TRAVAUX
DU
COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE
- Troisième série -
T.IV (1990)

Jean Gaudant

L'exploration géologique du Bassin Parisien. Quelques pionniers, le plus souvent méconnus.

COMITÉ FRANÇAIS D'HISTOIRE DE LA GÉOLOGIE (COFRHIGEO) (séance du 23 mai 1990)

A l'occasion de la préparation d'une exposition sur la géologie du Bassin Parisien, intitulée "Les roches au service de l'Homme", nous avons récemment évoqué rapidement quelques-unes des personnalités marquantes qui ont contribué à découvrir et à interpréter, au XVIIIème et pendant la première moitié du XIXème siècles, les principales caractéristiques géologiques de cette région qui eut le privilège de voir à l'oeuvre des noms aussi prestigieux que Lamarck, Cuvier, Elie de Beaumont et Alcide d'Orbigny. Nous avions déploré alors de n'avoir pu citer un assez grand nombre de pionniers, souvent méconnus, qui avaient cependant apporté leur contribution au progrès des connaissances. C'est donc à ceux-ci que nous rendons aujourd'hui honunage dans cet article qui constitue le complément du précédent.

BOULANGER et l'origine du relief terrestre.

Né à Paris en 1722, Nicolas Antoine Boulanger, fils d'un négociant parisien, a fait des études, semble-t-il médiocres, au collège de Beauvais, proche de la place Maubert. Après avoir participé au siège de Fribourg-en-Brisgau (1743-1744), pendant la guerre de succession d'Autriche, il entra aux Ponts et Chaussées en 1745, en qualité de sous-ingénieur. Nicolas Desmarest nous apprend dans sa "Géographie physique" (1795) que Boulanger participa à la construction de la route de Langres à Saint-Dizier et qu'à cette occasion il eut à lever la carte topographique de la vallée de la Marne. Il fut ensuite envoyé à Tours où il se trouvait en 1753, puis rappelé à Paris et affecté à la circonscription de Meaux, retrouvant ainsi la vallée de la Marne. De son vivant, il publia la "Nouvelle Mappemonde" (1753) dans laquelle il exposait sa théorie de la Terre. A sa mort survenue en 1759 -il n'avait que 37 ans !-, il laissait plusieurs manuscrits inédits. Deux d'entre eux : ses "Recherches sur l'origine du Despotisme oriental" et "L'Antiquité dévoilée par ses usages" furent rapidement édités, respectivement à Genève et à Amsterdam grâce à d'Holbach (1761) et Diderot (1766). En revanche, ses "Anecdotes de la Nature sur l'origine des vallées, des montagnes et des autres irrégularités extérieures et intérieures du globe de la terre, avec des observations historiques et physiques sur toutes les vicissitudes qui paroissent lui être arrivées" [1] restèrent inédites et furent considérées comme perdues jusqu'à ce que John Hampton les redécouvre [2].

Boulanger a beaucoup réfléchi à l'origine et à l'évolution des formes du relief, ainsi qu'à la disposition des strates dans le sous-sol. Contrairement à Buffon, il attribuait la formation du relief terrestre à l'action de l'érosion fluviatile, tout en soulignant le fait que «la plus part du tems, les ouvertures des sources dans ce pays de montagnes sont beaucoup plus grandes qu'il ne convient à la quantité d'eau qui en sort, et les dégradations voisines qui s'y rencontrent toujours sont au-dessus des forces de leurs efforts présents ; elles ont donc eu une force supérieure autrefois» [3].

Boulanger a également décrit avec un luxe de détails les sinuosités du cours de la Marne entre la Ferté-sous-Jouarre et Meaux et tenté d'expliquer, à l'aide d'une planche qui a, hélas, disparu, la formation du relief actuel par l'action de l'érosion fluviatile.

C'est toutefois son interprétation de l'évolution de la cuesta d'Ile de France qui le place de plain-pied parmi les authentiques pionniers de la Géomorphologie car il n'hésite pas à entrevoir avec une grande clairvoyance l'état de la surface terrestre qui a précédé celui qui s'offre actuellement à nos yeux : «les dispositions des contrées qui environnent la craye font (...) connoitre que toute la partie de la Champagne ou cette terre est découverte a ete autrefois recouverte d'autres lits et d'autres bancs d'une autre nature et même de pierres dures, quoy qu'elles y soient extrêmement rares de nos jours et qu'il est d'autres contrées circonvoisines ou le banc de craye devoit s'étendre et ou il ne paroit cependant plus. La montagne de Rheims qui fait encore, ainsi qu'on peut le voir sur la carte, une grande saillie en arrachement sur cette contrée, est construite de pierres d'une nature toute différente de celle de la craye, et il paroit qu'elle devoit s'avancer bien plus qu'elle ne fait actuellement vers Rheims et vers Chaalons, et recouvrir par conséquent autrefois la surface qui est présentèrent) découverte. Du costé de Vitry le françois (c'est) tout le contraire : il paroit que la terre de craye devoit s'étendre sur les fertiles contrées du Perthois et en recouvrir les plaines où l'on ne trouve plus sous la terre vegetable qui y est excellente que de grands deposts de sable et de grève, produits par le passage de torrents (qui ont) pris dans le Perthois les bancs de craye en flancs et les ont fait reculer jusqu'à Vitry le françois» [4].

Le même raisonnement lui permet ensuite d'expliquer la genèse de ce que nous appelons aujourd'hui des buttes témoins : «Quand les torrents ... ont (...) découvert les bancs intérieurs des contrées, ce n'est pas sans avoir encore laissé derrière eux des témoins des bancs supérieurs qu'ils ont détruits, le mont Aymé qui est resté isolé au milieu de la craye de la Champagne en est un monument frappant, la nature de ses bans et de ses rochers n'a aucun raport avec le terrain qui l'environne, mais avec les montagnes scituées de l'autre costé de Bergères et des Vertus (lire Bergères-lès-Vertus !). Il en estoit une dépendance et y estoit adhérant avant que la chute de plusieurs torrents particuliers dont on y reconnoit les traces, l'en ait détaché comme il est» [5],

On ne peut évidemment que regretter que les "Anecdotes de la Nature" soient restées inédites car même si ce manuscrit a beaucoup circulé et est passé notamment entre les mains de Buffon et de Nicolas Desmarest, les idées novatrices de Boulanger n'ont pas fécondé comme elles eussent pu le faire la science de ce temps. Et lorsque Buffon s'en inspira pour ses "Epoques de la Nature" (1779), ce fut uniquement pour mettre au service de ses propres interprétations les observations détaillées que Boulanger avait réalisées sur la région de Langres.

de LASSONE (1717-1788) : un médecin naturaliste.

