NOTICE NÉCROLOGIQUE
SUR
L. E. GRUNER
INSPECTEUR GÉNÉRAL DES MINES
Par M. LODIN, ingénieur des mines.

Publié dans Annales des Mines, 8e série vol. 13, 1888.

Dans la science, comme dans toutes les branches de l'activité humaine, il y a plus d'une manière d'arriver à la réputation. Les uns y parviennent d'emblée, grâce à une inspiration heureuse, à une découverte éclatante; d'autres n'y arrivent que progressivement, par une vaste accumulation d'études et de travaux. La renommée ainsi acquise au cours d'une longue carrière est d'ordinaire la plus solide ; le temps ne fait que la consolider et l'accroître, alors qu'il efface le souvenir de bien des célébrités d'un moment.

Le nom de Gruner est de ceux qui ont conquis leur place peu à peu et sûrement; bien connu en France de tous les ingénieurs et de tous les géologues, il l'est peut-être davantage à l'étranger. Personne cependant n'a poussé la modestie plus loin que Gruner; sa devise, Sein, nicht schein, correspondait parfaitement à l'ensemble de son caractère. Etranger à tous les artifices de vanité extérieure, il n'a jamais cherché à se faire connaître autrement que par la valeur intrinsèque de ses travaux.

Sa carrière a eu, du commencement jusqu'à la fin un caractère de simplicité et de sévérité qui lui donne une unité toute spéciale. Depuis sa jeunesse jusqu'à son dernier jour, il devait chercher la vérité sans relâche et suivre les inspirations de sa conscience ; la célébrité lui est venue d'elle-même et par surcroît.

Emmanuel-Louis Gruner était né le 11 mai 1809, à Worblaufen, près de Berne, le quatrième d'une famille de seize enfants. Il descendait par sa mère de l'illustre naturaliste Albert de Haller, et par son père de l'auteur d'un ouvrage bien connu sur les glaciers [Il s'agit de Gottlieb Sigmund GRUNER (1717-1778), cartographe et géologue]. Il semblait donc destiné, par ses traditions de famille, à s'occuper d'études scientifiques; ses goûts et son éducation contribuèrent à le diriger dans cette voie. De sa mère, qu'il perdit à l'âge de vingt et un ans, il avait reçu des principes religieux qui devaient exercer la plus grande influence sur toute sa vie ; jusqu'à son dernier jour, il resta profondément chrétien et trouva dans sa croyance le courage et la force nécessaires pour supporter les épreuves qui devaient traverser ses dernières années.

Il avait reçu dans sa jeunesse une instruction des plus complètes, mais par des méthodes toutes différentes de celle que l'on suit ordinairement en France. Entré vers l'âge de neuf ans dans l'institution de Gottstadt, au pied du Jura, il en sortit au mois d'août 1825. Cette institution était dirigée par le pasteur Zehender, qui semble avoir été un éducateur éminent, si l'on en juge par le résultat obtenu et par le souvenir qu'avait conservé de lui son ancien élève. Tandis qu'en France l'uniformité des programmes plie sous un niveau uniforme toutes les intelligences, au risque d'écraser dès le début celles qui ne sont pas capables de supporter un fardeau trop lourd, à Gottstadt les élèves conservaient une indépendance relative qui leur permettait de se consacrer plus spécialement aux études les mieux appropriées à la tournure de leur esprit. Des promenades fréquentes dans les montagnes du Jura leur apprenaient à connaître la nature et à l'observer, tout en donnant à leur intelligence l'occasion d'une détente si utile après un travail prolongé.

Un semblable régime exige évidemment une direction habile pour donner de bons résultats, mais il peut alors en fournir d'excellents ; c'était le cas à Gottstadt, comme le montre l'exemple de Gruner. Lorsqu'il entra dans cette institution, il semblait ne posséder qu'une intelligence ordinaire et ne se distinguait que par son assiduité au travail et par l'égalité de son caractère. Peu à peu ses facultés, stimulées dans la voie qui leur convenait le mieux, celle des études scientifiques, prirent un remarquable développement; s'il ne montra pas les mêmes aptitudes au point de vue littéraire, il fit cependant de bonnes études classiques, grâce à cette énergie et à cette assiduité au travail qui devaient le caractériser jusqu'à son dernier jour.

En sortant de l'institution de Gottstadt, Gruner alla suivre, pendant deux ans, les cours de l'université de Genève ; son goût pour les études scientifiques continuait à se développer et à chercher les occasions de s'appliquer pratiquement. Pendant cette période, il présenta à la Société des arts de Genève un projet de machine qui lui valut une médaille de cette Société.

Après avoir quitté l'université de Genève, en mai 1827, il semble avoir cherché sa voie pendant quelque temps ; il resta en effet pendant six à sept mois auprès de ses parents, incertain de la carrière qu'il allait choisir.

Il se décida enfin à venir à Paris au mois de février 1828 pour se préparer aux examens de l'Ecole polytechnique. Cinq places étaient alors réservées aux Suisses dans cette Ecole, en souvenir des anciens traités d'alliance entre la France et les cantons confédérés.

Entré au collège Bourbon, Gruner y obtint, au mois d'août 1828, le premier prix de mathématiques et fut reçu la même année le troisième à l'Ecole polytechnique. Il en sortit le neuvième et put, après avoir obtenu la petite naturalisation en France, entrer à l'École des mines.

Les examens qu'il y subit à la fin de la deuxième année d'études furent assez brillants pour qu'il fût dispensé de suivre les cours pendant une troisième année. Il sortit donc de l'Ecole au mois de juin 1831, et partit pour un long voyage d'instruction pendant lequel il visita l'Allemagne, le Tyrol, la Styrie et la Carinthie. Au retour de ce voyage, il séjourna longtemps au Harz et à Freiberg pour se rendre bien compte de la pratique de l'art des mines.

C'est cette préoccupation d'approfondir le plus possible la pratique industrielle qui l'empêcha de rester au laboratoire de l'Ecole des mines, où Berthier voulait le retenir, et le décida à demander un poste à Saint-Étienne; il y fut nommé en 1834. Le bassin de la Loire était à cette époque le centre le plus actif de l'industrie houillère en France; il offrait à l'ingénieur les plus intéressants sujets d'étude à tous les points de vue, et son exploration géologique devait donner à Gruner l'occasion d'entreprendre le plus important peut-être des travaux qui ont signalé sa carrière.

Après être resté attaché pendant un an au service ordinaire à Saint-Étienne, Gruner fut nommé, en 1835, professeur de chimie et de métallurgie à l'École des mineurs ; il se trouvait ainsi engagé dans une voie où il devait trouver l'occasion de s'illustrer tout spécialement et d'acquérir une célébrité réellement universelle.

Il conserva son cours jusqu'en 1847, époque à laquelle il fut nommé ingénieur en chef à Poitiers ; dans cette nouvelle résidence, il fut amené à entreprendre sur les bassins houillers de la Creuse un travail analogue à celui qu'il avait fait sur le bassin de Saint-Étienne.

Après un court séjour dans la résidence de Poitiers, Gruner fut nommé, en 1852, à la direction de l'École des mineurs à Saint-Étienne ; il occupa ce poste jusqu'en 1858. A cette époque, il fut appelé à occuper la chaire de métallurgie à l'École des mines de Paris, qu'il quitta seulement en 1872, après avoir rempli les fonctions d'inspecteur de l'École de 1862 à 1870.

Il avait été nommé inspecteur général de deuxième classe en 1866, de première classe en 1870; il fut nommé, en 1873, à la vice-présidence du Conseil général des mines et à la présidence de la Commission centrale des appareils à vapeur. Il conserva cette double situation jusqu'en 1879, époque où les règles administratives imposèrent sa mise à la retraite.

La santé de Gruner, assez mauvaise depuis quelques années, semblait s'être raffermie précisément au moment où la cessation de ses fonctions officielles enlevait un élément à son activité. C'est à cette époque, de 1879 à 1882, qu'il put enfin s'occuper de la publication de cette grande description du bassin houiller de la Loire, commencée dès le début de sa carrière et livrée au public un an seulement avant sa mort. S'il lui fut permis de donner la dernière main à cet important travail, il devait être moins heureux en ce qui concernait son traité de métallurgie, dont les deux premiers volumes avaient paru en 1875 et 1878. Déjà une pleuro-pneumonie avait failli l'emporter en 1877; il fut atteint de la même maladie en 1882 et enfin en 1883. Cette fois, sa santé ébranlée n'était plus en état de résister; il fut enlevé au bout de quelques jours, le 26 mars 1883, dans sa soixante-quatorzième année, emportant avec lui les regrets, non seulement de ses parents et de ses amis, mais aussi de ses anciens élèves et de tous ceux, en si grand nombre, auquel il avait libéralement donné des conseils ou rendu des services.

