Jean Dercourt, géologue, professeur émérite de l'Université Pierre et Marie Curie, secrétaire perpétuel honoraire de l'Académie des Sciences, membre de l'Académie Hassan II des Sciences et des Techniques, s'est éteint le 22 mars 2019 au terme d'une vie féconde et généreuse consacrée à la science et à son enseignement.
Nous avons perdu un confrère, un collègue et un ami.
Né en 1935, Jean Dercourt a fait des études scientifiques à la Faculté des Sciences de Paris dans le domaine des sciences de la Terre. En 1957, il est stagiaire de recherches au CNRS, puis passe avec succès l'agrégation de sciences naturelles en 1958. Il exerce les fonctions de chef de travaux en géologie en 1962 et 1963, puis devient docteur es-sciences avec la soutenance d'une thèse consacrée à l'étude géologique d'un secteur du Péloponnèse septentrional. Nommé professeur, il enseigne la géologie à Lille de 1965 à 1979; il est chercheur invité à l'Université d'Edmonton au Canada en 1969, puis il revient à Paris pour diriger à l'Université Pierre et Marie Curie le laboratoire de géologie comparée des continents et des océans associé au CNRS; il est chercheur invité à l'Imperial Collège de Londres en 1987-1988 et enseigne à Paris jusqu'en 2004.
Elu correspondant de l'Académie des Sciences en 1987, il en devient membre en 1991, puis secrétaire perpétuel de 1996 à 2010.
Géologue de grande réputation, Jean Dercourt était un chercheur de talent, un universitaire remarquable et un enseignant aux qualités pédagogiques exceptionnelles. Son oeuvre scientifique a été consacrée à la géologie des formations sédimentaires et des chaînes de montagne édifiées depuis 250 millions d'années.
Après avoir contribué à la connaissance d'une portion de la Méditerranée orientale de 1958 à 1968, Jean Dercourt a abordé la géodynamique de la Cordillère de l'Ouest canadien. A l'époque où l'hypothèse de la tectonique des plaques prenait naissance, il a participé de 1968 à 1972 à la reconstitution des principaux domaines de cette Cordillère et a mis en évidence des nappes de charriage à matériaux ophiolitiques traduisant l'écrasement d'un océan paléozoïque (300 millions d'années) au coeur de la chaîne. La comparaison avec une partie de la chaîne alpine a montré l'extension de la tectonique globale à l'histoire ancienne de la Terre. Jean Dercourt a utilisé la stratigraphie multi-critères qui s'est révélée l'outil idéal pour effectuer des corrélations stratigraphiques à grande échelle. Il a pris part en 1979 - 1980 à une étude pluridisciplinaire (biostratigraphie, chimiostratigraphie, magnétostratigraphie) de séries sédimentaires qui a permis de reconnaître les plus courtes unités de dépôts dans un site donné.
Jean Dercourt, en dirigeant deux grands programmes internationaux (Téthys et Péri-Téthys), de 1987 à 2004, associant de très nombreux chercheurs et ingénieurs d'universités, d'établissements publics de recherche, de services géologiques nationaux et de compagnies pétrolières, s'est attaché comme il l'a expliqué lui même, à la paléodynamique et au paléoenvironnement de la Téthys, océan ouvert dans la Pangée au Permien, il y a 250 millions d'années pour ne laisser subsister aujourd'hui que l'Atlantique central. Il a réalisé des cartographies de plusieurs époques depuis l'ouverture jusqu'à la fermeture actuelle ce qui a permis de reconnaître les environnements marins et terrestres de ce secteur significatif à l'échelle du globe. Ces travaux ont montré, entre autres, que la corrélation entre la chronologie des évènements tectoniques et l'histoire de l'expansion des océans actuels est parfaitement réalisable, que le cadre tectonique du Paléozoïque contrôle les contraintes à la fois pendant l'expansion et pendant la collision, que la localisation latitudinaire N et S des cratons est le principal facteur de sédimentation et que la Téthys, à la différence de l'océan Atlantique actuel, est segmentée par trois seuils lithosphériques (seuil indonésien, méditerranéen et caraïbe) constitués de fragments de la lithosphère continentale entre les marges, ces seuils contrôlent le modèle structural pendant les phases de collision cratonique. Ces reconstitutions ont également des applications importantes dans la localisation de substances d'intérêt industriel (essentiellement des hydrocarbures et également des phosphates, bauxites etc..
