Etienne Régis AUDIBERT (1888-1954)

Né le 14 mai 1888 à Marseille. Décédé le 6 juin 1954 à Paris 16e, 21 rue Boissière.
Fils de Joseph Auguste AUDIBERT, employé de commerce et industriel, et de Mme née Marie-Jeanne VERNIS (domiciliés 12 rue de Noailles à Marseille). Marié à Julienne ALLAMEL. Père de Jean Georges AUDIBERT (1921-1989) et de Pierre AUDIBERT, sorti de St-Cyr et Résistant, lieutenant mort pour la France dans une embuscade en Indochine le 18 janvier 1947.

Ancien élève de l'Ecole Polytechnique (promotion 1907, entré classé 6 et sorti en 1910 major sur 167 élèves) et de l'Ecole des Mines de Paris (sorti en janvier 1914 classé 8 sur 9 élèves). Corps des mines.


Sa vie et ses travaux, par L. BLUM-PICARD, Vice-président du Conseil général des Mines, et R. LOISON, Ingénieur en chef au CERCHAR

Publié dans Annales des Mines, novembre 1955 :

Le 7 juin 1954 s'éteignait Etienne AUDIBERT. Cet exposé de sa vie et de ses travaux a été établi grâce à l'amical apport de ses collaborateurs : MM. CADEL, GASPARD, BASEILHAC, CHÉRADAME, RAINEAU.

GRAND et de belles proportions, la figure aux traits fins et burinés, les yeux clairs et rieurs, une abondante chevelure prématurément blanche, une attitude jeune et animée, une voix harmonieuse, tel apparaissait, plein de charme, Etienne Audibert au visiteur ébloui par l'étonnante vitalité de l'homme.

Une charmante vieille maison dans une de ces calmes rues de Senlis, au pays d'Ile-de-France, un salon orné de délicats meubles Louis XV, formaient le cadre où cet homme exceptionnel vivait près de sa femme et ses deux fils pleins d'ardeur, au retour de ses longues heures passées aux laboratoires chimiques et mécaniques de Villers-Saint-Paul. Vie d'un savant, d'un lettré, d'un chercheur passionné, d'un théoricien éblouissant, toute de sagesse et de grâce pendant cette période d'entre les deux guerres mondiales, dans un havre de paix.

Etienne Audibert est né à Marseille en 1888, dans âne famille bourgeoise de commerçants aisés. Il montre dès son enfance des qualités très vives d'intelligence. Poussé tout naturellement par l'organisation même de notre enseignement vers les grandes écoles, Normale et Polytechnique, il choisit cette dernière et y entre à l'âge de 19 ans. Il en sort major et selon la tradition séculaire devient Ingénieur au Corps des Mines.

Par les aspects si variés de son activité, il vient se joindre à la cohorte des grands savants, théoriciens et expérimentateurs, des commis passionnés de l'Etat, des administrateurs hors ligne, des Le Chatelier, des Jouguet, des Taffanel, des Arthur Fontaine, pour ne citer ue quelques noms parmi tant d'autres.

A sa sortie de l'École des Mines, il est nommé Ingégieur ordinaire à Alès, et montre, dès le début de son activité, un esprit curieux, incisif, absent de tout formalisme, recherchant le fond des choses : les archives de l'arrondissement minéralogique recèlent les études intéressantes faites par le jeune ingénieur sur tous les problèmes miniers posés par les gisements si divers de cette région.

Il ne reste pas longtemps sur place. Au bout d'un an, la première grande guerre mondiale éclate et Audibert rejoint le front. Il se révèle immédiatement un brillant officier d'artillerie; après avoir commandé une batterie, il termine la guerre comme capitaine d'un Groupe de canevas de tir où ses connaissances scientifiques sont mises à profit par le Service géographique de l'Armée.

Retournant à son poste d'Alès après la guerre, il continue à s'y instruire jusqu'au moment où, en 1920, il succède à Taffanel comme Directeur de la Station d'essais du Comité des Houillères de France : lourde succession.

Taffanel, cet homme à l'esprit si original, cet expérimentateur si précis et si ingénieux, avait été chargé, après la catastrophe de Courrières, de l'ensemble des recherches sur la sécurité dans les mines et en particulier de l'étude des dangers que présentent les poussières de houille, phénomène sur lequel l'attention des mineurs avait été peu attirée avant ce terrible accident.

Taffanel, grand ingénieur dont peut s'enorgueillir aussi le Corps des Mines, avait su délimiter le problème par une série d'études admirables. Ses travaux à la station d'essais de Liévin, ses études des coups de poussières dans la galerie expérimentale sont présents à tous les esprits. Les mémoires de Taffanel déterminent les bases des grands problèmes de sécurité de l'exploitation.

Immédiatement après la guerre, au grand regret de l'administration, de l'industrie et de la science, Taffanel avait abandonné ses recherches pour diriger une grande société sidérurgique et le choix de son successeur s'avérait difficile.

D'un commun accord, l'Administration et le Comité central des Houillères, appréciant les qualités du jeune Etienne Audibert, à peine âgé de 32 ans, font appel à lui pour assumer la succession de Taffanel.

La station d'essais de Liévin est détruite par la guerre; tout est à reconstruire; tout est à recommencer, tout est à repenser. Mais il ne s'agit pas d'une révolution : il faut, reprenant une lourde charge, continuer l'oeuvre dont les grands linéaments seuls ont été esquissés.

Par esprit de solidarité, Taffanel offre des bâtiments et une installation matérielle à Montluçon, au voisinage d'une des usines de la société qu'il dirige. Audibert s'y installe et commence cette longue carrière que la mort seule devait interrompre.

Nous examinerons plus en détail le cours de cette carrière où les brillantes qualités d'Étienne Audibert ont pu se manifester. Esprit à la fois de synthèse et d'analyse, Etienne Audibert - différemment de Taffanel dont la méthode se rapproche souvent plus des sciences d'observation que des sciences expérimentales, - cherche à expérimenter suivant les méthodes de la physique. Son ambition veut rassembler les faits en de brillantes synthèses, les coordonnant et les expliquant. De la théorie ainsi conçue jailliront de nouvelles expériences qui viendront en confirmer ou en infirmer la valeur.

Les fluctuations de pensée d'Audibert ont pu parfois dérouter certains auditeurs, mais si l'on examine l'évolution des idées du chercheur, elle montre la fécondité d'un tel esprit.

Nous reviendrons plus loin sur les conceptions qu'Audibert a su mettre en oeuvre dans ses recherches afin d'expliquer des phénomènes aussi variables, aussi nombreux et complexes que les explosions de grisou ou de poussières, ou que la détonation d'un explosif de sûreté.

A peine installé à Montluçon, Audibert se marie. C'est la création d'un foyer heureux et le début des grandes tâches.

Pendant les années 1920 à 1924, la grande étude sur l'inflammation du grisou et des poussières par le tir des explosifs est entreprise. Audibert s'y plonge à corps perdu, animé non seulement par l'enthousiasme du chercheur et du savant, mais par la foi en la valeur humaine des résultats, l'amélioration de la sécurité dans cette profession si belle et parfois si pénible. Jamais il ne perd de vue qu'il travaille pour l'amélioration du sort de l'ouvrier mineur.

Simultanément, d'autres tâches se proposent au jeune chercheur : les recherches sur l'utilisation des combustibles montrent très rapidement l'intérêt des études sur le traitement chimique de la houille. Ces problèmes se rattachent, par de nombreux liens, aux questions de sécurité se rapportant tous à la mystérieuse et complexe constitution physique et chimique de la houille.

Au milieu de l'année 1924, le Comité des Houillères décide de constituer, avec le Comité des Forges et surtout avec l'Office des Combustibles liquides, la Société nationale de recherches sur le traitement des combustibles. La nouvelle Société demande à Audibert de se charger de mener à bien le programme de recherches et il débute par l'étude générale des synthèses des produits liquides à partir des mélanges d'oxyde de carbone et d'hydrogène sous pression. C'est le commencement de la deuxième activité scientifique et technique d'Audibert. Depuis 1924 jusqu'à la fin de la deuxième guerre mondiale, Audibert va s'atteler au traitement chimique de la houille, à la synthèse des carburants et, dans ce domaine immense et complexe, se créer une part originale dont nous exposerons plus loin les caractéristiques.

La Société nationale de recherches installe ses laboratoires à Villers-Saint-Paul, à côté de Senlis. Etienne Audibert déplace son poste de commandement de Montluçon à Senlis. Dorénavant, en chef incontesté, il dirigera ses équipes tant à Montluçon qu'à Villers avec un dynamisme remarquable.

En même temps que son activité, la renommée d'Audibert se développe; ses études nombreuses, en premier lieu ses mises au point des travaux antérieurs exposées avec une clarté éblouissante, puis ses travaux originaux bouleversant les notions acquises, présentant des synthèses originales, malheureusement partielles, des phénomènes, lui conquièrent une renommée mondiale.

Les pays étrangers ont également des stations d'essais, la plupart du temps confiées à des équipes de chercheurs nombreux, mieux outillés que ceux de la station française; mais les moyens matériels ne sont pas seuls en compte : la valeur des hommes est le facteur principal; les capacités exceptionnelles d'Audibert, sa puissance de synthèse, l'originalité de son expérimentation, le mettent hors de pair. Les expérimentateurs des pays étrangers, si bons techniciens soient-ils, ont du mal à dominer les faits et à trouver, dans la multiple variation des facteurs indépendants, des résultats d'où l'on puisse tirer des conclusions efficaces. Aussi la renomée d'Audibert grandit-elle.

Déjà au temps de Taffanel des relations individuelles étaient établies entre les dirigeants des stations de recherches étrangères. Audibert se met rapidement en relations avec ses voisins, notamment avec Wheeler en Grande-Bretagne et Beyling à Dortmund. Il est invité par ce dernier à aller discuter sur place des causes de certaines catastrophes.