Né à Carpentras en 1717, Joseph Marie François de Lassone était le fils du médecin ordinaire de Louis XV. Il étudia la chirurgie et devint agrégé de la Faculté de Médecine de Paris avant d'être nommé à 25 ans membre de l'Académie royale des Sciences. En 1751, il fut appointé médecin de la reine Marie Leszczynska, épouse de Louis XV, puis eut l'insigne honneur de devenir premier médecin, à la fois de Louis XVI et de la reine Marie-Antoinette, ce qui le détermina à provoquer la création de la Société royale de Médecine. Naturaliste accompli, de Lassone s'intéressa tout particulièrement aux grès de Fontainebleau auxquels il consacra trois mémoires. Il mourut à Paris en 1788.

Dans sa première étude intitulée "Mémoire sur les grès en général, et en particulier sur ceux de Fontainebleau", publiée en 1778 dans les Mémoires de l'Académie royale des Sciences pour l'année 1774 [6], de Lassone s'interrogeait sur l'absence de tout fossile dans les grès de Fontainebleau : «Si l'on admet, que les eaux de la mer aient couvert la surface entière du globe terrestre, comme les monumens naturels universellement répandus semblent l'attester ; par quelle raison le lieu principal dont il s'agit dans ce Mémoire, & plusieurs autres dans différentes contrées, sont-ils parfaitement exempts du mélange des corps marins répandus partout ailleurs en une si prodigieuse quantité ?»

Pour répondre à cette question, il recourait déjà à un raisonnement actualiste car «les observations nous apprennent, qu'il y a plusieurs endroits dans les mers, où l'on ne trouve qu'un amas immense de sable pur & non mélangé ; tels sont plusieurs de ces bancs sableux plus ou moins étendus, qui par leur position & par leur direction paroissent avoir été sur-tout formés par l'effet des grands courans : le même effet ayant dû pareillement écarter de-là tous les corps marins, ou ne leur pas permettre de s'y produire, de s'y arrêter, ni de s'y fixer.»

Dans ce même mémoire, de Lassone s'employait également à expliquer la formation des grès qu'il considérait comme des «substances pierreuses de second ordre» formées par agrégation des «plus simples concrétions opérées par la Nature», que constituent les grains de sable, unis entre eux par «un fluide subtil & affiné» auquel il donne le nom de «gluten pierreux» et dont il admet qu'il est «de nature vitrescible, puisque, ainsi que la propre substance du grès, il résiste à l'action des acides.»

Dans ses "Nouvelles observations sur les grès cristallisés, faisant suite du mémoire sur les grès, en général & particulièrement sur ceux de Fontainebleau", insérées dans les Mémoires de l'Académie des Sciences pour l'année 1775 mais imprimées seulement en 1778 [7], de Lassone décrivit les cristaux de forme rhomboïdale qui se trouvent parfois dans les enclaves sableuses des grès de Fontainebleau et qui «s'y sont formés comme au milieu d'un fluide.» Il remarqua également que «le sable employé par la Nature à la formation de tous ces cristaux pierreux, n'est pas aussi pur que celui qui sert à former les grès ordinaires.» Dans son "Troisième mémoire sur les grès de Fontainebleau ou Analyse de ces pierres & principalement des grès cristallisés" qui parut en 1780 dans les Mémoires de l'Académie royale des Sciences pour l'année 1777 [8], l'auteur constata qu'aussi bien «les rhombes de grès les plus purs» que «les grès figurés en boules, ou, si l'on veut, cristallisés sous une forme globuleuse», paraissent «composés de deux substances sableuses et spathique» dont la proportion est de «cinq parties de sable sur trois de matière spathique.» Ainsi, en pleine période des Lumières, la Chimie venait-elle déjà à l'aide du géologue !

De LAMANON : L'origine lacustre du gypse.

Né à Salon-de-Provence, Robert de Paul, Chevalier de Lamanon (1752-1787), qui allait connaître une fin tragique aux îles Samoa, pendant le dramatique voyage de La Pérouse autour du monde, a tout d'abord étudié la philosophie puis la théologie en Avignon puis en Arles, avant de se sentir attiré par les mathématiques, la physique et l'histoire naturelle. Il consacra ainsi les dernières années de sa trop courte vie à accumuler des observations géologiques. Outre plusieurs mémoires sur les ossements fossiles d'Aix-en-Provence et de Montmartre, on lui doit un "Mémoire litho-géognosique sur la vallée du Champsaur et la montagne de Drouveirre dans le Haut-Dauphiné" (1784), dont bien peu d'exemplaires subsistent.

Dans son mémoire institulé "Description de divers fossiles trouvés dans les carrières de Montmartre, près Paris, & vues générales sur la formation des pierres gypseuses", publié en 1782 dans les Observations sur la Physique, sur l'Histoire naturelle et sur les Arts [9], De Lamanon tenta d'interpréter l'origine du gypse des environs de Paris. Après avoir remarqué que le gypse repose «sur des couches de pierre calcaire» (il s'agit à l'évidence de notre "calcaire grossier") observait-il qu'«il n'y a point de coquilles dans le gypse, tandis que la pierre calcaire en est remplie, que le gypse contient des ossemens fossiles, & qu'il n'y en a pas un seul dans la pierre inférieure.» Il notait ensuite que «la pierre à plâtre est disposée par bancs (...) & ces bancs sont séparés les uns des autres par des couches de marne.» Or, précisément, cette marne «contient, dans plusieurs endroits, des coquilles dont on chercheront inutilement les analogues dans la mer, mais dont les semblables se trouvent encore dans la rivière de Marne et dans celle des Gobelins. »

Fort de cette observation que corroborait la présence d'ossements de mammifères terrestres dans le gypse (il figurait notamment un crâne de paléothère), de Lamanon était fondé à admettre que «les eaux de l'Aisne, de l'Oise, de la Marne et de la Seine (...) formèrent un lac dont nous pouvons circonscrire l'étendue, en observant celle des terres qu'il déposa. Ce lac fluviatil tenoit du gypse en dissolution : la pierre à plâtre qu'il a déposée, forme encore aujourd'hui une espèce d'isle au milieu des pierres calcaires qui l'entourent.» Quant à l'origine du gypse, il l'expliquait par la réaction entre «l'acide vitriolique» contenu dans les nodules de pyrite disséminés dans la craie, et la craie dont s'est chargée «la Marne en traversant la Champagne» ... une explication qui nous parait aujourd'hui hautement fantaisiste !

