Portrait de Dolomieu par Nicolas Gossé (1787-1878) réalisé en 1843

Déodat-Guy-Silvain-Tancrède (de GRATET) de DOLOMIEU (1750-1801)

 

D'après Annales des Mines, Réalités industrielles, juillet-aout 1989, pp 29-32 :

Résumé

DOLOMIEU (Dieudonné ou Déodat de Gratet de), géologue et minéralogiste français (Dolomieu, Dauphiné, 1750 - Château de Curbigny en Charolais, commune de Châteauneuf, Saône-et-Loire, 1801). Fils de François de Gratet (1720-1778), 3ème marquis de Dolomieu, capitaine de dragons puis président de la Cour des comptes du Dauphiné, et de Marie-Françoise de Bérenger, il est le 2ème garçon d'une famille de 11 enfants. Son père achète pour lui le titre de chevalier de Malte lorsqu'il a 2 ans. Carabinier à 14 ans, officier à 16 ans, il fait son noviciat sur les galères de l'Ordre. A l'âge de dix-huit ans, il tue en duel un de ses camarades de l'ordre de Malte. Condamné à mort, il est gracié par le grand maître. Il est ensuite en garnison à Metz où il s'intéresse aux Sciences, et notamment au volcanisme. Dolomieu quitte alors le service militaire (1775) pour se consacrer aux sciences : au cours de plusieurs voyages, effectués pour son ordre, il fait de nombreuses et importantes observations géologiques. L'Ordre de Malte le fait commandeur en 1780. Il publie (1784) des études sur les tremblements de terre, puis différents mémoires sur le basalte, sur les calcaires auxquels on a donné depuis le nom de dolomie puis dolomite. Proscrit, il doit se cacher pendant la Terreur (1793-1794). Réhabilité, il est nommé, en l'an III, inspecteur des Mines, professeur de géologie à l'Ecole des Mines, et il devient membre de l'Institut (1795). Dolomieu fait partie de l'expédition d'Egypte, où il séjourne deux ans. A son retour, poussé par une tempête dans le golfe de Tarente, il est fait prisonnier et transféré à Messine. La reine des Deux-Siciles veut le faire exécuter, mais la communauté scientifique internationale se mobilise en sa faveur. C'est pendant cette captivité qu'il écrira son Introduction à la philosophie minéralogique (1801). Libéré en mars 1801 à la suite du traité de Florence et sur demande exprès de Napoléon, il est nommé professeur de minéralogie au Muséum, fait un dernier voyage dans les Alpes et meurt peu après au château de sa soeur Alexandrine, marquise de Drée.
Georges GUEUGNON indique que son coeur fut déposé dans une urne qui fut déposée à l'entrée de la galerie de minéralogie du Muséum jusqu'en 1850, puis transportée avec les restes de sa soeur dans le tombeau des Gratet au cimetière Dolomieu où un monument fut construit en 1874.

Une vie de savant mouvementée

Les voyages forment... les savants. Des geôles de l'ordre de Malte aux prisons de Messine, en passant par les sables de l'Egypte, la vie de Dolomieu est une parfaite illustration de cet «adage». Gros plans sur quelques épisodes de la tumultueuse destinée d'un géologue du XVIIIe siècle.

La sèche biographie de Dolomieu, telle qu'elle est parue dans le Grand dictionnaire encyclopédique Larousse, se résume en quelques lignes.

La « Notice historique sur la vie et sur les ouvrages de Dolomieu » que lut Lacépède lors de la séance publique de l'Institut des sciences et des arts le 17 messidor an X, se présente comme un véritable roman picaresque. En voici les extraits les plus vivants :

DU CHEVALIER AU CARABINIER

Déodat-Guy-Silvain-Tancrède (de Gratet) de Dolomieu, naquit le 24 juin 1750, de François (de Gratet) de Dolomieu, et de Françoise de Bérenger. Dès le berceau, il fut admis dans l'Ordre de Malte. Son nom fut ajouté à cette liste sur laquelle on compte tant de noms fameux par de hauts faits et par d'honorables chaînes. On dirait que dès son entrée dans la vie, il fut voué à la gloire et au malheur.

