Albert Victorin MATHON (1944-2007)

Ancien élève de l'Ecole des mines de Paris (promotion 1964, entré classé 47 sur 55 élèves, et sorti en en 1967 classé 51 sur 59 élèves). Ingénieur civil des mines. Diplôme de spécialité de l'Ecole nationale supérieure de l'Aéronautique.


Biographie succincte, par Robert Mahl

Il est né le 18 juillet 1944 à St Martin de Valamas (Ardèche) et décédé à la suite d'une longue maladie le 7 novembre 2007. Il avait épousé Arlette, ancienne élève de l'Ecole normale supérieure, et ils eurent une fille, Sandrine, qui fit l'Ecole Centrale de Paris.

Sa carrière s'est entièrement déroulée à l'Ecole des mines de Saint-Etienne, où il est a été recruté par Jacques Boissé en 1969 pour enseigner l'automatique, et a quitté progressivement l'Ecole en 2005. Il comptait d'abord y faire une thèse d'analyse numérique, mais peu après mon arrivée à l'Ecole (septembre 1970) des budgets sont débloqués pour remplacer l'antique IBM 1130 par des ordinateurs Philips P1100 puis P1200, certes très lents d'après nos standards actuels, mais qui nécessitaient une infrastructure d'exploitation non négligeable. Albert devient alors d'abord chef du centre de calcul de l'Ecole (1971) à la place de Pierre Lesbats (EMSE promo 1956), tout en enseignant l'analyse numérique. Alexandre Coinde, professeur de gestion à l'Ecole, qui avait trouvé quelques clients intéressés par le développement de systèmes d'informatique de gestion, propose en 1973 à Albert Mathon et à Jean-Pierre Jourdan (EMSE promo 1969) de le seconder.

Albert Mathon fut par la suite nommé professeur à l'Ecole où il enseignait l'art du management, d'abord en appui d'Alexandre Coinde frappé d'une rupture d'anévrisme en 1976, puis comme une discipline à part entière. En 1980, il crée un département "Entreprise et travaux" au sein de l'Ecole, où il rassemble immédiatement 11 scientifiques et enseignants parmi lesquels Jean-Pierre Jourdan et un corpsard, Jean-Marie Pla. Comme il l'écrit lui-même, Ce département a pour vocation d'être une structure d'animation d'actions de formation ... En outre, la conception des actions de formation à "l'exportation des biens industriels", destinée aux ingénieurs, [se fait] entièrement au sein de ce département.

Philippe Hirtzman le fit nommer directeur adjoint de l'Ecole, directeur des études (1994-2002); il prenait à ce poste la succession de Jean-Pierre Lowys (X 1957). Comme le le dit Michel Soustelle, qui fut son collègue à l'Ecole : "L'imagination légendaire d'Albert s'est épanouie dans la création d'outils et de concepts théoriques. La gestion des hommes et l'animation d'une équipe le passionnaient, ses idées novatrices, ses inventions ont bousculé les habitudes, ses innovations pédagogiques ont fait réfléchir toute une population d'enseignants. Il a fait découvrir à l'Ecole des mines de Saint-Etienne sa pyramide décrivant les objectifs pédagogiques de la formation d'ingénieur civil des mines, décryptée avec humour et esprit ... Albert Mathon a beaucoup donné à l'Ecole et sa bouillante intelligence, sa vivacité d'esprit, son imagination débordante, son sens de la répartie, sa gaîté et sa gentillesse ont provoqué l'adhésion des coeurs ...".

Ses amis se souviennent aussi de son engagement dans la danse, notamment le tango, dans lequel il avait acquis, en "partenariat" avec Arlette, un niveau quasi-professionnel.


Discours de Christian Brodhag pour la remise de l’Ordre National du Mérite à Albert Mathon (20 mai 2004) :

Je suis très honoré qu’Albert fasse appel à moi pour cette cérémonie solennelle. Surtout que c’est la première fois que je me livre à cet exercice. Il me semble qu’il y a plusieurs façons d’aborder un tel discours et dire tout le bien que nous pensons d’Albert Mathon. J’ai pensé à trois façons.

La première aurait été celle de parler de moi. Vous avez remarqué, c’est fou ce que les gens aiment parler d’eux-mêmes, même s’ils ne sont pas au centre de la situation. Bien entendu, je ne parlerai pas de moi, bien que... j’adorerais.