Il faut cependant comprendre qu'en expliquant ainsi l'origine du sulfate de chaux, de Lamanon voulait avant tout prendre le contre-pied de l'interprétation avancée deux ans plus tôt par Pralon dans ses "Observations sur Montmartre" publiées dans la même revue [10]. Après avoir minutieusement décrit les trois masses de gypse que l'on pouvait alors y observer, Pralon avait en effet suggéré que «Montmartre s'est formé, non pas dans le milieu des mers mais assez près d'une terre habitée, dans un enfoncement où l'eau étoit sans vagues, et en quelque sorte isolée ; n'ayant point ou du moins que très-peu de communication avec la haute-mer, qui jouit si rarement de la tranquillité dont a dû jouir l'eau qui a formé cette butte».

POIRET et la "tourbe pyriteuse du département de l'Aisne".

Jean Louis Marie Poiret est né à Saint-Quentin (Aisne) en 1755. Ecclésiastique, il manifeste un penchant très marqué pour la Botanique. Il devient précepteur à Marseille et s'embarque en 1785 pour l'Afrique du Nord. Il y passera deux ans, accumulant des notes pour son "Voyage en Barbarie ou Lettres écrites de Numidie..." qui, publié en 1789, sera traduit en anglais et en allemand. Il fut ensuite nommé en 1795 professeur d'histoire naturelle à l'Ecole centrale de l'Aisne et se fixa à Soissons. Il s'y intéressa aux "Coquilles fluviatiles et terrestres observées dans le département de l'Aisne et aux environs de Paris", pour reprendre le titre d'un ouvrage publié en 1801, et réalisa des observations sur "les tourbes pyriteuses du département de l'Aisne". En 1808, la fermeture des Ecoles centrales départementales, le contraignit à quitter Soissons ; il vint alors s'établir à Paris où il se consacra à nouveau à la Botanique, collaborant avec Lamarck pour le "Dictionnaire de Botanique" de l'"Encyclopédie méthodique". Il publiera encore ses "Leçons de Flore", un cours de botanique en trois volumes (1819-21) et une "Histoire philosophique, littéraire, économique des plantes usuelles de l'Europe" en sept volumes (1825-29). Il mourut à Paris en 1834.

Poiret a consacré quatre mémoires, publiés de 1800 à 1803 dans le Journal de Physique, à la "tourbe ligniteuse du département de l'Aisne" dont il chercha à expliquer la formation et à déterminer l'âge.

Dans le premier de ces mémoires [11], il y signalait la présence de «coquilles fluviatiles, la plupart en fragmens, parmi lesquelles (il avait) trouvé quelques espèces bien entières, et dont les analogues sont vivantes dans nos étangs et nos rivières. » Se situant dans une perspective délibérément actualiste, il en déduisait fort logiquement qu'«il est hors de doute que les coquilles fluviatiles disposées par couches dans un limon marneux, placées un peu au-dessus des premières couches de la tourbe et bien au-dessous des coquilles marines ne peuvent s'être réunies dans les lieux où elles se trouvent que par la présence de quelque lac ou marais d'eau douce bien antérieur au retour des eaux de la mer», lequel est marqué par la présence «d'huîtres, de visses, de cérites, de buccins, de venus, de nérites, etc.-»

Quant à la genèse de la «tourbe pyriteuse», il l'explique, par analogie avec la formation de la tourbe dans la nature actuelle (il consacra en 1804 un nouveau mémoire à cette question), en admettant que «cette tourbe s'est formée par la destruction successive des végétaux qui croissent en abondance dans les marais, et que ces végétaux ont existé dans les lieux mêmes où la tourbe se trouve aujourd'hui.» En outre, «s'il s'y rencontre des bois naturels fossiles, il est à présumer que, peu après leur chute, enveloppés par des matières terreuses ou sablonneuses, à l'abri des agens destructeurs, ils se seront conservés intacts jusqu'à nos jours ou bien par d'autres circonstances ils auront acquis l'état de pétrification.»

On voit donc à quel point la justesse des interprétations de Poiret reposait sur l'utilisation d'un raisonnement actualiste.

COUPE : Abbé, Conventionnel et Géologue,

Né à Péronne (Somme) en 1737, Jacques Michel Coupé était curé de Sermaize (Aisne) lorsqu'éclata la Révolution. Président du district de Noyon (Oise), il se fit élire en 1791 député de l'Oise à l'Assemblée législative puis, l'année suivante, député à la Convention, pour laquelle il prépara de nombreux rapports. En 1793, il abandonna le sacerdoce, fut membre du Conseil des Cinq-Cents, puis quitta la vie publique en l'An VI (1797). Il se consacra alors à des recherches géologiques. Il mourut à Paris en 1809.

On doit principalement à Coupé d'avoir commencé à décrypter la succession des couches du Parisis dans son mémoire intitulé "Sur l'étude du sol des environs de Paris", publié en 1805 dans le Journal de Physique [12]. Il y fondait un embryon de stratigraphie en distinguant :

Il semble que Cuvier ait rendu le plus bel hommage qui fût au travail de Coupé lorsqu'il décida de publier dès 1808 dans le Journal des Mines une version abrégée de l'"Essai sur la Géographie minéralogique des environs de Paris", comme en témoigne la phrase suivante (restée inédite) de l'Introduction : «Quelques circonstances nous obligent de présenter aujourd'hui cet abrégé, et de prendre date pour des recherches aussi longues et aussi laborieuses, avant le moment heureux ou (sic) nous croirons les avoir amenées à leur terme» [13].

En 1806 parut, toujours dans le Journal de Physique, la "partie minérale" du mémoire "Sur l'étude du sol des environs de Paris" [14], dans laquelle Coupé tentait d'expliquer la genèse des silex de la craie par des processus de dissolution per descensum de «molécules arénacées» disséminées dans la craie sous l'action d'une «exiviation soit de potasse, soit d'un principe d'alcalinité puisé dans la craie même.» Deux ans plus tôt, il s'était penché "Sur la formation des pierres meulières, sur celle de la marne, et les petits coquillages d'eau douce qui y sont renfermés", dans un mémoire également publié par le Journal de Physique [15]. Il y expliquait la formation de ces roches par l'altération de la partie supérieure des sables de Fontainebleau sous l'action conjuguée des eaux pluviales, de la chaleur du soleil et de la végétation, ce processus se produisant «sur un filtre, savoir, le massif du banc de sable.»

