« Avant de mettre un terme à cette étude, je dois dire quelque chose à son sujet. Elle est l'aboutissement d'un travail sur place qui a été entrepris en étroite communauté avec les ingénieurs de l'état-major d'Ouenza responsable de la production. Elle leur doit beaucoup. Sans eux je n'aurais certainement pas pu la mener à bonne fin. En toute équité mon rapport devrait porter leur signature, au même titre et au même rang que la mienne. »
Ces quelques lignes, par lesquelles M. l'inspecteur général Crussard concluait l'un de ses rapports magistraux consacrés à l'étude du gisement de l'Ouenza, touchent à l'âme même de leur auteur.
Au même titre... Au même rang... Quels qu'aient été son rang et ses titres - indiscutés, et reconnus de tous - M. Crussard s'est toujours attaché, avec une rare droiture, à rendre à chacun l'hommage qui lui est dû. Non pas seulement, comme il est dit ici, aux ingénieurs d'Etat-major dont le travail préparait le sien, mais à tous ceux qui, du plus humble au plus élevé en grade, dévouaient à l'exercice du métier le meilleur d'eux-mêmes.
Aussi ne peut-on s'étonner qu'entre M. l'inspecteur général Crussard et le personnel de notre société se soient noués des liens d'une vraie et profonde affection que ni les événements ni le temps n'ont jamais altérés.
« Monsieur l'inspecteur général... » C'est très souvent ainsi que nous nous adressions à lui en témoignage de respect. Mais ces mots ne soulignaient pas une distance, un fossé impossible à franchir. Pour qui les prononçait, pour qui les entendait, leur sens était tout autre. Car, par eux, le contact s'établissait aussitôt, de plain-pied, à hauteur d'homme, à ce niveau d'élection où les sentiments n'osent pas s'exprimer tant ils sont empreints de ferveur.
Que l'un de nos ingénieurs veuille bien m'excuser s'il se reconnaît ici; je tairai son nom de crainte de le blesser; mais qu'il me permette de mieux dire, grâce à lui, les sentiments qui étaient les nôtres.
Nous savions tous - mais c'est un secret qui restait entre nous - qu'aux heures de détente qu'il aimait s'accorder, M. Crussard trouvait comme une joie d'enfant à fumer un cigare. Aussi tenions-nous toujours en réserve quelques coffrets de « Président » ou de « Ministre » entre lesquels son choix s'exerçait. « Président » ou « Ministre », peu importait d'ailleurs. L'essentiel était que l'un ou l'autre d'entre nous pût tenir compagnie à notre hôte, et mêler la fumée du tabac à ces propos de bon aloi qui fusaient alors dans un désordre et avec une fantaisie ignorant toute contrainte.
Et voilà que, plus récemment - renouant avec un passé encore si proche de nous - j'offrais un de ces « Président » à celui de nos ingénieurs qui, depuis près de vingt ans, avait, sans défaillance, apporté à M. Crussard le concours de son expérience et de son dévouement. Mais je n'eus pas à insister : « Depuis la mort d'oncle Billy je ne fume plus le cigare ».
N'ajoutons rien. « Monsieur l'inspecteur général », c'était le domaine de l'esprit. Mais « oncle Billy », c'était, et c'est encore pour nous tous, le domaine du coeur.
Respect des personnes - mais aussi respect des choses - des choses réhabilitées au besoin jusqu'à leur donner visage d'homme.
« Ce rapport est rude et sa lecture ingrate. Je n'y suis pour rien car, en somme, son véritable auteur est « Gisement ». Nous avons entendu sa voix. « Gisement » est un personnage fruste qui dit crûment et sans détours... Ses propos ne font qu'y gagner en netteté. »
Aussi est-ce à l'expérience - à sa propre expérience comme à celle des autres - que, pour l'étude de nos problèmes, M. Crussard accordait toujours la primauté. Toujours l'expérience décidait en dernier ressort; et je ne connais pas d'exemple où quelque théorie, quelque conclusion à priori, quelque préférence personnelle - si justifiées qu'elles aient pu paraître - aient jamais pris le pas sur elle. Maîtresse de vérité, dissipant toute illusion, c'est elle qui, sous la plume de M. Crussard, écrivait :
« Contrairement à une opinion très répandue - dont la mienne, devine-t-on entre les lignes - ce n'est pas l'augmentation spectaculaire du rendement direct du travail au chantier qui est principalement à retenir à l'actif de la mécanisation... Les avantages sont d'un autre ordre et considérables, bien qu'il soit difficile de les traduire en comptabilité. »
Et le texte poursuit, sans solution de continuité, comme pour tout éclairer d'une seule phrase :
« Ce sont les faits qui nous ont appris à les connaître et à les saisir sur le vif. »
Saisir sur le vif - jusqu'à l'échelle du détail - saisir les faits bruts, dans leur gangue et, par un lent cheminement, les transposer sur un plan supérieur le plan où la technique se fait philosophie le plan où la philosophie dicte ses lois à la technique. C'est alors, qu'au terme de la route - d'une route toute jalonnée de chiffres - le chiffre cesse d'être :
« Lorsqu'on interroge un gisement sur ses possibilités de production, il ne répond jamais par un chiffre unique; mais il laisse à l'initiative de qui l'interroge une certaine marge. Ici s'introduit l'élément subjectif : le choix n'est plus technique. Il met en jeu la politique minière, la manière de gérer l'entreprise et, finalement, est affaire de tempérament. Il y a tous les intermédiaires entre la gestion exagérément prudente et l'exercice du jus abutendi. »
Mais à l'instant même où tout semblait achevé, où toute obscurité paraissait dissipée, tout était à reprendre; car, aux deux pôles de l'étude, les faits, les faits seuls décidaient en dernier ressort :
« Dans le rapport lui-même, je me suis limité à l'essentiel. Il en résulte une simplicité trompeuse qui masque la grande complexité réelle des problèmes. On trouvera celle-ci dans les annexes, plus volumineuses, et beaucoup plus techniques que le rapport principal. »
Réduite à quelques traits, telle était la trame. Mais, sur elle, il restait à bâtir.