Il laissait un ensemble véritablement immense de notes de mémoires et d'ouvrages, dont les plus importants ont trait à la géologie et à la métallurgie.

La plupart des travaux de la première partie de sa carrière se rapportent à la géologie; il semble au contraire s'être plus spécialement occupé d'études métallurgiques à partir de sa nomination à la chaire de l'École des mines de Paris, en 1858. C'est de cette deuxième partie de sa carrière et de ses publications que nous nous occuperons plus spécialement ; son oeuvre géologique a déjà été en effet l'objet d'une notice aussi remarquable que complète due à M. l'ingénieur en chef Parran et insérée dans le Bulletin de la Société géologique de France (3e série, t. XII, p. 380).

Nous avons dit que Gruner avait été nommé, en 1834, à la résidence de Saint-Etienne et chargé, l'année suivante, d'un cours à l'Ecole des mineurs. La même année, il reçut la mission de dresser la carte géologique du département de la Loire.

Ses premières études portèrent sur les terrains de transition et les porphyres du département ; il en fit l'objet d'un mémoire publié en 1841 dans les Annales des mines (3e série, t. XIX, p. 53 à 153). Il publia en 1847, dans l'Annuaire local, une étude plus développée sur la constitution géologique du département, avec une carte et des coupes du bassin houiller; mais ce ne fut qu'en 1859 que parut sa Description géologique de la Loire. Cet ouvrage considérable devait être suivi à bref délai d'un deuxième volume comprenant la description spéciale de la formation houillère; le travail était prêt en 1860, mais à cette époque l'administration n'avait pas de fonds pour en effectuer la publication, qui n'eut lieu que vingt-deux ans plus tard, après avoir subi une refonte complète.

Les études de Gruner sur la géologie de la Loire présentent un double intérêt, stratigraphique et lithologique. Au premier point de vue, elles ont fait connaître le groupe anthracifère du nord du département et ont montré son indépendance complète par rapport au terrain houiller des environs de Saint-Étienne. Superposés au calcaire carbonifère, les grès à anthracite sont nettement séparés du terrain houiller par un mouvement important du sol que Gruner a décrit sous le nom de système du Forez ; ils représentent le niveau connu généralement aujourd'hui sous le nom de culm. Au point de vue lithologique, Gruner ajouta aux roches classées jusque-là un type nouveau, intermédiaire entre les granites et les porphyres, le porphyre granitoïde, dont l'apparition dans la Loire s'intercalerait entre le dépôt du calcaire carbonifère et celui du grès à anthracite. Ce serait au contraire entre cette dernière formation et le dépôt du terrain houiller que seraient apparus les porphyres quartzifères fort abondants dans le Forez.

La Description géologique de la Loire contient de nombreux détails sur l'allure des filons métallifères qui ont été exploités dans le département, soit au moyen âge, soit au XVIIIe siècle. Ces renseignements fort intéressants avaient déjà été publiés en 1857 dans les Annales de la Société d'agriculture, sciences et arts de Lyon; ils ont une grande importance au point de vue historique et pourraient en acquérir une au point de vue pratique si l'on venait à reprendre l'exploitation de ces gîtes. Cette reprise paraît malheureusement peu vraisemblable, vu la faible teneur en argent des galènes qui constituent le principal élément utile de ces divers groupes de filons.

Un autre mémoire publié en 1856 par Gruner, également dans les Annales de la Société d'agriculture, sciences et arts de Lyon, présente un intérêt plus général ; il se rapporte à la classification des filons du Plateau central. Dans ce travail important, Gruner a cherché à rattacher les divers types de filons à des roches éruptives spéciales aux émanations desquelles on pourrait attribuer leur origine.

Aux granites à mica noir se rapporteraient les amas quartzeux si fréquents dans les micaschistes, schistes à séricite, etc. ; aux granites à deux micas et aux pegmatites, les filons de quartz avec wolfram, cassitérite, mispickel, émeraude, tourmaline, etc. L'éruption du porphyre granitoïde aurait développé des veines quartzeuses avec imprégnations siliceuses ; celle du porphyre quartzifère, des filons et amas également siliceux, mais d'un aspect calcédonieux qui les différencie des précédents.

Ce serait aux eurites quartzifères, apparues au début de la période permienne, qu'on devrait rattacher des filons quartzeux, orientés nord-sud, contenant parfois de la galène riche en argent qui semble être de formation plus récente que la masse principale du remplissage.

Les porphyres noirs permiens ou triasiques auraient provoqué la formation de dépôts ferrugineux dans le Gard et dans l'Ardèche. Enfin les gîtes métallifères les plus récents du Plateau central seraient des filons quartzo-barytiques avec galène, dirigés du N.-O. au S.-E., qui auraient commencé à se former dès l'époque du trias et auraient subi, à des époques plus récentes, de nombreuses réouvertures.

Quelques années avant de publier cette étude, Gruner avait décrit dans les Annales des mines (4e sér., t. XVIII, p. 61) les gisements de manganèse de la vallée d'Aure dans les Pyrénées, en les rapprochant de certains gîtes du Plateau central. Il avait montré que les uns et les autres ne pouvaient avoir pour origine des phénomènes d'injection ignée et qu'on devait au contraire attribuer leur formation à des émanations aqueuses venues des profondeurs du globe ; c'est cette idée qu'il devait compléter dans son mémoire sur la classification des filons du Plateau central.

Il avait déjà étudié un autre type de gîtes métallifères, celui des amas interstratifiés de minerai de fer qui existent dans l'Ardèche, aux environs de la Voulte et de Privas. Dans un mémoire publié en 1845, dans les Annales des mines (4e série, t. VII, p. 347), il avait montré que ces minerais appartenaient à l'étage oxfordien et non au lias, comme l'avait admis Dufrénoy; il avait signalé en même temps une intéressante épigénie du minerai, transformé en pyrite au voisinage de certaines failles.

Gruner a publié de nombreuses notes dans le Bulletin de la Société géologique de France; nous devons citer celle qui est relative aux nodules phosphatés de la Perte du Rhône (Bull. de la Soc. géologique, 2e série, t. XXVIII) et les comptes rendus de l'excursion de la Société à Roanne (ibid., 3e série, t. I). On peut également rattacher à la géologie une note publiée par lui en 1855 dans les Annales de la Société d'agriculture, sciences et arts de Lyon, au sujet de l'influence de la nature chimique des terres végétales sur leur fertilité ; dès cette époque, il avait su mettre en évidence l'influence exercée sur la culture par de minimes proportions d'acide phosphorique, d'alcalis, etc.

Mais les travaux les plus importants de Gruner sur des sujets géologiques sont ses descriptions des bassins houillers de la Creuse et de la Loire. La première, préparée en grande partie de 1847 à 1852, n'a pu être publiée qu'en 1868, après avoir été mise au courant des explorations récentes ; elle comprend non seulement une description des bassins houillers, mais aussi une étude des terrains anciens qui les supportent et des roches éruptives qui s'y rencontrent.

Les bassins houillers de la Creuse forment deux groupes distincts ; celui qui est situé à l'ouest, près de Bourganeuf, se décompose en trois petits bassins, ceux de Bosmoreau, Bouzogles et Mazuras ; le groupe de l'est comprend le bassin d'Ahun et le petit bassin de Saint-Michel de Vesse. Sur cet ensemble les bassins de Bouzogles, de Mazuras et de Saint-Michel paraissent inexploitables ; le bassin de Bosmoreau ne contient que des houilles anthraciteuses, ce qui diminue beaucoup son importance industrielle. Le bassin d'Ahun est le seul qui donne lieu à une production importante.