En 1807, Coupé faisait imprimer, toujours dans la même revue, son mémoire "Sur la minéralisation du gypse parisien" [16]. Influencé par la découverte de Mammifères et d'Oiseaux fossilisés directement dans ce gypse, il y admettait, se rapprochant en cela de l'opinion précédemment exprimée par de Lamanon, que le gypse parisien a une origine continentale car «le gisement même du gypse parisien indique une colonne d'eau fluviatile qui s'avançoit dans la mer : sa largeur n'est que de Villejuif à Montmorenci, tandis que sa longueur remonte depuis Argenteuil jusqu'à Langre, par dépôts laissés çà et là, et depuis aussi échappés plus ou moins à la dilution des eaux courantes qui ont excavé le sol du pays.»

Quant au mode de précipitation du gypse, il l'envisage comme un phénomène extrêmement lent se produisant sur le fond d'un bassin en voie d'assèchement. D'après lui, «la dissolution séléniteuse (...) ne fut long-temps encore qu'un humide étendu dans la substance argilacée des sédimens ; mais en se concentrant elle prit corps lentement dans quelques-unes de ses portions d'abord, et composa successivement, pendant la longueur des siècles, ces bancs de gypse solide qui ont pris place entre les couches terreuses.»

L'année même de sa mort, enfin, Coupé publiait dans le Journal des Mines un article sur "L'action des eaux fluviatiles considérée sur le sol des environs de Paris" [17]. Probablement influencé par les idées de Nicolas Antoine Boulanger dont on sait que le manuscrit des "Anecdotes de la nature" avait beaucoup circulé, il y affirmait que «le lit des eaux courantes s'est enfoncé par degrés : il a existé à diverses hauteurs sur le pays avant d'être descendu jusqu'au sol actuel de Paris. Ce qui est bien prouvé par les stratifications de cailloux roulés restés comme à divers étages sur la campagne en différentes époques.» Il tentait même d'établir une stratigraphie de ces dépôts en estimant qu'«après la retraite de la mer de dessus la France, le sol resta long-temps nu ; les rivières ne pouvaient rouler que des graviers et des pierres : les bois ne sont venus qu'assez tard, et dans les lieux où les graines étaient apportées par les eaux.» De même, essayait-il d'estimer l'intervalle de temps qui sépare le dépôt des couches horizontales du début de la phase érosive en soulignant que «les lits de gypse formés par cristallisation (...), ainsi que les bancs de pierre de taille sur lesquels ils reposent étaient consolidés lorsque les eaux courantes chargées des matières qu'elles avaient délayées, descendirent jusqu'à eux.»

Par ailleurs, il appréciait à sa juste valeur l'importance des phénomènes érosifs produits par les eaux fluviatiles et soulignait que «le témoignage le plus évident de cette vaste excavation sont les côtes et les collines restées ; elles conservent le niveau primitif de la superficie du sol marin.» Or, remarquait-il, toutes ces buttes sont couronnées par «un lambeau de cette même nappe de sable qui recouvrait uniformément la contrée depuis Fontainebleau jusqu'au Valois.» Il se demandait alors quelle devait être l'intensité des forces nécessaires «pour excaver de semblables vallées» ; ce qui le conduisait à admettre qu'elles durent être «immenses» et qu'«elles n'agirent pas simultanément, mais successivement par dilutions répétées. » Il concluait alors en soulignant que «la puissance de la nature est dans l'économie des causes lentes, et dans l'immensité du tems», non sans ajouter : «comme si le tems n'était pas infini», se situant ainsi aux antipodes d'un Cuvier !

BRARD : Un fluide unique d'une saveur inconnue.

Cyprien Prosper Brard, né en 1786 à L'Aigle (Orne), a été élève à l'Ecole des Mines d'où il sortit avec le titre d'Ingénieur des Mines. Il se fit nommer en 1808 aide-naturaliste au laboratoire de Géologie du Muséum national d'Histoire naturelle où officiait alors Barthélémy Faujas de Saint-Fond (1741-1819). Il prit en 1813 la direction des mines du Servoz (Savoie) puis devint directeur et concessionnaire des houillères du Lardin (Dordogne). A la fermeture de celles-ci, il partit diriger les houillères de Fréjus puis celles d'Alès. Il dut se retirer au Lardin en 1832 et y mourut en 1838.

Prosper Brard nous a laissé un "Manuel du minéralogiste et du géologue voyageur" (1803), un "Traité des pierres précieuses, des porphyres, des granits, marbres, albâtres..." en deux volumes (1808), trois volumes de "Minéralogie appliquée aux arts, ou Histoire des minéraux qui sont employés dans l'agriculture, l'économie domestique, la médecine, la fabrication des sels etc." (1821), mais aussi une "Histoire des coquilles terrestres et fluviatiles qui vivent aux environs de Paris" (1815).

C'est sous l'influence de Faujas de Saint-Fond que Brard entreprit ses recherches sur les «coquilles fossiles (...) qui se trouvent aux environs de Paris, (...) et sur la nature des pierres qui renferment ces fossiles» [18]. En effet, en 1806, probablement influencé en cela par De Luc, Faujas-Saint-Fond (sic) s'était interrogé dans son étude "Des coquilles fossiles des environs de Mayence", publiée dans les Annales du Muséum d'Histoire naturelle [19], sur un accroissement possible de la salure des eaux océaniques au cours des temps géologiques : «puisque tout annonce que les eaux du grand Océan ont recouvert les plus hautes montagnes, non d'une manière passagère, mais d'une manière stationnaire, a-t-on suffisamment réfléchi, disons-nous sur l'état dans lequel devaient se trouver ces eaux alors si abondantes et pour ainsi dire si neuves ? L'absence presque totale du sel marin qu'elles contiennent à présent en si grande abondance, ne leur donnoit-elle pas à cette époque des propriétés qu'elles ont perdues ? et si elles n'étoient point salées dans ces temps, ou qu'elles ne le fussent que foiblement, ne dévoient-elles pas nourrir alors des coquilles analogues à celles de nos lacs, de nos rivières, de nos fleuves, qui n'ont probablement pas eu elles-mêmes d'autre origine ?»

