TRAVAUX
DU
COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE
- Troisième série -
T.XIX (2000)
Asti PAPA
Jacques Bourcart (1891-1965) et les fondements de la géologie alpine de l`Albanie

COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGEO) (séance du 6 décembre 2000)

La géologie de l'Albanie est née sous une bonne étoile, sous le signe de l'école géologique française.

Les premières observations géologiques en Albanie sont dues aux 130 voyageurs et naturalistes français, qui en traversant le territoire albanais par leurs itinéraires, ont parlé aussi des ressources du sous-sol. Le premier à en avoir parlé fut François de Pouqueville, le consul français auprès d'Ali Pacha de Tepelenë à Janina, de 1806 à 1817, qui mentionne le gisement de bitume naturel de Selenitza, près de Vlora, dans son Voyage dans la Grèce, paru en 1820. De ce gisement, Théodore Virlet d'Aoust (1800-1894) a donné une description géologique en 1834, dans laquelle il mentionne pour la première fois les couches tertiaires.

Mais les premières observations géologiques régionales sur l'Albanie furent celles d'Ami Boué (1794-1881). Avec ces observations on peut dire que la géologie de l'Albanie était née désormais. Ainsi cette géologie, par une heureuse coïncidence, a eu comme père fondateur, en 1838, Ami Boué, l'une des figures les plus brillantes des sciences de la Terre du XIXe siècle, le premier président de la Société géologique de France.

Dans son troisième voyage dans la Turquie d'Europe, en 1838, Ami Boué, accompagné d'Auguste Viquesnel (1800-1867), parcourut l'Albanie de Shkodër à Kruja, Tirana, Elbasan, Berat, Permet, jusqu'à Janina. Dans son œuvre, parue en 1840, Ami Boué signalait pour la première fois la présence des dépôts marins néogènes dans la partie occidentale de l'Albanie. D'une grande importance est le signalement par Ami Boué du grand développement des serpentinites en Albanie, surtout dans la région de Mirdita, et de l'association des serpentinites avec les gabbros ("euphotides"). On peut justement dire aujourd'hui qu’Ami Boué avait ainsi entrevu la notion d'ophiolites. La géologie de l'Albanie accomplit un autre pas en avant avec les observations, publiées en 1842, d'un géologue français renommé, le compagnon d'Ami Boué, Auguste Viquesnel, ainsi qu'avec l'étude par Henri Coquand, en 1867, du gisement de bitume naturel de Selenitza, attribué justement au Pliocène.

Mais c'est essentiellement avec les travaux de Jacques Bourcart que cette géologie s'est approchée des conceptions modernes et a pris la forme d'une véritable géologie alpine.

Je voudrais, à ce propos, souligner un trait fondamental de l’œuvre de Jacques Bourcart. A la différence de maints autres auteurs (notamment Franz Kossmat, Leopold Kober etc.), qui ont écrit sur la géologie de l'Albanie avant ou après Jacques Bourcart, de façon générale et en se basant, parfois, sur des données fragmentaires, les travaux de Jacques Bourcart en Albanie méridionale, tout comme celles de Franz Nopcsa en Albanie septentrionale, sont fondés sur un travail cartographique assidu, qui s'élève jusqu'à la synthèse représentée par les cartes géologiques à 1: 200 000 dressées respectivement par Franz Nopcsa (Albanie septentrionale) et Jacques Bourcart (Sud-Est de l'Albanie). Ces travaux sont basés sur des itinéraires géologiques détaillés et sur des observations pertinentes. Et c'est là la raison pour laquelle, aujourd'hui encore, beaucoup des données de Franz Nopcsa et de Jacques Bourcart sont valides et ont été confirmées par les études ultérieures. C'est une raison de plus pour considérer Franz Nopcsa et Jacques Bourcart comme les deux véritables pères fondateurs de la géologie alpine de l'Albanie.

La géologie de l'Albanie fut en fait « le premier amour » de Jacques Bourcart. A l'étude de cette géologie il s'était attaché avec toute sa passion de naturaliste et avec l'ardeur de son jeune âge, à partir de 1917, alors qu'il n'avait que 25 ans.

A partir de sa première publication, parue en 1919, et jusqu'à 1926, Jacques Bourcart a publié plus de vingt articles et mémoires sur divers problèmes de la géologie de l'Albanie, en se montrant à la fois éminent stratigraphe et tectonicien de premier ordre.

