Publié dans ABC Mines (bulletin n. 7, juin 1995)
De nos jours qui se souvient d'Armand Lévy né le 14 novembre 1795 à Paris et mort le 29 Juillet 1841 au Pecq près de Saint-Germain ?
Même les minéralogistes avertis qui connaissent une certaine zéolite , la lévyne, qui lui est dédiée et ceux qui utilisent parfois son système de notation des faces de cristaux, auraient bien du mal à en parler.
Or, ce méconnu fait partie de cette lignée prestigieuse de savants ayant pour noms: Haüy, Lévy, Des Cloizeaux et Lacroix qui du 18ème siècle jusqu'au 20ème siècle donnèrent à la minéralogie française, ses plus belles lettres de noblesse.
Méconnu, également, son travail sur la vingtaine d'espèces minérales nouvelles qu'il a découverte et étudiée, parmi laquelle figurent des espèces importantes telles que forsterite, willémite ou brookite. L'Académie des Sciences refusera sa publication, et ce n'est qu'après sa mort, grâce aux efforts de Des Cloizeaux, son disciple, qu'il fût enfin publié dans les Annales des Mines (Tome IV).
Méconnue, enfin, sa "Description d'une collection de minéraux formée par M. Heuland..." publiée en 1837 et composée de 3 volumes de texte et d'un superbe atlas de 83 planches dont chacune présente 16 dessins de cristaux. Cet ouvrage admirable est conservé dans le fonds ancien de la Bibliothèque de l'Ecole des Mines de Paris. C'est le seul ouvrage, à ma connaissance, dont l'auteur est très méchamment critiqué dans l'avant-propos. Vous trouverez copie de cet avant-propos, anonyme, mais probablement écrit par Heuland, à la fin de cet article. Nous y avons également joint une des planches dessinée par Lévy tirée de l'atlas précédemment mentionné.
Curieux destin que celui de Serve-Dieu Abailard Lévy, qui n'aimait pas son prénom et préférait celui d'Armand, devenu minéralogiste par un incroyable concours de circonstances, européen avant l'heure et ami des plus grands savants de son époque.
Armand Lévy méritait bien, pour le bicentenaire de sa naissance, un hommage.
Lévy, Serve-Dieu Abailard (dit Armand Lévy) est né le 14 novembre 1795 à Paris, mort le 29 Juillet 1841 au Pecq près de Saint-Germain.
Le père de Lévy, florentin de confession israélite, exerçait la profession de marchand itinérant ce qui l'amenait à de fréquents voyages dans toute l'Europe. C'est ainsi qu'il rencontra lors d'un passage en France, une parisienne catholique, Céline Mailfert et qu'ils se marièrent. Ils eurent un fils qu'ils prénommèrent Serve-Dieu, Abailard mais qui préférait se faire prénommer Armand. Armand Lévy après avoir effectué ses études secondaires au Lycée Henri IV et remporté le concours général en mathématiques entra, en 1813, à l'Ecole Normale Supérieure dont il sortit en 1816, agrégé de sciences mathématiques.
Comme il lui était alors difficile du fait de sa confession d'obtenir un poste à l'Université, il décida de quitter le pays. Ayant accepté un poste de professeur au Collège Royal de l'île Bourbon (actuellement la Réunion), il embarqua à Rochefort en 1818 mais n'atteint jamais sa destination, son navire, pris dans une violente tempête, ayant fait naufrage près de Plymouth sur la côte sud de l'Angleterre.
Cet événement fut déterminant pour la carrière scientifique de Lévy. En effet, installé à Londres où il donne, pour vivre, des leçons de Mathématiques, il y rencontre en 1820 le célèbre marchand de minéraux Henry Heuland. Ce dernier a passé 14 ans à enrichir la collection que son oncle Adolarius Jacob Forster, lui même grand marchand de minéraux et collectionneur, a mis 40 ans à réunir et il vient de la vendre, une fortune, à Charles Hampden Turner. Heuland, sachant que Lévy avait suivi à l'Ecole Normale Supérieure, les cours d'Haüy, lui demanda de réaliser un catalogue raisonné de cette magnifique collection accompagné d'un atlas où les formes des cristaux seraient représentées. Lévy marchait en cela sur le traces de Rome de l'Isle qui avait fait longtemps auparavant semblable travail pour Jacob Forster, l'oncle d'Heuland.
