Henri LAFOND (1894-1963)

Né à Thaumiers (Cher), le 20 août 1894 et décédé à Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine), le 6 mars 1963. Fils d'un receveur buraliste, lui-même fils de cantonnier. Marié à Mlle THIVET.
Enfants : Hélène (épouse du docteur Georges PESLE, décédée), Jacqueline (épouse d'un chirurgien des hôpitaux de Paris, Jean NATALI) .

Ancien élève de l'Ecole polytechnique (promotion 1914 A, sorti classé 2), et de l'Ecole des Mines de Paris (promotion 1919). Corps des mines.


Après des études à l'école communale de Thaumiers, puis au lycée de Bourges , il sort major de la promotion 1914 de Polytechnique, puis second de la promotion des mines.

Il quitte l'administration pour la banque dès 1929. Attaché à la Banque Mirabaud, il dirige l'Association minière en 1930, devient administrateur de la Compagnie des mines du Huaron et administrateur-délégué des Mines d'or du Litcho en 1935, administrateur de la Compagnie marocaine à partir de 1939.

De juillet 1940 à novembre 1942, il est secrétaire général à l'énergie à Vichy. Il organise alors le départ d'un certain nombre de fonctionnaires juifs vers le sud de la France, afin d'échapper aux rafles allemandes, parmi lesquels Armand MAYER.

Il quitte Vichy après l'invasion de la zone Sud par l'armée allemande. A partir de 1943, il préside les Mines du Huaron et entre au conseil des Tréfileries et Laminoirs du Havre.

Après la Libération, en décembre 1945, il apporte son concours à Pierre Ricard et à Henri Davezac pour la constitution d'un organisme rassemblant l'ensemble du patronat français. Ce sera le Conseil national du patronat français, le CNPF, dont le premier président sera Georges Villiers. Président-directeur général de la Société du Djebel-Djérissa de 1945 à 1962, il est également administrateur de la Banque de l'Union parisienne, de la Société des phosphates de Gafsa, de la Société de l'Ouenza, de la Société française des pétroles, de la Société commerciale d'affrètements et de combustibles, des Chantiers et Ateliers de Saint-Nazaire à partir de 1947, de la Compagnie Pechiney à partir de 1948, d'Électricité de France à partir de 1949. Il entre au bureau du CNPF, siège au Comité Franc-Dollar, au conseil de perfectionnement de l'École polytechnique et au comité des Mines du Commissariat à l'énergie atomique.

De 1947 à 1954, il est désigné par le CNPF membre du Conseil économique et social, inscrit au groupe des entreprises privées où il représente la grosse industrie. Il préside la Banque de l'Union parisienne à partir de 1951 et est nommé président d'honneur de l'Association minière à partir de 1954. En 1962, il entre au conseil de Tréfimétaux (réunion des Tréfileries et Laminoirs du Havre et de la Compagnie française des métaux).

Le 6 mars 1963, sortant de son domicile à Neuilly, il est tué de plusieurs balles de revolver. L'assassin, un tueur de l'OAS, prend la fuite et ne sera jamais retrouvé.

Il était commandeur de la Légion d'honneur et croix de guerre 14-18.


Extrait d'un récit de Raymond FISCHESSER :

Après la débâcle de 1940, le Gouvernement LAVAL se met en place. Le Ministère de l'Industrie, nouvellement créé, s'établit rue de Grenelle. Il a à sa tête Jean BICHELONNE, et comporte deux secrétariats généraux : d'une part, l'Energie avec Henri LAFOND, couvrant 4 Directions : Mines avec FANTON d'ANDON (ex Directeur Général des M.D.P.A. en chômage forcé), Sidérurgie avec R. BABOIN (1901-1982 ; X 1921), Gaz-Electricité avec R. GASPARD (1902-1982 ; X 1920 N, corps des ponts et chaussées) et Carburants avec FRESNAY du COUTARD (1896-1981 ; X 1914) - d'autre part, la Production Industrielle avec H. NORGUET (1888-1968 ; X 1908, Ingénieur Général du Génie Maritime).

H. LAFOND est une personnalité assez exceptionnelle. Ingénieur des Mines, il a fait carrière dans la Banque (dans le groupe MIRABEAU). Il deviendra par la suite Président de l'Union Parisienne. Viscéralement secret sous des dehors paisibles et infiniment courtois, il est d'une lucidité hors du commun et d'une capacité stratégique sortant de l'ordinaire. Ses combinaisons commencent là où celles des autres s'arrêtent.