Embarqué à l'âge de dix-huit ans, sur une des galères de son Ordre, il ne put éviter une de ces circonstances que la philosophie a si souvent déplorées, et où, malgré les progrès de la civilisation, la raison, l'humanité, et la religion même, luttaient en vain contre l'honneur, l'habitude et le préjugé. Obligé de repousser une offense grave, il se battit contre un de ses confrères. Son adversaire succomba. Cependant, lorsqu'il fut de retour à Malte, l'estime et l'affection des chevaliers ne purent le sauver de la rigueur des lois. Des statuts révérés prononçaient les peines les plus sévères contre les membres de l'Ordre qui, pendant le tems de leur service militaire, tournoient leurs armes contre d'autres ennemis que ceux de la chrétienté. Il fut condamné à perdre la vie. Le grand-maître lui fit grâce; mais cette grâce devrait être confirmée par le pape. Ce pontife, que d'anciennes préventions rendaient peu favorable à l'Ordre, ne voulant rien faire pour un chevalier, la confirmation fut refusée. Plusieurs puissances de l'Europe s'intéressèrent en vain pour Dolomieu, auprès de Clément XIII; le pape resta inflexible : et Dolomieu languissait, depuis plus de neuf mois, dans une triste captivité, lorsqu'une lettre, qu'il adressa au cardinal Torrégiani, premier ministre de Rome, obtint ce qu'on avait refusé aux têtes les plus illustres. Ses fers tombèrent, et il fut rétabli dans tous ses droits (...).

A l'âge de vingt-deux ans, il suivit à Metz le régiment des Carabiniers, dans lequel il avait été nommé officier vers l'âge de quinze ans. Un événement terrible lui donna lieu d'exercer sa courageuse bienfaisance. Pendant un hiver si rigoureux que le thermomètre étoit descendu au-dessous de douze degrés, un violent incendie se manifesta tout à coup, au milieu de la nuit, à l'hôpital militaire. Le feu faisait des progrès rapides: il menaçait de tout dévorer; et la rivière, profondément gelée, refusait l'eau nécessaire pour éteindre les flammes. On luttait en vain contre le danger qui devenait à chaque instant plus redoutable. Combien de malades allaient périr, lorsque Dolomieu, suivi de trois de ses camarades enhardis par son intrépidité, saisissant les haches devenues inutiles entre les mains des travailleurs découragés, s'élança au milieu des tourbillons de fumée, pénétra jusqu'au fond des salles embrasées, monta sur le faîte des toits ébranlés, et parvint à couper des communications funestes.

Ce dévouement généreux le rendit encore plus cher à un savant, recommandable par sa bonté et par ses connaissances, Thirion, pharmacien de Metz, dont il recevait des leçons de chimie et d'histoire-naturelle. Ce fut dans le commencement de ses liaisons avec ce physicien, que Dolomieu traduisit en italien l'ouvrage de Bergmann sur les substances volcaniques. Il ajouta des notes à cet ouvrage, ainsi qu'à une traduction italienne de la Minéralogie de Cronstedt.

A peu près vers ce même tems, il vit arriver à Metz un de ces hommes vénérés que le génie, qui veille aux destinées humaines, semble avoir placés dans les siècles corrompus, pour que l'image de l'antique probité n'y soit pas voilée (...). Cet homme, dont chacun de nous rappelle le nom avec attendrissement, étoit La Rochefoucault. Dolomieu et lui furent bientôt unis par les liens d'une amitié qui ne devait finir qu'avec leur vie.

Indépendamment des recherches sur la pesanteur des corps, à différentes distances du centre de la terre, que Dolomieu publia dès 1775, il avoit déjà préparé plusieurs travaux. La Rochefoucault les vit, y reconnut la main d'un naturaliste destiné à une grande renommée, en entretint, à son retour à Paris, l'Académie des Sciences; et cette illustre compagnie envoya à son ami des lettres de correspondant.