Quelle qu'ait été leur ampleur - notes sommaires ou rapports - tous les travaux de M. Crussard se pliaient, me semble-t-il, aux exigences d'un seul principe, trop souvent ignoré : à savoir que mettre une question au point c'est, avant tout, la situer dans un ensemble, l'insérer dans un contexte beaucoup plus vaste qui, tout à la fois, l'explique et tient d'elle sa justification.
S'il en est ainsi, dès le départ se dessine une hiérarchie des valeurs. Il est des faits seconds, donc négligeables; des faits majeurs, donc décisifs. Les uns et les autres se situent à leur date, interférant l'un avec l'autre, mais sans jamais se confondre :
« On se trouve là, en somme, comme devant un paysage dont les deux premiers plans sont des plus nets, tandis que les autres, indifférenciés, ne sont vus, et n'ont à être vus, que dans leurs linéaments principaux. La marche en avant les rapprochera et les rendra nets lorsque ce sera nécessaire. »
Ou encore, sous une autre forme :
« Bien que correspondant à des échéances lointaines, l'étude dont il s'agit ne peut se désintéresser complètement des faits nouveaux qui, à l'époque, obligeraient à des modifications de structure. Tout au moins, sans chercher à ces problèmes futurs une solution prématurée, convient-il de les définir et d'en faire comprendre la portée. »
Pour les futurs lointains, de brèves esquisses, sans plus.
Mais pour le présent, des contours nets, appuyés. Quiconque n'a pas eu en mains les premières ébauches d'un de ses rapports ne peut savoir ce que M. Crussard mettait d'application - le terme n'est pas impropre - à les rédiger. Gomme et crayon, se prêtant mutuellement secours, remplissaient page après page, alignaient des chiffres, respectaient les virgules, additionnaient par lignes et colonnes, et dispersaient dans tous les angles les multiplications et leurs preuves par neuf. C'était là la base; il fallait que rien, par la suite, ne la puisse ébranler.
Mais il fallait aussi que rien des expériences, des succès ou des échecs passés, ne cessât de nous instruire. C'est pourquoi si quelque idée nouvelle se faisait jour au hasard de nos réflexions communes, avant toutes choses c'est à nos prédécesseurs que nous laissions la parole. Et presque toujours le présent se soudait au passé.
« Cette question n'est pas nouvelle à Ouenza. Elle s'est imposée à l'attention depuis l'époque lointaine... ».
Le passé... L'avenir...
Je l'ai déjà dit : lorsqu'il prenait nos problèmes à bras le corps M. Crussard portait loin ses regards - loin devant lui - vers un avenir qui était encore le sien.
Aussi est-il particulièrement émouvant de lire, en exergue de son dernier rapport, daté du 20 décembre 1958, les deux très simples phrases que voici :
« Tout l'intérêt se concentre sur les questions d'avenir.
« Pour ne pas être pris de court, et acculé, le moment venu, à des solutions de fortune, un travail important de préparation est nécessaire. »
Mais, à l'inverse de tous les rapports précédents, celui-ci ne conclut pas. Il ne forme pas un tout, cohérent, articulé sur une ligne de faîte. Quelques notes, indépendantes l'une de l'autre s'y côtoient : Note I, note II... note VI. Et puis, plus rien. La place reste libre pour d'autres notes, qui viendront plus tard. Jusqu'à ce qu'un seul et même rapport, assez sûr de lui, les noue en faisceau. D'autres notes. Combien ? Qui les rédigera ?...
Ici la page se tourne... Derrière elle, tout est blanc.
Monsieur l'inspecteur général, laissons cela.
Vous souvient-il de ces soirées que nous passions ensemble, et où vos souvenirs n'étaient pas les moindres de nos convives. Au fait, de quoi parlions-nous ? Vous saviez le latin, le grec, l'hébreu. Les mathématiques, bien sûr, n'avaient pas de secrets pour vous - ni Platon, ni Russel; ni les pierres, ni les fleurs, ni la musique, ni les hommes. Oui, de quoi parlions-nous ? Je vais vous le dire.
Comme par enchantement, Ouenza s'effaçait de la carte. Ouenza - ses quartiers, ses gradins, ses tonnages - tout avait disparu.