En 1820 Lévy lors d'une représentation théâtrale est subjugué par la beauté d'une jeune fille de 17 ans, Harriet Drewet, qui occupe le fauteuil voisin du sien. Avec l'autorisation de la mère de la jeune fille, Lévy place Harriet dans une institution où elle poursuit ses études et il ne l'épousera que deux ans plus tard, elle avait alors 19 ans. Il eurent plusieurs enfants.
En 1827 le travail de description de la collection étant en voie d'achèvement, Lévy décida Heuland à faire imprimer le catalogue en Belgique, pour des raisons de moindres coûts d'impression. Lévy s'installa donc à Bruxelles pour superviser l'impression du texte et la gravure des planches. Entre temps on lui proposa à l'Université de Liège nouvellement créée (voir Bulletin d'ABC Mines N° 6), un poste de professeur de mécanique rationnelle, d'astronomie, de cristallographie, de géologie et de minéralogie. Le 3 Avril 1830 il fut élu à l'Académie des Sciences et Belles-Lettres de Bruxelles. La Belgique était alors intégrée au royaume des Pays-Bas dont le roi était Guillaume d'Orange. C'est en l'honneur de celui-ci que Lévy baptisa willémite un silicate de zinc nouvellement découvert à la Vieille-Montagne, célèbre mine de zinc. Mal lui en prit, quelques mois plus tard survint la séparation de la Belgique et des Pays-Bas et Lévy fût alors obligé de revenir en France. Les mentalités ayant un peu évolué durant ses 13 années d'exil, Lévy entreprend auprès du Duc de Broglie des démarches à la suite desquelles il obtint enfin un poste de maître de conférences de mathématiques à l'Ecole Normale Supérieure et de professeur au collège royal Charlemagne (1831).
Quelque temps après son retour en France, la femme de Lévy décéda. Il se remaria en 1838 avec Amélie Rodriguez Henriquez, la sœur de son ami proche, le mathématicien Olinde Rodriguez. Il eu deux filles de ce second mariage. C'est en 1841, à l'âge de 45 ans qu'il fut emporté par une rupture d'anévrisme.
Lévy était un homme d'une grande franchise et d'une politesse exquise. S'il fût parfois un peu susceptible, même avec ses amis, c'est parce qu'il avait été l'objet de préjudices raciaux et religieux. Pendant son séjour en Angleterre il se lia d'amitié avec William Hyde Wollaston et avec le grand physicien et astronome John Frederick William Herschel qui découvrit Uranus et dont le tombeau voisine avec ceux de Newton, Faraday, Kelvin et Rutherford dans la cathédrale de Westminster à Londres, l'équivalent de notre Panthéon. Il fût également membre du conseil de la Société Géologique de Londres de 1826 à 1828. En France il avait de puissants défenseurs tels que Arago (astronome et physicien), Poisson (mathématicien), Charles Dupin (ingénieur et mathématicien) et les minéralogistes Brochant, Brongniart et Beudant. Des Cloizeaux se considérait lui-même comme un élève de Lévy.
Apparemment Lévy devint minéralogiste plus par nécessité que par vocation, celle ci le conduisant plutôt vers les mathématiques. Cependant, étant élève à l'Ecole Normale Supérieure il a très certainement suivi les cours de minéralogie donnés par Haüy, bien qu'on ne trouve ni son nom ni sa signature sur le cahier de présence au cours d'Haüy. Il utilisa d'ailleurs, en l'améliorant, le système de notation des faces des cristaux de ce dernier dans sa description du catalogue de la collection Forster-Heuland-Turner. Aujourd'hui, la notation Haüy-Lévy, souvent appelée notation Lévy est encore employée car elle est souvent d'un emploi plus simple que celle de Miller.