Le terrain houiller de la Creuse repose directement sur un massif ancien formé, d'une part, de granite à deux micas, de gneiss et de micaschistes, d'autre part, d'un granite à mica noir, d'origine éruptive, qui occupe dans la région une surface considérable. De nombreux filons de pegmatite recoupent cet ensemble et l'imprègnent de mica blanc à leur voisinage.

Il existe bien dans la Creuse divers lambeaux de grauwacke carbonifère, mais là, comme dans la Loire, ce terrain est absolument indépendant du terrain houiller. Il a été recoupé d'abord par des porphyres granitoïdes qui y ont développé des poudingues et des grès porphyriques, ensuite par des porphyres quartzifères analogues à ceux de la Loire.

Le terrain houiller a été traversé lui-même par de nombreux filons de roches éruptives, à Bouzogles et à Mazuras par les eurites quartzifères, à Ahun par des roches trappéennes qui se sont étalées en coulées contemporaines de la formation. Ces dernières roches, étudiées avec détail par Gruner dans une note communiquée à la Société géologique de France le 20 novembre 1885, ont été depuis rapprochées des mélaphyres par MM. Fouqué et Michel-Lévy.

La formation de la Creuse appartient à la partie supérieure du terrain houiller, ainsi que l'avait indiqué M. Gruner, dont l'opinion a été confirmée par les études récentes sur ce sujet; elle est caractérisée par l'abondance des débris de fougères. Néanmoins les combustibles qu'elle contient sont relativement pauvres en matières volatiles. Sa puissance est d'ailleurs médiocre; à Ahun, où les schistes et grès avec couches de houille sont compris entre une masse de poudingues à la base et des grès stériles au sommet, elle ne dépasse pas 500 mètres ; à Bosmoreau, où manquent les poudingues de la base, elle n'est que de 300 mètres environ. L'un et l'autre bassin ont été dérangés par des failles importantes; celui d'Ahun, le mieux connu des deux, est limité à l'est par une faille dont l'origine primitive doit remonter à la formation même du terrain houiller, mais dont le développement complet ne s'est effectué qu'à une date postérieure. Il y existe en outre un certain nombre d'autres dislocations de moindre importance, les unes longitudinales, les autres transversales, qui compliquent très notablement le problème du raccordement des couches reconnues.

Le passage de Gruner dans la résidence de Poitiers lui avait donné l'occasion de préparer la description des bassins de la Creuse ; son retour à Saint-Étienne, en 1852, lui permit de reprendre ses travaux sur le bassin houiller de la Loire, commencés dès 1835. Il comptait en publier le résultat aussitôt après avoir fait paraître la description géologique du reste du département, mais le manque de fonds obligea l'administration à ajourner l'impression du travail. Ce fut seulement en 1879 que Gruner put reprendre utilement sa tâche et compléter son travail primitif en tenant compte des découvertes faites depuis sa rédaction première soit au point de vue stratigraphique, soit au point de vue paléontologique ; la publication de ouvrage et du grand atlas qui l'accompagne eut lieu en 1882.

A l'origine des études de Grutier, on n'avait pas de données précises sur les relations stratigraphiques qui pouvaient exister entre les diverses couches de houille, exploitées dans le bassin de la Loire ; on admettait, par exemple, que les exploitations de Saint-Étienne portaient sur une formation houillère absolument indépendante de celle de Rive-de-Gier. Les premières études de Gruner le conduisirent à admettre que les couches de Rive-de-Gier étaient inférieures à celles de Saint-Étienne; dès 1847, dans une notice spéciale publiée dans l'Annuaire du département et dans une carte à petite échelle, il avait pu indiquer les traits généraux de la constitution du bassin.

Celui-ci commence par une brèche stérile, à éléments souvent très volumineux, sur laquelle repose le système de Rive-de-Gier. Puis vient un étage stérile très puissant, dit de Saint-Chamond, sur lequel s'appuie le système principal de Saint-Etienne.

La plupart des couches exploitables se trouvent dans la partie inférieure et moyenne de celui-ci ; les couches supérieures, dites du bois d'Aveize, ne se montrent que sur une étendue superficielle assez restreinte et avec une richesse fort irrégulière. La série se termine par un étage puissant de grès stériles, passant au terrain permien.

Des études paléontologiques récentes, dues principalement à M. Grand'Eury, ont permis de rattacher le bassin houiller de la Loire à l'ensemble de la série stratigraphique ; elles ont montré qu'il appartenait tout entier à la période houillère supérieure. Gruner a utilement tiré parti des indications fournies par les débris végétaux qui abondent dans la plupart des niveaux du bassin ; ces indications ont permis d'élucider certaines questions, restées obscures jusqu'au moment où l'on a pu recourir à cette méthode nouvelle d'investigation. Mais c'est surtout à la stratigraphie qu'il a eu recours, et à ce point de vue son ouvrage est un type de critique et d'induction sagaces.

Les difficultés de raccordement des diverses couches exploitées étaient considérables. A l'inverse de ce qui se passe dans le bassin houiller du nord de la France, où la puissance des veines et leurs intervalles varient peu, les couches du bassin de Saint-Etienne s'amincissent et se renflent successivement de la manière la plus brusque ; la nature et la puissance des strates intermédiaires varient aussi très rapidement. Ces variations fréquentes semblent démontrer que les conditions où les dépôts de combustible se sont formés étaient toutes différentes dans le centre de ce qu'elles ont dû être dans le nord de la France ; il est probable que le charriage des débris végétaux a dû jouer un rôle considérable dans la formation des couches dans le centre de Saint-Étienne et que le bassin primitif où elles se déposaient était profond, à parois abruptes, alimenté par des cours d'eau à régime torrentiel, tandis que dans le Nord la houille se serait déposée dans des lagunes peu profondes, abritées contre les courants.

Outre l'irrégularité primitive des couches, on constate dans le bassin de Saint-Étienne des dérangements considérables dus à des failles, les unes planes, minces et régulières, les autres ondulées et remplies de débris sur une grande épaisseur; la différence entre ces deux catégories d'accidents paraît tenir essentiellement à l'amplitude du rejet, beaucoup plus considérable pour les failles de la deuxième catégorie que pour celles de la première. L'étude des dislocations de tout genre du bassin de Saint-Etienne fait l'objet d'un remarquable chapitre de l'ouvrage de Gruner; il y admet que l'origine même du bassin et ses dérangements divers se rattachent à un même phénomène, un affaissement continu du sol qui se serait prolongé pendant une très longue période et dont l'amplitude, nulle vers les deux extrémités du bassin, aurait été maxima vers le centre, près de la ville de Saint-Étienne.

Ce mouvement n'a pu se produire que grâce à l'ouverture d'une grande faille correspondant à la limite sud-est du terrain houiller, au pied du Pilat; l'affaissement du gneiss au nord-ouest de cette faille a donné lieu à une dépression lacustre qui a été progressivement comblée par les dépôts houillers. Le mouvement s'est continué après la formation du terrain houiller; il en a étiré les couches le long de la faille limite et il a provoqué en outre la formation de failles soit longitudinales, soit surtout transversales. Ce phénomène est tout à fait analogue à celui que Gruner avait signalé dans le bassin d'Ahun et on pourrait le constater dans un grand nombre de bassins houillers de faible étendue.

En somme Gruner a fait beaucoup pour le progrès de la géologie; il y a introduit des idées nouvelles en matière de classification des roches éruptives et des filons; il a laissé dans ses descriptions des bassins houillers de la Creuse et de la Loire des modèles d'observation patiente et judicieuse. Mais ses études métallurgiques ont eu une portée peut-être plus considérable encore, ainsi que nous allons le voir.

La métallurgie avait été l'objet de ses premiers travaux; de ses voyages d'études, il avait rapporté des notes intéressantes qui furent insérées dans les tomes V, VI, VII et IX de la 3e série des Annales des Mines; la dernière, relative au traitement des minerais auro-argentifères dans le district de Schemnitz contient des renseignements fort complets sur la méthode de désargentation des mattes par imbibition, telle qu'elle se pratiquait alors en Hongrie.

Dans une courte note, publiée en 1838 dans les Annales des Mines, Gruner avait touché incidemment à une question qui intéressait vivement les métallurgistes à cette époque, celle de la substitution du charbon roux ou même du bois simplement torréfié au charbon noir employé depuis longtemps dans la fabrication de la fonte; il avait proposé une modification spéciale de la carbonisation en forêt, en vue d'obtenir du charbon roux. Mais les espérances que l'on avait fondées à l'origine sur l'emploi de ce charbon ne se réalisèrent pas et la méthode de carbonisation proposée par Gruner ne paraît pas avoir été expérimentée.