Venait l'atome de Lemaître, et l'univers en expansion. Parfois le « Tokarien » - le Tokarien II, bien entendu. Et vous aviez soin de préciser que le Tokarien II n'était ni le Tokarien tout court, ni même le Tokarien I. Nous preniez-vous donc pour des ignorants ?
Parfois aussi, c'est à l'espace fibreux que vous en aviez.
Peut-être l'avez-vous oublié. Un jour ayant une heure à perdre, vous êtes entré au Collège de France. Un professeur. Un tableau chargé de signes cabalistiques. Au premier rang un élève, appliqué s'il en fut. Plus loin, un clochard, et vous. Votre attention n'a cessé d'être en éveil ; et pourtant vous n'avez rien compris, rien saisi des propositions énoncées, rien retenu de cet espace fibreux dont, bien des années plus tard, vous vous demandiez encore - avec quelle malice - ce qu'il pouvait bien être. Voyons, vous, major de l'X !
Et le jeu des péchés capitaux ? Un soir que nous étions quatre, nos efforts conjugués n'ont pu en reconstituer la liste. Alors vous avez proposé la vôtre :
La laideur d'abord. Puis la bêtise. Puis l'avarice.
Et vous en êtes resté là. La suite, était à vos yeux, sans importance.
Oui, la laideur d'abord - parce que, dans les hommes et les choses, vous saviez ne voir que le beau - et la vraie beauté, c'est ce qui reste de vous en chacun de nous.
Raymond HAURIE.
Le nom de M. Louis Crussard est indissolublement lié aux débuts de l'Ecole. Il apparaît donc nécessaire de rappeler brièvement les conditions dans lesquelles celle-ci a été créée.
Dès 1917, l'Union Economique de l'Est considérant l'ensemble unique, constitué par la Lorraine et l'Alsace, au point de vue des industries du fer, du sel et de la soude, de la potasse et de la houille, préconise la création à Nancy d'un « Institut Métallurgique et Minier » fonctionnant à la Faculté des Sciences.
En décembre 1918, la Chambre de Commerce de Nancy émet le voeu de la création d'un tel institut et lui promet à l'avance son patronage.
Successivement le Comité des Forges de France, le Comité Central des Houillères de France, la Chambre Syndicale des Mines Métalliques, le Comité des Forges et Mines de Fer de Meurthe-et-Moselle, la Société Industrielle de l'Est, la ville de Nancy et le Conseil Général de Meurthe-et-Moselle et différents industriels accordent leur patronage et leur concours financier pour le fonctionnement de l'Institut Métallurgique et Minier.
Finalement, sur la proposition du Conseil de l'Université de Nancy, le ministre de l'Instruction Publique approuve le 5 juillet 1919 la création dudit institut, à partir du début de l'année scolaire 1919-1920.
La direction de cet établissement est confiée à un professeur de la Faculté des Sciences, la direction technique à un ingénieur, tous deux nommés par le Recteur, sur la présentation du conseil d'administration.
L'école créée n'est pas une école « supplémentaire » mais une école « nouvelle ». Elle est destinée à former, « suivant les directives des industriels intéressés », des ingénieurs pour la métallurgie et les mines.
« L'organisation du nouvel institut répond, en effet, à des conceptions nouvelles.
« Jusqu'ici presque toutes les écoles techniques supérieures fournissent à l'industrie des ingénieurs dont la formation a été accomplie sans que les industries intéressées exercent une influence effective sur les programmes, l'organisation et le choix des professeurs. Et cependant personne ne saurait être plus compétent, ni mieux qualifié en ces matières, que ceux-là même qui emploient ces ingénieurs.
« D'autre part, l'institut rompt nettement avec la conception surannée qu'une école technique doit dépendre uniquement d'une administration, celle-ci ignorant les voisines. C'est une collaboration qui s établira entre les différents services. » ( M. Petit, article paru dans l'Union Economique de l'Est, le 13 juillet 1919.)
La direction en est confiée à M. Paul Petit, doyen de la Faculté des Sciences, la direction technique à M. Leprince-Ringuet, ingénieur en chef au Corps des Mines.
Mais avant la création de l'Etablissement, M. Louis Crussard, alors professeur d'exploitation des Mines à l'Ecole de Saint-Etienne, rencontre M. Petit. Il résume lui-même leur entretien en ces termes. (Discours de M. Louis Crussard prononcé le 27 novembre 1937 lors de l'inauguration du buste de M. Petit.)
« C'est au printemps de 1919 : c'est à l'époque héroïque, où le « minier » comme l'on disait déjà, était en gestation. Au cours d'un voyage à Nancy, je prends contact avec le doyen de la faculté des Sciences, futur directeur du futur institut.