A l'initiative de Wheeler et d'Audibert, ces contacts occasionnels sont transformés en réunions périodiques. A partir de 1931, les directeurs des stations d'essais et leurs collaborateurs se retrouvent tous les deux ans, apportant, au cours d'une semaine complète de discussions, les sujets de leurs préoccupations communes, faisant le point de leurs travaux. L'avantage de ces contacts directs, de ces exposés, où l'on traite à la fois des études terminées et de celles dont les résultats sont complets, voire même négatifs ou inexpliqués, est si évident, qu'à part l'interruption des années de guerre, cette institution fonctionne depuis 23 ans déjà.

En dehors de ces réunions, Audibert crée des conférences-stages d'instruction pour Ingénieurs des mines où tous les deux ans il passe en revue, devant l'élite de nos ingénieurs, toutes les questions relatives à la sécurité. Il brille dans ces réunions d'un éclat incomparable car chez Audibert le conférencier, l'orateur, sont étincelants. Les ingénieurs suivent avec un intérêt passionné ses brillantes synthèses où l'esprit de déduction s'allie heureusement avec l'expérimentation et l'observation.

La deuxième guerre mondiale vient interrompre momentanément cette intense période d'activité dont la fécondité des résultats étonne. Dans de multiples domaines la pensée d'Audibert s'est affirmée : ses conceptions ont conduit à des réalisations : nouveaux explosifs de sécurité, explication des phénomènes de cokéfaction de houille, perfectionnements dans l'agglomération des combustibles, création d'essence synthétique à haut indice d'octane, tel est le bilan résumé de cette période.

Audibert est un des derniers à quitter Senlis lors de l'invasion. Il ressent profondément la déchéance morale et l'abandon de volonté qui sont les caractéristiques de cette période noire. Mais il se ressaisit vite et revient dès que possible à Senlis, trois mois après.

Voici comment Audibert lui-même s'exprime sur la situation qu'il trouve à son retour : ,

« En janvier 1941, par application de la nouvelle loi municipale, le Préfet m'a demandé de me charger de la Mairie de Senlis, dont il était de notoriété publique qu'elle était dans le désordre le plus complet. Convaincu que l'oeuvre de rénovation nationale devait être entreprise à la base, c'est-à-dire en commençant par la cellule communale, j'ai accepté. Je l'ai fait par devoir civique et sans le moindre enthousiasme, parce que mes occupations professionnelles me passionnent, et de ce chef, suffisent à absorber mon activité, et aussi parce que je n'attendais pas des fonctions publiques quelque satisfaction que ce soit; mais, ayant jusqu'alors fait partie de ceux qui avaient critiqué, j'ai jugé que je n'avais pas le droit de me dérober le jour où l'occasion m'était offerte de réaliser. J'ai trouvé, à la mairie, une administration dans le désarroi : services inorganisés sans direction ni coordination, responsabilités non définies, personnel n'ayant aucun souci du bien public, étranger même à sa notion; pas de programme, pas de plan, la vie au jour le jour; budget annuel de 3 millions ne comportant aucune dépense susceptible de devenir productive, et qu'à première vue il était possible de réduire à 2 millions tout en y incorporant les dépenses de premier établissement qu'une ville de 6 000 habitants doit normalement faire chaque année. »

Les qualités d'Audibert font merveille : un esprit aussi naturellement porté à étudier les faits ne pouvait que réussir à ramener l'ordre et la clarté dans l'administration des choses. Audibert réforme le budget de la ville, réussit des économies importantes, fait exécuter de gros travaux d'entretien jusqu'alors abandonnés, lutte pour améliorer le ravitaillement de la population, avec un enthousiasme qui ne se dément pas un instant.

Mais l'administration des hommes est plus malaisée que l'administration des choses. La vie qu'Audibert a menée dans les milieux scientifiques où la probité intellectuelle est de règle, l'a mal armé lorsqu'il se trouve en face d'êtres douteux et de la coalition des intérêts privés. Il rencontre dans l'administration de la Cité des individus tarés et commet l'honorable imprudence, après avoir percé à jour leurs machinations et leurs combinaisons, de croire à leur repentir et de leur faire à nouveau confiance. Imprudence qui aura des conséquences fâcheuses.

Au contact des réalités, Audibert se rend rapidement compte que la soi-disant révolution nationale est une duperie. Il ne sait pas cacher son indignation et puisqu'il est au poste de commande, il essaie de réagir dans la mesure de ses moyens.

Dans une lettre adressée au Préfet, intervenant pour ses administrés avec une vive colère, il critique certaines méthodes de l'occupant. Cette lettre du 30 avril 1941, bien que son original en ait été détruit par le Préfet, est communiquée à la Feldkommandantur à Amiens par les collaborateurs douteux qu'Audibert a maintenus à la mairie. Des poursuites sont engagées contre Audibert par les autorités militaires d'occupation et le 4 novembre il est obligé de démisionner. Toutes les preuves sont rassemblées qui montrent comment deux traîtres à leur pays ont dénoncé un homme dont le dévouement au bien public est l'unique ligne de conduite.

Audibert est cité le 15 janvier devant le Tribunal allemand d'Amiens, tribunal militaire où il se présente comme un ancien officier français de la guerre 1914-1918 et où il assume lui-même sa défense en allemand. 11 est acquitté par ses juges mais ses ennemis n'abandonnent pas pour cela leur action.

La Gestapo intervient à nouveau et il est cité devant le tribunal le 6 février 1942, condamné cette fois à 6 mois de prison et enfermé à Amiens avec les prisonniers de droit commun.

Ses amis, la profession minière tout entière s'inquiètent de la situation pénible dans laquelle il est plongé par l'action de deux délateurs collaborateurs des Allemands. Lepercq, Président du Comité d'organisation des houillères, entreprend des démarches en vue de son élargissement et réussit en mai 1942 à le faire sortir de prison moyennant une rançon de 100 000 francs.

Les illusions généreuses qu'Audibert pouvait avoir à l'époque sur la possibilité de relever l'esprit français dans le cadre de la France du Maréchal se sont dissipées. Audibert est avec la Résistance et comprend que la Nation française ne peut sauver son âme que par une lutte journalière contre l'occupant; il aide par tous les moyens la Résistance à s'affirmer et à redresser le moral des Français. Il encourage son fils aîné, élève à l'École Polytechnique, à quitter l'école clandestinement pour rejoindre les Forces Françaises Libres : Jean Audibert, déserteur au sens de l'État Français du Maréchal est de ceux qui ont maintenu la France dans le monde en tant que nation.

Son second fils, reçu à Saint-Cyr, suit l'exemple de son frère et rejoint le maquis en septembre 1943. Toute la famille Audibert milite.

Mais Étienne Audibert est devenu suspect. Ses sympathies pour la Résistance sont bien connues; et comment pourrait-il justifier de l'absence de ses deux fils ? La santé de sa femme, sa compagne fidèle, s'en ressent profondément.

Les événements se précipitent. En juin 1944, au moment du débarquement de Normandie, lors de la grande rafle des notables, réaction de peur de l'occupant, Étienne Audibert est arrêté; la Gestapo le prend à son domicile et l'envoie d'abord à Royallieu puis en camp de concentration à Neuengamme en juillet 1944.

Bien que traité relativement avec modération puisqu'il fait partie du groupe des dispensés de travail, Audibert souffre du régime auquel il est soumis : la faim, le manque d'hygiène, font des ravages terribles parmi les hommes du carnp. Privé de lettres et de colis, Audibert est dans une solitude totale. Ce séjour aura de profondes répercussions sur sa santé, et sa mort à 66 ans n'est pas sans rapports avec sa détention.

Resté parmi les rares qui ne sont pas évacués du camp sur Lubeck au moment de l'invasion de l'Allemagne, il échappe miraculeusement à la mort, puisque tous les déportés transportés à Lubeck doivent mourir sur les bateaux en rade. Il fait partie d'une centaine de détenus évacués sur la Tchécoslovaquie et délivrés par l'armée russe.

Les Américains ramènent Audibert en avion à la fin de mai 1945. Il a perdu une quarantaine de kilos; il est dans un état physique lamentable et apprend, en arrivant en France, la mort de sa femme.

Il a pour la première fois des nouvelles de son fils aîné qui se bat dans les forces navales de la France Libre. Son second fils part immédiatement pour Cherchell à l'école d'officiers. Servir est toujours la devise de la famille Audibert.

L'adversité n'a d'ailleurs pas fini de s'abattre sur Étienne Audibert. Après quelques mois de séjour en Indochine, son jeune fils, pris dans une embuscade alors qu'il dirige un convoi, meurt en héros à la tête de ses hommes.

A l'arrivée du Gouvernement provisoire du Général de Gaulle, il est fait immédiatement appel à la haute autorité morale et à la compétence exceptionnelle d'Étienne Audibert : le Ministre lui demande d'accepter de lourdes tâches administratives en surcroît de ses travaux de recherche. Audibert assume ses nouvelles responsabilités avec une totale conscience de l'immense effort qu'on lui demande. Il va se montrer, dans ces hautes fonctions, aussi brillant et aussi efficace qu'il l'a été dans la recherche scientifique.

Nommé en mai 1945 Vice-Président du Conseil général des Mines, il insuffle à ce haut collège administratif une vie nouvelle. Il s'attelle à la tâche immense de rénover tous les règlements techniques sur l'exploitation des mines, qui datent de 35 ans. Esprit assoupli à la réalité des faits, il entreprend immédiatement un voyage dans les bassins houillers afin d'examiner avec les exploitants les problèmes liés de l'efficacité et de la sécurité de l'exploitation. Il crée de nombreuses commissions au sein du Conseil général pour étudier ces questions techniques d'une façon vivante et efficace.

On peut dire qu'Audibert est le principal ouvrier de cette réforme du Règlement général qui aboutit en 1951.

Le Gouvernement devait faire encore plusieurs fois appel à lui : en 1947 on lui demande d'assurer la présidence d'Electricité de France, fonction supplémentaire qui nécessite de hautes qualités d'organisation, de diplomatie, et une grande connaissance des hommes.

Electricité de France, cette entreprise nationale, a à peine plus d'un an. Elle vient de vivre une année tendue, marquée par l'absorption de huit cents sociétés, la mise en place de soixante-dix mille agents, le démarrage des travaux du Plan Monnet.

