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NOTICE NÉCROLOGIQUE
SUR
EDMOND BOUR,
INGÉNIEUR DES MINES,
Par RÉSAL, ingénieur en chef des mines, membre de l'Académie des sciences.

Publié dans Annales des Mines, 7e série, vol. 16, 1879.

Bour (Jacques-Edmond-Émile) est né à Gray (Haute-Saône), le 19 mai 1832. Son père, après avoir fait des études complètes, avait repris, conformément à une tradition francomtoise qui tend de plus en plus à disparaître, tout naturellement et sans répugnance l'établissement d'horlogerie que lui avait légué sa famille. C'était un homme très-distingué, qui recevait continuellement les visites des savants et industriels de la région grayloise. Son fils sortit du collège de sa ville natale, avec le grade de bachelier es lettres. Après une année de mathématiques spéciales au lycée de Dijon, il fut reçu, en 1850, le 64e à l'École polytechnique, où l'on n'avait admis que 90 élèves; il prit immédiatement le premier rang et le conserva jusqu'à sa sortie.

Dès cette époque, il était l'auteur d'un travail important sur l'électro-dynamique, dont malheureusement on n'a retrouvé aucune trace ; l'illustre de Sénarmont, qui en avait pris connaissance, m'en avait fait le plus grand éloge, mais je ne pus jamais décider Bour à publier ce travail.

Élève-ingénieur des mines le 15 novembre 1852, BOUR fut promu le 14 juillet 1855, au grade d'ingénieur ordinaire de 3e classe, et envoyé à l'École des mineurs de Saint-Etienne, comme professeur d'exploitation des mines et de mécanique. Le 3 décembre de cette même année, il soutint brillamment ses thèses pour le doctorat des sciences mathématiques, devant la Faculté de Paris. Le 5 novembre 1857, il était nommé ingénieur ordinaire de 2e classe puis il devenait successivement (1859) répétiteur du cours de géométrie descriptive à l'École polytechnique et (1860) professeur de l'un des cours préparatoires de l'École des mines. Le 2 mars 1861, il prit possession de l'une des deux chaires de mécanique de l'École polytechnique, qu'il conserva jusqu'à sa mort prématurée {8 mars 1866); il n'avait pas encore 54 ans. La croix de la Légion d'honneur était venue le trouver sur son lit de mourant; cette distinction, à laquelle il avait été très-sensible, parut adoucir ses dernières souffrances.

Je n'ai commencé à connaître Bour que lorsque j'étais sur le point de sortir de l'Ecole des mines ; il passait, parmi ses camarades de promotion, pour avoir une constitution débile, ce queue justifiait pas son extérieur. La maladie qui l'a tué n'a pas été bien définie ; elle a été développée par un excès de travail et aussi par les fatigues des deux grands voyages scientifiques qu'il fit, l'un en Algérie dans le but d'observer l'éclipse du 18 juillet 1860, l'autre en Asie-Mineure, pendant l'été de 1863, pour se livrer à des explorations géologiques.

J'arrive maintenant aux découvertes dont Bour a enrichi la science.

Étant encore élève-ingénieur, il soumit à l'Académie des sciences (séance du 5 mars 1855) un mémoire sur l'intégration des équations différentielles de la mécanique analytique. L'illustre M. Liouville, rapporteur de la commission chargée d'examiner ce travail, termine ainsi son rapport : « Les géomètres liront avec intérêt le mémoire de M. Bour. C'est dans les excellentes leçons de M. Bertrand que M. Bour a surtout puisé les idées premières de son travail ; l'élève s'est montré digne du maître. Nous proposons à l'Académie d'approuver le mémoire de M. Bour et d'en ordonner l'insertion dans le recueil des savants étrangers.» Le mémoire parut à la fois dans le tome XIV de ce recueil et dans le tome XX du Journal de mathématiques pures et appliquées.

L'auteur commence par y établir, en complétant un théorème de M. Bertrand, que l'on peut arriver, de proche en proche, à mettre la solution complète d'un problème de mécanique sous la forme canonique de deux séries d'intégrales conjuguées deux à deux, telles que l'une quelconque d'entre elles, combinée avec toutes les autres pour former la fonction de Poisson, donne l'unité avec sa conjuguée et zéro avec tout le reste. Il démontre ensuite, et c'est là la partie essentielle de son mémoire, que la connaissance d'une intégrale quelconque permet d'abaisser de deux unités l'ordre de l'équation aux différentielles partielles du problème, sans toutefois servir à réduire de nouveau l'ordre de l'équation transformée, à laquelle cette intégrale devient étrangère. Cette ressource épuisée, Bour, remarquant que l'équation réduite obtenue admet des intégrales étrangères à la question, montre que, si l'on connaît l'une de celles-ci, on peut souvent abaisser l'ordre de cette équation réduite, en divisant les intégrales inconnues en plusieurs groupes donnés par des équations distinctes, ce qui est bien dans la nature des problèmes ordinaires de mécanique.