« Nous ne nous connaissions pas. Ai-je besoin de dire que l'entrevue fut d'une extrême courtoisie ? Oui, mais aussi d'une impitoyable lucidité. Elle fut - comment dirai-je - une épreuve réciproque, chacun de nous, tantôt prenant place sur la chaise curule de l'examinateur, tantôt se trouvant assis sur la sellette de l'examiné. Quelle a été l'impression de mon interlocuteur ? Je n'en sais rien, mais je puis vous parler de la mienne. Eh bien ! je puis vous dire une chose : c'est que, parmi ces « colles » plus ou moins inopinées que la vie nous réserve, j'ai eu rarement la sensation d'être (oh ! avec une parfaite délicatesse de touche !) retourné sur toutes les coutures ce jour-là. »
Il est permis de penser qu'au cours de cet entretien, au cours duquel toutes les questions intéressant la future Ecole et en particulier son statut, ont dû être examinées, se sont noués les liens de profonde estime réciproque qui ont permis une collaboration, si féconde, de ces deux personnalités éminentes.
En définitive, l'Institut Métallurgique et Minier doit fonctionner sous l'autorité du Recteur, du conseil de l'Université et du Doyen et être administré par un conseil d'administration présidé par un industriel et « composé presque en totalité d'industriels et d'hommes d'affaires, et de quelques professeurs de l'enseignement supérieur. Ce conseil possède les pouvoirs les plus étendus et désigne les professeurs techniques : il les a choisis parmi les ingénieurs possédant la compétence et l'expérience pratique. » (Paul PETIT, L'Institut Métallurgique et Minier, Revue scientifique du 24 avril 1920.)
Ces derniers, réunis en comité technique, préparent l'étude des questions, soumises ensviite à la décision du conseil d'administration, qui arrête aussi les programmes d'admission et d'enseignement.
Dès la première année du fonctionnement de l'Ecole M. Crussard est nommé professeur d'exploitation des mines et assume la vice-présidence de ce comité technique, dont il devient bien vite l'animateur très apprécié.
M. Leprince-Ringuet démissionne de ses fonctions de directeur technique le 1er octobre 1919 et bien que M. Crussard ne soit nommé pour le remplacer que le 1er juin 1921, il entre au conseil d'administration de l'Institut dès le début de l'année 1920.
En sa qualité de vice-président du comité technique il soumet au conseil d'administration dès le 11 mai 1920 le programme de l'enseignement à l'Ecole. Il précise :
« Le but poursuivi est de donner aux futurs ingénieurs la formation que l'expérience montre la plus utile aux industries métallurgiques et minières, c'est-à-dire que l'institut fonctionne suivant les désirs des industriels intéressés et sous leur contrôle. Des visites nombreuses dans les mines et établissements métallurgiques, dans les ateliers de construction mécanique et électrique, des stages en mine et en usine, joints à des travaux pratiques très développés et comptant pour une part sérieuse dans le classement, accentuent le caractère de l'enseignement. Des deux années d'études, la première est particulièrement employée à compléter les connaissances générales des élèves, le programme d'admission étant d'ailleurs celui des classes de mathématiques spéciales préparant à l'Ecole Centrale, aux écoles nationales des Mines. Mais les cours scientifiques professés à l'institut ont leur progression déterminée par les techniciens, de manière à fournir les bases qui seront utilisées pour leurs enseignements. »
Au début de la seconde année les élèves optent pour une des sections « mines » ou « métallurgie », étant entendu toutefois qu'ils ont toute latitude de suivre les cours propres aux deux sections avec possibilité d'obtenir, soit le diplôme avec les deux mentions, soit, en plus du diplôme décerné au titre d'une option, un certificat constatant qu'ils ont suivi les cours concernant la seconde.
« Les stages sont faits d'après une conception nouvelle : Entre la première et la seconde année, les élèves effectuent comme ouvriers un stage dans une mine et un autre dans une usine métallurgique : les notes données par les ingénieurs de la mine et de l'usine à l'occasion de ces stages sont affectées d'un coefficient important. Il a paru très nécessaire que les futurs ingénieurs aient vécu, pendant quelques semaines, de la vie des ouvriers, aient appris le travail manuel. A la fin des cours de seconde année, les stages se font au contraire comme adjoint à un ingénieur. Dans leur ensemble, ces stages constituent ainsi une véritable école d'obéissance et de commandement. Un voyage d'étude dans les mines ou les usines métallurgiques et deux projets correspondant à la spécialisation adoptée complètent la formation des élèves » . (M. PETIT, L'Institut Métallurgique et Minier de Nancy, paru dans la revue scientifique, numéro du 24 avril 1920).
Mais pour que l'instruction des élèves ne soit pas limitée aux questions purement techniques, il est également prévu des cours de langues, ainsi que des cours de chemin de fer, canaux, de comptabilité, de législation et de gestion des entreprises.
Par décret du 10 août 1921, l'Institut Métallurgique et Minier est autorisé à prendre titre d'Ecole Supérieure de la Métallurgie et de l'Industrie des Mines, sur la proposition du Comité Technique, pour le mettre sur le même pied que les Grandes Ecoles recrutées par concours d'un niveau élevé.
En 1922 ledit Comité Technique propose de porter à trois années la durée des études à partir de la rentrée d'octobre 1923.