L'outil forgé, il reste à créer les conditions de l'unité dans l'effort. Aucune tâche ne peut mieux convenir à Audibert. Il devient l'ami de ses collaborateurs sans cesser à aucun moment d'être leur chef. Chef qui exerce une autorité souriante, qui persuade plus qu'il ne commande, mais qui sait se battre à l'occasion.

Dès l'abord d'ailleurs, il se prend lui-même au jeu. L'étude d'une technique pour lui nouvelle lui permet de déployer toutes les ressources de sa vive intelligence. Les visites de chantiers éveillent en lui la fierté de présider à la naissance d'une grande oeuvre. Par ses actes, par ses propos, par son exemple, il favorise partout et toujours l'esprit d'équipe. Aussi son passage, si court ait-il été, laisse des traces profondes.

Mais le Gouvernement lui demande plus encore : dès 1948, la place de Président des Charbonnages de France devenant disponible, Audibert quitte Électricité de France pour prendre la tête de toute l'industrie houillère française.

Il montre, dans ses fonctions de Président, combien sa personnalité, formée à la dure leçon de l'expérience scientifique, combine l'esprit de méthode et de recherche aux qualités de bon sens et de finesse. Il est un conducteur et un coordonnateur incomparable et le restera jusqu'à quelques mois avant sa mort.

Corrélativement, il est contraint, par ses nouvelles fonctions, d'abandonner la présidence du Conseil général des Mines. Il s'y résoud avec le plus vif regret car il n'est pas seulement un technicien, il est aussi un grand Commis, Son passage au Conseil général des Mines aura été marqué par le souffle vivifiant qu'il lui aura communiqué.

Mais toutes ces activités sur le plan de la haute administration n'ont jamais fait oublier à Audibert qu'il est avant tout un savant.

Sans doute Audibert rêvait-il depuis longtemps d'un grand Centre de recherches pour les houillères. Il appréciait l'importance des laboratoires de l'U. S. Bureau of Mines, et il connaissait particulièrement bien le Safety in Mines Research Board qui, à Sheffield et à Buxton, occupait à des recherches sur la sécurité un effectif qui était dix fois celui de Montluçon.

Quand il rentra de déportation, en 1945, les circonstances devenaient favorables à la réalisation d'un tel projet : dans l'ensemble des industries, la notion de l'importance de la recherche technique progressait; la sidérurgie passait à la réalisation de l'Irsid - la nationalisation de Nord/Pas-de-Calais et le groupement beaucoup plus intime des mines du Centre-Midi étaient de nature à faciliter la réalisation d'établissements collectifs, enfin les problèmes de concurrence s'étaient momentanément effacés derrière les problèmes de production, et les discussions classiques et stérilisantes sur la rentabilité de la recherche cessaient d'être actuelles.

Les étapes de la réalisation où Audibert joue un rôle prépondérant, par son intervention auprès des Pouvoirs publics et des dirigeants des Bassins houillers, sont d'abord l'inscription dans la loi de nationalisation de 1946 de la responsabilité des Charbonnages de France en matière de recherche, puis la création, le 1er juillet 1947 dans le cadre juridique de Charbonnages de France d'un Cerchar compétent pour toutes les recherches de la profession. Reprenant la conduite des laboratoires de Montluçon et de Villers-Saint-Paul et développant immédiatement leur effectif autant que le permettaient les installations modestes de chacun d'eux, Audibert conçoit la nécessité de la création d'un grand Etablissement central de recherches.

Audibert, Directeur général du Cerchar, fait admettre qu'un fonds unique, alimenté par la cotisation des Houillères, sera consacré aussi bien aux investissements qu'aux frais d'exploitation.

S'inspirant des meilleures réalisations étrangères, et notamment des Centres de Recherches hollandais, il inscrit un plan à plusieurs tranches sur un vaste terrain. La construction de la première tranche s'étend de septembre 1948 à juin 1950. Une aile supplémentaire est construite en 1951-1952. Par sa construction et par son équipement, le Centre de Verneuil soutient la comparaison avec les meilleurs Centres de Recherches français et étrangers.

Pendant ses dernières années, Audibert travaille au maximum de ses forces : Président de Charbonnages de France, il dirige avec autorité et diplomatie les destinées de notre grande industrie extractive dont l'incorporation à la C.E.C.A. pose des problèmes immenses d'adaptation. Son esprit de svnthèse, ses qualités de finesse font merveille dans de difficiles négociations.

Le Gouvernement rend hommage à son action en lui conférant, le 14 décembre 1949. la haute distinction de Grand Officier de la Légion d'Honneur.

Directeur général du Cerchar, Audibert fixe les plans de travail de ses principaux chercheurs; chef incontesté de l'équipe, il passe au crible de son expérience les résultats expérimentaux de ses collaborateurs.

A cette immense tâche il fait face avec énergie; mais la nature a ses droits. Sa constitution si robuste a été - sans qu'il s'en doute - mise à l'épreuve par la guerre et la captivité. Il ne veut pas en convenir, continue le travail jusqu'à l'extrême limite de ses forces. Un premier brusque avertissement l'oblige à un repos momentané. Après un second, il se voit obligé de renoncer à la Présidence de Charbonnages de France, désirant se concentrer - dans un travail plus mesuré - à ce qui a été et restera son but principal : la science appliquée. Une dernière secousse l'abat lorsqu'il est encore sur la brèche, tenant toujours d'une main ferme les destinées de la grande équipe du Cerchar qu'il a constituée et animée.

L'industrie et la science françaises voient disparaître avec lui une de leurs principales figures.

LES TRAVAUX d'Etienne AUDIBERT

UN examen détaillé des travaux d'Etienne Audibert montrera mieux que des appréciations qualitatives pourront le faire, les caractéristiques de cette individualité passionnante qui a su combiner la synthèse et l'analyse, les traits du savant, du meneur d'hommes. de l'administrateur, du chef d'industrie.

I. RECHERCHES SUR LA SÉCURITÉ

1. Les explosifs de sûreté.

Les premiers travaux sur les explosifs de sûreté remontent, en France et à l'étranger, aux environs de 1880. Ayant constaté que le tir de la poudre noire était capable d'enflammer une atmosphère grisouteuse avec grande facilité, on s'est préoccupé, dans les différents pays producteurs de houille, de lui substituer d'autres explosifs. Les travaux les plus remarquables ont été effectués par Mallard et Le Chatelier; les expériences auxquelles il se livrèrent au cours des années 1887-1888 les amenèrent à la conclusion que les explosifs suroxydés ne devaient pas entraîner l'inflammation d'un mélange grisouteux si leur température de détonation demeurait inférieure à 2 200°. Cette conclusion a servi de base à la réglementation française de 1890, qui, prévoyant une marge de sécurité, n'autorisait l'emploi dans les mines grisouteuses que des explosifs dont la température de détonation était inférieure à :

1 500° pour les coups de mine tirés au charbon;
1 700° pour les coups de mine tirés au rocher. Le développement de cette règle a conduit au développement de la grisoudynamite couche et de la grisounaphtalite couche.

L'insuffisance de la règle énoncée par Mallard et Le Chatelier a été rapidement mise en évidence par des expériences menées dans différents pays et consistant toutes à tirer sans bourrage une charge d'explosif placée au fond d'un mortier : on a bien constaté que la charge au-dessus de laquelle l'inflammation se produit est en général plus élevée pour les explosifs dont la température de détonation est de 1 500 à 1800° que pour ceux dont la température de détonation est de l'ordre de 2 500 à 3 000° ; mais il n'y a pas de relation stricte entre ces deux grandeurs. De plus, des inflammations ont été observées avec des explosifs dont la température de détonation était nettement inférieure à la limite indiquée par Le Chatelier.

La nécessité d'une nouvelle étude avait été ressentie par Taffanel, qui avait amorcé à Liévin quelques travaux expérimentaux, mais il n'eut pas le temps de les développer.

L'étude a été reprise dès 1920 par Audibert et poursuivie à peu près sans discontinuité jusqu'en 1954 à Montluçon puis à Verneuil. Elle s'est développée en collaboration, parfois en concurrence, avec les stations d'essais étrangères, et plus particulièrement les stations anglaises et allemandes.

Deux méthodes ont toujours été concurremment adoptées :

1° La méthode empirique, ou statistique, consistant à étudier méthodiquement l'influence sur le risque d'inflammation du grisou des différents paramètres définissant les conditions du tir, l'objectif étant la recherche des conditions de tir les plus sévères permettant de définir « un test » auquel on puisse soumettre les explosifs en vue de leur agrément;

2° La méthode analytique consistant à analyser le mécanisme de l'inflammation du grisou par le tir, décrire les phénomènes physico-chimiques mis en jeu par le tir, trouver leur loi. On peut espérer qu'une telle analyse permette d'énoncer, sous forme de loi générale, les conditions d'inflammation du grisou par un explosif.

Ces deux méthodes ne sont évidemment pas opposées, mais complémentaires, la première devant servir nécessairement de confirmation aux hypothèses que permet d'énoncer la seconde. Audibert les a pratiquées toutes les deux, mais il a manifesté, comme d'ailleurs Le Chatelier et Taffanel, une préférence très nette pour la seconde. Cette méthode s'est montrée souvent décevante à cause de l'extrême complexité du phénomène et de l'ignorance dans laquelle on se trouvait des lois des deux phénomènes élémentaires mis en cause : détonation d'explosif et inflammation du méthane. Force a donc été de revenir à la méthode empirique, mais en ayant toujours le souci d'interpréter et d'expliquer les résultats obtenus.

La période 1920 à 1930 fut consacrée surtout à l'étude analytique du mécanisme de l'inflammation. Ayant dénombré les facteurs dont le rôle pouvait déterminer l'inflammation du grisou par le tir, Audibert concluait qu' « une étude purement expérimentale de la définition des conditions auxquelles est subordonnée la sécurité du minage en atmosphère grisouteuse, avait très peu de chances d'aboutir », et c'est pourquoi « son souci a été d'essayer de comprendre comment, lorsqu'elle a lieu, l'inflammation se produit ».