R. NORGUET a été l'artisan, dans les années 30, de la mise sur pied de la flotte de guerre française - celle qui doit, dramatiquement, se saborder à Toulon en 43.

Parallèlement R. GIBRAT, Ingénieur des Mines, est Ministre des Travaux Publics.

L'atmosphère ne tarde pas à s'aigrir entre J. BICHELONNE, solidaire du Gouvernement, et ses secrétaires généraux, qui entendent bien entraver, tant que faire se peut, la contribution de l'industrie française à l'économie de guerre allemande.

H. LAFOND est finalement révoqué en novembre 42. Son adjoint direct passe en zone libre. Il m'échoit de le remplacer. A la même date, GIBRAT démissionne, non sans éclat. NORGUET assume alors la charge des deux secrétariats généraux. Il poursuit, bien entendu, avec l'appui inconditionnel de ceux qui sont sous ses ordres, la même politique. Le 10 août 43, il est arrêté par la Gestapo avec FRESNAIS de COUTARD et plusieurs de leurs collaborateurs, dont ANGOT et MENY, Ingénieurs des Mines. Ils sont immédiatement déportés. Suit une année d'humoristique ambiguïté, non dénuée de suspense, pour les gens restés en place. LAFOND, retourné à sa banque, les réunit régulièrement - bien sûr dans une clandestinité relative - pour faire avec eux le point de la situation et suggérer quelques directives. Tout se passe moins mal qu'il n'était prévisible. Et c'est en août 44 la Libération. BICHELONNE décède en Allemagne. ANGOT et MENY sont morts.

Le Pays est à reconstruire, la pénurie impose une répartition généralisée, les nationalisations bouleversent le paysage économique, la brutale ouverture sur l'extérieur apporte le flot des révolutions techniques engendrées par la guerre, l'atome et le pétrole sont à la une, le charbon restant provisoirement fondamental, l'informatique se pointe, le C.E.A. et de puissants outils métallurgiques et pétroliers sont créés, la C.E.C.A. et le Plan MARSHALL mettent l'européen et l'international à l'ordre du jour, le social et l'économique passent au premier plan ... De beaux jours, rappelant l'an 11 de la République, s'ouvrent. Les participants de la petite histoire que je viens de relater regagnent qui l'industrie privée ou nationalisée, qui la haute administration. Ils sont rejoints par une figure de choc, arrivée en battle-dress avec l'armée LECLERC. Les évènements vécus en commun, pour banals qu'ils paraissent aujourd'hui, ont créé entre eux des liens d'amitié qui dépassent largement le cadre des pures sympathies professionnelles.

Henri LAFOND juge que ce serait péché que de laisser se disperser un tel capital. Il prend le parti de continuer à réunir régulièrement ses collaborateurs et adjoints des temps difficiles. Ainsi se constitue le "Groupe LAFOND" dont les déjeuners mensuels vont se poursuivre pendant quelque 20 ans avec une régularité et une assiduité dont il n'y avait eu jusqu'alors guère d'exemple.

Le benjamin du groupe (Raymond Fischesser), quelque peu frippé par son passage à la Centrale, est inapte à la vie industrielle, faute de posséder les qualités majeures requises pour ce genre d'activité. Il est, d'ailleurs, peu enthousiaste à l'idée de sacrifier sa vie personnelle au culte exclusif des 4 lettres d'une Raison Sociale. Avant de regagner ses chères Potasses d'Alsace, FANTON d'ANDON a la bonté de l'entretenir : une vacance va se dégager à l'Ecole des Mines de Paris.

10 Ingénieurs des Mines, 2 Ingénieurs des Fonts et Chaussées, 1 Ingénieur du Génie Maritime et 1 Inspecteur des Finance, le Groupe LAFOND, couvre, si je puis dire malgré lui, un très large domaine. Ses membres ont des positions dominantes dans l'atome, le pétrole, l'électro-métallurgie, l'électricité et la chimie lourde, importante dans la mine et la sidérurgie. NORGUET lui ouvre les industries mécaniques et LAFOND le secteur bancaire. LAFOND est, par ailleurs, l'oracle du parti radical et la pythie du Patronat Français. Il a du crédit chez de GAULLE. Un participant [ GUILLAUMAT ] a, lui aussi, ses petites et grandes entrées chez le Général - (il lui faudra devenir provisoirement, en dépit de sa répugnance pour la vie politique, l'un de ses Ministres). Un troisième est le conseiller écouté d'une éminence du parti socialiste. On a accessoirement quelques ouvertures sur la rue de Rivoli.

