Ancien élève de l'Ecole polytechnique (promotion 1878, entré classé major, sorti classé 3ème sur 235 élèves), et de l'Ecole des Mines de Paris (promotion 1886, entré classé 3 sur 4 élèves fonctionnaires). Corps des mines.
Fils de Henri Louis Emmanuel LECLÈRE, libraire, et de Céline Marie Hélène GÉRARD. Catholique.
Publié dans le Bulletin de l'Amicale des anciens élèves de l'Ecole des Mines de Paris, janvier 1916.
M. Leclère, ingénieur en chef des Mines au Mans, est mort subitement dans la nuit du 15 au 16 octobre 1915.
A ses obsèques, M. Dougados, inspecteur général, a prononcé un discours où il a retracé la carrière du défunt dans les termes suivants :
M. André Leclère était né à Paris en 1858. Après deux ans d'études à l'Ecole Polytechnique, il en sortait avec le titre d'élève ingénieur des mines, pour aller à l'École nationale supérieure des Mines, compléter son instruction professionnelle. Nommé ingénieur ordinaire en 1883, il venait, après un court passage à Rennes, prendre le service du Mans. Il y trouvait un laboratoire lui permettant de poursuivre les études chimiques pour lesquelles il avait une aptitude particulière. Mais dès le mois de juin 1887, il était nommé professeur à l'École des mines de Saint-Étienne, chargé des cours de chimie et de métallurgie.
Après s'être livré, à l'École de Saint-Étienne, à des études intéressantes sur la possibilité de l'allumage du grisou dans les mines par les étincelles jaillies sous le coup de pic, M. André Leclère allait, en 1891, au service de Chalon-sur-Saône, se familiariser avec la pratique des mines de houille.
Il était aussi attaché au service du contrôle du chemin de fer P.-L.-M., comme il avait déjà été, à Rennes et au Mans, attaché au contrôle du chemin de fer de l'Ouest, et il parut un moment que c'est du côté de l'industrie des chemins de fer qu'il allait orienter sa carrière. Il fut en effet, sur sa demande, mis au service de la Compagnie des chemins de fer économiques du Sud-Est comme ingénieur attaché à la construction et à l'exploitation. Mais il ne tarda pas à abandonner l'industrie, pour revenir à la science, vers laquelle le portaient ses goûts et, à partir de ce moment, c'est aux études géologiques qu'il consacra plus particulièrement son activité.
Rentré en effet à son ancienne résidence du Mans, il se faisait attacher au service de la carte géologique de France. Mais il ambitionna bientôt une tâche plus ardue. Au mois de novembre 1897, le gouvernement français ayant décidé d'envoyer une mission technique explorer les provinces chinoises voisines de notre nouvelle colonie du Tonkin, pour étudier les moyens de pénétration par voie ferrée dans ces régions alors peu connues, M. André Leclère obtint de faire partie de cette mission.
Son voyage dura du 5 décembre 1897 au 15 juillet 1899. Rentré en France à cette époque, il s'occupa de mettre en ordre les nombreuses collections qu'il rapportait et de publier les résultats de son voyage. Il fit paraître dans les Annales des Mines, d'abord une note sur la législation des mines en Chine, puis un mémoire très développé sur la géologie et les ressources minières des régions qu'il venait de parcourir. Sa nomination d'ingénieur en chef en 1899, une médaille d'argent qui fut attribuée à la mission Leclère par le jury de l'exposition de 1900, la croix de la Légion d'honneur en 1901, furent les récompenses successives de l'œuvre si importante qu'il venait d'accomplir.
C'est alors qu'il prit au Mans le service d'ingénieur en chef qu'il ne devait plus quitter. Il s'y livra plus ardemment que jamais aux études géologiques. Comme collaborateur adjoint au service de la carte géologique de France, il procéda à de nombreuses analyses de la composition chimique des granites et publia sur le granite de Flamanville une étude de haute valeur, où il exposait ses vues sur la genèse des roches cristallines.
Plus récemment, le grand mouvement de recherche des minerais de fer dans toute la région de l'Ouest, en Anjou, dans le Maine, en Bretagne, qui faisait l'objet le plus important de ses occupations administratives, comme ingénieur en chef des mines, avait attiré son attention de géologue sur les conditions de la genèse de ces minerais de fer. Attribuant le dépôt de ces minerais à l'action d'algues microscopiques, il avait été conduit à rechercher les restes silicifiés de ces algues, tant dans les minerais que dans les roches encaissantes. Ces minutieuses études micrographiques absorbaient tous ses loisirs. Il avait déjà publié sur ce sujet différentes notes, et il n'hésitait pas à penser que l'examen détaillé de cette flore alguaire donnerait le moyen de déterminer les divers étages des terrains primaires comme l'examen de la flore houillère permet de déterminer les divers étages des terrains houillers.