Or, il se trouve qu'au moment même où Prosper Brard commençait à publier ses propres observations, Alexandre Brongniart préparait lui-même son mémoire "Sur des terrains qui paroissent avoir été formés sous l'eau douce" qui parut en 1810 dans les Annales du Muséum d'Histoire naturelle [20]. Il y décrivait le Potamides Lamarckii qui allait être controversé, et deux espèces de Limnées provenant respectivement des «silex opaques (c'est-à-dire des meulières) qui recouvrent, à la descente de Longjumeau, le banc de sable sans coquilles» (on a reconnu ici les "sables de Fontainebleau"), de «la première formation d'eau douce» et de «la marne blanche qui recouvre le gypse» à Pantin. A l'hypothèse d'un «transport des productions terrestres dans la mer au moyen des fleuves», Brongniart opposait qu'«on ne voit rien de semblable dans les terrains d'eau douce ; le calcaire y est presque pur ; tout y est en place et parfaitement entier ; les coquilles les plus délicates s'y présentent parfaitement conservées...» Et il concluait en soulignant que «cette observation, qui est aussi constante que tous les autres caractères du terrain d'eau douce, doit faire supposer une grande tranquillité dans les eaux au milieu desquelles ces coquilles ont vécu.»

Par une étrange coïncidence, c'est précisément dans son "Second mémoire sur les Lymnées fossiles des environs de Paris, et sur les autres coquilles qui les accompagnent", publié en 1810 dans les Annales du Muséum d'Histoire naturelle [21], à la suite de celui de Brongniart, que Prosper Brard commença à prendre parti en faveur de «l'hypothèse d'un seul et même fluide», qui lui paraissait «fondée sur des observations difficiles à réfuter.» Aussi, contesta-t-il l'idée d'un «double concours de deux liquides différens venus et revenus à plusieurs reprises pour opérer la formation de quelques petites collines» (Constant Prévost n'allait pas s'exprimer très différemment à partir de 1828 !).

Dans son "Troisième mémoire sur les coquilles fossiles des environs de Paris qui appartiennent à des genres fluviatiles ou terrestres", que publia le Journal de Physique en 1811 [22], Brard nia (on sait aujourd'hui qu'il eut tort) la validité du genre Potamide créé par Brongniart l'année précédente (ce dernier avait en effet concédé que «ce genre (...) est fondé plutôt sur les habitudes des animaux qu'il renferme que sur l'importance des caractères extérieurs», ce qui exhalait pour le moins des relents de subjectivisme, comme ne manqua pas de le souligner Brard qui eut beau jeu de faire remarquer que ce genre «n'a rien de particulier, si ce n'est de se trouver avec les lymnées et les planorbes», avant de le qualifier l'année suivante de «genre de circonstance qui peut être regardé comme non avenu, puisqu'il n'est appuyé sur aucun caractère qui lui soit propre

Brard pouvait alors conclure son "Troisième mémoire" en soulignant que les limnées et planorbes fossiles «ne sont point semblables aux espèces qui vivent de nos jours dans l'eau douce», qu'«on n'a trouvé jusqu'à présent parmi ces fossiles, aucune espèce de bivalves qui sont communes dans nos rivières et nos étangs», qu'«on trouve souvent parmi les lymnées et les planorbes, des cérites ...» (il s'agit là des fameux potamides de Brongniart !). Enfin, argument suprême en faveur de «l'existence d'un fluide unique général, et d'une saveur qui nous est inconnue», il soulignait qu'«au milieu des dépôts marins reconnus pour tels par tous les naturalistes, il se trouve des coquilles qui appartiennent à des genres dont les espèces sont aujourd'hui terrestres ou fluviatiles

Prosper Brard allait conclure ses recherches en 1812 avec un "Quatrième mémoire sur les coquilles fossiles qui appartiennent à des genres fluviatiles ou terrestres", publié comme le précédent dans le Journal de Physique [23] . Après avoir passé en revue plusieurs espèces de Gastéropodes fossiles du Tertiaire d'Europe occidentale, il rappelait qu'il partageait l'opinion de Faujas de Saint-Fond selon laquelle «toutes ces coquilles ont vécu jadis dans le même liquide, et que ce n'est qu'à la suite des temps, peut-être à cause de l'augmentation de la salure de la mer, que les fluviatiles et les terrestres se sont séparées des autres pour vivre dans des milieux qui leur convenoient davantage.» Il faisait ainsi d'une pierre deux coups puisqu'il pensait pouvoir expliquer par la même occasion le fait que «les analogues parfaits des coquilles fossiles qui nous occupent sont beaucoup plus rares que parmi les genres marins.» En effet, la «sorte de migration», de la mer vers les eaux douces, réalisée par les coquilles fluviatiles «a dû nécessairement apporter quelques changemens dans les formes des individus. » Il annonçait enfin avoir fait «une suite d'expériences sur les lymnées et les planorbes» et être parvenu, «en salant l'eau (...) d'une manière lente et graduelle, à leur faire supporter un degré de salure très-sensible.» Des expériences de même nature, ainsi que d'autres, destinées à étudier l'acclimatation graduelle de Mollusques marins à des eaux de plus en plus dessalées allaient bientôt être réalisées par François Sulpice Beudant (1787-1840) qui en publia les principaux résultats en 1816 dans le Journal de Physique [24].

De BONNARD et la géologie de la Bourgogne.

Augustin Henri De Bonnard, né à Paris en 1781, avait un père poète. Il étudia à l'Ecole Polytechnique dont il sortit en 1799. Il partit alors à la Bergakademie de Freyberg pour y suivre l'enseignement d'Abraham Gottlob Werner. Il fut nommé Ingénieur des Mines en 1801 (il avait 20 ans) et accéda en 1824 au grade d'Ingénieur divisionnaire au Corps royal des Mines. A partir de 1822, il fut le Secrétaire de la société philomatique de Paris. Il mourut en 1857.

Après avoir étudié les mines de houille de la Sarre et les terrains houillers du Nord de la France, De Bonnard a publié un "Essai géognostique sur l'Erzgebirge ou sur les montagnes métallifères de la Saxe". Toutefois, ses recherches les plus importantes sont probablement celles qu'il a réalisées en Bourgogne où il a décrit avec précision le contact entre les terrains stratifiés et le granite du Morvan.