Lors de sa description de la collection Forster-Heuland-Turner et ayant mesuré des milliers d'angles entre faces des échantillons à l'aide du goniomètre, Lévy découvrit de nouvelles espèces minérales importantes : forsterite, babingtonite, brochantite, rosélite, brookite, herschelite, phillipsite et beudantite. Il donna également des descriptions précises des formes cristallines de l'eudialyte, de la wagnerite et de l'euclase. De plus, il donna un nom à plusieurs minéraux qui furent ultérieurement considérés comme des variétés d'espèces déjà décrites : turnerite, une variété de monazite; bucklandite, une variété d'allanite ; kônigite une variété de brochantite ; mohsite, une variété d'ilménite et humboldite, une variété de datolite.
Qu'est il advenu de cette collection ? A la mort de Turner, elle fut achetée par le collectionneur Henry Ludlam (la ludlamite qui lui est dédiée est un phosphate hydraté de fer, magnésium et manganèse). A la fin du siècle dernier, la collection de celui-ci fut léguée au London Muséum of Practical Geology. Aujourd-hui, après le regroupement des grandes collections minéralogiques anglaises, ses plus beaux échantillons sont exposés au Bristish Natural History Muséum.
Les résultats des dernières recherches minéralogiques de Lévy, notamment la description de la willémite et des nouvelles espèces minérales qu'il décrivit alors qu'il était en Belgique, présentés en 1840 à l'Académie des Sciences, lui furent retournés. Trop tard, Lévy venait de décéder. Ce n'est qu'en 1844, grâce aux efforts de Des Cloizeaux qui se considérait comme le disciple de Lévy, que ces résultats furent publiés dans les Annales des Mines (Tome IV).
Lévy a laissé également de nombreux travaux en mathématiques et en physique.
Biographie inspirée d'une notice biographique écrite en anglais par Jean Wyart dans "Dictionary ofScientific Biography" et par une note d'Alfred Lacroix publiée en 1919 dans le "Bulletin de la Société Française de Minéralogie"
Avant propos, vraisemblablement écrit par Heuland, de l'ouvrage de Lévy intituléDescription d'une collection de minéraux formée par M. Henri Heuland et appartenant à M. Ch. Hampden Turner, de Rooknest dans le comté de Surrey en Angleterre
par A.Lévy,
Trois volumes avec un atlas de 83 planches. Londres, Adolphe Richter et Compagnie, libraires de Sa Majesté, A Edimbourg, chez Clarke ; à Dublin chez Milliken. 1837 Feu Monsieur Jacques Forster a formé pendant quarante années une très-belle collection de minéraux, en général du format de deux à trois pouces, qui a été continuée, depuis 1806 jusqu'en 1820, par M. Henri Heuland, et enrichie par lui des pièces les plus précieuses. Cette collection a été vendue, en 1820, à M. Charles Hampden Turner, et il fut décidé que le catalogue raisonné serait publié. La description en fut confiée à M. Armand Lévy, qui, à cette époque, habitait la ville de Londres. En donnant ce travail à M. Lévy, M. Heuland ne crut pas devoir faire de traité avec lui : il lui comptait une somme de tant par mois. Mais il ne tarda pas à se repentir de son peu de prévoyance et de précaution. Au bout de sept années, M. Lèvy, assurant que les dessins des planches étaient terminés, ainsi que les tables contenant les mesures des angles des cristaux, proposa de publier l'ouvrage à Bruxelles, où il devait former un établissement avec un de ses amis et où la publication entraînerait moins de frais qu'en Angleterre. M. Heuland accepta la proposition, et consentit à payer 100 livres sterling en plus pour que M. Lévy pût se fixer en Belgique. C'était en juin 1827. Aussitôt arrivé à Bruxelles, on se mit à l'œuvre, et M. Wahlen, l'imprimeur, et M. Pletinckx, le lithographe, commencèrent chacun le travail qui le concernait ; et M. Lévy tirait par mois sur M. Heuland 15 livres sterling pour diriger l'impression du texte et des planches. Cette opération durait depuis le mois d'août 1827, lorsqu'en novembre 1828 M. Lévy, après avoir touché plus de deux mille livres sterling d'émoluments, sans égard à ses engagements et aux justes représentations de