En recevant ce titre, qui le flatta d'autant plus qu'il ne s'y attendait pas, Dolomieu crut contracter une obligation nouvelle envers les sciences naturelles: il désira de les servir sans partage. Il se démit du grade qu'il avait dans les Carabiniers. Il quitta la carrière militaire.

UN SAVANT DANS LA TEMPÊTE RÉVOLUTIONNAIRE

Libre alors de céder à ses penchans secrets, il commença ses voyages minéralogiques. Il entreprit de visiter les contrées fameuses distribuées autour de la Méditerranée, et de cette île de Malte, où il avait commencé sa noble vocation. Il alla d'abord en Sicile.

N'ayant encore que vingt-six ans, doué de toute la force de l'âge, animé par toute l'ardeur que peuvent inspirer le bonheur de l'étude, et l'espérance des succès, il parcourut les environs de l'Etna (...).

Descendu de l'Etna, il porta plusieurs fois ses pas vers le Vésuve, vers la chaîne des Apennins, vers ces lacs et ces montagnes de l'ancien Latium, qui sont des restes ou des produits de volcans éteints; vers les hautes Alpes, dont il parcourut les différentes directions, aborda les différens glaciers, affronta les pics élancés dans les nues, suivit les torrens, étudia la substance, la structure, et les dégradations.

Les îles de Lipari n'échappèrent pas à ses recherches. Il en publia la description en 1783.

Mais cette année fut marquée par un événement qui répandit la désolation en Italie, et la consternation dans le reste de l'Europe. La Calabre fut agitée par un violent tremblement. Un grand nombre d'infortunés en furent les victimes. Des phénomènes extraordinaires accompagnèrent cette grande secousse. Dolomieu se hâta d'aller visiter cette terre bouleversée, et de rechercher au milieu de ses décombres, la cause de ces funestes événements, liée de si près à la composition du globe, qu'il brûlait au désir de dévoiler un jour.

En 1784, il soumit au public ses idées, non-seulement sur cette catastrophe, mais encore sur les effets généraux des tremblements de terre, dans une dissertation d'autant plus curieuse, qu'il prouva, par des faits incontestables, que, dans la partie de la Calabre où la commotion avait fait le plus de ravages, toutes les montagnes étaient calcaires, sans aucune apparence de matières volcaniques; et en 1788, il mit au jour un Mémoire sur les Iles-Ponces, ainsi qu'un Catalogue raisonné des produits de cet Etna qu'il avait observé avec tant de constance.

Cependant Dolomieu était de retour dans sa patrie après cette époque à jamais fameuse du 14 juillet, où les lumières, la raison, le sentiment de la dignité de l'homme, et l'amour d'une noble indépendance, se montrèrent avec tant d'éclat. Digne ami de la Rochefoucault, il se rangea sous les drapeaux de la Liberté. Mais comme aucune fonction publique ne réclamait l'emploi de son tems, il publia plusieurs ouvrages, pendant les premières années de la révolution française: l'un sur l'origine du basalte; un second sur un genre de pierres calcaires qu'on n'avait pas distingué avant lui, et auquel la reconnaissance des naturalistes a donné le nom de Dolomie; deux autres sur les roches ainsi que sur les pierres composées; et un cinquième sur l'huile de pétrole, et sur les fluides élastiques tirés du quartz. On voit dans ces divers travaux les éléments de ces idées générales dont la réunion devait former une vaste théorie.

Pendant que Dolomieu se livrait à ses méditations, la révolution prenait une face nouvelle. Le torrent qui renversait les anciennes institutions, entraînait, malgré leur résistance, la modération et la prévoyance, qui voulaient en créer de nouvelles. Tout était emporté par un mouvement rapide (...).

Dans cette nuit profonde, au milieu de cet orage épouvantable, la Rochefoucault fut frappé. Dolomieu, qui ne le quittait plus depuis que le danger planait sur sa tête, le soutint expirant dans ses bras, et, bravant les satellites du crime, reçut les derniers voeux de son ami. Ces voeux qu'il formoit pour les objets les plus chers à son coeur, sa mère et sa femme, infortunés témoins de cette scène horrible.