Étudiant d'abord le phénomène de la détonation, Audibert a mis en évidence le fait que la transformation en gaz de l'explosif solide n'est pas un phénomène instantané, mais comporte au contraire deux phases successives :

Cette conclusion est étayée à la fois par des considérations théoriques (comparaison du volume de l'explosif solide au covolume des produits gazeux provenant de sa décomposition) et par les résultats de mesures de composition des fumées dans diverses conditions de tir. Elle a été confirmée et précisée plus tard, par divers expérimentateurs étrangers; mais dès 1926, Audibert attribuait un rôle essentiel à ce phénomène, qui devait demeurer présent dans les différentes hypothèses de travail qu'il adoptait successivement. Il admettait que l'inflammation du grisou par un explosif brisant pouvait résulter de la mise en communication du trou de mine avec l'atmosphère de la mine avant le complet achèvement des réactions résiduelles. Le plus ou moins grand développement des réactions résiduelles étant conditionné par le régime de détente des fumées, lequel dépend lui-même du mouvement du massif et du bourrage, il en concluait que le risque d'inflammation pouvait être plus élevé avec bourrage que sans bourrage; la démonstration expérimentale de ce fait ne fut donnée à Montluçon qu'en 1936; elle fut d'ailleurs confirmée par la suite par les différentes stations étrangères. De cette analyse découlait également la conclusion pratique, bien admise actuellement mais originale à l'époque, que le facteur essentiel de la sécurité du minage résidait non dans une limitation, en valeur absolue, de la charge de l'explosif, mais dans la disposition de cette charge par rapport à la surface libre du massif, et dans l'adaptation de cette charge à l'effet mécanique que l'on attend d'elle : « il faut que la charge dépasse d'aussi peu que possible le minimum indispensable pour obtenir du tir l'effet mécanique qui correspond aux conditions du forage ». Enfin, le rôle des réactions résiduelles permit à Audibert d'entrevoir dès 1926 l'avantage d'une faible densité de l'explosif sur la sécurité : la fraction de l'explosif se décomposant par réactions résiduelles étant d'autant plus petite que la densité de l'explosif est plus faible. Cette idée ne fut appliquée que beaucoup plus tard.

Sur la manière dont le développement des réactions résiduelles au contact de l'atmosphère grisouteuse peut engendrer l'inflammation de celle-ci, diverses hypothèses furent successivement développées. Audibert émit d'abord l'hypothèse, vers 1925-1926 que l'inflammation était due à l'échauffement des fumées provoquées par le développement des réactions résiduelles hors du trou de mine. Puis il mit en évidence la projection de particules d'explosif solide en cours de décomposition (réactions résiduelles), et leur attribua le rôle essentiel dans l'inflammation; il observa la répartition de ces particules dans l'espace en fonction des conditions du tir; il étudia, en même temps d'ailleurs que la station anglaise, les conditions d'inflammation d'un mélange grisouteux par la projection de particules solides à haute température.

Il a été possible, par la considération de ce mécanisme, de rendre compte d'un certain nombre de faits expérimentaux concernant l'influence sur le risque d'inflammation des différents paramètres définissant les conditions du tir; d'autres faits expérimentaux, cependant, demeuraient en contradiction avec l'hypothèse de travail admise.

Devant cet échec partiel, Audibert renonça, aux environs de 1930 à poursuivre l'analyse du mécanisme de l'inflammation du grisou par le tir, pour se consacrer à un objectif plus modeste : définir une méthode d'essais directs permettant d'apprécier la sécurité des explosifs. Dans tous les pays miniers à l'exception de la France, on s'était adressé jusqu'ici à un essai direct consistant à tirer sans bourrage des charges croissantes au fond d'un mortier, et à déterminer la charge limite au-dessous de laquelle l'inflammation n'était plus possible. Cette méthode, appliquée dans différents pays, conduisait à des résultats divergents, un même explosif présentant une charge limite différente d'une station d'essais à l'autre; par ailleurs des inflammations étaient observées au chantier bien que l'explosif soit utilisé sous une charge inférieure à la charge limite. Audibert mit clairement en évidence les causes de ces anomalies qui résultaient de ce que le risque d'inflammation ne dépend pas uniquement de la valeur de la charge; il entreprit donc une étude méthodique de l'influence des autres facteurs : longueur et diamètre du mortier, diamètre des cartouches, position des cartouches dans le mortier, mode d'amorçage. Cette étude aboutit à la mise en oeuvre d'un mode d'essai rationnel permettant de définir la charge limite comme la charge au-dessous de laquelle il ne peut y avoir inflammation, quelles que soient les conditions du tir. L'application de cette méthode d'essai permit la mise au point en 1933, de deux explosifs nouveaux : la grisoudynamite chlorurée n° 1 et l'explosif n° 7, explosifs nettement plus sûrs que les explosifs précédents, et dont l'emploi s'est répandu rapidement dans les houillères françaises, où ils demeurent encore parmi les plus utilisés.

Ces deux explosifs ont toutefois été rendus responsables de plusieurs inflammations de grisou au chantier. La flambée survenue le 20 mars 1935 à Petite-Rosselle a joué un rôle déterminant dans l'histoire des recherches de la Station de Montluçon, car les circonstances dans lesquelles elle s'est produite montrèrent clairement que la méthode d'essai adoptée en 1933 était encore insuffisante et que des conditions plus sévères pouvaient se trouver réalisées dans la pratique. Il fallut donc reprendre les recherches.

La première réaction d'Audibert fut de revenir à la méthode analytique. Il reprit les idées de Le Chatelier, suivant lesquelles l'inflammation des mélanges grisou-teux est déterminée par la température de détonation de l'explosif, mais il ajouta une notion nouvelle : la température d'inflammation du mélange des fumées et de l'air grisouteux (ce qui faisait dépendre la température de détonation limite de la composition de l'explosif), et aboutit ainsi à la conclusion que « la détonation d'un explosif n'est suivie d'inflammation du grisou que si les fumées auxquelles elle donne naissance supportent une quantité de chaleur au moins égale à la chaleur d'échauffement, jusqu'à son point d'inflammation, du plus facilement inflammable des mélanges, aptes à propager la combustion, qu'elles peuvent former avec ladite atmosphère ».

C'est en utilisant le fil conducteur que constitue cette hypothèse de travail, qu'Audibert mit au point, en 1937, la grisoudynamite clorurée n° 12. La sécurité de ce nouvel explosif est nettement supérieure à celle des précédents, mais sa puissance fut jugée à l'époque insuffisante, et les houillères préférèrent conserver les anciens explosifs. Un explosif très analogue à la grisoudynamite chlorurée n° 12 est maintenant utilisé dans les houillères, sa sécurité lui permettant d'être tiré avec détonateurs à retard (grisouchlorurée n° 16).

Parallèlement à cette étude théorique, Audibert a repris l'étude empirique de l'influence des conditions du tir sur l'inflammation du grisou, et abouti après divers tâtonnements à la mise au point d'une nouvelle méthode d'essai, qui est celle qu'on continue à appliquer à Verneuil : l'essai au mortier court avec plaquettes de bourrage d'épaisseur variable. C'est en utilisant cette méthode que fut recherché, à partir de 1946, un explosif de haute sécurité dont l'emploi pût être autorise dans le tir à retard. Les recherches furent d'abord orientées vers les explosifs gainés, dont l'emploi s'était développé dans la plupart des pays étrangers. Audibert n'avait jamais été partisan des explosifs gainés, estimant que leur sécurité pratique était illusoire; la gaine pouvant disparaître ou se détériorer au cours des manipulations de l'explosif ou de sa mise en oeuvre au chantier. Des formules d'explosifs gainés furent donc mises au point mais elles ne furent jamais utilisées pratiquement, une autre solution ayant entre temps abouti: cette autre solution consistait à incorporer à l'explosif lui-même une forte proportion d'inhibiteur; plusieurs formules furent successivement mises au point sur ce principe; grâce à leur haute sécurité et malgré leur faible puissance, leur emploi se répandit rapidement et contribua au développement, extrêmement sensible, de l'abattage à l'explosif qui s'est manifesté au cours de ces dernières années. Audibert vit enfin la réalisation d'explosifs à faible densité dont il avait préconisé la fabrication depuis fort longtemps et, comme il l'escomptait, leur sécurité s'est avérée, à puissance égale, supérieure à celle de l'explosif de densité normale.


En dehors de ses travaux sur l'inflammation du grisou par l'explosif, travaux qui contituent sans aucun doute la fraction la plus importante et la plus originale de ses activités à Montluçon, Audibert a poursuivi différentes études sur le comportement des explosifs, et notamment la sensibilité à la transmission et l'évolution de la structure. La plus originale est celle par laquelle il a démontré expérimentalement la possibilité qu'ont les explosifs brisants de se décomposer dans certaines conditions suivant le régime de la déflagration. Ce phénomène est très important, car il est à l'origine d'incidents de tir graves qui peuvent entraîner soit une inflammation de grisou, soit un feu de mine: il avait déjà été étudié par Dautriche et Taffanel, mais ceux-ci n'avaient pu le réaliser que dans des conditions éloignées de la réalité du chantier. Audibert a mis en évidence les facteurs dont dépend le phénomène, et montré dans quelles conditions il pouvait se produire : il faut que, à la suite d'un raté de transmission de la détonation, les fumées ne puissent se détendre immédiatement, de telle sorte qu'elles soient maintenues à une température et une pression assez élevées pendant un certain temps. L'étude a été reprise récemment à Verneuil suivant les mêmes principes et a confirmé et précisé les résultats obtenus par Audibert.

2. L'arrêt des coups de poussières.

Avant la guerre de 1914, Taffanel avait, dans ses expériences de Liévin et de Commentry, démontré la possibilité de propagation d'une explosion dans une galerie poussiéreuse en l'absence de grisou; il avait dénombré les facteurs qui régissent l'aptitude à la propagation, et commencé l'étude expérimentale de l'influence de ces facteurs; il avait également énoncé les principes directeurs de la lutte contre le danger des poussières : neutralisation par arrosage ou schistification, et arrêts-barrages.