C'est pourquoi nous nous limiterons à examiner ici sa "Notice géognostique sur quelques parties de la Bourgogne" (1825) et son mémoire "Sur la constance des faits géognostiques qui accompagnent le gisement du terrain d'arkose, à l'Est du plateau central de la France" (1828), tous deux publiés dans les Annales des Mines [25,26]. Dès 1825, De Bonnard décrivit au contact du granite du Morvan une série de cinq «terrains» superposés. Il distinguait à la base le terrain «d'arkose et de psammite» qui recouvre le granite et le considérait comme l'équivalent du «grès bigarré» (de nos jours, on préfère rapporter simplement l'arkose de Bourgogne au Permo-Trias). Sur l'arkose prend place le terrain de «marnes argileuses et de lumachelles» dont De Bonnard considérait en 1828 qu'il «se rapporte, sans aucun doute aux marnes irisées», c'est-à-dire au Keuper (la "lumachelle de Bourgogne" a été, depuis, légèrement rajeunie puisqu'on la considère désormais comme hettangienne). «Le terrain de calcaire à gryphites est toujours superposé au terrain de lumachelle» ; De Bonnard l'attribuera en 1828 à la partie inférieure du Lias (il s'agit de notre Sinémurien). «Le terrain de secondes marnes» qui deviendra en 1828 la «seconde formation marneuse» est constitué de «marnes brunes» dans lesquelles «la gryphoea cymbium et la gryphoea latissima ou dilatata se rencontrent sur-tout dans les parties supérieures». Or, en 1828, De Bonnard note que «M. de la Bêche indique la Gryphoea dilatata comme caractéristique de l'Oxford-Clay.» On peut présumer que, sur ce point, De Bonnard a été victime d'une erreur de détermination paléontologique car ces marnes sont indiscutablement anté-bajociennes puisque la base du «terrain de calcaires blancs» qui surmonte la «seconde formation marneuse» est constituée de «calcaire à entroques», attribué actuellement au Bajocien. Le «terrain de calcaires blancs» était subdivisé en quatre par De Bonnard : sur le «calcaire à entroques» prend place un «calcaire blanc-jaunâtre un peu marneux» puis le «calcaire oolithique» (d'âge bathonien) et enfin un «calcaire compacte à cassure conchoïde» (désigné de nos jours sous le nom de "Comblanchien").

Outre une stratigraphie relativement correcte, à l'exception de la position de la «seconde formation marneuse», De Bonnard a également eu le mérite d'illustrer sa "Notice géognostique sur quelques parties de la Bourgogne" de plusieurs coupes dont une, intitulée "Coupe idéale (du Sud au Nord et au Nord-Est) de la pointe septentrionale du Morvan et de l'Auxois" permet d'observer à la fois la disposition de l' «arkose ou psammite» par rapport au granite et la structure monoclinale des terrains sédimentaires.

L'importance des résultats obtenus par De Bonnard n'avait pas échappé à Elie de Beaumont qui, dans sa "Note sur l'uniformité qui règne dans la constitution de la ceinture jurassique du grand bassin géologique qui comprend Londres et Paris", parue en 1829 dans les Annales des Sciences naturelles [27], soulignait, sans le citer nommément, que «des travaux récents ont fait reconnaître que les différens termes de la série oolithique des géologues anglais peuvent être reconnus presque trait pour trait en différens points de la partie française de la ceinture jurassique du grand bassin géologique qui comprend Londres et Paris» (d'après des indications données à la fin de son article, ces «différens points» incluaient la Normandie, le bas Boulonnais, les Ardennes et la Bourgogne : les travaux de De Bonnard n'étaient donc pas passés inaperçus !).

DESNOYERS : le bassin de la Loire et la stratigraphie du Tertiaire.

Jules Pierre François Stanislas Desnoyers, né à Nogent-le-Rotrou (Eure-et-Loir) en 1800, a étudié simultanément, à partir de 1820, le Droit et les Sciences naturelles mais préféra rapidement celles-ci. Secrétaire de la Société d'Histoire naturelle de Paris en 1825, il décida de se consacrer à la Géologie. En 1833, il obtient un poste d'aide-naturaliste de Géologie au Muséum national d'Histoire naturelle mais sa nomination l'année suivante au poste de Directeur de la Bibliothèque centrale de cet établissement donne un coup d'arrêt à ses recherches géologiques. Il allait en effet se consacrer désormais à l'Histoire, ce qui lui valut d'être élu en 1862 à l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres. Il mourut à Nogent-le-Rotrou en 1887.

Desnoyers était le beau-frère de Constant Prevost.

Compte tenu du changement radical d'orientation intervenu en 1834 dans la carrière de Jules Desnoyers, l'oeuvre géologique de celui-ci a été relativement réduite, ses principales publications s'échelonnant de 1825 à 1832. Il réalisa néanmoins pendant cette période plusieurs études importantes sur la formation oolithique du Nord-Ouest de la France (1825), le Crétacé et le Tertiaire du Cotentin (1825) et les terrains tertiaires de l'Ouest de la France (1832). Mais ses "Observations sur un ensemble de dépôts marins plus récens que les terrains tertiaires du bassin de la Seine, et constituant une formation géologique distincte", publiées en 1829 dans les Annales des Sciences naturelles [28] constituent indiscutablement son oeuvre majeure.

En effet, jusqu'à cette date, l'histoire géologique des terrains tertiaires était demeurée incomplète puisque les terrains tertiaires les plus récents reconnus par Cuvier et Brongniart dans le Bassin Parisien appartenaient au «terrain lacustre supérieur», qui correspond à notre "Calcaire de l'Orléanais", d'âge miocène inférieur (Aquitanien). En outre, dans leur "Description géologique des environs de Paris", Cuvier et Brongniart (1822) citaient le «falun de Touraine» dont ils croyaient «pouvoir rapporter (la) surface au moins au calcaire grossier antérieur au gypse.»