Proscrit à son tour, errant de retraite en retraite, il eut peu de momens à donner aux progrès des sciences. Il publia néanmoins deux Mémoires, l'un sur les pierres figurées de Florence, et l'autre sur la constitution physique de l'Egypte. C'est dans ce dernier ouvrage qu'il eut le courage d'exprimer ses regrets sur la mort de son ami, et de dénoncer à la postérité des assassins dont le pouvoir répandait encore la terreur.

Mais vers l'an 3 de la fondation de la République, les jours de gloire et de tranquillité commençaient de succéder aux tempêtes révolutionnaires.

Appelé dans cette importante école des mines, que l'on venait de créer, et que recommandent si fortement le mérite de ses membres et les services qu'elle a déjà rendus à notre patrie, il y professa la géologie, et fit imprimer plus d'un Mémoire sur la distribution méthodique de toutes les matières dont l'accumulation forme les montagnes volcaniques.

Vers la même époque, la loi constitutionnelle de l'Etat établit l'Institut national des Sciences et des Arts; et dès le premier jour de notre réunion, nous eûmes le plaisir de le compter parmi nos confrères.

En moins de trois ans, nous le vîmes faire succéder dix-sept nouveaux Mémoires à ceux que je viens d'indiquer (...).

Dolomieu entreprend ensuite un voyage dans la France méridionale et dans les Hautes-Alpes puis fait imprimer le compte rendu de ses observations.

UN HABITUÉ DES CACHOTS

Quelque tems après, Dolomieu venait de commencer sur la minéralogie un ouvrage très-étendu, qui devait faire partie de l'Encyclopédie méthodique, lorsque le vainqueur de Lodi et d'Arcole entreprit cette mémorable expédition d'Egypte, dont la politique, le commerce et la philosophie, avaient inspiré le hardi projet. Les sciences et les arts devaient répandre tous les bienfaits de la civilisation moderne, sur cette contrée fameuse, à laquelle l'Europe et l'Afrique ont dû une si grande partie de leurs premiers progrès vers les lumières. Une cohorte sacrée de savans et d'artistes, accompagne l'armée. Dolomieu est nommé pour partir avec eux. La flotte française arrive devant Malte. Dolomieu, qui avait ignoré que l'expédition commencerait par la prise de cette île, se renferme, profondément affligé, dans le bâtiment qui l'avait amené. Le grand-maître s'empresse de le demander pour un des pacificateurs. Le général en chef le choisit. Il va porter à ses anciens confrères les propositions du chef de l'armée. Malte cède aux Français. Dolomieu, attentif envers tous les chevaliers, et sur-tout à l'égard de ceux qui, dans le tems où des dissensions intestines avaient agité l'Ordre, lui avaient été le plus vivement opposés, se conduit avec tant de générosité et de délicatesse, qu'un grand-officier Maltais, qui s'était montré son plus ardent antagoniste (le Bailli de Loras), lui déclare avec une loyauté digne de tous les deux, qu'il se reprocherait toute sa vie d'avoir été injuste envers lui.

Cependant on arrive sur les côtes d'Egypte. Tout se soumet ou se disperse devant le génie de la victoire. Dolomieu visite Alexandrie, le Delta, le Caire, les Pyramides, une partie des montagnes qui bordent la longue vallée du Nil. Il voudrait parcourir toutes les chaînes qu'elles forment, examiner toute cette partie du bassin de la Méditerranée, qu'il voit pour la première fois, pénétrer jusqu'aux rives de la mer d'Arabie, remonter au-dessus des cataractes, s'enfoncer dans les sables de la Libie. Les circonstances s'y opposent. Sa santé se dérange. Il est obligé de repasser en Europe.