Pendant la Première Guerre mondiale, le régiment de Jacques Bourcart avait été affecté à l'armée d'Orient, commandée par le Général Franchet d'Esperey et disloquée en 1917 en Albanie. Il y fut d'abord médecin auxiliaire, puis aide major et enfin, après la fin des hostilités, attaché à l'Administration militaire française de l'Albanie méridionale. Mais il n'avait jamais oublié sa vocation de géologue et il accumula ainsi les observations géologiques qui lui permirent de rédiger ses œuvres sur la géologie (et pas seulement sur la géologie) de l'Albanie. Et, en examinant ces œuvres, on peut remarquer que Jacques Bourcart fut tout de suite séduit par l'Albanie et les Albanais.

Dans ses premières publications (1919a) Jacques Bourcart avait signalé pour la première fois la présence des calcaires nummulitiques de l'Eocène inférieur et moyen dans le Sud-Est de l'Albanie, dans les montagnes de l'Ostrovica et Guri i Topit, ainsi que la présence des dépôts molassiques du Miocène de la Morava, près de Korça et de Golik dans la région de Mokra. Dans ses études ultérieures il avait décrit les dépôts crétacés (1919b), notamment les calcaires à Rudistes du Crétacé supérieur (1920b), qui recouvrent en transgression les ophiolites, en les divisant en plusieurs unités. Il mit aussi l'accent sur les formes caractéristiques des terrains crétacés en Albanie, notamment sur les « murailles » et les formes karstiques. Il décrivit aussi en détail le flysch et les calcaires éocènes (1920c) de l'Albanie méridionale. En ce qui concerne les ophiolites (les « roches vertes », comme il les appelait), Jacques Bourcart souligne que ces roches sont très développées en Albanie et forment la nappe de la Mirdita, qui surmonte le flysch de l'Albanie centrale et occidentale. Il souligne aussi que les roches vertes sont constituées principalement de serpentinites, qui proviennent de la transformation des gabbros et des péridotites. Il pensait, donc, que « les roches vertes  se sont formées à l'état de péridotites et de gabbros dans le fond du géosynclinal albanais, ce qui prouve ainsi leur association avec les radiolarites ».

Jacques Bourcart poursuivit ses études sur la géologie du Sud-Est de l'Albanie afin de dresser la première carte géologique à 1: 200 000 de cette région, après la fin de la Première Guerre mondiale. Les résultats des ses études sont synthétisés dans sa thèse désormais classique (1922) sur la géologie et la géographie de l'Albanie moyenne et méridionale.

Dans cet ouvrage, une partie essentielle est constituée par la description détaillée de la stratigraphie de la molasse tertiaire, laquelle remplit le bassin sédimentaire que Jacques Bourcart avait dénommé « le sillon albano-thessalien ». Il reconnut les différents étages classiques de l'Eocène (Lutétien, Auversien et Priabonien), de l'Oligocène (Lattorfien, Rupélien et Chattien) et du Miocène (Aquitanien et Burdigalien), qui furent datés à l'aide de riches collections de mollusques fossiles, qu'il ramassa  et sur la base des corrélations qu'il établit avec les couches classiques du Tertiaire vicentin.

La majorité des données stratigraphiques de Jacques Bourcart sur la molasse tertiaire de l'Albanie méridionale a résisté au temps et j'ai eu l'occasion de les confirmer par une analyse biostratigraphique basée sur les foraminifères planctoniques, dans une étude détaillée que j'ai réalisée avec mon collègue Pandeli Pashko, au début des années 1970.

Jacques Bourcart n'avait pas considéré la molasse de la façon dont on est habitué à la considérer actuellement. Il avait pourtant souligné la différence entre les dépôts fossilifères qui recouvrent en transgression le soubassement de la dépression de Korça, partie intégrante du sillon albano-thessalien, et le flysch, qui est très répandu dans les régions plus occidentales de l'Albanie, où il recouvre en concordance les calcaires éocènes, et dans lequel on ne trouve pas de macrofossiles. Par ailleurs, il avait remarqué, encore avec perspicacité, que : « Le flysch albanais et le flysch du Pinde appartiennent entièrement au Nummulitique moyen (Auversien-Priabonien) et supérieur (Oligocène) ».

