Voir le texte intégral de la 1ère partie du cours de F. Ellenberger, sur les fondements historiques et méthodologiques de la géologie structurale

Université d'Orsay
CERTIFICAT DE GEOLOGIE STRUCTURALE ET APPLIQUEE

INTRODUCTION A LA GEOLOGIE STRUCTURALE DE L'EUROPE

Première partie
LES FONDEMENTS HISTORIQUES ET METHODOLOGIQUES DE LA GEOLOGIE STRUCTURALE
Cours de M. François ELLENBERGER
1968-1969

Avant propos et mode d'emploi.

Amis, mes jeunes camarades de la Pentecôte 1968, ce cours vous est dédié, avec toutes ses imperfections. Ecrit, polycopié au jour le jour, au prix de grands efforts, il est à la fois trop long et inachevé, mais a du moins un mérite,celui d'exister, donc prêt à affronter votre contestation.

Fort justement vous réclamiez de nous, vos professeurs, des cours mieux rédigés, distribués à l'avance, pouvant servir de base à une libre discussion orale, à un dialogue véritable. Vous aviez sans aucun doute raison de récuser une certaine forme du monologue magistral (1) J'avais aussi recueilli et médité ce mot d'ordre (que je vous ai alors transmis) : "Maîtres et élèves sont responsables en commun de l'enseignement qu'ils donnent et reçoivent". Il nous venait de musiciens (du Conservatoire), mais n'est-il pas valable pour nous tous ? N'exprime-t-il pas, la plus noble, la plus ancienne, la plus pure conception de l'Université de jadis autonome, cogérée, définie comme "l'ensemble des bacheliers, licenciés et docteurs" ?

Pour vous, j'ai donc accompli un gros effort de réflexion, de lectures (mais hélas ! constamment, interrompu par les servitudes bureaucratiques inhérentes à notre fonction). Je crois y avoir trouvé un grand enrichissement dont je vous remercie en définitive bien sincèrement. J'espère que vous aussi pourrez y trouver une pâture à votre goût, et l'occasion d'un approfondissement personnel. Je vous dois quelques mots d'explication. Ce volume ne devait être en principe, que la libre introduction, la première partie d'un cours sur la structure géologique de l'Europe. Il n'était point du tout question de rédiger un manuel de méthodologie géologique ni un précis d'histoire de la géologie. Mon intention était bien moins prétentieuse.

Je me suis borné à suivre l'éclosion, les éclipses, les retours inattendus de quelques-unes des idées maîtresses gouvernant toute la géologie structurale contemporaine (telle du moins que ma fantaisie la comprend). "Convaincu que les idées ont une histoire, et se définissent le plus sûrement par leur évolution même, nous nous bornerons à suivre cette dernière et à la décrire". (2)

Je ne désavoue nullement l'aspect subjectif, et quelquefois polémique, de l'opération. "Ce n'est pas dans Montaigne, mais dans moi, que je trouve tout ce que j'y vois", reconnaissait Pascal (pensée 79). Les auteurs que je cite m'en voudraient sans doute de ce que je leur fais dire. J'espère beaucoup que le lecteur fera l'effort de les approcher directement et de rectifier s'il y a lieu mes erreurs d'optique.

Dans le manifeste du Comité d'action "Nous sommes en marche" de Censier j'ai glané ces trois thèses que je m'approprie volontiers, sans trop me soucier du contexte; elles serviront d'excuse s'il en était besoin au ton "engagé" de mon exposé :

"Ne craignons pas de laisser à l'information son contenu émotionnel afin que la perception déductive ne soit plus séparée de la perception intuitive, condition nécessaire au plein usage du sens critique". -"Croyez-vous sincèrement que des siècles et des siècles d'humanité ont été stupides, "et que nous sommes soudain devenus intelligents ?" -"Cessons de reconnaître les personnalités pour mieux reconnaître les personnes". [Mai 1968, Ed. du Seuil]. J'en appelle encore à Albert Schweitzer : "Si l'homme veut avoir une idée claire de lui-même et de sa relation avec l'Univers, il faut qu'il se détourne constamment des multiples notions créées par sa pensée et son savoir pour réfléchir au fait élémentaire, immédiat et continu de sa propre conscience. Ce n'est qu'a partir d'elle qu'il peut atteindre à une conception spéculative du monde". (Albert Schweitzer, Ma vie et ma pensée, 1960).