A partir du moment où il eut entrepris la préparation de la carte géologique de la Loire, Gruner négligea nécessairement un peu les études métallurgiques auxquelles il devait revenir avec tant d'éclat par la suite. Il ne perdit cependant pas complètement de vue les questions chimiques, ainsi que le prouvent les comptes rendus de ses travaux au laboratoire de Saint-Étienne, insérés dans les Annales des Mines en 1841, 1842, 1843, 1844, 1846, 1848 et 1856. Ces comptes rendus comprennent un grand nombre d'analyses de minerais et de produits de toute nature et de toute provenance et présentent assez souvent un véritable intérêt scientifique. Parmi les analyses les plus intéressantes nous devons citer celle d'un silicate ferrifère de la famille des pyroxènes et des amphiboles, découvert par Gruner dans une roche des montagnes des Maures et désigné plus tard par Dana et Rammelsberg sous le nom de Grunérite. Mais ce qui fait le principal intérêt de ces comptes rendus, c'est qu'on y retrouve les origines d'une des études les plus importantes de Gruner, celle relative aux propriétés caractéristiques des combustibles minéraux.

La classification de ces combustibles était restée longtemps vague et confuse; la seule distinction bien nette que l'on eût établie entre eux dépendait de la facilité plus ou moins grande avec laquelle s'aggloméraient leurs fragments portés à une température suffisamment élevée.

On confondait souvent les houilles maigres, pauvres en principes volatils, et les houilles sèches, très riches en gaz, parce que les unes comme les autres ne présentaient pas cette propriété de s'agglomérer au feu, qui caractérise les houilles grasses.

V. Regnault avait déjà fait, il est vrai, une tentative importante pour arriver à une classification plus scientifique, mais ses Recherches sur les combustibles minéraux, publiées en 1837 dans les Annales des Mines, avaient laissé subsister bien des obscurités, parce que les indications données par l'analyse élémentaire, base de ce travail considérable, ne sont pas de nature à permettre de grouper d'une manière naturelle l'ensemble des combustibles minéraux.

Gruner reprit la question dans deux mémoires publiés dans les Annales des Mines, l'un en 1852 (5e série, t. II), l'autre en 1873 (7e série, t. IV). Il montra que l'analyse immédiate donnait à ce point de vue des résultats beaucoup plus satisfaisants que l'analyse élémentaire, et que la proportion relative du coke et des matières volatiles provenant de la distillation d'un combustible supposé privé de cendres était la meilleure base de classification. Le rapport entre les quantités d'hydrogène d'une part, d'oxygène et d'azote d'autre part, contenues dans un combustible, est un élément auxiliaire qui concorde généralement avec le précédent. Gruner est arrivé ainsi à constituer dans la série des houilles les divisions suivantes :

1° Houilles sèches à longue flamme;

2° Houilles grasses à longue flamme ;

3° Houilles grasses ordinaires ou charbon de forge ;

4° Houilles grasses à courte flamme ou charbon à coke;

5° Houilles maigres ou anthraciteuses.

Pour obtenir la série complète des combustibles fossiles, il convient de placer avant le premier terme les tourbes, les bois fossiles et les lignites, après le dernier l'anthracite et le graphite.

Dans son deuxième mémoire sur cette question, Gruner put ajouter aux indications précédentes celles qui dérivaient des études de MM. Scheurer-Kestner et Meunier sur le pouvoir calorifique des houilles. Il montra que ce pouvoir présentait un maximum dans la catégorie des houilles grasses à courte flamme, à laquelle appartiennent d'ailleurs les charbons les plus réputés depuis longtemps au point de vue spécial de la production de vapeur ; il fit voir en même temps que la composition élémentaire d'une houille ne permettait pas de se rendre compte a priori de son pouvoir calorifique et que l'analyse élémentaire donnait, à ce point de vue, des indications beaucoup plus sûres.

Un point fort important aurait été l'établissement d'une relation entre la composition des diverses houilles et leur âge géologique ou leur situation dans un bassin déterminé ; malheureusement la question ainsi posée n'a pu être résolue jusqu'ici. On peut bien dire d'une manière générale que les combustibles minéraux sont d'autant plus pauvres en principes volatils que leur époque de formation est plus reculée, mais cette règle comporte de nombreuses exceptions dans un même bassin, ainsi que Gruner l'a montré pour la Loire, et elle n'a qu'une portée encore plus incertaine et plus vague lorsqu'il s'agit de formations notablement distantes les unes des autres, au point de vue géologique ou au point de vue topographique. Parfois les variations de composition se produisent à petite distance dans une même couche, ainsi que Gruner a eu l'occasion de le montrer dans les bassins d'Ahun et de Saint-Étienne. La question reste donc fort obscure ; il semble que l'influence de la nature des végétaux qui ont contribué à former la houille et celle des actions métamorphiques locales aient prédominé souvent sur celle qu'on peut attribuer à l'âge du dépôt.

Les industries diverses qui se rattachent à l'élaboration des combustibles minéraux ont été l'objet des études de Gruner. Il ne s'est occupé, il est vrai, de la fabrication du coke que d'une manière incidente, mais il a consacré à celle des agglomérés un mémoire important, publié en 1864 dans les Annales des Mines (6e série, t. VI). Ce mémoire contient une description fort complète des divers systèmes employés à cette époque pour réaliser l'agglomération et une discussion approfondie de la valeur de ces divers systèmes.

Les principaux travaux métallurgiques de Gruner ont eu pour objet la métallurgie du fer, et c'est la théorie de l'affinage de la fonte qu'il a abordée la première.

A l'époque où il a commencé ses études sur ce sujet, l'industrie sidérurgique allait entrer dans une période de transformation radicale. La substitution du puddlage au travail au bas foyer, complète depuis longtemps en Angleterre, n'était encore que partielle en France et en Allemagne, mais elle allait s'y compliquer de variantes inconnues à la méthode anglaise primitive.

Habitués aux qualités supérieures que fournissaient tout naturellement les anciennes forges au bois, les consommateurs du continent acceptaient difficilement, pour un grand nombre d'usages, les fers de qualité inférieure obtenus par le puddlage : il y avait donc un intérêt considérable à améliorer les produits de cette dernière méthode, tout en lui conservant autant que possible ses avantages d'économie et les facilités relatives qu'elle donnait pour obtenir de grosses pièces de forge. Les recherches dans ce sens paraissent avoir commencé vers 1835 en Carinthie; dix ans plus tard, le problème était résolu dans la Loire et on obtenait à Saint-Chamond des fers à grains, légèrement aciéreux, par le puddlage de fontes de Franche-Comté. On ne tarda pas à aller plus loin et à obtenir au four à puddler de véritable acier; ce nouveau progrès, réalisé en Westphalie vers 1850, se répandit bien vite dans un grand nombre d'usines.

Le puddlage pour acier, après une période de développement considérable, ne devait pas tarder à s'effacer à son tour devant des méthodes plus économiques et plus rapides, mais il n'en avait pas moins constitué à son heure un sérieux progrès industriel. Dans un mémoire sur cette question, publié en 1859 dans les Annales des Mines (5° série, t. XV), Gruner précisa les conditions pratiques qu'il fallait réaliser pour obtenir au four à puddler de l'acier ou du fer à grain fin et présenta une théorie de l'opération. Il fit voir que la production de l'acier exigeait l'emploi de fontes manganésifères, et que pour y réussir il fallait modérer la réaction oxydante, essentielle à l'affinage, et travailler en présence de scories très fluides, manganésifères, dont la composition se rapprochât de celle d'un silicate bibasique. Incidemment il contribuait dans ce travail, ainsi que dans une note publiée en 1857 dans le Bulletin de l'industrie minérale, à compléter la véritable théorie du puddlage, déjà établie : par les travaux de M. Calvert et de M. Lan.