En parlant du Néogène, Jacques Bourcart, outre les couches néogènes de la Morava, donc de la molasse du sillon albano-thessalien (Aquitanien et Burdigalien), donne une description succincte du Néogène de l'Albanie occidentale, notamment des calcaires à lithothamnium de l'Helvétien dans la région de Tirana, du Tortonien de la région de Valona, du Miocène supérieur du synclinal de Tirana. Il réserve une attention particulière au Pliocène albanais, notamment au Pliocène des alentours du lac de Shkodra, qu'il avait découvert et où il ramassa une riche collection de fossiles étudiés par Gustave F. Dollfus, qui lui permirent d'établir des corrélations avec le Plaisancien et l'Astien de l'Italie.

Jacques Bourcart fit aussi des observations sur les effets des glaciations quaternaires (1920a) en Albanie méridionale. Il étudia ainsi les traces glaciaires de Guri i Topit (ou Massif de Lenia), qui firent l'objet d'un lever régulier à 1: 50 000 et d'une description détaillée de quatorze lacs glaciaires.

En ce qui concerne la tectonique, Jacques Bourcart a montré que la nappe de la Mirdita, qui avait été observée et nommée « Mirdita Decke » auparavant par Franz Nopcsa en Albanie septentrionale, se prolonge en Albanie méridionale et qu'elle s'est mise en place après l'Eocène et avant le Burdigalien. En se basant sur la propagation de cette nappe dans tout le territoire albanais, Jacques Bourcart la nomma « Nappe albanaise », mais dans l'usage courant a subsisté la dénomination originelle de Zone (ou nappe) de Mirdita. En analysant cette structure grandiose, Jacques Bourcart arriva à la conclusion que tout le territoire albanais est un domaine typique de nappes tectoniques, charriées l'une sur l'autre.

D'autre part, en 1925, il donna une synthèse plus complète de la tectonique de l'Albanie dans son article intitulé Observations nouvelles sur la tectonique de l'Albanie moyenne, qui complétait sur des points essentiels les vues de Franz Nopcsa et de Franz Kossmat sur les Dinarides (s. l.) et annonçait clairement la structure de ces chaînes telle que nous la connaissons encore de nos jours. De ce fait, Jacques Bourcart fut le premier à donner un schéma tectonique complet, englobant tout le territoire albanais, en mettant l'accent sur son style tectonique en grandes nappes de charriage. Le schéma tectonique inclus dans cet article de Jacques Bourcart (fig. 1) constitue la première carte structurale de l'Albanie. Il y avait représenté la vaste nappe ophiolitique (« Nappe albanaise ») très connue actuellement et que l'on dénomme Zone de Mirdita en Albanie, Zone subpélagonienne en Grèce et Zone serbe en Serbie. Les écailles de Cukali en avant de cette nappe furent rattachées à la nappe (ou à la Zone) du Pinde en Grèce et à la zone de Budva au Monténégro. Et l'autochtone, sur lequel reposent les écailles en question, fut attribué à la Zone adriatico-ionienne définie par Franz Nopcsa. Jacques Bourcart mit aussi en évidence que la nappe ophiolitique supporte la molasse d'un bassin qui, de la région de Korça en Albanie, se poursuit en Thessalie. C'est le « Sillon albano-thessalien », que l'on peut considérer aujourd'hui comme un « piggy-back ».

Jacques Bourcart a aussi le mérite d'avoir introduit dans l'usage courant de la géologie de l'Arc dinaro-albano-hellénique (Dinarides s.l.), grâce à la priorité scientifique, la dénomination « albanaise » (pour ainsi dire) de maintes zones, telle la Zone des Alpes albanaises.


Figure 1 - Carte tectonique de l'Albanie par Jacques Bourcart (1924).

Zones tectoniques : 1.- Zone adriatico-ionienne (Zone de Kruja + Zone ionienne+ Zone de Sazani). 2.- Zone de Cukali-Pindos (Zone de Krasta-Cukali). 3.- Zone des Alpes albanaises. 4.- Zone du Shar (Zone du Korabi). 5.- Nappe albanaise (Zone de Mirdita).