La raison de cette modification est exposée ainsi par M. Crussard :
« La pratique de l'enseignement montre les difficultés que l'on rencontre pour condenser en deux années d'études le travail demandé aux élèves en vue de leur formation; au surplus, l'exemple des écoles techniques prouve que, de longue date, deux années ont été estimées insuffisantes et que seules les nécessités créées par l'après-guerre y ont motivé le régime temporaire de deux années d'études. »
Il apparaît par ailleurs opportun de rester sur le même plan que les Ecoles des Mines de Paris et de Saint-Etienne qui viennent d'adopter cette mesure.
Aussi dans le rapport destiné à être soumis à l'appréciation du conseil d'administration, le Comité Technique s'exprime-t-il ainsi :
« Nous ne pensons nullement qu'il convienne de copier simplement les autres écoles, c'est-à-dire de répartir sur trois années ce qui se fait actuellement en deux, en y ajoutant quelques compléments.
« Nous estimons, au contraire, qu'il faut donner à la troisième année un caractère de spécialisation et de transition en nous inspirant des deux observations ci-après :
« 1° Suivant l'heureuse suggestion d'industriels autorisés, les jeunes ingénieurs doivent être entraînés à présenter des rapports clairs, ordonnés méthodiquement et concis, de manière que leurs chefs les puissent examiner, en un minimum de temps. Il paraît également utile que les jeunes gens soient habitués à faire des exposés oraux, dans les mêmes conditions;
« 2° Un débutant ne rend, pendant plusieurs mois, aucun service; il est gêné, par sa situation d'ingénieur, pour demander des renseignements ou des avis et, s'il les prend auprès d'un contremaître, son autorité sur le personnel en souffrira. Il est donc désirable que cette période soit abrégée ou supprimée. Pour tenir compte de ces deux observations, nous proposons que la troisième année comprenne 4 à 5 mois passés à l'école et 4 à 5 mois comme stage dans une mine ou dans une usine. »
Toutefois au cours de la discussion M. Crussard admet que des difficultés de réalisation peuvent rendre nécessaire d'apporter, en ce qui concerne les stages, des tempéraments dans l'exécution.
« Il importe de ne point adopter des formules trop rigides dans une question qui ne peut être résolue par le seul souci de l'intérêt pédagogique.
« La spécialisation se ferait obligatoirement au début de la troisième année et, pendant les cinq mois de séjour à l'école, une part importante serait réservée à la rédaction de rapports sur des questions techniques, dont le sujet serait donné d'avance par les professeurs de chaque spécialité et pour lesquels les élèves auraient à trouver la documentation utile.
« L'appréciation donnée sur ces rapports porterait autant sur la rédaction et le plan que sur le fond même. Bien entendu, les sujets se rapprocheront de ceux qui peuvent être posés dans l'industrie; l'expérience des professeurs techniques est un sûr garant que ces rapports ne seront pas des exercices purement académiques.
« D'autre part, pendant les cinq mois de stage l'élève, n'appartenant pas au personnel, pourra, sans inconvénient et sans être gêné, solliciter des renseignements et acquérir une formation pratique. Il ne sera même pas aussi encombrant que pendant les stages de trois ou quatre semaines et pourra même commencer à rendre quelques services à l'établissement qui l'aura reçu, soit qu'on l'attache à une section déterminée, soit qu'on l'affecte à un bureau d'études, soit enfin qu'il soit accepté par un ingénieur pour aider celui-ci à préparer un projet d'installation. Ce dernier système serait évidemment le plus profitable et donnerait la solution idéale du problème du « projet ».
Pour la réalisation de ce programme, le Comité propose de porter les heures de leçons orales de 678 à 789 (contre 1 112 à l'école de Paris et 935 à celle de Saint-Etienne).
Grâce à une reproduction, à l'Ecole même, de la plus grande partie des cours, une partie du temps d'enseignement oral est consacrée à des explications supplémentaires auxquelles les élèves peuvent prêter une attention d'autant plus efficace qu'ils n'ont plus à s'absorber dans la prise par écrit du cours professé.
La durée des travaux pratiques passe de 772 à 1 067 heures. Elle est donc notablement accrue, proportionnellement beaucoup plus que celle des cours ex cathedra.
« Cela semble une conception juste car il ne paraît pas douteux que des travaux pratiques bien dirigés donnent lieu à des explications orales du chef de travaux et à des comptes rendus écrits des élèves, constituant un excellent mode de formation.
« Nous accordons volontiers une considérable importance à ces travaux pratiques parce qu'ils contribuent efficacement à éloigner des élèves l'idée de l'absolu que leur a procurée leur préparation, presque uniquement mathématique, avant leur admission. »
La première année reste une année de culture générale, avec en plus, des cours de construction et de résistance des matériaux, en liaison avec le dessin.
La deuxième année est consacrée aux enseignements techniques communs aux deux sections (métallurgie et mines). Un développement plus important est donné aux cours capitaux de machines et de combustibles.
La troisième année est réservée à la spécialisation et à la rédaction d'un ou deux projets d'installation bien définie, avec des cours de législation, d'économie industrielle, de banque, de comptabilité.
La répartition des séances d'enseignement dans chacune des années d'études permet de réduire de deux heures par jour effectif de travail, le temps moyen consacré aux cours. Même en tenant compte des séances de travaux pratiques, qui fatiguent d'ailleurs moins l'attention, les élèves disposent d'un temps largement suffisant pour leur travail personnel.