La création du puddlage pour acier n'était qu'un progrès, celle du procédé Bessemer fut une véritable révolution métallurgique. L'idée, à la fois simple et hardie, de substituer aux anciennes méthodes d'affinage, lentes, pénibles et dispendieuses, l'insufflation de l'air à haute pression dans la fonte à l'état liquide, fut communiquée au public, pour la première fois, en avril 1856, dans la réunion de l'Association britannique pour l'avancement des sciences, tenue à Cheltenham. Elle rencontra au premier abord une incrédulité générale, et il faut bien reconnaître que cette incrédulité avait quelque fondement. L'idée de réaliser l'affinage de la fonte liquide en y insufflant de l'air froid paraissait absolument paradoxale à cette époque, et elle était en effet peu pratique avec les fontes à teneur en silicium, presque exclusivement carburées, telles qu'on les produisait alors. La pratique devait montrer, non sans des tâtonnements assez longs, que le procédé Bessemer exigeait l'emploi de fontes tenant de 1,5 à 2 p. 100 de silicium, c'est-à-dire de fontes plus chaudes, suivant l'expression usitée, que l'on n'avait l'habitude d'en fabriquer anciennement pour l'affinage.

Même avec des fontes de composition convenable, la conduite de l'opération, telle que Bessemer l'avait indiquée dans ses premiers brevets, restait difficile, car aucun caractère pratique ne permettait d'arrêter l'affinage au moment précis où le métal conservait une teneur déterminée en carbone. On aurait obtenu toujours des produits plus ou moins irréguliers, si Robert Mushet (brevet anglais du 22 septembre 1856) n'avait eu l'idée de pousser l'affinage jusqu'à l'élimination complète des métalloïdes contenus dans la fonte, ce qui entraîne nécessairement une oxydation sensible du fer, et d'éliminer ensuite l'excès d'oxygène contenu dans le bain par une addition convenable de fonte manganésifère. C'est sous cette forme que le procédé Bessemer a été appliqué presque partout par la suite, et qu'il a acquis réellement sa valeur pratique.

Dans l'exposition de sa découverte, Bessemer avait eu le tort d'en exagérer la portée ; il avait émis la prétention d'éliminer par son procédé non seulement le silicium et le carbone, mais encore le soufre et le phosphore contenus dans la fonte. Gruner releva immédiatement cette affirmation inexacte (Bulletin de la Société de l'industrie minérale, t. II), et montra que l'acidité des scories produites devait empêcher toute élimination sensible du phosphore, ainsi que le prouva d'ailleurs l'analyse d'échantillons de métal obtenus au moyen de fontes phosphoreuses.

Même restreint dans son application aux fontes exemptes de soufre et de phosphore, le procédé Bessemer ne devait pas tarder à prendre un développement considérable ; Gruner en décrivit le mode d'application et en ébaucha la théorie dans une note publiée en 1860 dans les Annales des Mines (5° série, t. XVIII). Il devait revenir sur cette question à la fin du travail considérable qu'il publia en 1861 et 1862, en collaboration avec M. Lan, sous le titre d'Etat présent de la métallurgie du fer en Angleterre. Cette étude était le résumé des observations faites au cours d'une mission officielle destinée à fournir les bases de la fixation des droits à imposer aux produits métallurgiques anglais ; elle représente de la manière la plus complète l'état de l'industrie du fer en Angleterre en 1860. C'est en même temps un véritable traité de sidérurgie, qui renferme, avec quelques considérations théoriques, de nombreux renseignements pratiques souvent intéressants encore aujourd'hui.

Gruner reprit l'étude des nouveaux procédés d'affinage de la fonte dans un mémoire considérable sur l'acier et sa fabrication, publié dans les Annales des Mines (6e série, t. XII), à la suite de l'exposition universelle de 1867. A cette époque, le procédé Bessemer était sorti de la période des tâtonnements et livrait à l'industrie des quantités considérables d'un métal fondu qui présentait des variations considérables au point de vue de la composition et des propriétés mécaniques, suivant l'usage auquel on le destinait. Ce métal ne possédait pas toutes les qualités des aciers, fondus ou soudés, obtenus par les anciennes méthodes d'affinage, mais sa supériorité sur les fers ordinaires pour certains emplois, pour la fabrication des rails surtout, était telle que les consommateurs passaient facilement sur la différence de prix. C'était le commencement, pour la métallurgie du fer, d'une transformation radicale, qui n'est pas encore terminée aujourd'hui et qui a été longtemps ralentie par l'impossibilité d'éliminer de la fonte, au moyen du procédé Bessemer, le soufre et le phosphore qu'elle contenait.

On peut dire que sur ce côté spécial de la question personne n'a émis des idées plus précises et plus justes que Gruner; tandis que beaucoup d'inventeurs, y compris Bessemer lui-même, s'égaraient dans des tentatives sans portée pour éliminer le soufre et le phosphore par injection d'hydrogène, d'hydrocarbures, de vapeur d'eau, etc., dans la fonte en fusion, Gruner montrait l'impossibilité pratique d'arriver ainsi à un résultat. Il devait bientôt après indiquer nettement la véritable voie à suivre; dès 1867, il en avait eu l'intuition, lorsqu'en étudiant le procédé de fabrication de l'acier dû à M. Parry, d'Ebbwale, il proposait de substituer un mazéage au réverbère, sous un bain de scories basiques, au puddlage, qui était le mode de déphosphoration préféré par l'inventeur.

Il devait s'écouler plus de dix ans encore avant que l'idée si juste de Gruner aboutît à un résultat pratique ; mais l'impossibilité où l'on se trouvait d'employer les minerais impurs à la fabrication de l'acier ne devait pas arrêter le développement des nouvelles méthodes de production. L'élimination du soufre au haut fourneau est relativement facile : il suffit, pour la réaliser, de marcher avec des laitiers très calcaires et une allure chaude, qui se trouvait d'ailleurs imposée par la teneur en silicium nécessaire pour la bonne marche de l'affinage Bessemer. On pouvait donc ne pas se préoccuper outre mesure de la teneur en soufre des minerais destinés à la production de ces fontes ; l'absence presque absolue de phosphore était seule indispensable, si l'on voulait obtenir des produits marchands. L'emploi des minerais purs s'imposa donc à toutes les usines qui employaient le procédé Bessemer, tandis que les établissements appliquant les anciennes méthodes pouvaient se contenter de minerais communs, d'un prix moins élevé. C'est sur ces bases que s'établit un équilibre nouveau de la sidérurgie, équilibre qui ne devait être troublé que par l'invention du procédé de déphosphoration.

Même avec les restrictions résultant de l'emploi nécessaire des minerais purs, le succès du procédé Bessemer avait été tel, qu'il devait provoquer des recherches dans des voies analogues. Dans son mémoire sur l'acier et sa fabrication, Gruner passe en revue les diverses méthodes proposées à cette époque, méthodes parmi lesquelles une seule a survécu, celle proposée par M. P. Martin, et reposant sur l'emploi du four Siemens. Le principe même de la méthode n'avait rien d'absolument neuf, car on avait depuis bien longtemps essayé de produire de l'acier fondu sur une sole de réverbère, en faisant réagir sur la fonte soit du fer doux, soit du minerai de fer à haute teneur.

Les tentatives antérieures avaient échoué, soit parce que l'emploi d'une chauffe ordinaire ne permettait pas d'obtenir uniformément sur toute la sole une température suffisante, soit parce que la sole elle-même ne résistait pas à l'action corrosive de l'acier et des scories, soit enfin parce que l'acier fondu se chargeait d'une proportion exagérée de silicium, en restant d'une manière prolongée en contact avec la scorie, comme Gruner l'a indiqué dans son mémoire de 1867. Le mérite de M. P. Martin a été de résoudre les difficultés pratiques par l'emploi du four Siemens, avec refroidissement systématique de la sole, et par le choix d'une formule convenable de travail. Cette formule, fondée sur l'addition de riblons ou de massiaux bruts dans un bain de fonte liquide, avait sur le procédé Bessemer l'avantage de permettre, au besoin, l'emploi d'une certaine quantité de fonte phosphoreuse, grâce à l'élimination du phosphore réalisée dans le puddlage qui servait à obtenir les massiaux. Gruner faisait très nettement ressortir, qu'en dehors de cet avantage, le procédé Martin-Siemens avait celui d'être plus maniable que le procédé Bessemer, et qu'il se développerait à côté de celui-ci. C'est ce qui est arrivé, en effet, et on a même vu, à une date toute récente, le procédé Martin-Siemens prendre en Angleterre une importance extraordinaire.