La seconde aurait été celle de parler de celui qui reçoit cette distinction. De vanter tous les mérites d’Albert Mathon et les bonnes raisons qui l’ont conduit à pouvoir accrocher un ruban à sa boutonnière. Je ne le ferai pas. Non pas qu’il n’y ait mille bonnes raisons de le faire. En effet, j’aurais pu commenter, point par point une carrière bien remplie, pour un ingénieur des Mines de Paris, qui sans doute par abnégation va faire sa carrière aux Mines de Saint-Etienne. Par les temps qui courent, ce fait pourrait justifier en lui-même cette décoration. Non je crois que le mérite d’Albert est celui d’avoir maintenu une présence à l’Ecole en harmonie avec Alexandre Coinde à qui je souhaite au passage rendre aussi hommage. Cette présence, c’est celle de l’héritage de Henri Fayol et de son administration industrielle et générale, reconnu aux Etats-Unis et méconnu en France. Les grands techniciens et scientifiques de l’Ecole comme Fourneyron ou Beaunier, ont plus marqué la mémoire, alors que tous sont présents au fronton de notre école.

Vous me permettrez d’ailleurs une parenthèse sur ce sujet, comme vous l’avez remarqué la place centrale du fronton reste vide, je dois malheureusement me résoudre à considérer qu’elle ne sera ni pour Albert ni pour moi, ce qui évitera de nous fâcher. Non je n’évoquerais pas non plus ses responsabilités comme Directeur de l’Enseignement et de la Formation, et ses célèbres schémas conceptuels. Non, nous laisserons ce discours pour dans quelques années quand il prendra sa retraite.

Alors la troisième façon d’aborder un tel discours est de parler de nous, de nous deux. Pourquoi lui, pourquoi moi ? Pourquoi a-t-il souhaité que je partage avec lui ce moment exceptionnel ? Voilà la question que je me suis posée. Ma première rencontre avec Albert s’est déroulée aux Etats-Unis il y a presque jour pour jour 30 ans. Albert est donc ce qu’on appelle un ami de trente ans. J’étais alors en seconde année à l’Ecole dans l’option chimie environnement alors dirigée par M. Gilbert qui assurait dans ce domaine un rayonnement national à notre école. Nous avons d’ailleurs appris là bas sa brutale disparition, qui a précédé de peu d’années celle de l’axe environnement. Albert, tu étais alors responsable de l’option gestion et accompagnait le voyage d’option aux Etats-Unis. Je m’étais subrepticement introduit dans ce groupe du fait de la défection très tardive de Robert Mahl, et j’ose l’espérer grâce à ma maîtrise de l’anglais et de l’environnement qui était un des deux thèmes de la mission. Mais nos liens ne se limitent pas à être amis de trente ans, car cette valeur est aujourd’hui largement dévalorisée. Second lien et point commun, quand nous entendons le mot « paradigme » nous ne sortons pas notre dictionnaire.

Enfin je pense qu’au-delà des péripéties que nous ont imposées les restructurations de l’Ecole, nous avons un point commun c’est celui de situer notre pensée entre le cristal et la fumée. Le passage du cristal à la fumée, ce n’est pas brûler du charbon dans une centrale, mais fait référence à un champ de connaissances et de compétences celui de la complexité. Prigogine le prix Nobel, Atlan (que je viens de citer), Bertalanfy ou Morin quelques noms dont nous avons partagé la lecture. J’ai moi-même quitté le cristal des céramiques en espérant ne pas partir en fumée. J’ai quitté le cristal, car je pouvais difficilement considérer qu’un modèle de grains assimilables à des sphères était supérieur à l’observation de la réalité complexe permise par l’informatique. Comme tu ne le sais peut être pas j’ai été pour cela viré du bureau de René Thom. L’auteur de la théorie des catastrophes n’avait pas accepté que j’ose lui demander si des phénomènes observables et maîtrisables par l’informatique ne pouvaient être considérés avec le même intérêt que ceux qui étaient accessibles à la formalisation mathématique. « Vos jouets informatiques vous empêchent de penser » m’avait t’il lancé. Mais nous étions à la fin des années 1970.