Ces propositions sont adoptées par le conseil d'administration à l'unanimité, sauf une voix. Mais elles ne seront pas intégralement mises en application, la 3e année restant pratiquement limitée à 7 mois, d'octobre au début de mai, pour permettre aux élèves d'être incorporés sous les drapeaux en mai et ne pas rester inoccupés depuis juillet jusqu'à l'incorporation de novembre et aussi sans doute par suite des difficultés que présenteraient pour la direction de l'Ecole l'organisation d'un stage de six mois pour tous les élèves.
Finalement, en ce qui concerne les stage et visites, le programme des trois années est en principe le suivant :
Stage ouvrier de six semaines en fin d'année dont 3 dans une usine;
1 cours géologique d'une semaine;
2 visites d'une 1/2 journée correspondant au cours de construction.
2e année :
a) Stage de 2 mois en principe en fin d'année (comme adjoint à un ingénieur) soit dans une mine, soit dans une usine, suivant l'option choisie à la fin du mois de juillet.
b) Visite pour tous les élèves
12 1/2 journées dans une mine (dont 8 en Sarre)
12 1/2 journées dans une usine (dont 8 en Sarre)
5 1/2 journées correspondant au cours de machines
3 1/2 journées correspondant au cours d'électrotechnique;
4 1/2 journées (chemins de fer et canaux).
3e année : Visites :
4 1/2 journées pour les mineurs, dont 2 concernant la géologie;
10 1/2 journées pour les métallurgistes;
Pour tous :
2 1/2 journées se rapportant au cours de combustibles;
2 1/2 journées se rapportant au cours sur la préparation mécanique.
En outre, des travaux bibliographiques sont prévus pour chacune des spécialités (16 séances de 2 heures) inscrites au programme de travail, ce qui permet aux élèves de disposer du temps nécessaire à l'exécution de ces travaux.
M. Crussard attachait une très grande importance à ces travaux bibliographiques, et ce, non seulement parce qu'il les considérait comme indispensables à la formation individuelle, mais aussi parce que cela lui permettait de prendre des contacts réguliers et fréquents avec ses élèves. Se rapprochant des vieux principes de discussions entre maître et disciples, M. Crussard conseillait chacun sur les articles à lire, en faisait la critique, forçait l'élève à réfléchir, à analyser puis à faire la synthèse. Ses anciens élèves en ont tous gardé un souvenir très vivace.
Le programme ainsi conçu n'est d'ailleurs pas considéré comme définitif. Il pourra être modifié si l'expérience en montre la nécessité.
En fait, d'ailleurs, les modifications y apportées jusqu'en 1939 seront de peu d'importance : mutations de cours d'une année d'études à l'autre, ajustement de la durée des stages aux possibilités des mines et surtout des usines.
En 1931-1932 une sous-section « prospection » est organisée en accord avec l'Institut de Géologie de Nancy, pour 4 élèves mineurs en 3° année. Certains cours suivis à cet Institut et six mois d'études complémentaires sur le terrain avec les élèves de cet établissement, permettent d'acquérir le diplôme d'ingénieur géologue, en plus de celui décerné par l'Ecole.
La collaboration si étroite et si féconde de M. Crussard avec M. Petit se poursuit ainsi pendant de nombreuses années.
Bien que nommé inspecteur général des Mines en 1929, M. Crussard, maintenu à Nancy, continue à exercer ses fonctions à l'Ecole. Mais après s'être chargé de l'ensemble du cours d'exploitation des mines, il ne le conserve plus qu'en 3e année. Par contre, il assure en plus l'enseignement des combustibles en 2° et 3° années.
Mais cette collaboration prend fin à la mort de M. Petit en janvier 1936. A ses obsèques, M. Crussard prend la parole en déplorant la disparition « d'un chef envers lequel le respect se teintait de vénération... ».
Il exprime en ces termes le travail accompli en commun :
« L'oeuvre entreprise est là, manifeste et publique; en parler c'est honorer l'artisan.
« Qu'ont été les 16 années écoulées depuis la création de l'institut métallurgique et minier ? La pléiade des 500 jeunes hommes, ardents et actifs, qu'il a formés pour l'industrie, est là pour répondre, vivant témoignage que l'oeuvre est aujourd'hui en plein rendement.
« De la magnifique réalisation « qu'il croit devoir attribuer avant tout à M. Petit », est sortie une organisation originale et unique peut-être par l'équilibre qu'elle réalise entre les nécessités administratives et les préoccupations industrielles auxquelles elle doit répondre. De là aussi cette armature à la fois souple et forte qui n'est pas la cause la moins décisive d'une vitalité à l'épreuve (c'est aujourd'hui expérience faite) des plus intenses fluctuations économiques. »
M. Crussard qui n'a conservé qu'à titre provisoire les fonctions de directeur technique demande au conseil d'administration en janvier 1936 à en être déchargé à la fin de l'année universitaire 1936-1937. Il s'exprime en ces termes :
« Aujourd'hui, après six années de resserrement économique où l'Ecole a fait preuve de sa vitalité et de sa foncière solidité, il n'y a plus de raison déterminante pour que ce provisoire se prolonge. »
M. Marcel Paul, à l'époque président du conseil d'administration, ne peut, bien qu'avec regret, qu'accéder à ce désir. Il « connaît trop la puissance des motifs qui guident M. Crussard pour tenter de le faire revenir sur sa décision ». Se faisant l'interprète du conseil, il « tient à lui exprimer publiquement et ses regrets et sa gratitude et suggère de demander à M. Crussard de rester attaché à l'oeuvre à laquelle il a tant contribué, en l'appelant à la vice-présidence du conseil d'administration de l'Ecole ». (Compte rendu de la réunion du Conseil d'Administration du 25 janvier 1936).