Depuis 1837, le monde savant attendait avec impatience l'apparition d'un important ouvrage annoncé par l'illustre Jacobi sur la mécanique analytique. « La publication posthume de ce travail, dit Bour lui-même, vient de commencer dans le Journal de Crelle, par les soins de M. Clebsch, et c'est avec une bien vive satisfaction qu'en tenant compte de la différence entre le couronnement de l'oeuvre d'un maître et l'oeuvre incertaine d'un élève, j'ai retrouvé, dans la nouvelle méthode de Jacobi, l'identité la plus parfaite avec celle que j'ai eu l'honneur de soumettre à l'Académie des sciences, dans la séance du 5 mars 1855. » Bour n'avait pas alors atteint sa vingt-troisième année !

La première des deux thèses qu'il a soutenues à la Sorbonne est relative au célèbre problème dit des trois corps, Quelque, temps auparavant, Jacobi, après avoir fait remarquer que l'on pouvait considérer l'un des corps comme fixe, avait donné les équations du mouvement des deux autres, sous une forne qui paraît n'avoir rien de commun avec celle sous laquelle se présentent d'ordinaire les équations de la mécanique analytique. Bour, en appliquant les règles indiquées dans le mémoire de Jacobi, fit plus: il parvint à réduire le cas général à celui du mouvement dans un plan, et à ramener les équations du problème, ainsi simplifiées, à la forme canonique. Son travail se résume dans ce théorème remarquable :

Pour intégrer le problème des trois corps dans le cas le plus général, il suffit de résoudre le cas où le mouvement a lieu dans un plan et d'avoir ensuite recours à une fonction perturbatrice, égale au produit d'une constante dépendant des aires par la somme des moments d'inertie des corps autour d'un certain axe, divisé par le carré du triangle formé par les trois corps.

Dans sa seconde thèse, Bour fait une étude sur l'attraction qu'exercerait une planète, si l'on supposait la masse répartie sur chaque élément de son orbite proportionnellement au temps employé à la parcourir. La solution de ce problème, dont Gauss a eu la première idée, en vue de la théorie des perturbations, reçut, de la part de Bour, tous les développements qu'elle comportait.

Quelque temps après, Bour reçut de l'illustre Biot une preuve particulière d'estime, avec une lettre des plus flatteuses dont j'extrais le passage suivant : « Cette précieuse collection des mémoires de Lagrange tire son origine de d'Alembert; il les composait avec des exemplaires que Lagrange lui envoyait de Berlin. Il en fit présent à Condorcet, sous la condition de la transmettre à quelque jeune homme laborieux, quand elle ne lui serait plus nécessaire. Elle est venue successivement, sous la même condition, de Condorcet à Lacroix, de Lacroix à M. Biot, avec addition de plusieurs autres pièces, M. Biot la donna à J. Binet. Binet n'en ayant pas disposé de son vivant, elle rentra dans les mains de M. Biot, qui la transmit, sous les mêmes conditions à M. Bour, comme un témoignage d'estime pour son zèle et ses beaux travaux mathématiques par lesquels il s'est annoncé aux amis des sciences. »

Le collègue et ami dévoué de Bour, M. Mannheim, reçut à son tour ce précieux dépôt, et le transmit à l'Académie des sciences, qui décida qu'elle décernerait cette récompense à un jeune savant, chargé lui-même d'en disposer ensuite suivant les intentions du premier fondateur.

« Persévérez invinciblement, écrivait Biot à son jeune protégé, dans la voie où vous avez déjà commencé à marcher avec tant de succès... Si vous poursuivez votre carrière scientifique avec le même courage que vous y avez porté d'abord, chaque nouveau pas que vous y ferez sera pour vous un accroissement d'honneur. »

Le 25 février 1856, Bour présente à l'Académie des sciences un mémoire sur les mouvements relatifs.

Le 5 janvier 1857, il lui soumet un autre mémoire sur la résolution des équations numériques du troisième degré au moyen de la règle à calcul.

Enfin il aborde l'étude des surfaces qui peuvent s'appliquer les unes sur les autres sans déchirure ni duplicature, question proposée par l'Académie des sciences pour le grand prix de mathématiques en 1861, qui lui fut décerné. A ce sujet, le rapporteur, M. Bertrand (séance du 25 mars 1861), s'exprime ainsi : « M. Bour ne s'est proposé rien de moins que l'intégration complète des équations du problème dans le cas où la surface donnée est de révolution. Les méthodes ordinaires du calcul intégral ne semblent pas ici applicables; il a mis à profit une indication rapide, jetée comme en passant par Lagrange dans un de ses mémoires, et dans l'application de laquelle l'illustre géomètre signalait lui-même de graves difficultés. Cette méthode consiste d'abord à former une solution complète de l'équation différentielle du second ordre, dans laquelle figurent cinq constantes arbitraires et à en déduire la solution générale par la variation de ces constantes. Les difficultés que Lagrange avait aperçues et signalées ont été très-habilement et très-heureusement surmontées dans le mémoire n° 1. La commission espère que le savant auteur généralisera sa belle analyse et que le calcul intégral recevra par là un perfectionnement notable. Il sera juste de rapporter à Lagrange la gloire d'avoir ouvert cette voie nouvelle; mais le concours actuel occupera néanmoins une place dans l'histoire de son développement. En résumé, la commission accorde le prix de mathématiques au mémoire inscrit sous le n° 1, ayant pour devise : Je plie et ne romps point, dont l'auteur est M. Bour, professeur à l'École polytechnique. »

Ce remarquable travail a été inséré au XXXIXe cahier du Journal de l'École polytechnique, après avoir cependant subi quelques modifications. Ainsi l'auteur y a séparé, de ses considérations purement géométriques, les recherches analytiques auxquelles elles l'ont conduit, recherches relatives à l'intégration de certaines équations différentielles partielles du premier et du second ordre.