Mais pendant longtemps l'impossibilité où l'on se trouvait de tirer parti des minerais phosphoreux pour la production de l'acier, avait ralenti l'essor des méthodes nouvelles. Les minerais purs, jouissant d'un véritable privilège pour l'application de ces méthodes, se maintenaient à un prix élevé, tandis que les minerais impurs se trouvaient dépréciés. Le problème de la déphosphoration des minerais ou des fontes se trouvait donc posé au lendemain même de la grande découverte de Bessemer; il ne devait être résolu que vingt ans plus tard.

Dans l'intervalle, bien des formules avaient été proposées ; l'une d'elles, connue sous le nom de procédé Heaton, a été l'objet d'une étude magistrale de Gruner (Annales des Mines, 6° série, t. XVI). Le principe en semblait assez rationnel a priori; il consistait à faire couler la fonte en fusion sur du nitrate de soude brut, qui donnait lieu à une réaction violente. L'inventeur espérait que cette réaction oxydante produite dans un milieu alcalin provoquerait l'élimination du phosphore sous forme de phosphate de soude. Le procédé ne put aboutir à un résultat pratique ; le prix élevé du nitrate de soude augmentait outre mesure les frais de l'opération, et, de plus, celle-ci avait l'inconvénient de fournir, non pas du métal fondu et affiné, mais bien une loupe d'un métal cassant et mélangé de scories, utilisable seulement après un traitement compliqué.

Gruner montra qu'en dehors de ses inconvénients pratiques, le procédé Heaton avait celui de donner une épuration chimique incomplète et variable suivant la composition des fontes traitées ; cette épuration était plus satisfaisante avec les fontes blanches qu'avec les fontes grises. La partie la plus remarquable de son mémoire sur cette question, c'est l'exposé des conditions que doit nécessairement remplir un procédé de déphosphoration pour pouvoir aboutir à un résultat pratique. Dès cette époque, il mettait en évidence les inconvénients que présentent les réactifs alcalins, à cause de leur volatilité; il montrait que, d'une part les scories basiques permettaient seules l'élimination du phosphore sous forme d'acide phosphorique, mais que d'autre part on ne pouvait produire de semblables scories dans l'appareil Bessemer sans en détruire rapidement les parois siliceuses.

Il n'y avait plus qu'un pas à faire pour arriver à la solution du problème de la déphosphoration : c'était d'indiquer la nature du revêtement à substituer au pisé siliceux employé exclusivement jusque-là, pour former la paroi interne des convertisseurs. Gruner devait le faire quelques années plus tard, en 1875, lorsqu'il écrivait les lignes suivantes : " La dolomie, cuite à haute température, surtout si elle contenait assez d'argile pour se fritter un peu, résisterait mieux que la chaux pure à l'action de l'air humide. On pourrait préparer ainsi des briques, qui seraient certainement appelées à rendre de grands services. Pour certaines opérations, il conviendrait de mêler la chaux ou la dolomie à la bauxite. On aurait, à haute température, un aluminate basique de fer, de chaux et de magnésie qui, à part son infusibilité, aurait aussi l'avantage de retenir l'acide phosphorique et de favoriser l'affinage des fontes phosphoreuses " (Traité de métallurgie, t.1, p. 199). C'est en appliquant les principes posés si nettement par Gruner, que MM. Thomas et Gilchrist devaient arriver, trois ans plus tard, à résoudre définitivement le grand problème de la déphosphoration, et ce sera pour Gruner un éternel honneur que de leur avoir montré la marche à suivre.

Au cours de ses longues études sur les nouveaux procédés de fabrication de l'acier, Gruner devait être nécessairement amené à s'occuper de la constitution de ce corps et il l'a fait avec la sûreté de vues qui l'a toujours caractérisé. Cette question avait déjà donné lieu à bien des études et elle avait eu le don de troubler les meilleurs esprits ; les contradictions qu'on y relevait entre la théorie et la pratique avaient amené jadis un métallurgiste éminent à admettre que le fer contenu dans certains minerais possédait une propension aciéreuse qu'il conservait à travers toutes les opérations métallurgiques, tandis que d'autres produits, fort analogues en apparence, mais dépourvus de cette qualité mystérieuse, ne pouvaient servir à la production d'acier de bonne qualité, quelque traitement qu'on leur fît subir.

L'esprit si précis de Gruner ne pouvait accepter cette conception, peu compatible avec les principes de la science moderne; dans son mémoire sur le procédé Heaton (Ann. des mines, 6e série, t. XII, p. 209), il se prononça nettement contre l'hypothèse de la propension aciéreuse et affirma que les modifications si variées que peuvent subir les propriétés du fer doux, sont toutes dues à l'intervention du carbone et de diverses autres substances étrangères, abstraction faite, bien entendu, de l'influence des actions mécaniques subies par le métal. Mais, en même temps, il sut à propos rester fidèle aux anciennes théories sur la constitution de l'acier, tout en les élargissant. Il se refusa à admettre que l'azote fût l'élément caractéristique de l'acier comme le soutenait alors un chimiste éminent; il maintint fermement et avec raison que ce métal devait avant tout ses propriétés au carbone et que les autres corps que l'on y rencontrait étaient des accidents ou des impuretés, diminuant sa qualité et sa valeur commerciale.

C'est ce qu'il a montré bien nettement dans une Note sur les propriétés mécaniques des aciers phosphorés, insérée en 1870 dans les Annales des mines (6e série, t. XVII).

A la suite d'essais faits sur des aciers obtenus par le procédé Heaton, aciers tenant encore de 0,002 à 0,003 de phosphore avec 0,005 environ de carbone, le célèbre ingénieur Fairbairn avait cru pouvoir admettre que ces aciers présentaient une résistance vive élastique supérieure à celle des bons aciers de Sheffield. Gruner fit voir qu'il n'en était rien et que si les aciers phosphorés peuvent offrir une résistance élevée à la rupture par traction, ils se rompent sans allongement sensible ; ils sont donc aigres et fragiles et se comportent mal lorsqu'ils ont à supporter des chocs. Si Fairbairn avait affirmé le contraire, c'est qu'il avait, bien à tort, cru devoir attacher plus d'importance à l'élévation de la limite d'élasticité qu'à l'importance de la striction que subit le métal avant de se rompre. Il faut reconnaître que l'erreur de Fairbairn était partagée à cette époque par un grand nombre d'ingénieurs et qu'on n'est arrivé que tardivement à attacher à la striction du métal avant rupture toute l'importance qu'elle mérite.

Grâce aux progrès faits depuis vingt ans par les procédés d'essais mécaniques et les méthodes analytiques, les idées soutenues par Gruner ne peuvent plus être contestées aujourd'hui. On sait que la propension aciéreuse n'est autre chose que l'absence de soufre et de phosphore dans les matières destinées à la fabrication de l'acier et que la pureté aciéreuse de M. Le Play correspond simplement à l'absence de scories dans la masse du fer destiné à la cémentation ; on sait enfin qu'en l'absence de soufre et de phosphore, les propriétés physiques de l'acier varient régulièrement avec la teneur en carbone.

Mais d'autres corps, métaux ou métalloïdes, peuvent se rencontrer accidentellement dans l'acier ou y être introduits systématiquement, de manière à modifier ses qualités. Gruner s'était préoccupé, dès 1867, de cet ordre de questions ; dans un mémoire sur l'acier (Ann. des mines, 6° série, t. XII, p. 212), il avait signalé, d'après certaines analyses, la présence de métaux terreux dans les fontes, et il est revenu sur ce point, spécialement en ce qui concerne l'aluminium, dans un mémoire plus récent (Ann. des mines, 7° série, t. XV, p. 143), mais sans pouvoir élucider nettement l'influence de cet élément, auquel certains métallurgistes attribuent aujourd'hui une importance considérable.

Dans le mémoire que nous venons de citer, il donnait des indications assez complètes sur l'influence du chrome et du tungstène; ces corps, introduits dans l'acier à petite dose, permettent l'un et l'autre d'accroître beaucoup la dureté et la résistance du métal sans augmenter outre mesure sa fragilité. Il s'était déjà occupé, dans son mémoire de 1867 et dans une note communiquée en 1873 à la Société d'encouragement, du rôle joué dans les aciers par le deuxième de ces métalloïdes.