Ne disposant plus de la galerie d'essai de Liévin, détruite par la guerre, Audibert reprit d'abord l'étude au laboratoire en apportant divers perfectionnements à l'inflammateur imaginé par Taffanel, mais il arriva rapidement à la conclusion qu'il était vain de chercher une corrélation précise entre les indications d'un appareil de laboratoire et celles d'une galerie d'essai.

Il obtint donc qu'une grande galerie, analogue à celle de Liévin, fût construite à Montluçon (1928), ce qui lui permit de poursuivre l'étude méthodique qu'avait entreprise Taffanel. Cette étude fut menée en collaboration étroite avec les stations étrangères et notamment la Station anglaise de Buxton et la Station américaine de Bruceton.

L'influence de la nature du charbon sur son inflammabilité (celle-ci pouvant être caractérisée par la quantité de stérile qu'il faut lui ajouter pour la rendre inapte à la propagation d'une explosion) avait été étudiée par Taffanel; mais celui-ci n'avait pu examiner qu'un nombre limité de charbons; c'est pour préciser les résultats de Taffanel qu'à été réalisée à Montluçon, entre 1929 et 1933, une campagne d'essais fort importante qui a porté sur une centaine de houilles provenant des différents bassins français; cette étude a montré qu'il existait, entre l'inflammabilité des poussières et leur teneur en matières volatiles une certaine corrélation; la relation trouvée recoupe assez bien les résultats de Liévin, comme ceux de la Station de Bruceton; mais le taux de matières volatiles ne suffit manifestement pas à caractériser l'inflammabilité d'une houille : deux houilles ayant même taux de matières volatiles peuvent présenter des inflammabilités sensiblement différentes. Cette constatation avait déjà été faite par Taffanel. De nombreuses tentatives furent faites pour essayer de relier l'inflammabilité à d'autres propriétés, telles que la réactivité, facilité d'oxydation, pouvoir agglutinant, etc., mais elles échouèrent. Les autres stations d'essais sont arrivées aux mêmes résultats négatifs.

Une étude de l'influence de la finesse du charbon a abouti à une relation quantitative entre l'inflammabilité et la surface spécifique des poussières; cette relation concorde avec les essais de Buxton effectués à peu près en même temps; elle montre que l'inflammabilité croît régulièrement avec la finesse, du moins dans le domaine des finesses où elle a été établie.

L'influence de la finesse du stérile a fait l'objet de quelques essais, mais l'étude est restée fragmentaire et incomplète. Enfin, une étude de l'influence de la nature du stérile a été entreprise pour confirmer une étude anglaise, et elle l'a effectivement confirmée; elle a montré notamment une supériorité sensible du calcaire sur le schiste et l'argile, et une supériorité très nette de certains sels hydratés, tels que le gypse.

3. Théorie de la combustion du méthane.

Audibert entreprit cette étude en 1930 pour essayer d'éclairer le mécanisme de l'inflammation du grisou par le tir des explosifs, mais sa portée est beaucoup plus générale.

Les premiers travaux dans ce domaine remontent à Le Chatelier, à qui l'on doit d'avoir dégagé les notions de température d'inflammation, de limite d'inflammabilité, de retard à l'inflammation. Par la suite, la combustion des gaz, combustion lente ou combustion vive, a fait l'objet de très abondants travaux expérimentaux et théoriques, tant en France qu'à l'étranger. La théorie des réactions en chaîne, introduite en 1913 par Bodenstein, et développée aux environs de 1930, en particulier par Hinshelwood et Semenoff, a permis de rendre compte de certaines particularités des phénomènes de combustion que la théorie thermique de Le Chatelier était incapable d'expliquer; telles que : influence des sensibilisateurs et des inhibiteurs, effets de parois, variations de la température d'inflammation aux basses pressions, etc.

Le méthane n'a pas été particulièrement étudié, les cinétistes se sont beaucoup plus intéressés à l'hydrogène et à l'oxyde de carbone d'une part, et aux hydrocarbures plus lourds, d'autre part, à cause de l'utilisation de ces derniers par les moteurs à explosions. Les principales particularités de la combustion du méthane avaient toutefois été mises en évidence avant 1939, et certaines d'entre elles, notamment l'influence des sensibilisateurs (mise en évidence en 1932 par Bone et Allun) ne peuvent guère s'expliquer que par l'intervention des réactions en chaîne; les travaux de Montluçon, effectués en liaison avec M. Prettre, ont porté sur les différents aspects de la combustion :

Ces travaux ont apporté sur de nombreux points des résultats expérimentaux nouveaux qu'il est très difficile de résumer à cause de leur diversité; ils apportent une contribution certaine à l'ensemble des connaissances qui s'accumulent lentement et progressivement dans ce domaine. Audibert a essayé à plusieurs reprises d'échafauder un schéma théorique qui rende compte de l'ensemble des faits expérimentaux; mais chacun de ces schémas ne doit être considéré que comme une hypothèse de travail qui par les vérifications qu'elle suggère, permet de découvrir de nouveaux faits expérimentaux.

4. Mode de gisement du grisou dans la houille.

La théorie développée par Mallard et généralement admise avant Audibert, supposait que le grisou était contenu sous forme gazeuse, plus ou moins absorbé, dans les pores de la houille sous une pression relativement élevée; le dégagement du grisou à travers le massif était assimilable à la circulation d'un gaz (ou d'un liquide) à travers une masse poreuse sous l'action d'une différence de pression.

Les expériences poursuivies à Montluçon vers 1935 puis en 1941-1942, ont porté surtout sur les points suivants :

1° Détermination de l'isotherme de fixation du méthane par la houille (c'est-à-dire la quantité de méthane fixée par un poids donné de charbon plongé dans du méthane sous pression, en fonction de la pression de celui-ci). Cette détermination avait déjà été faite par d'autres expérimentateurs, mais avec moins de précision et dans un domaine de pressions plus étroit;

2° Loi de dégagement du grisou en fonction du temps ;

3° Gonflement de la houille sous l'action de la fixation du grisou (l'échantillon de charbon étant plongé dans du grisou sous pression). Le phénomène avait été découvert quelques années plus tôt par des Japonais; l'étude méthodique poursuivie à Montluçon en 1942 a permis d'en préciser les caractéristiques; le gonflement est pratiquement réversible pour des grains de petite dimension, il n'est que partiellement réversible pour des grains plus gros ; la contraction due au dégazage est précédée d'un léger gonflement.

Ces observations ont amené Audibert à proposer l'interprétation suivante, qui est maintenant généralement admise : les molécules de méthane se trouvent logées à l'intérieur même des molécules de houille, entre les feuillets qui constituent les cristallites de charbon; la liaison entre le méthane et la houille n'est donc pas une simple relation physique d'absorption, et s'apparente plutôt à une dissolution donnant naissance à ce qu'Audibert a appelé .«le complexe houille-gaz». Le dégagement du grisou à travers les terrains résulte de la succession de deux phénomènes : la dissociation du complexe houille-gaz donnant naissance à du méthane gazeux, et l'écoulement de ce gaz à travers les porcs du charbon ou les fissures du massif; le premier phénomène est probablement très rapide, de sorte que c'est le second qui détermine l'allure générale du phénomène.

Les résultats expérimentaux obtenus, et notamment ceux concernant le gonflement du charbon, ont permis de préciser et de compléter l'interprétation proposée précédemment par Jarlier du mécanisme des dégagements instantanés. Ils rendent compte également de la relation étroite qui existe entre les phénomènes de pression de terrains et ceux de dégagement de grisou; cette relation est mise à profit dans la technique du dégazage préalable des terrains.

5. Étude de la silicose.

La dernière venue des grandes études de Verneuil pour laquelle Audibert se passionnera, sera celle de la silicose. Le sujet est nouveau. Il est encore peu étudié dans les autres pays et les recherches françaises y sont limitées aux problèmes du contrôle et de la diminution de l'empoussiérage. L'idée d'entreprendre un grand travail chimique et biologique séduit d'autant plus son esprit curieux qu'il lui donnera l'occasion de s'initier à de nouveaux chapitres de la science. Mais cette dernière tâche est si vaste que de 1951 à 1954 il n'a le temps que de présider à une prise de contact expérimentale solide avec les différentes phases de l'évolution des tissus vivants. Une de ses dernières visites à Verneuil sera pour y recevoir diverses personnalités éminentes de la Médecine française, invitées à prendre connaissance de l'état de ce travail : l'aide de toutes les compétences et la collaboration de bien d'autres chercheurs seront nécessaires pendant longtemps encore avant que des résultats notables apportent aux mines et aux autres industries intéressées un remède valable à cette maladie.

II. RECHERCHES SUR L'UTILISATION DES COMBUSTIBLES

1. Carbonisation.

Les premières études systématiques sur le mécanisme de la carbonisation remontent à 1920. Lorsque Audibert entreprit ces études, vers 1925, on savait encore peu de choses ; certains tests empiriques avaient été mis en oeuvre pour apprécier les propriétés agglutinantes des charbons, mais on n'avait pas une idée claire des transformations physiques subies par le charbon au cours de sa pyrogénation (en ce qui concerne les transformations chimiques, on n'a pas encore, à l'heure actuelle, une représentation satisfaisante).

Le dilatomètre auquel est resté attaché le nom d'Audibert avait été imaginé d'abord par Charpy vers 1920, mais celui-ci l'avait fort peu utilisé et n'en avait tiré que des observations qualitatives. C'est donc à Audibert que revient le mérite d'une étude systématique qui lui a permis de dégager les caractéristiques essentielles du phénomène : ramollissement du charbon, soudure des grains de charbon, formation de bulles engendrant le gonflement, et resolidification. Il a démontré le rôle capital de la loi de chauffage (la température de fusion est peu modifiée par la loi de chauffage, mais le ramollissement et le gonflement croissent fortement avec la vitesse de chauffage). L'interprétation qu'il en a donnée repose sur le fait que la décomposition qui accompagne la fusion donne naissance à un produit moins fusible que le produit initial, de sorte que le « chauffage a pour effet d'élever le point de fusion de la houille » ; cette décomposition n'étant pas un phénomène instantané, elle se développe d'autant plus que le chauffage est plus lent. Les essais de Montluçon ont mis en évidence également le rôle de l'oxydation préalable du charbon.