Ce n'est, bien sûr, qu'un groupe amical. Il n'a aucun objectif, et partie de ses membres se défendraient, s'ils étaient questionnés, qu'il puisse en avoir un. Pour preuve : il ne procédera jamais, pour son complètement à l'occasion des décès, à une quelconque cooptation externe, et s'éteindra comme il est né.

Il n'en reste pas moins que l'actualité - y est régulièrement évoquée - (cela va du commentaire du Canard Enchaîné aux problèmes nationaux en passant par les affaires dont ont à connaître les uns et les autres). Les affaires du Corps des mines entre autres. Peu de problèmes le concernent, qui ne donnent lieu à des échanges de vues, éventuellement suivis de pseudo-arbitrages dont son poids, à l'extérieur, fait des oukases, même s'ils ne sont que sous-entendus. Les "pantoufles" importantes, voire quelques va et vient dans les sphères administratives passent inévitablement, directement ou indirectement, par lui. LAFOND, lui-même, est toujours accessible avec son habituelle courtoisie et dans les plus brefs délais.

En fait, le groupe LAFOND, domine, pendant les 3 lustres et demi de sa pleine activité, la politique d'ensemble, sinon de détail, du Corps des mines. Et tout cela s'inscrit dans le dynamisme des 30 glorieuses.

1962 : H. LAFOND est assassiné. Le groupe essaie quelque tempe de se survivre, mais, le Pape disparu, le coeur n'y est plus. Un à un ses membres s'effacent, appelés par les Autorités supérieures à de tout autres activités. Les 30 glorieuses s'acheminent doucement vers leur déclin.


Un autre éclairage est apporté dans le livre La Banque de l'Union parisienne (1874/1904 - 1974) de Hubert Bonin, Editions PLAGE, Paris, 2001. Nous donnons ci-après quelques extraits de cet ouvrage, notamment du chapitre 14 :

Quelques événements décisifs touchent à l'état-major de la B.U.P. Son Conseil accueille en février 1943 une personnalité destinée à un brillant avenir en son sein, Henri Lafond: ce haut fonctionnaire, ingénieur en chef au corps des Mines, quitte l'administration vichyste - où il était comme Bichelonne secrétaire général du ministère de la Production industrielle, auprès de Pucheu, Lehideux et Barnaud, l'une des figures les plus marquantes des « technocrates de Vichy » ; tandis que Bichelonne s'occupait de l'industrie, Lafond avait la responsabilité de l'énergie. Alors que Bichelonne entre au gouvernement dès avril 1942 (et jusqu'à la fin de l'État vichyste), Lafond préfère rejoindre le monde des affaires; on pense que c'est certainement parce que, avec lucidité, il se refuse à accompagner plus avant le cheminement des autorités économiques vers plus d'intégration dans l'Europe allemande en guerre; il quitte l'Administration dès janvier 1943, car, déclare un témoin, il ne souhaite pas devenir « complice d'une orientation gouvernementale qui lui déplaisait de plus en plus ». Il est promu P.-D.G. de l'Association minière, qui fédère des cercles industriels et financiers et, surtout, il commence à devenir l'intime du groupe Mirabaud, partenaire de longue date de la B.U.P. Cette personnalité brillante accède au comité d'études (le comité de direction) en janvier 1944 et partage ainsi désormais le pouvoir de réflexion stratégique de la maison.

Devenu PDG de la B.U.P. en 1951, Lafond organise en 1953, dans le plus grand secret, la fusion de la B.U.P. avec la banque Mirabaud qu'il connaissait bien pour en avoir été le conseil avant guerre.

L'analyse du portefeuille-titres apporté par Mirabaud est faussée par l'existence de plusieurs sociétés de portefeuille, dont il faudrait connaître les placements. La seule Société française d'études & d'entreprises pèse 255,8 millions (soit 30.1 %)... Le secteur minier domine, avec 21,7 % du total:


Il est suivi par le secteur pétrolier (15,9 %), fort de quelques lignes privilégiées, mais variées :
...

On voit le poids du secteur minier et pétrolier, que Henri Lafond connaissait bien l'ayant abondamment fréquenté précédemment.