Revenons à Fayol, que nous n’avons en fait pas quitté. Qu’est ce que l’ingénieur des Mines sinon que l’organisateur d’un grand chantier, d’une grande organisation ? Le management, les organisations, la gestion des projets bien entendu appliqué à l’objet technique, voilà les racines que tu représente à l’Ecole et que je partage. J’ai toujours été frappé par le fait que Fayol était universellement connu, un des 10 penseurs de l’histoire mondiale du management, et que le fait qu’il soit issu de l’Ecole des Mines de Saint-Etienne était universellement ignoré. Son actualité repose dans le fait que Fayol n’a pas édicté des règles, mais il a proposé des principes de management, des lignes directrices déduites de son expérience concrète dans la Société industrielle et minière de Commentry-Fourchambault, c’est à dire de l’observation de la réalité. Pour lui la théorie est au service de la réalité et non l’inverse. Fayol considère que les dirigeants ne doivent pas seulement se préoccuper de commander et de contrôler, ils doivent aussi prévoir, organiser, coordonner. Toutes choses qui sont essentielles à l’heure du développement durable qui accorde tant d’importance au long terme, et à la gouvernance qui est l’art de la coordination. La vulgate du Fayolisme n’a gardé malheureusement que l’unicité du commandement et de la direction, ou la division du travail plus attribuée à Taylor. Mais ce ne sont que 3 de ses 14 principes, bien des autres sont aujourd’hui plus pertinents. Certes un peu teinté de paternalisme, Fayol est un humaniste. Je ne résiste pas à l’envie de vous rappeler quelques principes.

Principe 2 : l’autorité personnelle, qui est le complément indispensable de l’autorité statutaire, attribuée par la fonction, est faite d’intelligence, de savoir, d’expérience, de valeur morale, de don de commandement.

Principe 6 : la subordination de l’intérêt particulier à l’intérêt général.

Principe 11 : l’équité qui va plus loin que la justice car cette dernière se limite souvent à des règles.

Principe 7 : la rémunération équitable du personnel. On voit à travers ces principes que la très actuelle réflexion éthique est déjà perçue par Fayol.

Principe 8 : l’équilibre entre centralisation et décentralisation, on parlera aujourd’hui délégation de responsabilité ou de subsidiarité dans l’administration de la chose publique.

Principe 13 : l’initiative reconnue même au plus modeste. C’est en cela que Fayol s’oppose à Taylor, il reconnaît l’apport des qualités de chaque individu, alors que Taylor essaie au contraire de rendre le travail indépendant de tout savoir-faire ou aptitude particulière. On parle aujourd’hui de compétence ou d’empowerment que nous traduisons par « capacitation ».

Principe 14 : l’union du personnel qui privilégie l’harmonie des relations plutôt que la communication écrite.

Alors que son contemporain Taylor est déterministe, Fayol est pragmatique et ses principes résistent au temps en étant toujours d’actualité et résistent à la complexité qui est la caractéristique du monde contemporain et donc de son management. Taylor s’appuie sur une vision mécanique et Fayol sur une vision organique.

J’arrête ici de parler de Fayol, pour revenir à nos relations que nous n’avons pas quitté en fait..

Je tiens à profiter de la parole pour te faire deux reproches Albert, en effet, tout n’est pas rose entre nous, amis de trente ans : un reproche grave et un plus véniel. Le reproche grave c’est que tu sais danser le Mambo et pas moi, mais avec le temps je m’en suis consolé. Le second est moins grave, tu m’as fait venir en STRAD, stratégie du développement. J’ai quitté pour toi les céramiques, pour rejoindre ton centre. Mais à ce moment tu l’as quitté en prenant la direction des Enseignements et de la Formation. Le cap que tu avais tracé a éclaté en même temps que le département SIMADE. Il ne t’a pas échappé Albert, que je viens d’écrire avec l’AFNOR des lignes directrices pour aider les entreprises à élaborer leurs stratégies du développement durable, c’est-à-dire STRADD avec deux D. La preuve que je ne t’en veux pas.

Je crois que c’est pour cette complicité intellectuelle que tu as fais appel à moi. Et c’est pour elle que je rends hommage à ta vision.

Je sais que tu as un projet pour les prochaines semaines, mais ce projet sera facilité par les relations que tu maintiendras avec nous. Je te propose de réfléchir à l’animation d’un séminaire régulier, sur ces thèmes. Un cycle Fayol par exemple.