Et s'il ne fallait une dernière démonstration du caractère formateur, essentiel, subversif, urgent de cet humanisme scientifique, exploration du passé des idées,- je citerais enfin Salvator Dali (tract du 18 Mai 1968) : "Les plus belles et les plus profondes révolutions culturelles se sont faites sans barricades, la violence insurrectionnelle animant l'esprit seul, maître de l'espace et du temps. C'est par des fouilles, véritables antibarricades redonnant au passé le moyen de circuler dans l'avenir, c'est en retrouvant les débris des sculptures antiques, que s'est opérée au XVIe siècle la révolution culturelle justement nommée Renaissance".

Pour en revenir à l'aspect pratique des choses, tout le talent et la diligence de ma très dévouée collaboratrice Madame J. Pelletier n'ont pas suffi à empêcher que (par ma seule faute), le texte polycopié final n'apparaisse comme des plus indigeste : question de sous-titres, d'incidentes, de retours en arrière et autres servitudes de toute rédaction honnête de premier jet. ("La dernière chose qu'on trouve en faisant un ouvrage, disait encore "Pascal, est de savoir celle qu'il faut mettre la première").

Nous avons donc, au prix d'un grand labeur supplémentaire (punition méritée par moi, non par elle !), fait un résumé analytique fort complet, où le lecteur attentif découvrira, je le crois, un plan beaucoup moins décousu qu'il ne semblerait d'abord. L'entrclacé, le contrepoint de deux thèmes essentiels (l'Ordre statique "wernérien", la Métamorphose "huttonienne") progresse peu à peu : le plus souvent en opposition, mais s'unissant quelquefois en des synthèses, de plus en plus fouillées : deux méthodes, deux "approches", souvent deux philosophies et très certainement deux types de tempérament antagonistes. Cette lecture de l'histoire de la géologie en blanc et noir, n'est pas nouvelle; Wegmann, Nieuwenkamp par exemple ont avant nous montré comment l'esprit wernérien et l'esprit huttonien sont de toutes les époques, y compris de la nôtre (3) : - et c'est ce qui est le plus important, ce qui était en réalité mon objet essentiel.

En terminant, je cite une fois encore Pascal : "A mesure qu'on a plus d'esprit, on trouve qu'il y a plus de gens originaux. Les gens du commun ne trouvent point de différence entre les hommes." (Pensées, 17), - Puis trois inscriptions murales de notre Mai 68 : "Toute vue des choses qui n'est pas étrange est fausse (Valéry)". - "Oubliez tout ce que vous avez appris. Commencez par rêver". - Et enfin "Le vent se lève, il faut tenter de vivre. Ouvrez les fenêtres de votre coeur." Courage, amis, embarquez au grand large ! notre combat continue ! Pravda Zvitezi !

Cours F. Ellenberger 1968-1969
(2ème cycle C3, Orsay).
Introduction à la Géologie Structurale de l'Europe

"Un fait mal observé est plus perfide qu'un mauvais raisonnement"
(Paul Valéry).

Plan du Cours


Avant-Propos et mode d'emploi
Plan du cours (tables analytique à la"fin du volume)

== Introduction : objet et définition de la géologie structurale à 8).


== Première partie du cours : Les grands concepts de la géologie structurale et leur développement historique

Généralités
Werner et l'école neptunienne
Hutton et le cycle géologique
Soulèvement, principe de direction
Actualisme, uniformitarisme
Les "déformations universelles", E. Suess, Marcel Bertrand
Avènement de la tectonique de nappes de charriage
Emile Argand
Hans Stille et la tectonique comparée
Le géosynclinal selon J. Aubouin; l'orogenèse
Autres réflexions critiques sur l'orogenèse
Sederholm et la conquête de "l'Archéen"
La "tectonique profonde"

== Deuxième partie; Généralités sur la structure de l'Europe

Les cartes tectoniques; étages structuraux, étages tectoniques
Les grandes lignes de la structure géologique de l'Europe

== Table analytique

[ = Pour mémoire, suite probable du cours] : Quelques-unes des grandes unités régionales de l'Europe
Le Bouclier Baltique.
La plateforme d'Europe orientale.
La chaîne calédonienne Scandinave.
Les Iles Britanniques .
La dépression germano-polonaise.
Les massifs hercyniens et la "tectonique saxonne".
Plan général des chaînes alpines.

- Le présent texte est de François Ellenberger (terminé en Mai 1969).
- Des figures ont été distribuées à part, en nombre limité.

- Voir listes de Lectures
- Un peu de dialogue
- Et pour finir, une liste (minimum) de corrections ; merci d'avance pour les vôtres.

I - PREMIERE PARTIE : PRINCIPES GENERAUX

Chapitre A : Objet de la géologie structurale; remarques diverses.


Définition du terme "structure".

