Pierre COPEL (1907-1936)

Ancien élève de l'Ecole polytechnique (promotion 1925), et de l'Ecole des mines de Paris (promotion 1927). Corps des mines.


Publié dans Bulletin de l'Association des Anciens élèves de l'Ecole des Mines de Paris, 1936-2.

C'est avec une émotion profonde que nos camarades ont appris la fin tragique de Pierre Copel, disparu en montagne le 2 février... Nous avons suivi avec anxiété les recherches, hélas! infructueuses (au moment où nous mettons sous presse, nous apprenons que le corps vient d'être retrouvé par un chasseur de chamois), et maintenant nous pleurons le camarade brillant et cordial, l'ami sûr et le savant, dont la carrière s'annonçait féconde.

Ingénieur au Corps des Mines, Sous-Directeur de l'Ecole des Mines de Saint-Etienne [poste dans lequel il sera remplacé par Jean LATOURTE], notre ami fut longtemps partagé entre deux passions scientifiques: la belle étude théorique, qui ouvre des horizons profonds mais parfois nébuleux, et l'examen minutieux du réel, moins riche de possibilités grandioses, mais plein de réalisations immédiates. Aussi, selon le hasard des problèmes qui se posaient à lui, il avait déjà fait œuvre personnelle dans les branches les plus diverses : géométrie pure, mécanique ondulatoire, optique théorique, photométrie géophysique... et le destin nous l'enlève au moment où, semblant s'être fixé sur l'électricité, il allait pouvoir donner toute sa mesure.

Sa carrière scientifique avait commencé très tôt et, à 18 ans à peine, étant encore à l'X, il donnait à l'Académie des Sciences une note fort élégante sur le théorème de Beltrami. Nommé Elève-Ingénieur au Corps, il entrait en 1928 dans notre Ecole. Pendant les années qu'il y passa, la passion du réel sembla bien l'emporter et, au cours de voyages en Russie et au Canada, il prit contact avec le vaste monde. Esprit créateur, pour qui l'action était une nécessité, il hésita longuement, à sa sortie de l'Ecole, entre une carrière coloniale, — où l'homme peut façonner un pays nouveau, — et une vocation scientifique, aux joies moins apparentes, mais plus personnelles et peut-être plus profondes. La Science l'emporta et, en octobre 1930, il arrivait à l'Ecole des Mines de Saint-Etienne comme professeur de Physique. Il assura bientôt en même temps l'enseignement de la minéralogie. Dès ce moment, en dehors de deux voyages pour représenter l'Ecole à l'étranger, le travail scientifique l'absorba entièrement.

La physique théorique, avec ses possibilités presque illimitées, le passionna tout d'abord: tout saisir, expliquer, comprendre, quel but plus noble pour une jeune intelligence? et, dans quelques notes à l'Académie et quelques articles au Journal de physique, il approfondit divers problèmes de mécanique ondulatoire. Dès ces premiers travaux, s'affirmait son désir de compréhension complète des faits, d'explication du réel; bien vite il se rendit compte qu'actuellement la « physique moderne » a plus besoin d'expériences que de théories et, sans délaisser pour cela les mathématiques que toujours il aima profondément, son esprit se porta ailleurs.

Lors des nombreuses lectures que lui imposait la préparation de ses cours, il avait vu la faiblesse de beaucoup d'ouvrages où l'on préfère la clarté à l'exactitude et cela le choquait profondément. Très épris des solutions élégantes, il les recherchait avec amour et l'on peut citer sa nouvelle démonstration de la loi de Van t'Hoff comme un modèle parfait de simplicité et de rigueur. Mais sa probité lui interdisait de jamais sacrifier l'exactitude à l'élégance ou à la clarté. Toute erreur, et rares étaient celles qui échappaient à son esprit critique toujours en éveil, lui causait une gêne presque physique, et ainsi il fut conduit à exposer, suivant de nouveaux principes, des sciences qui paraissaient depuis longtemps finies: Optique géométrique, cristallographie, minéralogie physique...

Ces travaux d'enseignement occupèrent son année 1933, qui marque un tournant décisif de sa carrière : désormais, il sera expérimentateur et constructeur, bien que l'impénitent mathématicien qu'il fut toujours consacre encore quelques loisirs à étudier un procédé commode de calcul des corrections gravimétriques en géophysique.

Au cours de ses études théoriques, il avait abordé l'astrophysique et avait été frappé de l'imprécision des mesures photométriques actuelles. Il se mit donc en devoir de réaliser un photomètre sensible et précis et la dernière joie scientifique de sa vie fut l'achèvement de ce nouvel appareil terminé quelques mois avant sa mort.

Tout récemment enfin, l'électricité avait retenu son attention et il semblait définitivement fixé sur celle-ci au moment où le destin est venu le frapper.

Esprit curieux, ouvert à toutes choses, ayant une vue très personnelle sur chaque question, notre ami abordait toujours les problèmes par un côté nouveau et cela l'amenait bien souvent à des vues originales et riches en conséquences. Cette curiosité inquiète toujours en éveil, cette passion de connaître avec exactitude frappaient dès l'abord ceux qui le rencontraient. Une élégante démonstration le remplissait d'une joie presque enfantine, et ce souci d'élégance était l'un des traits les plus marquants de son caractère. Elégance intellectuelle qui allait de pair avec l'élégance morale; à lui s'appliquait parfaitement ce que les Tharaud disaient d'un maître de Péguy : " Il enseignait cette probité intellectuelle qui entraîne infailliblement la probité morale ". C'est lui qui aimait mieux un bon contre-sens qu'un douteux faux-sens, c'est-à-dire un beau contre-sens, hardi, franc du collier, bien dessiné, bien découplé, mais bien délimité aussi, plutôt qu'un de ces douteux à-côté.

S'il faisait preuve dans les questions scientifiques d'un redoutable esprit critique, notre ami regardait la vie avec une souriante indulgence; incapable de penser au mal, il ne savait guère l'apercevoir ailleurs et ce caractère jeune, infant par certains côtés, plein d'illusions généreuses sur la vie et les hommes, il le conserva jusqu'au dernier moment. Toujours gai, bon enfant, souriant, aimant les petites taquineries innocentes, relevant les propos courants d'une pointe d'humour, il cachait sous des dehors aimables de profondes qualités de cœur et un immense dévouement. Bien rares sont ceux qui ont connu le labeur qu'il accomplissait pour les élèves : l'école prenait souvent son temps et ses pensées, alors que le travail scientifique le réclamait; mais il l'acceptait sans regret. Il aimait ses élèves et rien de ce qui les touchait ne lui était étranger. Charmant et cordial, il n'aimait guère se livrer et la plupart de ses camarades ne conserveront de lui que le souvenir d'un homme aimable et sympathique.

Mais il est réservé à quelques rares intimes de connaître les trésors de cœur que cachait la souriante façade de l'ami qu'ils pleurent aujourd'hui.

Pour lui, il aura passé parmi nous modeste, souriant et aimé; avant d'avoir connu les amertumes de la vie, il a près de Dieu trouvé sa récompense.

Sa fin fut digne de sa vie; tous les faits s'accordent pour faire penser que, ne voyant pas venir ses camarades, ses élèves, il s'est mis à leur recherche et s'est perdu dans la tourmente.

« Heureux ceux qui sont morts sur un dernier haut lieu
« Heureux les épis mûrs et les blés moissonnés. »

L. N. (1923).