M. Heuland, abandonne et son travail et l'entreprise, pour prendre un professorat à Liège, professorat qui au reste ne l'aurait pas empêché de continuer à surveiller l'impression de l'ouvrage. Mais il n'en fut point ainsi, et rien ne se fit depuis cette époque jusqu'en 1832, où les événements et changements politiques déterminèrent le retour de M. Lévy en France. Ce professeur, alors, promettait bien de terminer les planches, mais il promettait toujours, et n'achevait rien. Cependant, pour que la grande somme déjà consacrée à l'exécution de cet ouvrage ne fût pas perdue, M. Heuland finit par avoir recours à l'amitié et à l'extrême obligeance de M. Henri James Brooke, qui, de concert avec son fils, M. le docteur Charles Brooke, lui ont découvert à Londres un jeune homme, M. E. Brookes, qu'ils ont chargé de terminer ce travail. Ce jeune homme, avec le secours de leurs instructions, est parvenu à exécuter les dessins des trente-quatre planches qui restaient à faire, et cela aussi bien que M. Lévy aurait pu le faire lui-même. Si cet ouvrage, qui contient des descriptions et des figures des cristaux d'un grand nombre de substances très rares, et beaucoup de nouvelles variétés de forme, est enfin terminé, ce n'est pas sans peine comme on vient de le voir. Mais aussi M. Heuland peut dire avec vérité et sans crainte d'être contredit, qu'il lui serait impossible de présenter une autre pareille collection, quelque somme d'argent qu'on y pût consacrer. La classification est à peu près celle de M. Haüy. M. Lévy a cru plus commode au lecteur de placer les symboles des pans sur les figures, au lieu des lettres usitées par le célèbre cristallographie. Quant à la collection, il sera permis à M. Heuland d'avouer que c'en est le mérite et le choix qui l'ont excité à faire entreprendre cet ouvrage, dans l'espérance qu'il contribuerait à étendre la connaissance des minéraux. Depuis 1820, la collection a reçu, et du propriétaire et de M. Heuland, pendant que la description se faisait chez lui, des additions importantes, M. Turner pensant avec justesse que le mérite en souffrirait s'il ne la tenait au niveau des nouvelles découvertes. Sans blesser la délicatesse de M. J. B. Pentland, actuellement consul-général de Sa Majesté Britannique à Bolivia, M. Heuland se permet de rendre hommage publiquement à son amitié et aux services qu'il lui a rendus durant l'impression. |
Remarque de l'auteur (J-M. Le Cleac'h) :
La décision d'Heuland de faire achever les 28 dernières planches (et non pas 34 comme il le dit) de l'atlas par Brookes ne fut pas des plus heureuses. Celui ci semble avoir été un peu fâché avec les hémiédries, et Des Cloizeaux dans son célèbre mémoire sur le quartz mentionne plusieurs erreurs de notations de faces qu'il a relevées dans les planches dessinées par Brookes.
Sept des personnages cités dans cet avant-propos ont laissé une empreinte dans l'histoire de la minéralogie, notamment par les noms d'espèces minérales qui leurs sont dédiées:
- heulandite, une zéolite ;
- brookite, un des polymorphes du bioxyde de titane ;
- forsterite, le pôle magnésien des olivines (ou péridots) ;
- turnerite, une variété de monazite ;
- pentlandite, sulfure de fer et de nickel ;
- lévyne, une zéolite ;
- haüyne, un feldspatoîde du groupe de la sodalite.
L'amphibole appelée richtérite n'est pas dédié à Richter l'éditeur londonien de la "Description d'une collection..." mais à un chimiste allemand.
Heuland a vendu et acheté bien d'autres collections de minéraux. Ainsi il avait acheté beaucoup de très beaux échantillons au célèbre marquis de Drée, beau-frère de Dolomieu et collectionneur enragé qui s'est ruiné pour ses collections. L'Ecole des Mines de Paris racheta à Heuland en 1843 la collection "de Drée". Vous pouvez notamment admirer au musée de l'école les superbes euclases que le Marquis de Drée avait achetées une à une en faisant mettre au Mont de Piété, par le jeune Des Cloizeaux qu'il tenait en grande amitié, une superbe montre en or.
La planche qui suit montre cristaux de fer sulfuré (pyrite) en notation de LÉVY :