La structure est, selon le Larousse, la "manière dont les parties d'un tout sont arrangées entre elles". (Ce terme vient du latin struere : disposer en rangs, en couches (les briques ou les pierres d'une maçonnerie, mettre les troupes en ordre de bataille, etc.). La géologie structurale considère donc d'emblée les objets réels qu'elle étudie comme des complexes organisés; elle analyse leurs constituants puis recherche les relations qui les unissent. Elle n'omet aucune des parties de ce tout dont elle propose ensuite une synthèse abstraite.

Point de vue d'échelles.

Ce qui précède est vrai quelle que soit l'échelle des ensembles considérés : tissus des roches; échantillons; affleurements; petites et grandes régions; continents; Terre entière.

La géologie structurale, selon l'échelle considérée, aura évidemment des façons de faire différentes. En France, on limite couramment son champ d'étude aux objets géologiques d'échelle cartographique, en réservant plutôt le terme de Structurologie à la science des structures naturelles petites et microscopiques. On laisse toutefois à la Pétrographie classique l'étude des structures ou textures dans la genèse desquelles la déformation mécanique n'a point joué de rôle important. L'analyse de cette déformation à l'échelle de ces petits et très petits objets est la Microtectonique. (On notera que la "Structural geology" des Anglo-Saxons embrasse parfois toutes les échelles petites ou grandes).

La géologie structurale envisage d'abord le résultat concret, palpable, actuel des actions qui ont formé la Terre et laisse donc à la géodynamique de s'intéresser préférentiellement aux lois et aux causes de ces actions. Contentons-nous ici de rappeler un principe général énoncé en 1962 par Louis Glangeaud (Bull, de la Soc. Géol. de France, (7), t. IV, p. 912-961) : il existe en géodynamique des coupures phénoménologiques entre niveaux scalaires méthodologiquement distincts. Les lois de la physique de la matière sont différentes à l'échelle des corpuscules, des molécules ou des grandes massée. De même en tectonique, il semble que des lois distinctes président, au moins en partie, aux petites et aux grandes déformations. On ne peut pas reconstituer la mégatectonique à partir de la microtectonique (voir le cours de M. Collomb).

Géologie structurale et géologie régionale

Aux échelles usuelles, la géologie structurale se situe dans un cadre spatial qui est à la dimension d'une région petite ou grande. Elle se confond ainsi, plus ou moins, avec la géologie régionale, dans la mesure où celle-ci se veut une étude globale de tout ce qui constitue les régions naturelles (émergées) de la Terre. Elle sera donc une description synthétique, à trois dimensions, des ensembles régionaux considérés comme des bâtis, comme des structures ordonnées, complexes. Le déchiffrement (ou dacryptement) de cette complexité fera apparaître une hiérarchie dans les structures partielles qui la constituent. Tout n'apparait pas, à l'usage, comme d'égale importance dans l'énorme quantité de faits et d'informations révélées par l'exploration géologique. (Ainsi, dans la grande région naturelle "Bassin Parisien", les ondulations des couches du Tertiaire ou leurs biseaux latéraux de changement de faciès sont considérés comme des données structurales secondaires par rapport à une disposition autrement capitale existant en profondeur : il s'agit de la discordance angulaire régionale de l'ensemble de la couverture mésozoïque et tertiaire sur le "socle" hercynien très plissé, granitisé, induré). Rechercher "l'ordre de préséance" des éléments structuraux est l'une des préoccupations essentielles de la géologie structurale. On remarquera que la géologie structurale moderne est en un certain sens, un retour aux sources de la géologie : les premiers géologues exploraient région par région les divers continents et, faute d'une analyse suffisamment poussée, en donnaient une image synthétique forcément très simplifiée (souvent inexacte). Actuellement, sous peine d'être submergés sous nos connaissances spécialisées (stratigraphie fine, multitude de fossiles, pétrographie sédimentaire et sédimentologie des dépôts, etc.) il faut à nouveau que nous élaborions une image synthétique qui soit à la fois volontairement très épurée, jusqu'à un degré parfois élevé d'abstraction, et cependant aussi riche que possible en enseignements essentiels. Aussi la géologie structurale aura contre elle d'être à la fois terriblement concrète (nécessitant la connaissance de beaucoup de faits structuraux) et néanmoins également passablement abstraite.

Elle constitue l'aspect le plus élevé de la "géographie" des continents; elle donne le cadre régional indispensable où replacer, où situer tous les autres objets d'étude de la géologie (de la corsite au Diplodocus, du diamant au sel gemme).

- Nature des êtres structuraux; géologie structurale et géologie appliquée.