Dans sa Théorie de la déformation des surfaces, le problème une fois mis en équation dans les termes les plus généraux, Bour en recherche la solution par trois méthodes distinctes.

La première, essentiellement analytique, conduit, par l'emploi des coordonnées symétriques, à une équation différentielle dont l'intégration se simplifie dans certains cas. Dans sa deuxième méthode, basée sur l'emploi des coordonnées géodésiques, l'auteur parvient à dégager d'un assez grand nombre de relations secondaires celles qu'il nomme équations fondamentales, et d'où il déduit toute la théorie des surfaces. Après avoir interprété géométriquement les fonctions qu'elles renferment, Bour déduit de ses équations fondamentales le théorème de Gauss sur la constance du produit des courbures principales en chaque point des surfaces qui se déforment, les conditions pour que les surfaces réglées puissent s'appliquer sur l'ellipsoïde de révolution, l'hyperboloïde à une nappe, et enfin ce remarquable théorème : l'hëlicoïde gauche est applicable sur une surface de révolution.

Nous ne ferons que mentionner la troisième méthode, quelque peu bizarre, comme le reconnaît Bour lui-même, et qui n'est pour ainsi dire justifiée que par les résultats inattendus auxquels elle conduit.

Dans les séances de l'Académie des sciences des 17 février, 10 et 17 mars 1862, Bour donne une analyse de son Mémoire sur l'intégration des équations partielles du premier et du second ordre, mémoire qui fait suite au précédent et se trouve, comme celui-ci, inséré au XXXIXe cahier du Journal de l'Êcole polytechnique.

Apres avoir exposé l'état de la question, il rappelle le théorème fondamental qu'il avait démontré antérieurement dans son mémoire inséré au tome XIV du Recueil des savants étrangers et en déduit une nouvelle méthode d'abaissement des équations différentielles de la dynamique. Arrivant ensuite aux équations du premier ordre, il applique sa méthode à l'intégration des équations différentielles de la ligne géodésique sur une sur face quelconque, problème dont il avait annoncé la solution comme second appendice au mémoire sur la déformation sur les surfaces. Il termine par diverses considérations sur l'intégration des équations du second ordre.

A ce sujet, M. Liouville (séance du 10 mars 1862) s'exprime ainsi : « ...Dans les pages peu nombreuses insérées aux Comptes rendus, chaque mot est une idée. J'ai donc eu le bonheur de voir M. Bour répondre entièrement à ce que j'annonçais de lui, comme rapporteur d'un premier travail présenté à l'Académie en 1855. Désormais M. BOUR a son rang fixé, près des maîtres. Il ne s'agit plus d'un jeune homme donnant des espérances, mais d'un grand géomètre qui a tenu les promesses brillantes de sa jeunesse. »

Le dernier mémoire de Bour, inséré au Journal de mathématiques pures et appliquées (2e série, t. VIII, 1863), se rapporte au mouvement relatif dont il arrive à mettre les équations sous la forme canonique; la question se trouve ainsi ramenée, au point de vue de l'intégration, à celle du mouvement absolu. C'est un nouveau chapitre ajouté à la mécanique analytique. Bour applique d'abord sa théorie à un système de points matériels libres, puis à un système à liaisons. Enfin il fait usage de sa méthode d'intégration, dont il a été question plus haut, pour résoudre quelques problèmes, savoir : du mouvement apparent des projectiles abstraction faite de la résistance de l'air; du mouvement d'un corps de révolution, puis de forme quelconque, dont dont le centre de gravité est relativement fixe.

Bour a communiqué à la Société philomalique plusieurs notes intéressantes sur la composition des rotations, sur les cônes circulaires roulants.

Bour n'a pu surveiller lui-même que la publication de la première partie de son cours de mécanique à l'Ecole polytechnique, la Cinématique. Ce volume, accompagné d'un atlas, est précédé d'un discours qui est un chef-d'oeuvre de logique et d'érudition.

La seconde partie (Statique, travail des forces dans les machines à l'ètat de mouvement uniforme) et la troisième partie (Dynamique et hydraulique) ont été publiées par les soins de MM. Phillips, Mannheim, Kretz et Collignon. Par leur admirable dévouement dans l'accomplissement de la tâche pieuse qu'ils s'étaient imposée, ils ont prouvé que la véritable amitié ne s'arrête point au bord de la tombe.