Les événements du mois d'août 1914 le surprirent au milieu de ces études et l'obligèrent à les suspendre. Dégagé de toute obligation militaire par son âge, il avait à satisfaire, avec un personnel considérablement réduit par la mobilisation, à toutes les nécessités administratives du service d'un arrondissement minéralogique étendu. Il n'en avait pas moins, par surcroît, mis à la disposition de l'autorité militaire toutes les ressources de son activité et de ses connaissances techniques. Il avait été ainsi chargé par le Ministre de la Guerre d'étudier d'abord, puis de faire exécuter d'importants travaux d'adduction d'eau potable et d'évacuation des eaux usées pour l'aménagement du camp d'Auveurs.
Dans les derniers jours de septembre, à la suite des fatigues subies dans la surveillance de ces travaux, M. André Leclère dut s'aliter. Il y a quelques jours, sa robuste constitution paraissait avoir eu raison de la maladie et il recommençait à s'occuper des affaires de son service quand une mort subite est venue l'enlever brusquement à l'affection des siens.
Après une vie ainsi remplie, tout entière consacrée à la science, M. André Leclère a succombé, victime indirecte de la guerre, au surmenage causé par l'accomplissement de la tâche que son zèle patriotique lui avait fait accepter.
Puis, M. Termier, mobilisé à Rennes comme lieutenant-colonel d'artillerie, a honoré l'homme privé, notamment dans un passage que nous sommes heureux de reproduire :
... C'est au Mans, comme ingénieur en chef, que Leclère passa la plus longue phase de sa carrière, tour à tour chimiste, agronome, géologue, pétrographe, micrographe, toujours fonctionnaire zélé, prêt à prodiguer son temps et ses conseils, avec un absolu désintéressement. Il a eu la consolation de voir, dans son service, les recherches de mines aboutir. Il avait prévu, autrefois, la mise en valeur de certaines minières de l'Ouest, tombées dans l'oubli. Mais l'événement dépassa de beaucoup ses prévisions. Et c'est tout un bassin de minerais de fer qui s'ouvrit sous ses yeux, et un peu sous sa direction, à l'industrie française. Les dernières années de sa vie ont été pleines de cet immense effort; et je crois bien que la tâche, trop lourde pour ce travailleur acharné qui ne savait pas se reposer, l'a usé prématurément.
C'était une intelligence hors de pair. Tout jeune encore, à l'Ecole polytechnique, il avait l'air de savoir tout ; et l'on venait à lui, à tout propos, pour lui demander un avis, un enseignement, un conseil. A l'âge où tant d'hommes sont un peu fous, il était, lui, déjà un sage ; et il semblait plein d'expérience, et d'une érudition sans limites. Maintenant que je connais un peu mieux l'ignorance des hommes, je vois que sa grande qualité était de savoir à fond ce qu'il savait.
Dans toutes les sciences qu'il a approfondies ou seulement effleurées, il a eu, très vite, des idées neuves, bien à lui, bien originales, souvent très fécondes. Et j'ai toujours regretté qu'il n'ait pas voué sa vie à en développer quelques-unes. Infiniment compréhensif, il l'était à l'excès ; et trop de sujets différents l'attiraient, le retenaient, le dispersaient.
C'est en chimie qu'il a toujours paru le plus fort. La chimie minérale avait sa prédilection. C'était un analyste d'une précision impeccable. Et rien ne l'a jamais passionné comme le travail au laboratoire. Mais la géologie, qu'il a connue tard, un peu par moi, l'a pris à son tour. Nous lui devons des travaux bien curieux sur la composition des roches, sur l'influence exercée par le granite, avant sa consolidation, tout autour de l'espace où il s'est formé. Je lui dois, personnellement, de grandes lumières sur la question très obscure du métamorphisme. Là se rencontrent la géologie et la chimie ; et là, par conséquent, il était vraiment un maître.
L'homme était charmant, très simple, très bon, très droit. Toujours préoccupé d'un problème, toujours l'esprit tendu vers un conflit d'idées, il allait, un peu comme en un songe. Il fallait l'éveiller doucement, pour parler d'autre chose ; mais alors, redescendu un instant sur la planète, comme il était affable, quel bon sourire, quelle conversation spéciale, variée, captivante, infiniment fructueuse !
J'ignore les circonstances de sa mort. Mais je sais qu'il est mort à son poste, dans sa famille tendrement aimée, au milieu de ses livres, à portée de son microscope, à l'ombre de la belle cathédrale qu'il comprenait et expliquait si bien. Il nous laisse l'exemple d'une noble vie, infiniment désintéressée, infiniment saine.
Citoyen très clairvoyant, il a vu venir l'orage qui s'est déchaîné sur la patrie. Que de fois je l'ai appelé, dans nos amicales querelles, prophète de malheur! et c'était lui qui avait raison.
Il n'a cependant jamais douté de la survie de la France ; il attendait, son relèvement, sa résurrection, sachant bien qu'une telle nation ne peut pas périr.