Les objets distincts étudiés par la géologie structurale sont des structures. Ces êtres structuraux ont pour caractéristiques :

1) d'exister dans l'espace actuel à trois dimensions où ils habitent, en toute réalité.

2) Ce sont des êtres contemporains personnalisés. On leur donne des noms propres : anticlinal de Tulle, faille Barrois, batholithe de Los Pedroches (Sierra Morena), arc de St-Chinian, nappe de Jotun, bouclier ukrainien, chaîne bétique, etc. .

3) Leur essence est à la fois géométrique et matérielle : toute structure est d'abord définie par sa forme propre, par l'assemblage organisé des volumes et des surfaces qui peuvent être distinguées; puis par la substance variée qui remplit ces volumes. Un "pétrolier" va rechercher des structures susceptibles de livrer des hydrocarbures : ce seront par exemple des dômes anticlinaux, c'est-à-dire une famille de surfaces convexes emboîtées; mais bien entendu il se préoccupera aussi de la nature des diverses couches de roches remplissant l'espace entre ces surfaces : roches-mères, roches-magasin, écrans imperméables, etc. La description géométrique précédera toujours l'inventaire du contenu lithologique; et celui-ci sera supposé déjà connu par ailleurs lorsque les nécessités de la description structurale imposeront un degré, plus ou moins grand, d'abstraction.

Ainsi on pourra, dans un premier temps, présenter en termes purement géométriques et géographiques en plan, en coupes,etc., le remarquable système de rifts (ou fossés) subméridiens qui se suivent en Europe occidentale depuis la Norvège méridionale jusqu'aux bouches du Rhône. Mais cette description en quelque sorte "topographique", ne suffit pas. On ne pourra pas indéfiniment suspendre l'examen du contenu stratigraphique et pétrographique de ces fosses et de leurs bordures : qu'y a-t-il respectivement dans les fossés d'Oslo, du Schleswig, de Hesse, rhénan, des Limagnes, de la Saône, du Bas-Dauphiné ?

De ce qui précède, on déduit facilement que la Géologie structurale conduit tout naturellement à la Géologie appliquée. Il n'y a pas, il n'y a jamais de géologie appliquée tant soit peu valable sans un important travail, préalable et connexe, de géologie structurale. Bien entendu, d'autres disciplines interviennent également de façon très variable, dans les différentes activités de géologie appliquée (résistance des matériaux, géochimie, micropaléontologie, minéralogie, métallogénie, sédimentologie, etc.) mais aucune n'a la caractère de nécessité imperative, nécessaire, universelle, de la géologie structurale.

C'est pourquoi, si souvent, les principales entreprises officielles de Géologie structurale (par exemple le levé des cartes géologiques) ont été dans le passé, et sont encore, animées par des services miniers (ou parfois hydrogéologiques). En France, le Service de la Carte Géologique vient d'être absorbé par le Bureau des Recherches géologiques et Minières (B.R.G.M.).

Dans l'Université française, le premier enseignement en date de Géologie structurale a été créé par Léon Bertrand en tant que complément inséparable d'une initiation à la Géologie appliquée : la chaire créée pour lui en 1921 à Paris s'appelait "Géologie Régionale et Géologie Appliquée". Plus tard le titre des enseignements animés par Louis Barrabé devint "Géologie Structurale et Géologie Appliquée". (La chaire de Géologie des Grandes Régions du Globe (G.R.G.) d'Orsay, est issue du dédoublement de la chaire en question dont elle represente la portion "Géologie Structurale").

La Géologie structurale ne peut cependant remplir son rôle capital, irremplaçable, auprès des diverses professions appliquant la géologie à des fins économiques et techniques, que si elle garde avec soin ses caractéristiques propres. Elle doit rester une géologie du réel, abordé de front, dans sa totalité concrète (du podzol à la charnockite) décrite dans l'espace géographique à trois dimensions, au prix de nécessaires et difficiles abstractions, avec toute la rigueur d'un architecte et d'un ingénieur. Cela demande une grande ouverture d'esprit alliée à une passion de l'objectivité.

Notre rôle ne sera pas de nous substituer aux spécialistes des applications des Sciences de la Terre (ils connaissent leur métier mieux que nous) mais de répondre clairement à leurs questions et à celles-là seulement. Or un directeur de chantier d'autoroute se moque bien d'avoir à creuser dans le Lotharingien ou le Carixien moyen (dites-lui plutôt s'il rencontrera des roches saines et de quelle nature,diaclasées ou schistosées de quelle façon, ou bien des terrains en danger de glissement) - Par contre l'ingénieur géologue minier à la recherche de gisements métalliques stratiformes attachera certainement beaucoup d'importance à ce que vous lui apportiez une stratigraphie et une tectonique minutieusement exactes, plutôt que de belles loupes d'arrachement ou de petits plis d'entraînement.