Le programme Péri-Tethys a mobilisé 250 chercheurs de 30 pays; il a suscité un millier d'articles scientifiques et 24 cartes paléogéographiques détaillées. Les résultats de ces deux programmes, ainsi que la présentation de ces cartes firent l'objet d'un colloque international à l'Académie des sciences à Paris les 8 et 9 mars 2004.
Secrétaire perpétuel, Jean Dercourt eût le souci constant de la transmission du savoir et de la qualité de l'enseignement scientifique. Il s'est chargé de superviser la publications des Comptes rendus de l'Académie des sciences dans les différentes séries, Mathématiques, Physique, Chimie, Mécanique, Biologies, Géosciences, Palévol. Au sein de l'Académie, il soutint le développement de l'action pédagogiques de La main à la pâte, engagée par Georges Charpak en 1995 et appuya en 2005 la création d'une Délégation à l'éducation et à la formation. Il fit du château-observatoire d'Abbadia, près de Biarritz, propriété de l'Académie, un lieu ouvert au public et aux enseignants.
L'expertise et les conseils de Jean Dercourt étaient très appréciés et il fut nommé Président ou administrateur de nombreux conseils, notamment Président du Conseil national des Universités, du Conseil des sciences de la Terre du Bureau de recherches géologiques et minières, du Conseil de l'Institut français du pétrole, du Comité national d'évaluation de la recherche, de la Commission de la carte géologique du Monde.
Membre associé de l'Académie royale Hassan II des Sciences et des techniques depuis sa fondation par sa Majesté le Roi Mohammed VI, Jean Dercourt fut un participant fidèle et attentif de chacune de ses sessions plénières, tissant des liens féconds et amicaux avec tous ses confrères marocains.
Jean Dercourt a publié de nombreux articles et ouvrages scientifiques, dont les fameux atlas de la Téthys et de la Péri-Téthys, illustrés respectivement de 14 et de 24 cartes paléogéographiques détaillées. Soucieux de partager ses connaissances, le traité qu'il a consacré à la géologie et à ses méthodes (en collaboration avec Jacques Paquet), publié pour la première fois en 1995, a connu 11 éditions successives.
Jean Dercourt a reçu de nombreux prix et distinctions, parmi lesquels le prix Visquenel de la Société géologique de France et le prix Gosselet de la Société géologique du Nord en 1966, la médaille Fourmarier de la Société géologique de Belgique en 1968, la médaille d'argent du CNRS en 1969, le Prix von Buch de la Société géologique d'Allemagne en 1996, l'Award international de l'American Association of Petroleum Geology en 1999. Il était Docteur Honoris Causa de l'Université des Sciences de la Terre de Beijing, de l'Université de Sofia et de l'Université d'Athènes. Jean Dercourt était Commandeur de l'Ordre national du Mérite et Officier de la Légion d'Honneur.
J'ai eu la chance et le privilège d'avoir Jean Dercourt comme jeune chef de travaux en géologie en 1963 lorsque j'étais étudiant en Sorbonne. Organisateur hors pair et rassembleur enthousiaste, Jean Dercourt ne tarda pas à m'enrôler comme trésorier de l'association des étudiants en sciences de l'université de Paris, association dont il était naturellement le président. Sous sa houlette, cette association se chargeait de fournir aux 12000 étudiants en sciences de la vie et de la terre les cours polycopiés des professeurs. Puis j'eus l'occasion de le rencontrer très fréquemment dans ses fonctions de Président de la Société géologique de France, de participer en sa compagnie à de multiples réunions scientifiques, à de nombreuses excursions géologiques nationales et internationales, de l'accompagner au sein de la délégation française aux congrès géologiques internationaux de Florence, d'Oslo et de Brisbane.
Bon nombre des personnes qui ont eu la chance de connaître Jean Dercourt appréciaient sa vive intelligence et sa chaleur communicative. Au terme d'une carrière féconde et remarquable, Jean Dercourt s'inscrit dans la lignée des grands noms de la géologie.
Ses confrères, ses collègues, ses collaborateurs, ses élèves et ses amis, garderont le souvenir d'un grand savant, d'un humaniste et d'un homme profondément bon et généreux.
Philippe Taquet
Membre de l'Institut
Membre associé de l'Académie Hassan II des Sciences et des Techniques
Ce texte rédigé en 2019 a été lu devant l'Académie Hassan II des Sciences et des Techniques