L'ouvrage aborde un peu plus loin le lourd chapitre de l'assassinat de Henri Lafond et des conséquences capitalistiques :

Chapitre 14
LES RÉVOLUTIONS VÉCUES PAR LA BANQUE DE L'UNION PARISIENNE (1953-1973)

LE PARADOXE de l'histoire de la B.U.P. dans les années 1953-1973 réside dans le contraste entre une perpétuelle remise en cause de son assise capitalistique, de ses structures, de ses actifs, de ses métiers même, et un aboutissement somme toute satisfaisant, puisque la B.U.P. devient une banque de dépôts moyenne grande et surtout une banque d'entreprise d'envergure - à la veille de sa fusion avec le Crédit du Nord. Les rebondissements, voire les drames, de cette histoire n'enrayent donc pas l'expansion d'une maison qui change cependant complètement de nature entre les années 1920-1950 et les années 1960-1970.

...

Le capital de la B.U.P. était devenu plutôt dispersé, sans plus de bloc dominant; l'influence de la S.G.B., celle des maisons de Haute Banque, s'étaient peu à peu dissoutes, et seule celle des Mirabaud a été ragaillardie par l'intégration de leur maison au sein de la banque d'affaires. La B.U.P. rayonne sur la place, au même titre que Paribas, que la Banque de l'Indochine ou que l'Union européenne (incluse dans le groupe Schneider), dans ce cercle des banques d'affaires diversifiées dans le métier de banque d'entreprise généraliste.

...

La B.U.P. déstabilisée par l'assassinat du président Lafond (1963) ?

Son président depuis 1951, Henri Lafond, administrateur depuis 1943 et vice-président depuis 1948, cristallise sur sa personnalité toute la puissance et la légitimité de la B.U.P. : son influence et sa « position » au sein du monde des affaires, ses contacts multiples et efficaces au sein du monde de la haute administration - notamment par le biais des grands corps d'ingénieurs: « c'était le pape du corps des Mines» [Jean Lamson, 1997]. « Lafond était le "prince" de Polytechnique de l'époque; le mercredi, il y avait déjeuner avec des "AX" à la B.U.P., comme Armand, Guillaumat » et avec certaines grandes entreprises publiques - il est administrateur d'EDF -, ses liens privilégiés avec les groupes informels placés dans la mouvance de la Haute Société protestante (les Nervo et Lemaignen, les cercles proches des Mirabaud, etc.), constituent un capital immatériel substantiel. À travers lui et grâce à lui, la B.U.P. est à même de renouer avec un renom, un crédit, une envergure sur la place qui étaient les siens dans les années 1920 surtout. « Il avait une situation morale considérable dans le monde de l'industrie française. Il avait une puissance d'analyse considérable, il conseillait de nombreux industriels, il était un peu l'inspirateur de Georges Villiers », le patron du C.N.P.F. « Il avait ses entrées à l'Elysée chez de Gaulle. »

Or, le matin du 6 mars 1963, Lafond est assassiné dans des conditions mystérieuses, alors qu'il quitte son domicile de Neuilly [102 avenue du Roule à Neuilly, 10 h 30, alors qu'il venait de s'asseoir dans sa voiture de fonciton] pour se rendre à son bureau de la B.U.P. On attribue généralement ce meurtre à des hommes de main de l'O.A.S., l'Organisation de l'armée secrète, groupe de terroristes que des partisans du maintien de l'Algérie française utilisaient contre le pouvoir gaulliste. Ont-ils voulu punir un homme symbolisant les firmes capitalistes actives en Afrique du Nord mais jugées peut-être trop tièdes dans la défense de l'Algérie française — juste deux jours après la condamnation à mort des conjurés de l'attentat du Petit-Clamart contre de Gaulle? En effet, Bastien-Thiry [Jean-Marie Bastien-Thiry, 1927-1963, X 1947, ingénieur en chef militaire violemment hostile à de Gaulle] est condamné le 6 mars et exécuté le 11 mars. Lafond avait, il est vrai, plaidé pour le refus de se soumettre au paiement des « taxes » imposées aux entreprises actives en Afrique du Nord par l'O.A.S. Se sont-ils trompés de cible en visant un homonyme? En effet, Lafon, rédacteur en chef de L'Echo d'Oran, journal prônant la réconciliation entre nationalistes algériens et Français, habitait lui aussi à Neuilly et roulait lui aussi en Rover noire... Une troisième hypothèse évoque le poids de Lafond parmi les anciens polytechniciens: on lui aurait demandé d'intervenir auprès de De Gaulle pour plaider la grâce de Bastien-Thiry, le chef du commando de l'attentat du Petit-Clamart, un polytechnicien ; mais il aurait refusé, ce qui en aurait fait la cible d'un groupe désireux de venger l'exécution de Bastien-Thiry. En tout cas, il semble bien que Lafond ait bénéficié d'un accès relativement aisé auprès de De Gaulle et qu'il l'aurait rencontré à cette époque ; mais tout laisse à penser, aux yeux des témoins interrogés par nous-même, que Lafond aurait refusé d'intercéder en faveur de l'officier félon, soit par conviction, soit par méconnaissance réelle du contenu du dossier. À propos des liens éventuels entre Lafond et de Gaulle, E. Lamy note incidemment que la police s'est empressée, une heure après l'assassinat, de fouiller le bureau de Lafond à la B.U.P. et d'en enlever tous les papiers personnels, comme pour gommer tout lien apparent entre le général et le banquier au cas où celui-ci aurait gardé des notes évoquant de telles relations.