En conclusion, l'adepte de la Géologie structurale est avant tout un homme de terrain, pouvant dresser des cartes géologiques exactes, à toutes les échelles, et en général représenter graphiquement (et parfois ensuite statistiquement) tout ce qu'il saura observer. Il doit aussi voir loin et large grâce notamment aux cartes géologiques déjà existantes qu'il lira rapidement et parfaitement (sans oublier les photographies aériennes, les cartes tectoniques, etc.). "Intellectuel en gros souliers", il sera en somme à la fois naturaliste et ingénieur. Toutes ces exigences sont à la mesure de ses privilèges d'aristocrate : n'est-il point l'un des rares professionnels dont l'activité se déroule en bonne partie sur le terrain - un terrain, souvent sauvage, dont il est pour un temps le possesseur ?

- La représentation du temps.

La géologie est la seule discipline scientifique qui nous donne une histoire certaine (bien que lacunaire) d'une portion de l'Univers, aussi limitée soit-elle en dimensions spatiales. Depuis 1930 environ, les Temps géologiques sont devenus commensurables aux Temps cosmiques, et à ce qu'il semble représentent une notable (sinon majeure) partie de ces derniers : événement capital dans l'évolution de la pensée humaine, cependant presque toujours méconnu, y compris des géologues (selon les Astrophysiciens, la Galaxie devait être très différente, à l'époque où se déposaient les conglomérats et les schistes à gouttes de pluie et ripple-marks de la série du Swaziland, il y a 3 milliards et demie d'années).

Or, cette histoire de la Terre peut être restituée selon plusieurs points de vue : histoire de la Vie, histoire des Terres et des Mers (paléogéographie), histoire des événements pétrogénétiques et notamment du magmatisme, histoire de la déformation tectonique - sans parler de tout ce qui concerne les Océans. La Géologie structurale, science de synthèse, est aussi concernée par cette approche historique des faits. Elle désire savoir comment sont peu à peu nées les structures actuelles globales dont l'analyse est de son ressort. Les structures sont des formes, lesquelles ont un contenu : leur histoire sera centrée sur l'acquisition de ces formes mais comprendra aussi celle des roches constituantes. Il s'agira d'une synthèse historique un peu particulière où l'on attachera une particulière importance aux crises de déformation, parce qu'elles sont directement productrices de formes structurales, mais aussi par leurs effets indirects sur la lithogenèse superficielle (sédimentation, volcanisme), et profonde (plutonisme, métamorphisme, etc.).

En Géologie structurale, le Temps n'est donc jamais envisagé indépendamment de l'espace concret à trois dimensions. On verra plus loin comment les cartes tectoniques essaient de représenter, sur l'espace à deux dimensions de leur surface en papier, ces quatre dimensions (volumes souterrains et leur évolution).

La Stratigraphie nous propose une paisible contemplation de la Face de la Terre; elle nous offre la vision d'une "succession harmonieuse de géographies cohérentes" (M. Gignoux).

La Géologie structurale nous révèle la savante, l'admirable architecture des édifices continentaux, elle nous les rend comme transparents, elle les anime enfin sous nos yeux, nous dévoile les tours de mains et tous les secrets de métier de leurs vieux architectes. Modèle s'il en fut jamais du travail en équipe, à ce grand oeuvre coopèrent joyeusement les dieux barbus ancestraux : Pluton, Vulcain, Neptune se donnent la main tour à tour, non sans moult libations d'ambroisie, gras jurons et regards lourds sur les hanches toujours fécondes d'Aphrodite donneuse de vie, Chronos les contemple en silence, ruminant le mystère de cette naissance qui est aussi, déjà, une mort.

Lectures :


Notes :

(1) "Je suis tout-à-fait d'accord pour la suppression des cours magistraux tels qu'ils sont donnés actuellement. Je suis pour le non-directivisme total. Un polycopié bien fait comportant le cours proprement dit ainsi que des références à certains ouvrages, complété par quelques questions bien choisies, serait autrement enrichissant. " Témoignage d'un étudiant de Ph, et Ch., Paris, 9 Mai 1968, cité par Deledicq "Un mois de Mai orageux".Privat éd.

(2) Aug. Sabatier, Esquisse d'une philosophie de la religion, 1898.

(3) Mais plus brièvement, et en allemand.

Voir le texte intégral de la 1ère partie du cours de F. Ellenberger, sur les fondements historiques et méthodologiques de la géologie structurale