Les recherches de Jules Desnoyers avaient donc eu pour effet de modifier profondément la stratigraphie du Tertiaire puisqu'elles lui avaient permis de prouver «que la série des terrains tertiaires s'est prolongée et même a commencé dans des bassins plus nouveaux, long-temps peut-être après que celui de la Seine a été entièrement comblé. » Il se proposait même d'appeler «quaternaires» les terrains plus récents que les terrains tertiaires des environs de Paris et précisait que son «point de départ pour la réunion et la distinction de ces terrains tertiaires récens, a été le bassin de la Loire, le seul où ait peut-être été observée la superposition du plus ancien d'entre eux aux derniers terrains lacustres du bassin de la Seine. La présence d'ossemens de grands mammifères, la prédominance, en plus ou moins grand nombre, d'espèces de coquilles analogues, l'identité dans le mode de dépôts des roches, m'ont fourni d'autres moyens de comparer ces terrains entre eux, et aussi d'en diviser la série.» Desnoyers distinguait en effet à la base des «terrains tertiaires récens» une formation «immédiatement postérieure au dernier terrain lacustre du bassin de la Seine, et probablement antérieure au dépôt de la plus grande masse des blocs erratiques, elle serait surtout caractérisée par des ossemens de grands mammifères, communs à ses dépôts marins, lacustres et fluviatiles ; par le mélange, variable selon les bassins, d'espèces fossiles inconnues, réunies à un nombre plus ou moins considérable d'espèces analogues...». Au-dessus, prendraient place «une grande partie du Diluvium des vallées, les plus récentes des brèches osseuses...» et les alluvions déposées pendant «la période actuelle et contemporaine.» Après avoir souligné que cette formation était «antérieure (...) à l'excavation de la plupart des vallées», Deshayes pouvait alors conclure en condensant sa pensée d'une manière remarquable : «des bassins tertiaires non contemporains, une succession de périodes complètes ayant, chacune, ses dépôts marins et ses dépôts continentaux simultanés ; des terrains plus récens que les terrains tertiaires généralement reconnus ; les relations des grands mammifères de certaines couches marines avec ceux de certaines alluvions, tels sont les points de vue nouveaux sous lesquels j'ai surtout essayé d'envisager les terrains tertiaires.»

De CAUMONT : les premières cartes géologiques départementales.

Né à Bayeux (Calvados) en 1801, Arcisse De Caumont fut l'un des fondateurs de la Société linnéenne du Calvados qui allait devenir la Société linnéenne de Normandie et dont il fut le Secrétaire pendant une dizaine d'années. Son activité se partagea entre l'Histoire naturelle (plus particulièrement la Géologie), l'Archéologie (il fut également, en 1834, l'un des fondateurs de la Société française d'Archéologie) et l'Agriculture, au service de laquelle il contribua à créer en 1832 l'Association normande pour favoriser le progrès agricole, avant de dresser la première "carte agronomique" (c'est-à-dire pédologique) qu'il présenta au Congrès scientifique de Strasbourg en 1842. Il mourut en 1873.

De Caumont est surtout connu pour son "Cours d'Antiquités monumentales" en 6 volumes (1830-1841), qui lui valut d'être nommé Correspondant de l'Institut, et par sa "Statistique monumentale du Calvados" en 5 volumes (1846-1867).

Dans le domaine géologique, Arcisse De Caumont est principalement l'auteur de plusieurs mémoires sur la géologie de la Normandie occidentale, publiés entre 1824 et 1835. On citera en particulier son "Mémoire géologique sur quelques terrains de la Normandie occidentale", publié en 1825 dans les Mémoires de la Société linnéenne du Calvados, l'"Essai sur la topographie géognostique du département du Calvados", qui prit place en 1828 dans les Mémoires de la Société linnéenne de Normandie (cette société avait, dans l'intervalle, acquis une vocation régionale), et l'"Essai sur la distribution géographique des roches dans le département de la Manche", qui parut en 1835 dans la même série. Ces deux derniers ouvrages sont les mémoires explicatifs de la "Carte géologique du département du Calvados" (1825) et de la "Carte géologique du département de la Manche" (1828). On notera que De Caumont était, à cette date, seulement âgé de 27 ans !

Il faut toutefois reconnaître qu'Arcisse De Caumont fut guidé, dans la préparation de son étude géologique du Calvados, par le mémoire que venait de publier à Londres en 1822, dans les Transactions of the Geological Society, Henry Thomas De La Bêche (1796-1855), sous le titre "On the geology of the coast of France, and of the inland country adjoining ; from Fecamp, Department de la Seine Inférieure to St. Vaast, Department de la Manche" [29]. Ce géologue y avait puissamment contribué à déchiffrer la stratigraphie de cette région à la lumière des connaissances acquises en Grande-Bretagne grâce à William Smith (1769-1839), dont deux émules, William Daniel Conybeare (1787-1857) et John Phillips (1800-1874) avaient fait imprimer la même année leurs "Outlines of the Geology of England and Wales..." L'influence de De La Bêche, qui illustra son mémoire d'une "Geological map of portions of the Departments of the Seine Inférieure, The Eure, Calvados and La Manche", d'excellente qualité, est très sensible dans la "Carte géologique du département du Calvados" de De Caumont, notamment en ce qui concerne la terminologie stratigraphique utilisée pour le Jurassique. En effet, De Caumont utilise parfois directement les termes anglais pour désigner les formations, notamment «Coral rag», «Cornbrash» et «Forest-marble». Cette influence se retrouve également dans le Trias du bassin de Carentan où apparaît le terme de «Red-marl».

Ces remarques ne diminuent en rien le mérite d'Arcisse De Caumont dont la "Carte géologique du département du Calvados", approximativement à l'échelle 1/200 000, est en tous points remarquable car, après plus d'un siècle et demi, elle supporte encore honorablement la comparaison avec la carte moderne à 1/320 000. L'auteur y distingue, comme il le précise dans son "Essai sur la topographie géognostique du département du Calvados" [30], trois grandes régions naturelles : «La première région à l'Est (arrondissements de Pont-l'Evêque et de Lisieux) formée par la craie et les terrains qui lui sont inférieurs jusqu'à l'Oxford clay inclusivement, présente des vallées larges et profondes, et des plateaux de plusieurs centaines de pieds au-dessus du niveau de la mer». Il lui oppose «la seconde région naturelle (arrondissement de Caen et partie de ceux de Falaise et de Bayeux) (qui) est formée par le forest-marble, le calcaire de Caen, l'oolite Inférieure, le lias et le red-marle.» Enfin, «la troisième région comprend le Bocage, pays montueux plus élevé que les deux précédents, et dont toutes les roches (...) appartiennent aux terrains Intermédiaires ou aux terrains primordiaux.» De Caumont soulignait alors les rapports qui existent entre «les principales régions naturelles du Calvados» et «les régions botaniques» et attirait l'attention sur «l'influence de la nature des roches sur la fertilité du sol et sur le genre de culture auquel il doit être soumis.» Cela allait le conduire tout naturellement à dresser quelques années plus tard la "Carte agronomique du département du Calvados" qu'il présenta au Congrès scientifique de Strasbourg en septembre 1842. Il en publia une reproduction réduite à l'échelle 1/370 000 dans une notice intitulée "Des cartes agronomiques en France" [31]. Dans ce domaine également, Arcisse De Caumont fit donc oeuvre de pionnier.