A sa mort, Henri Lafond possédait 0,26 % du capital de la B.U.P.

Au-delà du drame familial et humain, son décès déstabilise la B.U.P. Certes, son successeur, Emmanuel Lamy, est un gestionnaire de haut rang, un grand administrateur public, qui a dirigé les finances du Protectorat marocain, avant de rejoindre la B.U.P. comme directeur général adjoint dès son entrée en 1955, à 39 ans, puisque Lafond, né en 1894, souhaitait sinon préparer sa succession du moins se doter d'un adjoint de toute confiance pour l'exercice quotidien de la gestion dès lors que son adjoint Letondot se rapprochait, tout comme lui, de ses 70 ans. « Lafond, que je ne connaissais pas, sinon par réputation, avait pris contact avec moi lors d'un séjour qu'il effectuait au Maroc au printemps 1954 et m'avait proposé de le rejoindre à la B.U.P. Je lui avais répondu que je n'avais nulle intention de quitter le service public auquel j'étais très attaché et qui m'avait offert des responsabilités importantes tant aux Etats-Unis pour la mise en œuvre du Plan Marshall qu'au Maroc dont je dirigeais les Finances. Sur sa demande, je lui ai rendu visite à l'occasion d'un voyage que j'ai fait à Paris pour des discussions avec le ministère des Finances. Lafond, dont j'admirais la grande intelligence et la courtoisie, a renouvelé et précisé sa proposition. J'étais partagé entre mon attachement à la Fonction publique et la séduction qu'exerçait une personnalité exceptionnelle auprès de laquelle il devrait être très intéressant et enrichissant de travailler. J'ai demandé un temps de réflexion et le délai nécessaire pour que s'achève la préparation et la présentation du Budget 1955 du Maroc. Lafond s'est montré d'une patience dont, encore aujourd'hui, je suis étonné et je lui ai donné finalement mon accord début décembre 1954 pour mon entrée à la B.U.P. en février-mars 1955.»

Toutefois, tous les observateurs - et finalement l'intéressé lui-même aussi - notent que l'aura de la B.U.P. n'est plus la même. Au grand homme d'affaires qu'était devenu Lafond après ses années dans la haute administration et ses semestres au sein de l'État de Vichy, à un grand banquier financier dans la lignée d'un Villars ou d'un Sergent, à un stratège de l'industrie et de la finance, succède un manageur de grand talent, excellent organisateur et animateur d'une équipe gestionnaire, mais dénué de ce charisme et de cette ardeur volontariste qui transforme un gestionnaire en homme d'influence sur une place d'affaires ...

Enfin, la B.U.P. subit dès le décès de Lafond, une offensive capitalistique du baron Empain qui avait accumulé secrètement 7 % du capital.

Pourtant, E. Lamy ne pense pas que cette idée ait été réellement entretenue par Lafond, plutôt réticent devant les initiatives d'Empain: « Lafond, informé au début de 1963 d'achats en Bourse qu'on supposait émaner du baron Empain, avait convoqué ce dernier pour lui dire qu'il verrait très défavorablement ces achats se poursuivre au-delà de 5 % du capital de la B.U.P. Après son entretien, le président m'avait fait part de l'engagement pris par son interlocuteur de respecter cette limite. Je m'étais montré un peu dubitatif sur la valeur d'un tel engagement pris par un homme peu ouvert et assez secret. La suite a montré que mes appréhensions étaient justifiées. Mais Lafond avait voulu croire à la parole d'Empain, administrateur de la B.U.P. Un an plus tard, en effet, en mai 1964, lorsque j'ai appris que le ramassage des actions avait repris et s'amplifiait, j'ai rappelé à Empain son engagement. Il ne l'a pas nié ouvertement, mais a fait une réponse gênée et peu claire, sans me dévoiler ses véritables intentions. » "

Là s'arrête le règne de Lafond sur la B.U.P. --

Mis sur le web par R. Mahl