Jacques Bourcart fut le premier à mettre en évidence le plissement continu dans les régions de collines occidentales et dans la plaine côtière adriatique de l'Albanie, donc dans ce qu'on appelle aujourd'hui Zone ionienne et Dépression préadriatique, en analysant les séries continues du flysch paléogène et de la molasse néogène dans les synclinaux subsidents et les séries avec lacunes stratigraphiques et transgressions dans les anticlinaux en soulèvement progressif. Ces conclusions de Jacques Bourcart (1924a) ont été confirmées par les études ultérieures et notamment par les centaines de forages pour la recherche et l'exploitation d'hydrocarbures dans les structures anticlinales miocènes de la dépression préadriatique et dans les structures anticlinales des calcaires éocènes, recouvertes par le flysch dans la Zone ionienne de l'Albanie. Il souligna que ces mouvements se sont poursuivis jusqu'à nos jours, comme le montrent la néotectonique et l'évolution géomorphologique du réseau hydrographique albanais. Les notes de Jacques Bourcart sur l'évolution de ce dernier sont intéressantes, originales et perspicaces. Toutes les études géomorphologiques consacrées récemment à ce réseau par les géographes albanais ont confirmé grosso modo les conclusions de Jacques Bourcart.

En étudiant l'histoire récente, post-pliocène de la côte et de la mer Adriatique actuelle, Jacques Bourcart donna, dès les années 1920, une interprétation, toujours valable, de la structure géologique de la région côtière de l'Albanie aux environs de Durrës (Durazzo), c'est-à-dire de la structure de la partie la plus occidentale de la dépression préadriatique. Jacques Bourcart (1924b) souligna l'existence, dans cette région, d'anticlinaux allongés, aujourd'hui partiellement submergés, qui, par conséquent, ont l'apparence de brachyanticlinaux isolés. Par ignorance de cette idée perspicace de Jacques Bourcart, ces structures furent précisément interprétées, dans les études postérieures, comme des brachyanticlinaux. Mais les travaux que j'ai dirigés à la fin des années 1980 et que nous avons accomplis, avec d'autres collègues (Alfred Frasheri, Vasillaq Leci, etc.), pour l'étude géologique et géophysique (y compris la sismique réflexion) de la zone côtière de la plate-forme continentale albanaise de l'Adriatique, ont confirmé que les anticlinaux du Cap Pali (Cap de Saint-Paul) et de Kryevidh, parfois considérés à tort comme étant séparés, forment en réalité une structure anticlinale unique et linéaire, comme l'admettait Jacques Bourcart.

Une autre observation pertinente de Jacques Bourcart, et qui fut certainement l’une des premières observations de ce qu'on appelle de nos jours la néotectonique, est celle concernant la déformation historique du synclinal plio-quaternaire de Durres (l'antique Dyrrachium), qu'il mit en évidence en soulignant que les sols en mosaïque des villas découvertes par la mission archéologique française de Léon Rey, ont été retrouvés sous la mer en suivant une antique chaussée romaine qui plonge dans la mer Adriatique. Jacques Bourcart souligna que ce synclinal avait subi un abaissement relatif de 7 mètres, alors que les deux anticlinaux qui le bordent avaient été affectés par un mouvement de surrection. Jacques Bourcart est revenu plusieurs années plus tard sur certains de ces problèmes fondamentaux de la géologie de l'Albanie dans sa Géographie du fond des mers (1949), témoignant ainsi qu'il n'avait pas oublié son « premier amour ». Et cet amour, ainsi que l'intérêt pour la géologie de l'Albanie et des pays limitrophes, il le manifestait alors qu'il était désormais devenu l'une des figures les plus éminentes des sciences de la Terre en France. Au surplus, il sut les transmettre à cette pléiade de géologues français qui, travaillant sur le pourtour de la Méditerranée orientale se réclamèrent de lui et de son exemple et qui, au cours des dernières décennies ont apporté une contribution remarquable à la connaissance géologique des chaînes alpines méditerranéennes, et notamment de l'Arc dinaro-albano-hellénique (Dinarides s. l.).

Ce fut Jacques Bourcart qui incita avant la Seconde Guerre mondiale Jan H. Brunn à entreprendre une thèse en Grèce, dans le Pinde septentrional qui jouxte la frontière albanaise. Les travaux de Jan H. Brunn furent interrompus par la guerre et ses conséquences qui, dans les confins gréco-albanais, ont duré jusqu'au début des années 1950. Mais il acheva sa thèse en 1956 et entraîna en Grèce Jean Aubouin qui, à l'issue de ses études des années 1950 et 1960, proposa une synthèse remarquable des Hellénides et des Dinarides en se basant aussi sur les thèses, aussi brillantes et perspicaces, de Jean Dercourt, Paul Celet, Jacques Mercier et Ivan Godfriaux en Grèce et de René Blanchet, Jean-Paul Cadet, Jacques Charvet et Jean-Paul Rampnoux dans l'ex-Yougoslavie (Serbie, Monténégro, Bosnie-Herzégovine). Seulement l'Albanie, soumise à un régime dictatorial, avait fermé la porte aux élèves de Jacques Bourcart.