Le développement progressif des nouvelles méthodes d'affinage de la fonte avait fini par amener une grande obscurité dans la définition des divers produits ferreux. Au début, on s'était servi des procédés Bessemer et Martin presque exclusivement pour obtenir des produits moyennement carburés, pouvant se tremper et rentrant à peu près dans la catégorie des aciers de dureté moyenne obtenus anciennement par cémentation et fusion. Mais peu à peu on avait obtenu une élasticité plus grande dans la fabrication et on avait fini par produire à volonté un métal à peine carburé, ne trempant plus et pouvant au contraire se souder facilement.

Ces produits limites se reliaient par une série continue aux véritables aciers fondus; c'est ce qui avait amené, en Angleterre et en France, à les qualifier d'aciers doux ou extra-doux, alors qu'ils n'étaient autre chose, au point de vue chimique, que du fer fondu.

Gruner insista vivement dans son rapport sur l'Exposition de Vienne sur la confusion que risquait d'entraîner cette désignation inexacte ; il contribua à faire adopter par le comité international de l'Exposition de Philadelphie la classification généralement admise aujourd'hui, qui réserve le nom d'acier aux composés ferreux susceptibles de prendre la trempe (Ann. des mines, 7e série, t. X, p. 209).

Au cours de ses recherches si étendues sur l'affinage des fontes, Gruner avait eu l'occasion de s'occuper accessoirement de divers procédés soit d'affinage, soit de réduction directe, qui n'ont abouti à aucun résultat pratique. Dans la première catégorie se rangent les procédés Bérard (Ann. des mines, 6e série, t. XII, p. 269), Ellershausen (Ann. des mines, 6e série, t. XVI, p. 289); dans la deuxième, les procédés Siemens, Chenot, Sievier et Ponsard (ibid, p. 284 et suiv.). L'étude de la réduction directe des minerais de fer a été reprise avec plus de détails dans le volume II du Traité de métallurgie, p. 244 et 261 ; Gruner y a montré le peu de probabilité qu'il y avait à voir ce procédé se substituer au travail en deux phases distinctes qui est appliqué depuis longtemps dans la métallurgie du fer.

La production de la fonte devait être l'objet d'études considérables de la part de Gruner, études dont le point de départ fut la véritable révolution opérée dans les proportions des hauts fourneaux par les maîtres de forges du Cleveland, de 1861 à 1870.

Gruner avait précisément résumé dans son Etat présent de la métallurgie en Angleterre, p. 130, l'état de l'industrie de la fabrication de la fonte dans ce pays au moment où la transformation allait commencer ; à cette époque, la hauteur des hauts fourneaux dépassait rarement 15 mètres et leur volume intérieur 230 mètres cubes. On constata vers 1861 dans le Cleveland que l'accroissement de ces deux éléments permettait d'augmenter la production tout en réalisant une économie notable sur la consommation de coke par tonne de fonte ; a partir de ce moment, chaque construction nouvelle dans ce district fut signalée par un agrandissement des dimensions des hauts fourneaux. En 1870, on était arrivé à des hauteurs de 31m,50 et à des volumes de 935 et 1.220 mètres cubes, suivant le profil plus ou moins élancé que l'on adoptait pour la capacité intérieure de l'appareil. On ne tarda pas à constater qu'on était allé trop loin et que ces hauts fourneaux gigantesques ne donnaient pas les résultats que l'on en attendait.

On avait donc dépassé les proportions qui correspondaient à la marche la plus avantageuse ; il restait à expliquer pourquoi et à compléter l'ancienne théorie des hauts fourneaux, telle que l'avaient esquissée Le Play, Tunner , Bunsen et Ebelmen, de manière à la mettre d'accord avec les faits nouveaux qui venaient d'être constatés. C'est ce qu'entreprirent M. Lowthian Bell en Angleterre et Gruner en France, en suivant des voies un peu différentes.

Il était facile d'expliquer pourquoi la production des hauts fourneaux n'avait pas augmenté en proportion de l'accroissement de leur volume intérieur. Cette production est essentiellement fonction de la quantité de vent insufflée dans un temps donné ; or cette quantité n'avait pas subi, dans le Cleveland, une augmentation proportionnelle à celle de la capacité des hauts fourneaux. La marche était devenue plus lente ; le rapport de la capacité intérieure à la production journalière s'était accru et cet accroissement, à partir d'une certaine limite, non seulement ne permettait plus de réaliser de nouvelles économies de combustible, mais donnait lieu à une augmentation de consommation. Il restait à expliquer ce renversement d'un phénomène qui était si accentué à l'origine, avec des appareils de dimensions moyennes.

C'est la question que Gruner aborda en 1872 dans les Annales des mines (7° série, t. II). Il montra d'abord que la hauteur des hauts fourneaux se trouvant limitée dans chaque district par la résistance à l'écrasement du minerai et du combustible, les grands accroissements de volume ne pouvaient être obtenus que par un élargissement exagéré de la cuve et que cet élargissement finirait par donner lieu à une marche irrégulière dénaturant complètement les conditions normales de travail de l'appareil. Classant les hauts fourneaux, suivant le rapport de leur diamètre à leur hauteur, en élancés et en trapus, il fit ressortir les avantages des profils élancés au point de vue de la régularité du travail et de la consommation de combustible.

Il restait à expliquer pourquoi l'économie de consommation réalisée par l'exhaussement des fourneaux de profil élancé semble tendre vers une certaine limite, alors même qu'on ne dépasse pas la hauteur compatible avec la résistance des charges à l'écrasement. Gruner montra que l'on devait chercher l'explication de ce phénomène dans le dédoublement de l'oxyde de carbone au-dessous du rouge sombre, étudié peu de temps auparavant par M. Lowthian Bell et par lui-même.

Dans un mémoire publié en 1869 dans le Journal of the Chemical Society of London, M. Lowthian Bell avait montré que des fragments de minerai de fer soumis vers 400 degrés au courant gazeux qui sort d'un haut fourneau se réduisaient partiellement en se désagrégeant et en se couvrant de carbone floconneux analogue au noir de fumée.

Dans un travail important, publié en 1871 dans le Recueil des savants étrangers (Académie des Sciences), et en 1872, dans les Annales de Chimie et de Physique, Gruner étudia les circonstances où se produisait ce phénomène. Il montra qu'entre 300 et 400 degrés, l'oxyde de carbone commençait à exercer sur l'oxyde de fer une action réductrice sensible, tandis que l'action inverse de l'acide carbonique sur le fer était encore inappréciable ; il fit voir qu'à la même température la présence du fer métallique provoquait le dédoublement de l'oxyde de carbone en acide carbonique et carbone avec dégagement de chaleur ; qu'enfin le carbone isolé se combinait avec le fer pour donner cette matière floconneuse, analogue au noir de fumée, qu'avait signalée M. Lowthian Bell, et qui n'était autre chose qu'un carbure de fer de composition mal définie. Ce dédoublement de l'oxyde de carbone explique pourquoi les gaz des hauts fourneaux tendent vers une température et une composition limites dont ils se rapprochent beaucoup à partir du moment où la hauteur et le volume intérieur du haut fourneau ont atteint une certaine valeur ; des accroissements nouveaux de l'un ou l'autre élément ne donnent par suite que des résultats insignifiants au point de vue de l'économie de combustible.

Dans le même travail, Gruner a montré comment on pouvait établir le bilan calorifique d'un haut fourneau et de quelle importance était, pour l'appréciation du fonctionnement des appareils de ce genre, l'évaluation des proportions relatives d'acide carbonique et d'oxyde de carbone contenus dans les gaz du gueulard.

Il revint sur ces questions dans deux mémoires publiés dans les Annales des Mines en 1877 (7e série, t. XII, p. 472) et en 1881 (7° série, t. XX, p. 356).

En dehors de l'accroissement des dimensions, un autre perfectionnement important était venu depuis 1860 améliorer la marche des hauts fourneaux; c'était la substitution progressive, pour le chauffage du vent, d'appareils en terre réfractaire aux appareils en fonte usités jusque-là. Dans une notice publiée en 1872 dans les Annales des mines (7e série, t. II), Gruner étudia les conditions du fonctionnement de ces divers appareils et fit ressortir les avantages des types nouveaux qui permettent d'atteindre des températures beaucoup plus élevées que les anciens ; il reproduisit plus tard cette analyse, dans son Traité de métallurgie (t. I, p. 352), en la complétant.