Les résultats expérimentaux obtenus et l'analyse des phénomènes se produisant à l'intérieur de la cellule de four à coke ont permis à Audibert de dégager le rôle des principaux facteurs dont dépend la cohésion du coke : la densité de chargement, la finesse des grains, la nature de la houille employée, le degré d'oxydation de celle-ci et la vitesse de chauffage. C'est effectivement en agissant sur ces différents facteurs qu'ont été apportées ultérieurement les améliorations principales dans la technique de la cokéfaction. L'analyse de l'influence de ces facteurs a conduit Audibert à préconiser, pour caractériser l'aptitude à la cokéfaction d'une houille, l'essai au dilatomètre.

Ce test a été par la suite critiqué et reconnu insuffisant, mais en fait on n'a jamais pu proposer de test plus satisfaisant, et c'est encore le meilleur test qu'on puisse préconiser pour prévoir la cohésion du coke; il est, en fait, toujours employé dans la plupart des cokeries françaises.

Le phénomène de la fissuration, c'est-à-dire l'apparition et le développement de fissures dans la masse de coke resolidifié, a été étude par Audibert dès 1927-1928 et il semble avoir été le premier à le faire méthodiquement. La cause de la fissuration étant attribuée à la contraction que subit le coke après sa resolidification, contraction due elle-même à la perte de poids et à l'accroissement de la densité du charbon, il a étudié ces deux derniers phénomènes; mais les moyens rudimentaires dont il disposait à l'époque ne lui ont pas permis de donner du phénomène une interprétation quantitative, interprétation qui ne devait être trouvée que beaucoup plus tard à Verneuil. Il a donc été réduit à étudier empiriquement l'influence des facteurs conditionnant la fissuration et notamment l'addition d'amaigrissants : poussier de coke, semi-coke, charbon maigre, et même flambant sec. Il a proposé un test de fissuration qui, joint à l'essai au dilatomètre, devait permettre de prévoir les qualités mécaniques du coke et orienter ainsi la recherche des mélanges convenables.

Dès la mise en marche du Cerchar, Audibert a repris le problème, car il est de première importance industrielle.

En matière de cokéfaction, où le problème urgent à résoudre est celui de l'utilisation des charbons sarro-lorrains, Audibert a pensé que les études pratiques de la Cokerie expérimentale de Marienau appellent un support plus scientifique. Il a donc décidé de reprendre, en profitant des perfectionnements de l'appareillage, ses travaux antérieurs sur la dilatométrie. C'est de là que progressivement l'équipe du Cerchar a été conduite à l'étude de la fissuration et a abouti, à partir de 1953, à une explication de ce phénomène dont aujourd'hui on commence à tirer des applications industrielles particulièrement intéressantes.

La qualité de ces travaux incitera Audibert à proposer à la C.E.C.A., au moment où elle se préoccupe de provoquer des échanges de vues en matière de recherche dans le domaine de la carbonisation et de la gazéification que la première réunion du groupe d'experts désignés à cette occasion, se tienne à Verneuil et en Lorraine.

2. Combustion du charbon pulvérisé.

Lorsque furent effectués les essais de Montluçon (1922-1923), la possibilité de brûler le charbon sous la forme pulvérisée était bien démontrée par la pratique, et de grosses unités étaient déjà en fonctionnement (premier four à ciment en 1894; première chaudière peu antérieure à 1920), mais le phénomène de combustion du charbon pulvérisé n'avait pas été étudié scientifiquement; on avait seulement effectué quelques mesures sur des installations industrielles.

Audibert fit construire un four expérimental vertical d'une dimension suffisante pour que les conditions ne soient pas trop éloignées de la pratique; le développement de la combustion était suivi par des analyses de gaz à différents niveaux; on a pu étudier ainsi l'influence, sur la durée de combustion, des caractéristiques du charbon, et notamment son taux de matières volatiles et sa finesse. Ces essais ont permis également de dégager l'influence des facteurs auxquels est subordonné l'allumage : finesse des particules, proportion d'air primaire, préchauffage de l'air. Ces résultats expérimentaux et les idées qui en ont été dégagées ont facilité grandement l'interprétation des observations recueillies ultérieurement sur les installations industrielles.

3. Agglomération du charbon.

Ce domaine attire l'attention d'Étienne Audibert dès les années 1924-1925 pendant lesquelles le manque de brai local et le prix élevé des produits d'importation apportent une gêne sérieuse aux usines d'agglomération. Il étudie quelque temps l'auto-agglomération.

Mais c'est surtout à partir de 1939 qu'il s'intéresse très activement à ce problème. La question de l'agglomération sans brai des fines maigres avait été soulevée à la Grand'Combe, en février 1939, au cours d'une conversation avec Audibert qui, intéressé par la question, proposa de la faire étudier par son laboratoire de Senlis. Les travaux aboutissent, dès mai 1939, à un procédé qui est essayé en juillet de la même année en usine.

Les essais, bien qu'encourageants, montrent quelques difficultés techniques : la guerre interrompt les travaux. Ils sont repris en août-septembre 1940 mais les substituts du brai envisagés, farines de blé et résines, s'avèrent rapidement aussi rares. Etienne Audibert s'oriente alors vers la recherche d'une économie en brai qu'il met au point et termine au Cerchar en 1952.

Au total, les recherches de substituts du brai n'ont plus aujourd'hui d'intérêt industriel. Un résultat intéressant reste acquis : la normalisation des conditions de fabrication des boulets a conduit à une marche plus économique par une diminution de 2 à 3 % de la consommation de brai.

4. Lavage du charbon.

Le problème du lavage du charbon, qu'aborde Audibert en 1941, est important à cause de l'augmentation incessante de la teneur en stériles du charbon brut extrait (en moyenne 30 %).

D'après une étude de la Chambre syndicale des Houillères du Nord et du Pas-de-Calais, la perte à la vente est au moins égale à 2 % de la production nette (bon charbon passant dans les mixtes et les schistes).

Il s'agit de diminuer cette perte dans toute la mesure du possible.

Jusqu'en 1941, peu d'ingénieurs et encore moins de laboratoires s'étaient occupés du lavage. En dehors d'une tentative d'André Terra, rien n'existait pour mesurer d'une manière simple et facilement compréhensible l'ensemble des écarts entre une séparation parfaite (courbe de lavabilité) et la séparation réellement réalisée par un appareil à épurer le charbon.

On crée pour cela une notation permettant de chiffrer ces écarts. Il faut, cependant, attendre 1950 pour que le Cerchar donne une bonne notation mesurant correctement l'imperfection d'une épuration.

Quoi qu'il en soit, des études menées sur de petits modèles au laboratoire de Villers-Saint-Paul et à l'échelle industrielle au lavoir des Mines de Lens à Pont-à-Vendin, ont montré que les pertes de lavé sont imputables, d'abord à l'appareil lui-même, puis au mauvais réglage de l'appareil.

Finalement, on arrive à la conclusion que les pertes par réglage défectueux sont plus importantes que les pertes intrinsèques par déficience de la machine, surtout dans les cas des bacs à piston, appareils les plus utilisés.

Il fallait donc, de toute urgence, créer un système de contrôle du lavage permettant d'éviter les erreurs de réglage. Le Cerchar développe ce thème qui est énoncé par la Société nationale de Recherches.

A la Conférence de Paris sur le lavage (1950), Audibert met en vedette cette notation, dont l'aspect mathématique lui plaît. Ce langage devient classique à la Conférence d'Essen sur la préparation des charbons en 1954.

5. Travaux sur les combustibles liquides à la Société nationale de Recherches.

Dans le cadre de la Société nationale de Recherches sur le traitement des combustibles (S.N.R.) l'activité d'Audibert s'étend sur deux domaines principaux :

- Synthèse du méthanol;

- production d'essence par hydrogénation de houille.

a. Synthèse du méthanol.

Entrepris dès 1924, les travaux eurent tout d'abord un caractère de recherche pure et portèrent notamment sur l'étude des réactions, des équilibres correspondants, de la cinétique mise en jeu, des catalyseurs et promoteurs, etc. Les résultats essentiels, atteints dès 1927 et 1928, firent l'objet de nombreuses publications.

Une petite unité-pilote fut également réalisée dès 1928 aux Mines de Lens et une installation de 15 t/jours fut étudiée et partiellement construite aux Mines de Dourges; mais une modification dans la législation des alcools en arrêta la construction.

b. Production d'essence par hydrogénation.

La production de combustibles liquides à partir de la houille avait intéressé très tôt Audibert puisque, dès 1923, il lui consacrait un mémoire dans la Revue de l'Industrie minérale.

Mais c'est dans le cadre de la Société nationale de Recherches qu'il donna son plein effort. Après quelques essais effectués dès 1928 sur l'hydrogénation catalytique des phénols de goudron primaire, il s'attaqua, au début de 1930, au problème de la fabrication d'essence par hydrogénation de houille ou de constituants lourds du pétrole, à l'échelle du laboratoire. En 1931, commençait la construction, à la Société des Huiles, Goudrons et dérivés, d'une installation pilote travaillant suivant le procédé Audibert que suivit la réalisation d'une usine de 10 000 t/an, construite par la Compagnie française des Essences synthétiques à Liévin, et qui entra en marche de fabrication dans le courant de 1936.

Durant l'année 1937, cette usine participa aux travaux de la mission constituée pour étudier l'application des différents procédés d'hydrogénation aux combustibles solides français. Les essais portèrent sur les carbolignites des Bouches-du-Rhône et conduisirent l'Inspecteur général des Mines Crussard, chef de la Mission d'études des carburants de synthèse, à conclure à une mise au point parfaite du procédé.

