la recherche des vérités naturelles qui ont leur base dans l'expérience toujours incomplète et révisable.

    Son intelligence vive et claire donnait à toute chose des contours précis ; non qu'il fût incapable de philosophie, mais celle-ci se dégageait pour lui, par généralisations successives, de conceptions rigoureusement définies. Ces qualités caractérisent son oeuvre entière. Elles font l'élégance de ses découvertes; celles-ci, par un privilège assez rare chez les géomètres de notre temps, sont souvent compréhensibles même pour ceux qui en ignorent la théorie.

    Mais c'est surtout dans ses fonctions d'enseignement que les qualités d'Humbert apparaissent dans tout leur éclat. Comme examinateur, nul n'a porté un jugement plus rapide et plus sûr, car il avait véritablement un coup d'oeil d'aigle. Dans une copie d'élève, il débrouillait vite, au milieu d'une rédaction désordonnée, imprécise, obscure, ce qu'il y avait de juste, d'insuffisant, d'erroné.

    Ses examens oraux étaient conduits par la méthode qui sert à préciser la valeur d'un nombre au moyen d'approximations successives. La première question situait l'élève dans l'échelle des valeurs intellectuelles ; puis la note se précisait dans tout le cours de l'interrogation, ne baissant que si, par hasard, Humbert reconnaissait s'être trompé, montant à mesure que s'élevait le niveau de l'examen. Il n'aurait pas compris qu'on adoptât brutalement la moyenne des notes relatives à plusieurs questions.

    Les mêmes qualités d'esprit : méthode, précision, intelligence claire et rapide dominaient aussi son enseignement. Avec une intuition très sûre de la limite entre ce qui peut être aisément compris et ce qui devient obscur ou trop compliqué, il excellait à isoler les difficultés, suivant la méthode cartésienne, dans un cadre simple et précis. Quand une vérité devenait obscure par sa généralité trop vaste, il ne manquait pas de l'éclairer par un exemple simple.

    C'est ainsi qu'Humbert est parvenu à extraire des théories ardues de l'analyse un cours relativement facile qui était compris et convenablement su par tous les élèves. Ce cours, il l'exposait avec une sûreté exceptionnelle ; jamais une erreur, un lapsus, une hésitation. Par cette sûreté, il entraînait ses auditeurs en leur évitant la fatigue et le découragement qui en résulte.

    Il y ajoutait un talent, une fougue telle qu'il donnait l'impression d'un acteur qui brûle les planches; et l'on arrivait à la fin de sa leçon, surpris qu'elle fût déjà terminée. En outre de l'attrait qui s'attachait à la vivacité de sa nature, il captivait davantage son auditoire par l'habileté qu'il mettait à laisser au cours écrit la lourdeur des développements nécessaires et à mettre en lumière, au contraire, dans son enseignement oral, les idées vraiment fortes des découvertes mathématiques.

    Messieurs, des résultats aussi merveilleux, ne s'obtiennent pas dans l'enseignement par la seule vivacité de l'intelligence ; il y faut encore la droiture d'une conscience intransigeante dans l'accomplissement du devoir professionnel. La conscience d'Humbert était, comme son esprit, simple, claire, précise; on serait tenté de dire qu'il avait une conscience géométrique, si l'on ne craignait par là d'en écarter le sentiment moral. Aucune circonstance n'aurait pu atténuer à ses yeux la faute de n'avoir pas donné à la préparation de chacune de ses leçons tout l'effort qui devait la rendre parfaite.

    La même conscience, avec les mêmes caractères, dominait sa vie. Pendant vingt-cinq ans il l'a montré dans les Conseils de l'Ecole polytechnique. Ses avis étaient toujours guidés par le seul souci de la justice et de la prospérité de l'École. Ce souci se manifestait surtout dans la question délicate du choix du personnel enseignant. Pour le bien de l'École qui est le bien du pays et celui de la science, il estimait avec raison que les suffrages doivent toujours aller à l'homme le plus éminent. Quelles que fussent ses préférences, ses sympathies, il ne se laissait jamais entraîner par d'autres considérations que ce devoir impérieux de choisir le meilleur candidat.

    Quel plus bel éloge puis-je faire du professeur Humbert que de le proposer en exemple à tous ceux qui travaillent avec nous à la prospérité de l'École pour le bien de la France ? Je ne peux en tous cas rendre un plus pieux hommage à sa mémoire que de faire de sa vie le programme de nos efforts ; et je pense que c'est la consolation la plus douce que je puisse offrir au coeur de sa veuve et de ses enfants cruellement éprouvés.

    Mon cher camarade, en suivant ton exemple, nous te prouverons la fidélité de notre souvenir. Adieu.


    Voir les biographies en anglais de Marie Georges HUMBERT et de son fils Pierre Marie HUMBERT.