Nous devons enfin signaler parmi les travaux de Gruner concernant la théorie des hauts fourneaux une étude sur l'emploi de la chaux vive au lieu de calcaire dans ces appareils (Annales des Mines, 6e série, t. XX, p. 325) ; une autre étude sur l'influence de la section transversale des fours à vent (Annales des Mines, 6° série, t. III, p. 337); une note sur l'appareil de chargement Chadeffaud (Annales des Mines, 6e série, t. VII, p. 109); et enfin des études sur certains produits secondaires obtenus dans les hauts fourneaux (Comptes rendus de l'Académie des Sciences, 1876, et Annales des Mines, 7e série, t. XV).

Ce sont également les recherches de Gruner sur la théorie des hauts fourneaux qui l'ont amené à déterminer le point de fusion et la capacité calorifique d'un certain nombre de scories, laitiers, mattes et produits métalliques (Annales des Mines, 7e série, t. IV, p. 224, et t. VIII, p. 160). A l'aide de ces déterminations, il put évaluer l'effet utile de divers appareils métallurgiques et établir ainsi entre eux des comparaisons fort intéressantes. C'est au même ordre d'idées que se rattache l'étude sur le four Hoffmann, qu'il a publiée en 1871 dans les Annales des Mines (6e série, t. XX, p. 335).

Gruner s'est également occupé de la structure intime du fer ainsi que de la résistance de ce corps et ses dérivés aux diverses causes extérieures d'altération, soit physiques, soit mécaniques : je citerai d'abord une courte note sur la texture du fer (Annales des Mines, 7° série, t. V, p. 108); puis une note sur la nature de l'acier le convenable pour rails (Annales des Mines, 7e série, t. XX, p. 171), et un mémoire sur l'oxydabilité relative des fontes, des aciers et des fers par l'action de l'air et de l'eau plus ou moins chargée d'éléments étrangers (Annales des Mines, 8e série, t. III, p. 5).

Gruner ne s'est d'ailleurs pas limité aux études de métallurgie générale et de sidérurgie : la métallurgie du plomb et du cuivre ont été de sa part l'objet de recherches importantes.

Sur la première, il a publié en 1868, dans les Annales des Mines (6° série, t. XIII, p. 325) un mémoire considérable qui constitue un véritable traité sur cette matière. En passant en revue les perfectionnements introduits dans la métallurgie du plomb et dans les procédés de désargentation, il a éclairci plus d'un point obscur de théorie et fait la critique complète des diverses méthodes usitées, en montrant les circonstances où il convenait d'appliquer chacune d'elles. Il faisait en même temps ressortir les avantages de l'emploi de grands fours à cuve, à parois partiellement métalliques, refroidis au niveau des tuyères, par rapport à celui des petits fours à cuve, à parois en briques, qui étaient en usage dans l'ancienne métallurgie. En ce qui concerne les procédés de désargentation, il mettait en lumière les avantages de la méthode par zingage, dont le développement a en effet justifié ses prévisions.

C'est surtout pendant les dernières années de sa vie que Gruner s'est occupé de la métallurgie du cuivre. Il avait déjà donné, en 1857, dans le Bulletin de l'Industrie minérale (t. III, p. 291), la description du procédé Bechi pour le traitement par voie humide de minerais pyriteux pauvres; mais ce fut surtout l'application du procédé Bessemer à l'affinage des mattes cuivreuses qui l'amena à étudier de plus près le cuivre et les conditions de sa production. Il avait activement contribué par ses conseils à l'installation de ce procédé à l'usine d'Eguilles, et il en avait préparé une description qui ne put paraître qu'après sa mort dans les Annales des Mines (8e série, t. III, p. 429). Il devait laisser également inachevé le travail sur la métallurgie du cuivre qu'il avait commencé pour l'Encyclopédie chimique, après avoir publié dans ce recueil un résumé des principes généraux de la métallurgie.

En dehors des travaux motivés par ses nombreuses publications, Gruner avait eu l'occasion, pendant ses quatorze années de professorat à l'École des Mines de Paris, d'approfondir toutes les branches de la métallurgie ; personne n'était donc mieux que lui en situation de publier un traité complet sur cette matière. Il en commença la préparation dès qu'il eut cessé son enseignement oral et il en publia le premier volume en 1875. Il comptait pouvoir mener rapidement son oeuvre à bonne fin, mais l'état de sa santé ne devait pas le lui permettre.

La grave maladie qui faillit l'emporter en 1877 retarda la publication du deuxième volume, qui parut seulement en 1878. La préoccupation bien légitime de donner une forme définitive à ses grands travaux géologiques sur le bassin houiller de la Loire l'amena à laisser un peu de côté, de 1879 à 1882, les questions métallurgiques; la mort ne devait pas lui laisser le loisir de terminer son oeuvre.

Le Traité de métallurgie est demeuré incomplet; mais, restreint comme il l'est aux principes généraux, il reste un monument d'exposition scientifique et de critique méthodique, éclairant le faisceau si complexe des faits et des données de la pratique.

En dehors de sa connaissance profonde de la géologie et de la métallurgie, Gruner n'était étranger à aucune des branches de l'art de l'ingénieur. S'il n'a publié que quelles courtes notes sur l'art de l'exploitation des mines (Annales des Mines, 3e série, t. VIII et t. XVI), il n'en avait pas moins une grande autorité dans cette matière, et ses avis étaient fort appréciés des exploitants.

Au point de vue administratif, ses connaissances n'étaient pas moins étendues, comme il eut l'occasion de le montrer en présidant avec distinction pendant sept années les séances du Conseil général des Mines. Il avait eu même l'occasion de s'occuper de sujets ne touchant que bien indirectement à l'art de l'ingénieur; il a publié, par exemple, en 1851, dans le Bulletin de la Société d'Agriculture de Poitiers, un rapport sur l'emploi du sel en agriculture. Enfin certaines missions spéciales furent pour lui l'occasion de montrer avec quelle supériorité il traitait toutes les questions; c'est ainsi qu'après l'Exposition de 1873, à Vienne, où il avait été membre du jury, il publia un remarquable rapport qui a été inséré dans le Bulletin de la Société de l'Industrie minérale (2e série, t. V).

La création de cette société elle-même avait été une des oeuvres importantes de Gruner. En 1855, alors qu'il était directeur de l'École des Mines de Saint-Étienne, il avait eu l'idée de grouper les industriels et les ingénieurs s'occupant de l'art des mines et de la métallurgie ; l'autorité scientifique et morale qu'il avait si justement acquise lui avait permis d'y réussir. Il fut président de la Société de l'Industrie minérale depuis l'origine de cette société jusqu'en 1858, époque à laquelle il quitta Saint-Étienne; il en resta président honoraire jusqu'à sa mort, et dirigea les Congrès de 1875, 1876 et 1878.

Il eut la satisfaction de voir son oeuvre prendre une importance croissante, et remplir d'une manière de plus en plus complète ce programme, qu'il lui traçait à l'origine : - développer l'émulation et le progrès parmi les industriels en multipliant entre eux les occasions de contact. L'idée était juste et féconde; les efforts isolés ne donnent en général que des résultats incomplets, et c'est par le frottement des idées les unes contre les autres que se réalisent les grandes améliorations industrielles. Mais il y avait quelque difficulté à triompher des préjugés et des habitudes mystérieuses qui ont trop longtemps régné en métallurgie; l'autorité de Gruner y a beaucoup contribué.

Il devait cette autorité non seulement à sa grande situation, mais aussi à la dignité morale de toute sa carrière, au sentiment du devoir qui l'a animé et soutenu jusqu'à la fin. Ses nombreux élèves ont toujours trouvé auprès de lui appui et conseil ; ils ont conservé un souvenir reconnaissant pour sa mémoire. Il a jusqu'à son dernier jour cherché à être utile à ses semblables ; le plus bel éloge qu'on puisse faire de lui, celui auquel il aurait été lui-même le plus sensible, c'est de rappeler qu'il fut non seulement un savant éminent, mais aussi et avant tout un homme de bien.