Dès le lendemain de son départ d'Alexandrie, le vent devint impétueux; l'eau entra dans le bâtiment avec violence; on jeta à la mer tout ce dont on put débarrasser le vaisseau; on fit des efforts extraordinaires: Dolomieu ne cessa de donner à ses compagnons l'exemple de l'intrépidité; mais l'épuisement des forces, et un découragement absolu, firent cesser le travail. On allait abattre les mâts, et s'abandonner à l'orage, lorsqu'un vieux patron Napolitain propose de répandre autour du bâtiment du biscuit pilé et de la paille hachée. Cet expédient, qui parut d'abord ridicule, réussit néanmoins. Les voies d'eau furent fermées par ces fétus qu'entraînèrent les filets du fluide qui se précipitait dans le bâtiment. On renouvela cette ressource inattendue aussi souvent qu'on put l'employer. Le vaisseau échappa à la submersion ; et après avoir été agité par des vents affreux pendant près de huit jours, il fut poussé par la tempête dans le golfe de Tarente, et entra dans le port au moment où il allait s'entr'ouvrir.

Le lendemain, un matelot mourut de la peste. Mais un danger plus grand menaçait les Français.

Depuis trois jours, la sanglante contre-révolution de la Calabre avait commencé. Les Français furent faits prisonniers, mis à terre, et conduits, au milieu des cris de mort d'une multitude féroce, dans un cachot, où Dolomieu, le jeune minéralogiste Cordier, son compagnon fidèle, le général Dumas et le général Manscour, furent entassés avec cinquante-trois de leurs compatriotes.

Plusieurs fois la populace de Tarente se rassembla pour immoler les Français naufragés : toujours elle fut contenue par un émigré Corse, nommé Buca Campo, qui, digne, par son héroïsme, d'une meilleure cause, ne cessa de risquer sa vie pour sauver celle des Français.

Dix-huit jours après, on annonça l'arrivée des légions républicaines triomphantes. Les prisonniers Français furent transférés dans une maison spacieuse, où on chercha à leur faire oublier les mauvais traitements qu 'ils avaient éprouvés. Mais nos troupes ayant été rappelées du royaume de Naples, le danger des prisonniers fut plus grand que jamais. Dolomieu cependant faisait des extraits de Pline, pour un ouvrage qu'il préparait sur les pierres des monuments antiques, s'entretenait d'histoire naturelle avec ses compagnons d'infortune, rappelait le souvenir des amis qu'il avait laissés dans sa patrie, lorsque les prisonniers furent embarqués pour la Sicile, d'où on devait les renvoyer en France. On les dépouilla de ce qu'ils possédaient : Dolomieu perdit ses collections et ses manuscrits ; et trois jours après l'arrivée des Français à Messine, il apprit qu'il venait d'être dénoncé (...).

Le péril devenait à chaque instant plus pressant. Un petit vaisseau maltais était auprès de celui dans lequel les Français étaient encore retenus. Dolomieu pouvait, par le moyen de ce bâtiment, espérer de se sauver; mais si la sentinelle résistait, il fallait lui ôter la vie. Dolomieu ne voulut pas de son salut à ce prix.

Il confia à son courageux élève, des lettres pour ses amis, lui remit pour eux, des observations précieuses sur le niveau de la Méditerranée, qu'il rédigea avec autant de tranquillité, que si ses jours avaient été les plus prospères, lui recommanda sa mémoire, serra dans ses bras les Français dont il allait être séparé, s'efforça d'adoucir leur peine, et, sans ostentation ni faiblesse, se livra aux satellites envoyés pour l'arracher à ses compatriotes, qui frémissaient de rage de ne pouvoir le délivrer.

On le précipita dans un cachot éclairé par une seule ouverture, que, par une précaution barbare, on fermait toutes les nuits. Là, il fut privé de toute consolation; là, un geôlier inflexible cherchait, en lui annonçant les nouvelles les plus absurdes sur l'état de la République, à lui enlever même l'espérance. Là, il était forcé de passer une grande partie de ses longs jours et de ses longues nuits, à s'agiter en tout sens, et à secouer avec violence les haillons qui lui restaient encore, pour donner à l'air un mouvement qui l'empêchât de cesser d'entretenir sa respiration.

