Octave GELINIER (1916-2004)


Octave Gélinier, élève de l'Ecole des Mines de Paris
(C) Photo collections ENSMP

Né le 9 novembre 1916 à Corbigny (Nièvre). Décédé le 20 août 2004. Fils de Xavier Gélinier, ingénieur, et de Philomène BERNASSE. Marié en 1949 à Jacqueline ROBINSON (4 enfants).

Ancien élève de l'Ecole des mines de Paris (promotion 1937). Ingénieur civil des mines.


La disparition d'Octave GELINIER
Extrait d'un hommage de Michel DRANCOURT, économiste

Publié dans MINES Revue des Ingénieurs, Octobre/décembre 2004

Nous remercions "Les Echos" de nous avoir permis de reproduire l'article ci-dessous, paru le 25 août 2004.

Octave Gélinier est décédé le 20 août, à l'âge de quatre-vingt-huit ans. Président d'honneur de la Cegos, il a été l'un des pionniers de la pensée managériale en France, en adaptant des théories nées outre-Atlantique, puis en forgeant inlassablement des grilles de lecture et d'action pour l'entreprise. Il contribuait naturellement aux pages "Idées" des "Echos". Nous publions ci-dessous l'hommage que lui rend Michel Drancourt, qui fonda avec lui, Yvon Gattaz et Jacques Plassard la lettre "Les 4 vérités".

La disparition d'Octave Gélinier est celle d'un de ces hommes qui a le plus fait pour moderniser les entreprises françaises. Né en 1916, il était bardé de diplômes, alliant les sciences économiques, le droit, les sciences politiques, la technique. Ingénieur civil des Mines, il démarre sa carrière "d'organisateur" à la Cegos en 1947 [Le président de la CEGOS qui lui succéda était Noël Pouderoux, lui-même ancien élève de l'Ecole des Mines de Saint-Etienne]. Il y consacre toute sa vie active et en sera président, puis président d'honneur.

La plupart des chefs d'entreprise et acteurs économiques d'aujourd'hui imaginent mal ce qu'était l'état de l'organisation des entreprises et du management en France après la guerre. Le mot lui-même a fait son apparition dans les années 1950. La France d'alors vivait dans "l'économie concertée", après avoir failli entrer dans l'économie à la Soviétique. Les entrepreneurs liés à l'Etat pesaient lourd, mais les hommes de la poudre à laver, de l'équipement automobile, du commerce, regardés de haut par les technocrates de l'époque, ont contribué plus encore que l'Etat à faire des entreprises françaises des firmes dynamiques.

Octave Gélinier a été la figure de proue des conseils qui ont favorisé le passage de l'ère de l'entreprise fermée sur elle-même ou habituée aux marchés protégés à l'entreprise compétitive.

Son premier ouvrage marquant "Fonction et Tâches de la direction générale " (Hommes et techniques, 1953) et plus encore "Secret des structures compétitives" (Hommes et techniques, 1965) font partie des quelques livres majeurs qui ont façonné la conduite des entreprises. Gélinier a écrit ensuite bien d'autres livres dont chacun marque à la fois l'évolution de l'économie d'entreprise et celle de sa pensée, depuis "Direction participative par objectifs" (1968), jusqu'à "La Nouvelle Economie mondiale, les 28 règles du jeu" (2000).

Partant de l'effort nécessaire d'organisation du travail dans l'entreprise et de la définition des tâches essentielles du management, il a souligné à chaque étape de sa carrière la dominante du moment. Au début il fallait se mettre au diapason du monde moderne, construire des groupes puissants. Mais l'exigence de créativité s'est imposée avec l'ouverture des frontières, la montée de la prospérité rendant les clients plus difficiles et les distributeurs plus offensifs. Il fallait des entreprises plus souples, ce que sont souvent les moyennes entreprises. Dans les années 1970, avec Yvon Gattaz, il mettra l'accent sur la place et le rôle des entreprises familiales et patrimoniales en contribuant à la naissance de l'Ethic puis de l'Asmep. Soucieux de concilier les objectifs de rentabilité et l'attention portée aux hommes dans l'entreprise, il a été séduit par l'exemple japonais, un peu oublié depuis mais qui a permis de faire progresser les approches post-tayloriennes de l'entreprise. Il avait pris conscience depuis plusieurs années de l'importance du développement durable.

Mais, pour bien comprendre sa pensée et les mobiles de son action, il faut se reporter au livre où, dès 1965, il affirme des convictions qui ne le quitteront jamais, "Morale de l'entreprise et destin de la nation" (Pion). La "leçon" (il n'a cessé de professer) qu'il y donne n'a pas vieilli. La bonne gestion, condition du progrès suppose des disciplines de productivité qui ne seraient pas mises en oeuvre sans la pression de la concurrence. Pour être acceptées, elles doivent être promues par les dirigeants se soumettant eux-mêmes à une ascèse.

Lui-même donnait l'exemple. Il faudrait être le Greco pour dépeindre Octave Gélinier. Le visage coupant, le regard sévère, le teint sombre des passionnés, il pouvait rester une heure à écouter les autres sans rien dire et, tout à coup, saisir un détour de phrase pour se mettre à expliquer, affirmer, prêcher. Il pouvait s'emporter, refuser d'entendre une réplique, balayer une objection. Handicapé d'une jambe, il avait une démarche mécanique qui ajoutait à son aspect austère. Il y avait du Savonarole en lui. Mais la fougue qu'il mettait dans ses discours était placée au service d'une cause et d'une seule, la promotion de l'entreprise performante.

Octave Gélinier n'hésitait pas à s'engager dans des combats d'idées. En 1973, il a participé à la rédaction de la lettre "Les 4 Vérités", que nous avions fondée, Yvon Gattaz, Jacques Plassard, lui et moi, pour essayer de faire mieux connaître le vrai libéralisme, qui est un humanisme, face aux promesses illusoires du programme commun qui venait de naître. La lettre a ultérieurement changé de nature en dehors de nous, mais ce qui a été semé alors a porté des fruits.

Octave Gélinier enfin a préfiguré, dans la dernière partie de sa vie, la manière dont, au fur et à mesure de l'allongement de la vie humaine, on pourra vivre "activement" sa retraite. N'ayant jamais perdu le contact avec la Cegos, il restait le conseil d'entreprises amies, écrivait, se tenait au courant des changements du monde. Chaque jour ou presque, il attirait l'attention de ceux qui le côtoyaient sur des événements ou des faits, même mineurs en apparence, susceptibles de modifier l'approche des problèmes de société. Ayant su s'imposer très tôt dans son existence comme un Peter Drucker à la française, il est resté, par sa curiosité et sa volonté de dire ce qu'il croyait bon pour l'entreprise et la société, jeune jusqu'au bout.