    Carricature de Marie Georges Humbert
    par un élève
    de l'Ecole des mines


    Publié dans X-Information, 1921 :

    Georges Lemoine (X 1858), président de l'Académie des Sciences, a lu le 24 janvier 1921 à l'Académie des Sciences la notice qui suit sur notre très regretté camarade Humbert :

    Depuis longtemps nous ne voyions que rarement M. Georges Humbert à nos séances. Son état de santé l'avait obligé à vivre une grande partie de l'année à la campagne. Depuis deux mois environ sa maladie s'étant aggravée, il s'était réinstallé à Paris. Il y est mort avant-hier, 22 janvier 1921, soutenu dans de très pénibles souffrances par sa foi chrétienne dans une vie meilleure.

    M. Humbert était né à Paris le 7 janvier 1859. Il était entré le premier à l'Ecole Polytechnique en 1877 et en était sorti dans le corps des Mines. Il avait passé une thèse de Docteur es sciences. en 1885. Professeur à l'Ecole des Mines, il était devenu ingénieur en chef, puis inspecteur général. En même temps il était entré dans le corps enseignant de l'Ecole Polytechnique, sur la présentation des Conseils : répétiteur en 1884, il était devenu professeur d'analyse en 1885. Très aimé de ses élèves, il leur faisait comprendre les questions les plus difficiles ; ses leçons étaient des modèles de clarté : il les a réunies dans un livre très apprécié.

    M. Humbert était également professeur au Collège de France depuis 1912, époque de la retraite de M. Camille Jordan qu'il avait suppléé pendant plusieurs années.

    Porté de très bonne heure sur les listes de présentation de la Section de Géométrie, il avait été élu membre de l'Académie des Sciences le 18 mars 1901.

    L'œuvre mathématique de M. Humbert est très considérable et très originale. J'éprouve, je l'avoue, beaucoup d'embarras à essayer d'en rendre compte : on sait qu'aujourd'hui les mathématiques ont atteint une élévation extraordinaire au-dessus des enseignements classiques de nos grandes écoles ou de la licence ès-sciences, élévation presque impossible à atteindre, même pour ceux qui n'ont pas perdu contact avec ces disciplines de spéculation pure d'un si vif intérêt pour la jeunesse. Le témoignage de nos confrères les plus compétents peut cependant en donner une idée générale.

    Les Mémoires de M. Humbert se rattachent à la fois à l'analyse et à la géométrie et traitent principalement de la théorie des courbes et des surfaces algébriques. L'un de ses premiers travaux a consisté à exprimer sous une forme précise et explicite les conditions pour qu'une intégrale abélienne ait une valeur algébrique. Vinrent ensuite des compléments importants et féconds à la théorie des surfaces cyclides. Mais c'est surtout sur le théorème d'Abel que se sont dirigées les recherches de notre confrère. Certains systèmes de différentielles algébriques ont une somme rationnelle. Il fallait déterminer la valeur effective de cette somme. M. Hubert a trouvé une transformation qui y conduit facilement. De nombreuses conséquences en sont résultées.

    On remarque encore une longue série de recherches sur l'application des transcendantes à la géométrie. Les monographies qui se rattachent à ces questions sont, dit-on, des modèles d'élégance et de clarté. En 1802, le prix Bordin avait été décerné à M. Humbert pour les applications de la théorie générale des fonctions abéliennes à la géométrie. L'auteur compléta par deux mémoires d'une très grande valeur celui qui avait été couronné.

    Le travail le plus remarquable peut-être de M. Humbert est relatif aux transformations singulières des intégrales hyperelliptiques et aux multiplications complexes qui en résultent. M. Hermite dans un mémoire célèbre, avait indiqué toutes les transformations possibles des intégrales hyperelliptiguei lorsque les périodes restent arbitraires ; mais si elles sont reliées par certaines relations spéciales, de nouvelles transformations peuvent être réalisées ; c'est ce qu'a montré M. Humbert. L'importance de toutes ces publications est établie par l'impulsion qu'en a reçue l'arithmétique supérieure.

    Depuis son élection à l'Académie, M. Humbert, toujours dominé par l'attrait de la recherche mathématique, n'a pas cessé sa production scientifique : il s'est occupé surtout des formes quadratiques et des développements en fractions continues.

    Cette poursuite constante de la vérité abstraite était jointe chez M. Humbert à une grande élévation d'idées sur les problèmes de la vie. Elles l'ont soutenu au milieu des viscicitudes de l'existence aussi bien que les affections dont il était entouré. D'un caractère charmant il n'avait que des amis dans tous les milieux auxquels il se trouvait mêlé. Pour ma part j'éprouve un grand chagrin de voir disparaître l'un des plus amiables représentants de la génération qui me suit, l'un de nos plus éminents élèves de l'Ecole Polytechnique, sous tous les rapports un modèle pour les jeunes qui viennent après nous....

    Georges Lemoine,
    Président de l'Académie des Sciences.



    Pierre Marie Humbert, fils de Marie Georges Humbert, élève de Polytechnique
    (C) Collections Ecole polytechnique