Cependant le jeune Cordier avait revu la France avec les lettres de Dolomieu. A l'instant, la nouvelle de ses malheurs se répand dans la République, et retentit dans toute l'Europe. L'Institut national le réclame avec force. Le Gouvernement français redemande un citoyen qui honore son pays. La Société royale de Londres, et son célèbre président, devenu maintenant notre confrère, joignent à nos voeux l'intervention la plus pressante. Les savans de l'Europe invoquent en sa faveur, et la justice, et l'humanité, et la gloire des lettres. Des Danois écrivent à leurs correspondants de retenir des fonds à sa disposition. Un Anglais établi à Messine (M. Predbend), lui voue les soins les plus généreux. M. d'Azara, cet illustre ami des sciences et des arts, que l'attachement le plus tendre unissait à lui depuis un très-grand nombre d'années, seconde par tous les efforts de son zèle, ceux que ne cessent de renouveler les parens de Dolomieu. Le roi d'Espagne écrit deux fois pour lui. Ses fers cependant ne sont pas brisés; il ignore même si son affreuse destinée est connue de ceux qu 'il aime le plus.

Pendant ces vaines tentatives, le vénérable Daubenton termine sa carrière. La place qu'il occupait dans le Muséum d'Histoire naturelle, devait être donnée au plus digne. Deux noms étaient prononcés par la voie publique; celui de Haüy et celui de Dolomieu. Dans toute autre circonstance, les professeurs du Muséum auraient hésité dans leur choix. Mais Dolomieu était captif. Il fut nommé par les professeurs.

Peu de jours après éclata un de ces événements qui décident du sort des empires. L'admirable et rapide campagne terminée par la victoire de Marengo, affermit la République sur sa base, et régla les destins de l'Europe. Bonaparte donne la paix à Naples; et la première obligation imposée par ce traité, dont la philosophie conservera le souvenir, fut la délivrance de Dolomieu. Son retour au milieu de ses proches, de ses confrères, de ses amis, fut une sorte de triomphe littéraire (...).

Dolomieu entreprend un dernier voyage dans les Alpes, publie: «De l'espèce minéralogique» et meurt le 7 frimaire de l'an X (28 novembre 1801), à Châteauneuf (Saône-et-Loire), chez sa soeur, où il était allé chercher un repos bien mérité par tant de fatigues et de tribulations.

Il était membre de l'Institut depuis la création.

Ses collections furent recueillies par son beau-frère le marquis de Drée, dont l'inappréciable cabinet devait être acquis pour l'École des mines en 1837.


La transcription ci-dessous du Registre des décès de la commune de Chateauneuf nous a été aimablement fournie par Jean Gaudant grâce à Marie-Noëlle Maisonneuve :

Extrait du Registre des décès de la commune de Chateauneuf pour l'an dix de la République, déposé aux archives de la mairie de ladite commune, arrondissement de Charolles, département de Saône et Loire.

 

            Du septième jour du mois de Frimaire l'an dix de la République française.

 

            Acte de décès de Déodat Guy Tancrède de Gratet de Dolomieu [,] Membre de l'Institut National [,] cidevant Commandeur de Malte, décédé le jourdhui à onze heures du matin, âgé de cinquante un an, né à Dolomieu [,] département de l'Isère [,] demeurant à Paris, célibataire [,] fils de François de Gratet de Dolomieu et de Françoise de Beranger.

 

            Sur la déclaration à moi faite par le Cen Etienne de Drée, Propre demeurant à Chateauneuf qui a dit être beau frère du défunt et par le Cen Claude Déal [,] juge de paix demeurant à Chateauneuf qui a dit être l'ami du défunt et ont signé.

 

            Constaté par moi Benoit Alix [,] maire de Chateauneuf [,] servant les fonctions d'officier public de l'état civil soussigné.

 

            Signé Etienne de Drée, Cen Deal et [illisible].

 

                                                                                  Pour extrait conforme

 

                                                                                              Alix

                                                                                              Maire

 

[Extrait légalisé à Charolles le 20 nivose an XI de la République par Geoffroy, « sous-préfet du 2e arrondissement communal du département de Saonne et Loire »]