Cependant, dans les années 1960, pendant une courte période relativement libérale du régime albanais, la porte fut entrouverte. Ainsi des élèves de Jacques Bourcart, désormais connus comme des géologues renommés, ont pu alors visiter l'Albanie : Jean Aubouin en 1964, Jan H. Brunn en 1965 et Jean Dercourt en 1966. Ils eurent la possibilité de faire le point sur l'état des connaissances et de présenter à nouveau la géologie de l'Albanie au monde scientifique international. En même temps, ils constatèrent que le souvenir de l’œuvre de Jacques Bourcart était toujours vivant parmi les géologues albanais.

Et par une singulière coïncidence, c'est précisément en Albanie, à l'aéroport de Tirana, que le premier élève de Jacques Bourcart, notre éminent confrère Jan H. Brunn apprit le décès de Jacques Bourcart, le jour même de sa mort. Là, dans la salle d'attente de l'aéroport, nous, géologues albanais avec notre professeur, le doyen de la géologie albanaise, le regretté Injac Ndojaj, nous avons témoigné à Jan H. Brunn l'hommage de tous les géologues albanais pour l'homme qui avait contribué à jeter les bases de la connaissance géologique moderne de l'Albanie.

Comme intellectuel albanais, je voudrais également souligner la contribution de Jacques Bourcart à l'étude de la géographie physique et humaine, ainsi qu'à la connaissance des mœurs et coutumes, de l'ethnographie et de la culture, et même de l'avenir économique de l'Albanie. Dans ses études, parfois de pionnier, il traita plusieurs aspects, quelquefois des plus inattendus, de la vie albanaise. Il parla du climat, de la végétation, du type anthropologique et des religions des Albanais, des agglomérations humaines, des habitats et de l'organisation communale. Il traita aussi du mode de vie, de l'agriculture et de l'élevage, de l'industrie locale et du commerce. Il fut le premier à recueillir de nombreux termes géographiques et géologiques ainsi que des toponymes albanais, en les utilisant dans ses œuvres, parallèlement aux termes français correspondants.

Comme Albanais, je voudrais rendre hommage à la figure de Jacques Bourcart qui, bien que venu en Albanie pendant les années troubles de la Première Guerre mondiale, et malgré les exigences de la vie militaire, s'était inspiré des plus hauts sentiments de l'humanisme français, et qui, parcourant à cheval ou même à pied les sentiers des rudes montagnes albanaises, n'hésitant pas à apprendre la langue albanaise, a pu ainsi connaître et apprécier les vraies vertus de ce peuple. Sa noble intention, comme il le disait, était de « contribuer à mieux faire connaître ce beau pays et son peuple si intéressant » avec lequel il avait noué les liens d'une amitié profonde.

Pour exprimer la gratitude et le respect des Albanais envers leur grand ami, des cérémonies commémoratives ont eu lieu en Albanie pendant la dernière décennie. Ainsi, en 1995, à l'occasion du 30e anniversaire de sa mort, la Société géologique albanaise et la Faculté de géologie et des mines de l'Université de Tirana, ont organisé une séance pour faire le point sur la contribution de Jacques Bourcart à l'étude géologique et géographique de l'Albanie, et sur ses études de l'ethnographie et de la culture albanaise. En même temps, la municipalité de Korça, la ville principale de l'Albanie méridionale, dans laquelle Jacques Bourcart vécut pendant ses années albanaises et où subsiste encore une francophonie active, a décerné le nom de Jacques Bourcart à une rue du quartier historique de la ville.

Et j'eus aussi l'honneur de commémorer et de rendre un hommage à la figure de Jacques Bourcart de la part des géologues albanais, à Paris en décembre 1993, pendant la séance inaugurale, consacrée à Jacques Bourcart, des journées spécialisées de la Société géologique de France et de l'Institut océanographique sur les géosciences marines.

J'eus enfin l'occasion de présenter ma communication « L’œuvre du grand géologue français Jacques Bourcart sur l'Albanie » au Colloque consacré aux auteurs et chercheurs français sur l'Albanie et les Albanais, organisé à Tirana en octobre 1997 par la Bibliothèque nationale d'Albanie et l'Ambassade de France en Albanie, avec le concours personnel de Monsieur l'Ambassadeur Patrick Chrismant.

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