Acceptant cette fonction qui ne sera pas seulement pour lui honorifique, M. Crussard consent également à continuer à donner à l'Ecole, dont il est nommé directeur honoraire par arrêté de M. le Recteur, son concours tout particulièrement apprécié de professeur du cours de combustibles.
La guerre de 1939 en obligeant l'Ecole à fermer temporairement ses portes, n'empêche pas M. Crussard de s'occuper activement de ses élèves.
Il appuie la direction de l'Ecole pour obtenir d'ailleurs facilement, de l'Ecole des Mines de Paris, de recueillir en 1939 les élèves de l'Ecole de Nancy non mobilisables, de même que ceux de l'Ecole de Saint-Etienne et des Grandes Ecoles Parisiennes.
A la rentrée de 1940 les élèves sont répartis entre les Ecoles des Mines de Paris et de Saint-Etienne, la ville de Nancy se trouvant en zone interdite, d'accès très difficile et pour les élèves et pour les professeurs.
Mais comme les hostilités se prolongent il est indispensable de revenir à une situation normale. Pour ce faire il est nécessaire de faire disparaître les nombreux obstacles qui s'y opposent et obtenir les concours financiers qui doivent permettre le fonctionnement de l'Ecole de Nancy.
M. Crussard s'y emploie activement et ses démarches, notamment auprès du Comité d'Organisation de la Sidérurgie et du Comité d'Organisation de l'Industrie des Combustibles Minéraux Solides rendent finalement possible la réouverture de l'Ecole à la fin de l'année 1941.
Aussi dans son rapport au conseil d'administration du 27 novembre 1941, M. Cornubert le remercie-t-il en ces termes :
« M. l'Inspecteur général Crussard me permettra certainement de lui exprimer ici toute ma reconnaissance pour ses interventions dans le monde du ministère de la Production industrielle aux heures les plus difficiles de cette période que l'Ecole a vécues hors de Nancy, en toute occasion il a facilité les démarches que j'ai pu avoir à faire auprès de diverses personnalités. Malgré un labeur écrasant il n'a pas hésité à consacrer, aux intérêts de l'Ecole, le temps qui pouvait être nécessaire. »
La reconstitution de l'Ecole de Nancy posait d'ailleurs des problèmes inédits du fait des changements apportés dans la vie économique et matérielle du pays. Il était nécessaire d'adapter l'Ecole aux conditions du moment de façon à lui permettre d'apporter utilement sa contribution à la vie nationale.
Aussi la réouverture est-elle précédée de nombreuses réunions auxquelles M. Crussard ne peut manquer d'être convié.
Au cours de celles-ci il ne cesse de prôner le maintien du statut de l'Ecole. Compte tenu des besoins de l'industrie à l'époque, il estime qu'il convient de revenir à son esprit initial. Il importe donc à son avis d'amplifier plutôt l'enseignement de la métallurgie en quantité et en qualité, mais aussi de développer l'enseignement relatif aux mines métalliques et d'accentuer la collaboration de l'Ecole avec l'Institut de Géologie de Nancy en vue de la formation d'ingénieurs aptes à la prospection lointaine.
Il consent d'ailleurs, malgré son éloignement de Nancy, à continuer à assurer son enseignement sur les combustibles. Malheureusement ses fonctions, de plus en plus absorbantes, ne lui permettront plus de continuer longtemps sa collaboration active à la formation des élèves.
Mais il n'abandonne pas pour autant l'Ecole et il assiste régulièrement aux réunions de son conseil d'administration dont il reste vice-président et où ses avis pertinents sont toujours suivis avec le plus grand intérêt.
Au cours de ses fréquentes interventions il ne cesse de prouver tout l'attachement qu'il a conservé pour l'ancien « Minier » et de rappeler les principes qui l'ont guidé lors des débuts de l'Ecole :
A ces interventions aux réunions du conseil, il convient d'ajouter les nombreuses démarches qu'a motivées la transformation de l'Ecole en Ecole Nationale Supérieure d'Ingénieurs (décret du 17 mai 1951). Il ne pouvait être question évidemment de faire entrer l'Ecole dans le cadre uniforme et par trop étroit envisagé pour toutes les Ecoles Nationales Supérieures d'Ingénieurs.
L'Université en effet ne peut assurer en particulier l'enseignement propre à « l'Art des Mines » pas plus que celui destiné à l'ingénieur de fabrication dans la métallurgie. Par ailleurs la « formule Nancy » avait fait ses preuves et de l'avis de tous les « utilisateurs » devait être conservée après adaptation du statut originel à l'évolution de l'industrie depuis la création de l'Ecole.