Entre temps, le problème des carburants avait évolué. La quantité ne comptait plus seule : la qualité prenait le pas; la recherche des hauts indices d'octane était exigée par les progrès de l'aviation. Sous la direction d'Audibert, les services de la Société nationale de Recherches et de la C.F.E.S. étudièrent alors l'hydrogénation de divers produits pétroliers : solvants, gaz-oil, etc. Les résultats atteints permirent, au début de 1939, l'établissement d'un projet pour la construction d'une usine qui devait être située à Martigues (Bouches-du-Rhône) et donner 100000 t/an d'essence d'aviation à 90 d'octane avec 0,8 °/oo de plomb tétraéthyle à partir de solvants et 75 000 tonnes à partir du gaz-oil.

La déclaration de guerre empêcha la réalisation de ce projet, mais les usines de Liévin et de Béthune furent transformées pour produire de l'essence d'aviation par le procédé Audibert.

Durant l'occupation, on dut revenir à la fabrication d'essence ordinaire à partir d'huile de goudron inutilisée.

En résumé, l'activité d'Audibert peut être répartie en deux périodes distinctes séparées par une coupure nette : celle où le problème de la qualité (et notamment de la production d'essence d'aviation à indice d'octane élevé) a pris nettement le pas, et qui se situe vers 1936-1937.

Jusqu'à cette date, le seul problème posé était de produire de l'essence à partir de ressources naturelles. Lorsque Audibert s'attaqua à cette question, au début de 1930, les Allemands avaient déjà une avance de plusieurs années et avaient atteint le stade de l'industrie. Leurs moyens de recherches avaient été et étaient encore considérables (plus de 1 500 personnes à l'origine). Reprendre toute l'oeuvre à la même échelle, dès le début, et sous la même forme, était impensable. C'est pourquoi, passant rapidement sur le stade des études de laboratoires et des unités-pilotes, Audibert fit, pendant cette période surtout, oeuvre d'un créateur d'industrie. C'est grâce à cette conception des choses, qu'en un court délai, avec des moyens matériels restreints (quelques millions contre les milliards allemands, et quelques dizaines d'hommes contre plus d'un millier), il créa non seulement le laboratoire de Villers-Saint-Paul, mais surtout l'usine-pilote de Liévin qui, dès 1936, entre en fabrication. Si l'on peut dire que cette époque a vu naître un procédé Audibert, on doit surtout dire qu'il est entré dans l'industrie.

A partir de 1938, avec le problème de la production d'essence à indice d'octane élevé, Audibert reprit le rôle essentiel de chef d'une équipe de chercheurs. Sous sa direction, les laboratoires de recherches de la Société nationale de Recherches d'abord, l'usine de Liévin ensuite, mirent sur pied l'application du procédé au traitement des solvants et des gas-oil qui permirent, au début de 1939, l'établissement de projets industriels.

On peut donc dire que, dans ce domaine d'hydrogénation, Audibert fut, pendant une première période, essentiellement un réalisateur et un constructeur. pendant une seconde période, à la fois le chef d'une équipe de recherches et un réalisateur.

III. LE CHEF D'INDUSTRIE

SANS revenir sur son rôle à Électricité de France, où il ne resta qu'un an, il est utile de retracer l'action d'Audibert à la tête de notre industrie houillère où il sut donner la mesure de sa valeur comme chef d'industrie.

Ainsi que l'a exposé Etienne Audibert lui-même dans une brochure appelée Cinq ans de Nationalisation, l'industrie houillère a des caractéristiques très particulières : industrie-clé du pays puisqu'elle fournit près des trois quarts de l'énergie que la France consomme; c'est une industrie lourde dont l'évolution est lente, grande consommatrice de capitaux, dévorant elle-même sa substance et se renouvelant sans cesse, mal située géographiquement donc très dépendante des transports, enfin c'est une industrie de main-d'oeuvre, la part des salaires restant, malgré toutes les modernisations, de l'ordre des deux tiers du prix de revient. Au total, les aspects social et financier y sont aussi importants l'un que l'autre.

Au lendemain de la libération, l'état matériel des installations et l'état moral du personnel étaient également mauvais. L'effort des Compagnies houillères, effectué entre 1936 et 1940, n'avait pu faire rattraper le retard des investissements pris pendant la crise de 1932-1935. Pendant l'occupation, le renouvellement des installations n'avait pu être assuré. Un immense effort financier et technique devait être entrepris pour éviter la mort.

Simultanément, les ferments de mésentente qui avaient germé pendant la période de déflation d'avant-guerre, avaient crû et multiplié : la déficience physique des ouvriers, la haine des occupants avaient créé un trouble des esprits, creusé un fossé profond entre le personnel et ses hauts dirigeants dont le patriotisme, qui ne saurait être suspecté, n'apparaissait pas au monde ouvrier dans cette atmosphère délétère.

Après une période d'exploitation (régime transitoire ou réquisition) par des organismes d'État provisoires, l'Assemblée Nationale, dans l'optique idéaliste de la libération et afin de soulager le pays de ses contraintes, décida à l'unanimité la nationalisation des industries productrices d'énergie (charbon, électricité et gaz).

Audibert s'exprime ainsi à ce sujet :

« L'exposé des motifs de la loi montre clairement que, dans l'esprit du législateur, la nationalisation avait pour objet de permettre aux houillères françaises d'atteindre un double objectif :

  • d'une part, produire davantage, de manière à affranchir le pays, dans toute la mesure du possible, de l'obligation, dans laquelle il n'avait jusqu'alors pas cessé d'être, d'importer du charbon étranger;

  • d'autre part, produire à de meilleures conditions.

    L'achat de charbon étranger contribuait pour 5/7, à la veille de la guerre, au déficit de notre balance commerciale ; les pertes de la guerre 1939-1945 ne permettaient plus au pays de supporter cette charge écrasante.

    Quant à l'amélioration des conditions du travail, par investissement dans l'industrie houillère des capitaux qu'exigeait sa modernisation, si le législateur avait la préoccupation de la réaliser, c'était avant tout pour éviter que se produisît en France l'événement qui, à l'heure actuelle, bouleverse aussi profondément que tragiquement l'économie britannique : la désaffection de la population minière à l'égard de son métier (L'effectif employé dans les charbonnages britanniqurs qui étaient de 1.227.000 unités en 1920 dépassait à peine 700.000 en 1945 ; la perte est de plus de 500.000, soit 40 %), à laquelle ne peuvent pas manquer de donner lieu l'insuffisance de l'équipement des charbonnages, et, partant, l'indécence des conditions de travail qui y régnent. Le législateur a mis l'accent avec une force particulière sur cet aspect social du problème technique de l'équipement, qu'il n'est aujourd'hui plus permis de perdre de vue à quiconque désire traiter sérieusement les problèmes tenant à l'organisation ou à la politique de nos houillères... »

    « ...Écartant les formules traditionnelles du droit public, qui donnent à l'État le monopole de la gestion. la loi du 17 mai 1946 a créé pour exploiter les charbonnages dix entreprises publiques à caractère industriel et commercial, savoir :

  • neuf houillères de bassin, organes « de production, d'exploitation et de vente », dotées de la personnalité civile, ainsi que de l'autonomie financière, juridique et commerciale dont chacune a mission d'exploiter les gisements qui lui sont attribués par son décret de constitution ;

  • et un établissement central, « Charbonnages de France », dont la compétence s'étend à l'ensemble du territoire, et dont la mission essentielle est « d'assurer la direction d'ensemble, le contrôle et la coordination des activités techniques des houillères de bassin, sans préjudice de leur autonomie juridique, financière et commerciale ».

    La mise en place de cet ensemble complexe, qui avait pourtant quelques antécédents, ne serait-ce que l'établissement, pendant l'occupation, du « Comité d'organisation des Houillères » et de chefs responsables des différents bassins, se heurta à des difficultés graves d'exécution, dont une des principales étaient que l'industrie avait été à la libération décapitée de ses principaux dirigeants. La présence d'un ministre communiste au moment des choix des présidents, des directeurs généraux et des personnalités membres des Conseils d'administration, influa de façon néfaste sur les décisions prises. Il faut préciser que la Fédération du Sous-Sol, entièrement entre les mains de la C.G.T., entendait faire de l'industrie houillère le bastion principal de la révolution communiste en France.

    Pousser à tout prix la production déficiente par des embauchages massifs, notamment d'étrangers, et par l'emploi des prisonniers de guerre, se lancer dans des investissements parfois inconsidérés, dans des programmes insuffisamment mûris, telle était la politique des Charbonnages en 1946 et continuée en 1947 et 1948. La gestion médiocre de notre industrie minière fut troublée par des grèves qui ont été, comme l'indique Audibert. « de véritables épreuves de force engagées contre le Gouvernement dans un secteur choisi à cause de son importance économique et de sa colonisation par un parti ».

    Dans cette atmosphère de crise sociale quasi-permanente, compliquée par le changement profond de structure résultant de la Nationalisation, chacun s'interrogeait sur l'avenir de l'industrie houillère, tout particulièrement les hommes de bonne volonté décidés à se consacrer au redressement d'une industrie vitale pour le pays et convaincus que les vieilles traditions du métier triompheraient de l'incertitude du moment.

    Les modifications de structure politique permirent d'entreprendre la rénovation souhaitée. Il fallait trouver un Chef à l'esprit ouvert, comprenant les nécessités sociales, les réformes nécessaires ne devant à aucun prix revêtir la forme d'une régression vis-à-vis des ouvriers.

    Ce conducteur d'industrie devait posséder grâce à ses qualités morales et à sa compétence technique, une autorité incontestée. Un homme s'imposait à tous par les garanties que présentait sa carrière déjà longue : Étienne Audibert. Le Gouvernement n'hésita pas à lui faire quitter la présidence d'Électricité de France où il avait été appelé pour des raisons analogues, afin de lui donner une tâche plus pressante et plus ardue, la Présidence des Charbonnages de France.

    La nomination du nouveau Président, le 31 janvier 1948, affirmait enfin cette confiance dans le destin de la mine que souhaitaient retrouver les éléments sains de la profession. La seule présence d'Etienne Audibert à la tête des Charbonages de France devait rassurer les plus inquiets. N'était-ce pas l'indication que la compétence redevenait le critère valable pour le choix des dirigeants des mines nationalisées; et que, du même coup, était assuré le principe d'une continuité désirable de l'exploitation des mines ?