Je tiens en conclusion à t’exprimer toute mon amitié et je crois pouvoir me faire l’interprète de tous ceux qui sont réunis autour de nous. Nous t’aimons Albert, et reviens nous vite en pleine forme. Avant de procéder à mon office, je tiens à saluer ton épouse, car comme chacun sait derrière chaque grand homme il y a une femme exténuée, et nous pensons tous aussi à elle.

Alors maintenant Cher Albert nous devons passer aux choses sérieuses, au nom du Président de la République je te fais chevalier dans l’ordre national du mérite.

[Christian Brodhag est un ancien élève de l'Ecole des mines de Saint-Etienne, docteur d'Etat en chimie et professeur à l'Ecole des mines de Saint-Etienne. Il a été conseiller régional de Rhône-Alpes et président de la Commission nationale du développement durable].


Discours de Michel Soustelle aux funérailles de Albert Mathon :

BONSOIR ALBERT

Nous, tes amis, et en particulier ceux de l’Ecole des mines, sommes là cet après midi pour partager avec toi un moment, essayer de prolonger ces passionnant instants de rencontre que nous aimions tant, que tu aimais tant. Tu as eu une présence si importante parmi nous que nous sommes nombreux à t’accompagner.

J’ai le privilège de me souvenir de ton arrivée comme jeune ingénieur à l’Ecole au service électronique. Mais très vite, déjà très attiré par l’innovation, tu deviens le patron du tout nouveau centre de calcul de l’Ecole avec la machine IBM 1130. Nous nous apercevons alors rapidement de ton agilité d’esprit devant des problèmes nouveaux pour tous et de ton sens naissant de la pédagogie qui allait devenir ton arme maitresse.

Ensuite tu vas te tourner vers les sciences de la gestion avec Alexandre COINDE comme patron qui, ironie du sort, nous a aussi quitté il ya peu.

Dans ce domaine nouveau pour toi tu trouves un terrain où ton imagination, pas encore légendaire, va s’épanouir dans la création d’outils et de concepts théoriques. Ton excellence te conduira plus tard naturellement à prendre la suite d’Alexandre à la tête d’un département puis d’un centre regroupant la gestion et l’environnement.

La gestion des hommes et l’animation d’une équipe te passionnaient, te questionnaient et je me souviens de nos déjeuners que tu provoquais pour que nous partagions en tête à tête nos problèmes et nos solutions.

Ton centre est sans doute le plus difficile à diriger car rassemblant des personnes très différentes avec des objectifs apparemment si différents, mais cela te sied à merveille car tu exerces là avec ravissement ton sens de l’analogie, de la reformulation globalisante. Ton éclectisme, ton à propos et ta rapidité de raisonnement trouvent encore là une matière première que tu façonnes avec ravissement. Tout cela avec une gentillesse qui provoque l’adhésion des cœurs.

Tu es ensuite appelé à la direction des études et là, toute l’Ecole va découvrir cet Albert que seuls tes collaborateurs et quelques collègues des comités de direction connaissent et apprécient. Tu vas déconcerter tout le monde par tes idées novatrices, tes inventions vont bousculer les habitudes, tes innovations pédagogiques vont faire réfléchir toute une population d’enseignants. Toute l’Ecole va découvrir qu’à coté des pyramides de Guizèh, Chéops et autres il existe à l’Ecole des mines de Sain Etienne la pyramide d’Albert. Tu nous la décryptes avec ton humour et ton esprit, tu nous montres qu’elle contient tout ce qu’un élève ingénieur doit faire à l’Ecole, pourquoi il doit le faire et comment. Tu nous révèles le sens de ce que nous enseignons, tu éclaires notre mission de formateur. Par là tu places, enfin, au cœur de l’enseignement de l’Ecole la science de l’éducation.

La maladie qui te frappe beaucoup trop tôt nous atterre tous, L’Ecole ne peut plus être la même sans ta bouillante intelligence, ta vivacité d’esprit, ton imagination débordante, ton sens de la répartie, ta gentillesse. Vivre sans tout cela, Albert, ce sera vivre sans ton sel, sans ta gaité, ta bonne humeur en un mot sans toi

Merci Albert pour tout ce que tu nous as donné, pour tout ce que tu nous as fait découvrir.

Au revoir Albert.