Il fallait de toute nécessité maintenir la collaboration étroite entre l'Université et l'Industrie qui avait été nouée dès les débuts de l'Ecole et qui de l'avis de tous avait donné des résultats remarquables.
Finalement le nouveau statut tient compte des desiderata exprimés par l'industrie, dont les représentants restent en nombre important au conseil d'administration, en compagnie de professeurs d'Université et de membres du Corps des Mines.
Beaucoup plus tard, en octobre 1957, est mise en application à l'Ecole une réforme de l'enseignement traditionnel.
Cette réforme repose d'ailleurs sur un grand nombre des principes que M. Crussard n'a cessé de faire valoir au cours des nombreuses années consacrées au service de l'Ecole :
Ces principes paraissent souvent encore aujourd'hui très osés. Enoncés il y a 20 ou 30 ans (et mis en pratique pour la plupart), appliqués par M. Crussard lui-même dans ses propres cours, avec l'extraordinaire clarté qui le caractérisait, ils constituent incontestablement une profonde révolution dans l'enseignement. Rien d'étonnant à ce que M. Crussard ait marqué personnellement aussi bien tous ses élèves que ses collègues.
M. Crussard, à la réunion du conseil d'administration qui avait eu à approuver le projet de réforme, avait, à plusieurs reprises pris la parole. Avec cette extrême humilité que tous lui connaissaient, il s'est contenté d'applaudir à la transformation et d'appuyer les méthodes nouvelles : à aucun moment, il n'a laissé percevoir qu'il avait lui-même, il y a 20 ans, utilisé et mis au point ces méthodes. Devons-nous avouer que ce n'est qu'en recherchant dans les archives de l'école pour écrire ces quelques lignes que nous avons fait cette découverte. M. Crussard devait venir à l'Ecole des Mines à la fois pour voir ce qui s'y fait et les nouveaux bâtiments en construction. Malheureusement sa fin prématurée ne lui a pas permis de réaliser ce projet.
Nous espérions surtout sa venue à l'inauguration. A cette occasion l'Ecole aurait été particulièrement heureuse de renouveler les profonds sentiments de sa vive reconnaissance à celui qui fut en son temps son grand animateur.
Car ceux qui l'ont connu et estimé ne sont pas près d'oublier, ni l'ancien professeur dont l'enseignement était pour lui un véritable apostolat, ni tout son dévouement à l'Ecole, toute l'acuité de son intelligence, sa profonde sensibilité et sa précieuse expérience des choses et des hommes. Il a formé une génération entière. Il suivait ses élèves non seulement à l'Ecole même mais après. Il les guidait dans le choix si difficile d'une carrière, il les suivait encore après pour s'assurer que chacun était utilisé au mieux, que chacun pouvait au mieux « se réaliser ».
Et nul ne lira sans émotion l'opinion autorisée, formulée il y a quelque temps déjà par M. Demonque, président de l'Association des Anciens Elèves de l'Ecole, au sujet de l'oeuvre accomplie par son ancien professeur.
« Nous rappelons qu'à l'origine deux hommes éminents qui représentaient, l'un, l'Industrie, M. Crussard, l'autre, l'Université, M. Petit, avaient imaginé une formule inédite de collaboration entre l'Industrie et l'Université. L'industrie apportait à l'Ecole son patronage sous toutes les formes : elle lui apportait le concours de ses hommes les plus représentatifs, le concours de sa vie propre, de son esprit, le concours de ses finances, le concours de ses débouchés. L'université apportait le concours d'un enseignement scientifique dont il était reconnu à l'époque qu'il était un des tout premiers parmi les enseignements universitaires français.
« Cette formule a donné des résultats remarquables. Placés, dès leur scolarité, au contact matériel, intellectuel et social de l'industrie, y trouvant un antidote à la sclérose possible d'un enseignement trop spécifiquement scientifique et abstrait, les futurs ingénieurs se sont passionnés pour leur Ecole. Vingt ans après en être sortis, ils reconnaissent lui devoir le meilleur de ce qu'ils sont devenus. »
Mais si M. Crussard n'est plus, son souvenir reste vivace à l'Ecole et, pour le perpétuer, il a été décidé de donner son nom à l'un des amphithéâtres qui vont être aménagés de la façon la plus moderne à la nouvelle Ecole.
Cette inscription marquera le témoignage de la reconnaissance infinie de l'établissement envers celui qui fut un des artisans les plus efficaces de sa renommée. Et si cet artisan a disparu à jamais, sa belle oeuvre survit. Elle ne doit pas péricliter, mais s'adapter aux conditions actuelles et progresser.
C'est une lourde tâche qui incombe aux successeurs du prestigieux précurseur que fut M. Crussard. Mais guidés par son exemple magnifique et sa foi indomptable, ils s'efforceront de la mener à bien. Ce sera leur façon de lui témoigner leur admiration et leur reconnaissance pour l'oeuvre impérissable qu'il a accomplie.
Bertrand SCHWARTZ.