    La présidence d'Etienne Audibert fut marquée, dans sa première année, par une nouvelle grève, comparable dans ses effets à celle de 1947. Egalement déclenchée en vue de fins politiques, elle avait sans doute pour objectif final de rendre impossible toute véritable remise en ordre du secteur nationalisé; cette crise sociale fut la seule pendant les six années de sa Présidence et l'on peut ainsi mesurer la valeur de l'oeuvre réalisée pendant cette période.

    Étienne Audibert a su d'abord - c'était là une tâche essentielle - redonner confiance à tous ceux qui avaient été découragés par l'action dissolvante constatée pendant les premiers mois du nouveau régime et qui doutaient de l'efficacité de leurs efforts. Ce premier pas d'ordre psychologique franchi, il entreprit un long et subtil travail de remise en ordre. Jour après jour, les conseils d'administration des Houillères de Bassin étaient rétablis dans la composition voulue par le législateur, retrouvant un équilibre de leurs diverses parties qui avait été momentanément rompu pour des fins partisanes, le souci du bien commun de l'industrie extractive et de l'intérêt général du pays retrouvait sa place dans les délibérations. De proche en proche, chacun constatait avec satisfaction qu'il pouvait désormais exercer son métier sans avoir d'autre préoccupation que le succès de son entreprise. Les conditions propices à une réussite étaient enfin réalisées. Libérés d'une hypothèque paralysante, les hommes de valeur que comptait l'industrie houillère se mirent vaillamment à l'ouvrage.

    Audibert avait un rôle de premier ordre à jouer dans l'Économie du pays. Il devait persuader nos Gouvernements successifs et nos principales personnalités politiques de l'importance de l'industrie houillère dans la vie du pays, faire cesser les suspicions parfois légitimes, faire approuver les grands programmes de développement des mines, obtenir des Ministres les moyens matériels.

    Planant très haut, sachant exposer avec éclat les synthèses nécessaires, trouvant audience auprès des Conseils du Gouvernement par la sûreté de son jugement, la clarté, et l'élégance de ses exposés, il donna la direction voulue aux Houillères françaises à ce moment crucial de leur évolution.

    Sous cette impulsion magnifique, les techniciens firent un travail considérable. Les améliorations techniques mises en oeuvre avec ténacité et continuité, l'ardeur au travail et l'esprit de compréhension de l'ensemble du personnel, permirent aux houillères françaises de retrouver, dès 1950, le rendement de 1938 et dépasser ensuite le niveau de 1 500 kilogrammes, jamais atteint en France, surclassant les résultats des autres pays de l'Europe occidentale pendant la même période.

    L'action du Président Audibert fut particulièrement heureuse par l'importance des directives générales qu'il sut dégager dans le domaine des travaux neufs. Là aussi la largeur de ses vues, la justesse de ses conceptions, ont permis de faire adopter des programmes harmonieux qu'il savait dégager du conflit des intérêts particuliers parfois opposés des divers bassins.

    Sous l'aiguillon d'une pénurie aigüe de charbon, un vaste plan d'équipement avait été lancé en 1946 sans que l'on eût pris conscience des charges financières; les investissements étaient surtout décidés en fonction de l'accroissement de la production. Il fallait d'urgence reviser ce plan; se limiter à un programme réduit mais plus rentable, faire de nos charbonnages une base solide de l'Economie. L'inlassable action du Président Audibert permit d'atteindre l'objectif : l'augmentation notable de la production allégea le poids financier des importations de charbon et diminua nos coûts de production par accroissement de rendement.

    Grâce à sa haute compétence technique, il put faire résoudre des problèmes difficiles en choisissant des solutions neuves et hardies. Les résultats obtenus par le Cerchar furent mis à profit dans la conception des lavoirs à charbon, et des nouvelles cokeries aptes à traiter les charbons lorrains, peu utilisas autrefois pour la fabrication du coke. Ce beau résultat de la recherche appliquée a donné à la Sidérurgie française une autonomie accrue, tout en développant les richesses naturelles de la Lorraine : Audibert savait voir loin; notre grand bassin d'avenir, le bassin lorrain, lui est redevable, pour une notable part, de son développement spectaculaire.

    Les nouveaux équipements des houillères ont transformé la structure de nos mines : des sièges d'extraction puissants ont été construits, surtout en Lorraine et dans le Nord; la capacité de production de la Lorraine a été doublée, tandis que la technique des gros sièges de production apportait dans les autres bassins des possibilités jusque-là méconnues. Le premier programme revisé qui comportait, outre la modernisation et la concentration de l'extraction, la construction de nombreuses centrales électriques modernes, de cokeries puissantes et d'une industrie de synthèse de l'ammoniaque en forte expansion, était en grande partie réalisé lorsque le Traité instituant le marché commun du charbon et de l'acier fut mis en application. Prévoyant l'âpreté des nouvelles conditions de concurrence qu'allaient subir nos charbonnages, le Président Audibert usa de son autorité auprès du Gouvernement pour faire adopter un deuxième plan de modernisation, qui entre à peine dans la phase des réalisations, mais sera un complément très efficace des grands travaux déjà réalisés.

    Le marché commun est devenu, depuis deux ans. une réalité : la lutte est sévère pour la France, en raison du surcroît de ses charges salariales; les Houillères françaises ont pu, cependant, conserver leur place dans l'approvisionnement du pays, grâce à l'efficacité des réalisations techniques conçues en temps utile : le principal artisan de ce succès est Etienne Audibert.

    Le Président Audibert connaissait l'importance des problèmes humains pour la mine. Il savait que l'harmonie entre le personnel et ses dirigeants est la condition essentielle de la prospérité de nos houillères. Soucieux des conditions de rémunération efficaces, il sut engager le Gouvernement dans la juste voie, faisant abolir des excès dus aux premières années de gestion, donnant au personnel de légitimes satisfactions, l'associant à la prospérité de l'exploitation, cherchant à augmenter dans toute la mesure du possible son pouvoir d'achat. Le succès d'une entreprise à base de main-d'ceuvre est inséparable de la justice sociale, de l'attribution au mineur, astreint à un rude métier, d'une part équitable du fruit de son travail. Dès 1949, sous l'impulsion d'Audibert, une prime de productivité fut créée sous le nom de «prime de résultats»; l'amélioration constante du rendement et un apaisement progressif du climat social sont dus à son institution.

    Enfin, Audibert s'attacha à développer et défendre une politique de réalisations sociales (par exemple, création de centres de réadaptation des blessés). 11 savait toute l'importance de la construction de logements, de la création de cités nombreuses dotées d'un urbanisme moderne; il fit donner l'impulsion et les moyens financiers nécessaires à leur création. Dans un même état d'esprit, il fit adopter des dispositions facilitant à l'ouvrier mineur l'accession à la propriété de sa maison. Tout ce qui contribuait à relever le niveau de vie de l'ouvrier, à en assurer la dignité, lui paraissait essentiel.

    Depuis le jour où, jeune ingénieur à Montluçon, il se passionnait pour perfectionner la sécurité minière jusqu'à la fin de sa carrière où il concentrait l'essentiel de son activité scientifique à résoudre l'énigme de l'infection silicotique, principal fléau de la santé de l'ouvrier, il garda en lui-même comme idéal premier le perfectionnement moral et social de l'ouvrier mineur.

    Telle est, résumée dans son essentiel, l'action couronnée de succès, morale, matérielle et sociale que le Président Audibert a su mener à la tête de notre industrie houillère.

    On peut comparer la jeune entreprise, créée en 1946, à un vaisseau secoué par la tempête lorsque le Président Audibert, en pleine tourmente, prit la barre. Audibert réussit à éviter tous les écueils. Il engagea son entreprise dans la voie royale des réalisations harmonieuses, hardies quoique mesurées. Il apaisa les esprits, stimula les volontés, donna une âme à l'équipage qui ne saurait mieux honorer sa mémoire qu'en suivant son exemple.

    CONCLUSION

    ARRIVÉ au terme de cet exposé, on mesurera quelle a été l'activité d'Étienne Audibert, comment cet homme a su poser les fondements des théories modernes relatives à la sécurité des explosifs dans les mines, aux dangers du grisou et des poussières et faire progresser l'étude des phénomènes complexes qui les caractérisent. On ne saurait aujourd'hui contester que toutes les études qu'entreprennent les équipes de chercheurs des diverses nations portent l'empreinte des idées synthétiques, des expériences de cet esprit si original. Pendant ces trente dernières années, un progrès essentiel dans le domaine de la sécurité minière a été accompli : le principal ouvrier en a été Etienne Audibert.

    Simultanément, Audibert a inarqué de son empreinte de nombreux domaines industriels d'une importance première : celui de la cokéfaction, notamment, celui du lavage des charbons, celui de la synthèse des carburants nobles. Le savant amoureux des théories, le chercheur analyste cède ici la place au réalisateur en recherche appliquée qui crée après avoir confronté ses idées aux faits.

    Enfin, à l'automne de cette carrière si occupée, Audibert se voit confier de grandes tâches de législateur, puis de chef d'industrie et de coordonnateur de nos grandes entreprises nationales créatrices d'énergie : tout d'abord Électricité de France, puis, surtout, Charbonnages de France, sont présidées par cet homme éminent, dont la clarté des idées, la hauteur de vues, la noblesse de caractère, la connaissance des êtres, la diplomatie souriante sont les caractéristiques. Mis à la tête de nos Charbonnages en pleine crise économique et sociale, il les quitte en situation équilibrée et saine, après les avoir tirés de grosses difficultés.

    C'est alors seulement que, la conscience sereine, ce serviteur de la nation meurt à la tâche, entouré du respect et de l'amitié de tous. La France restera une grande nation tant qu'elle aura de tels enfants.


    Situation d'Etienne Audibert dans la famille polytechnicienne :

    Evolution de Etienne Audibert dans le corps des mines :