On retrouve dans la "Carte géologique du département de la Manche", approximativement à l'échelle 1/180 000, que De Caumont leva de 1825 à 1827, les mêmes qualités que dans celle du Calvados et en particulier une grande exactitude des contours. Dans la partie orientale de cette carte, qui entre seule dans le cadre du Bassin Parisien, De Caumont bénéficia des travaux de Duhérissier de Gerville (1769-1853) qui avait amassé dans cette région une importante collection paléontologique sur la base de laquelle il avait distingué, dans une "Lettre à M. Defrance sur les coquilles fossiles", publiée en 1814 dans le Journal de Physique [32], une dizaine de «bancs», caractérisés le plus souvent par leur fossile dominant. Il appartint toutefois à De Caumont d'ordonner stratigraphiquement ces couches fossilifères et d'en préciser la disposition sur la carte, ce qu'il avait commencé à faire dès 1825, dans son "Mémoire géologique sur quelques terrains de la Normandie occidentale" qu'illustre une "Carte géologique de deux bassins dans lesquels se sont formés les terrains tertiaires du Cotentin" [33]. On y distingue en effet le «calcaire de Valognes», plusieurs affleurements de «craie à Baculites» et le «terrain d'eau douce».

Dix ans plus tard paraissait enfin l'"Essai sur la distribution géographique des roches dans le département de la Manche" [34] qui parachevait l'oeuvre géologique d'Arcisse De Caumont.

Arcisse De Caumont donna donc l'impulsion décisive qui conduisit les autorités de ce pays à promouvoir l'impression de cartes similaires dans tous les départements français. Et ce fut encore la Normandie qui continua à se distinguer puisqu'en 1832 le Préfet géologue François Antoine Passy (1792-1873) publiait à la fois sa "Carte géologique du Département de la Seine inférieure et des parties limitrophes des départements voisins" et sa "Description géologique du département de la Seine inférieure" [35].

HERICART De THURY : de l'"Hydrographie souterraine" aux puits artésiens.

Louis Etienne François Héricart de Thury naquit à Paris en 1776 dans une famille de noblesse de robe (son père était Conseiller à la Cour des Comptes). Admis à l'Ecole des Mines en 1795, il fut nommé Ingénieur des Mines en 1802 puis, en 1810, Ingénieur en Chef chargé de l'inspection des carrières du département de la Seine. A ce titre, il dirigea pendant vingt ans les travaux de consolidation des carrières souterraines de Paris. Il fut élu en 1824 membre libre de l'Académie des Sciences. Dans le domaine géologique, il est principalement considéré comme l'un des promoteurs des puits artésiens en France, au début du siècle passé. Héricart de Thury a également consacré ses efforts à l'agriculture et fut pendant de longues années Président de la Société centrale d'Agriculture. Il fut enfin député de l'Oise puis de la Seine de 1815 à 1827. Il mourut à Rome pendant un voyage en 1854.

A une période où la géologie progressait à pas de géants dans le Bassin Parisien, Héricart de Thury y jeta les bases de ce qu'il appelait l'«Hydrographie souterraine». Les seules données synthétiques alors disponibles pour ce bassin étaient celles réunies par J.-B. d'Omalius d'Halloy dans ses "Mémoires pour servir à la description géologique des Pays-Bas, de la France et de quelques contrées voisines" (1828). Les deux ouvrages principaux qu'il consacra à l'"Hydrographie souterraine" et à l'artésianisme sont une brochure intitulée "Considérations géologiques et physiques sur le gisement des eaux souterraines relativement au jaillissement des fontaines artésiennes et Recherches sur les puits forés en France, à l'aide de la sonde" (1828), et un ouvrage plus conséquent au titre très semblable : "Considérations géologiques et physiques sur la cause du jaillissement des puits forés ou fontaines artificielles et Recherches sur l'origine ou l'invention de la sonde, l'état de l'art du fontenier-sondeur et le degré de probabilité du succès des puits forés" (1829).

Dans son opuscule de 1828 [36], Héricart de Thury exposait tout d'abord le cycle de l'eau qui «s'élève dans l'atmosphère par l'évaporâtion» puis se condense, en sorte qu'«une partie des brouillards, des rosées, des neiges et des pluies tombe sur les montagnes.» Il résumait alors le principe fondamental de la circulation des eaux souterraines : «Ainsi arrêtées et groupées autour des montagnes, les eaux s'infiltrent entre leurs différentes superpositions. Elles en suivent les pentes ou inclinaisons, jusqu'à ce qu'elles rencontrent des couches imperméables qui les retiennent, sur lesquelles elles s'écoulent souterrainement, et d'où elles s'épanchent ou jaillissent par-tout où ces couches présentent quelques issues, par-tout où sur les flancs des montagnes et des collines ces couches se montrent à découvert par des arrachemens.»

L'année suivante, Héricart de Thury illustrait ses "Considérations géologiques et physiques sur la cause du jaillissement des puits forés ou fontaines artificielles ..." [37] à l'aide de deux «frontispices». Le second d'entre eux, intitulé "Application de la théorie des puits forés à la coupe oryctognostique des Vosges au Havre", figure de manière détaillée la constitution géologique du Bassin Parisien, telle qu'on pouvait la concevoir à cette époque, à la lumière des travaux récents de d'Omalius d'Halloy, de De Bonnard et de De Caumont. Il distinguait ainsi douze formations superposées : le Tertiaire subdivisé en quatre, la «formation crétacée», trois groupes de terrains pour le Jurassique, auquel il rattachait «les gypses et le sel», c'est-à-dire les "marnes irisées" du Keuper. Plus bas, on rencontre les «grès bigarrés» du Trias inférieur, associés à la «formation psammitique», puis «les arkoses, les terrains houillers et leurs argiles schisteuses impressionnées» (c'est-à-dire le Permo-Carbonifère) et les «terrains intermédiaires» (le Paléozoïque inférieur) qui reposent sur «le terrain primitif de la chaîne des Vosges.»

Prenant alors cinq exemples de puits forés hypothétiques (AA', BB', etc.). il figure avec un grand souci de clarté cinq «nappes d'eau» superposées situées respectivement :

l°)-«à la jonction de la craie (...) et des terrains (...) qui la recouvrent.»

2°)-«sous les craies et les argiles ou marnes des lumachelles du calcaire corallique.»

3°)-«entre les marnes des lumachelles et les calcaires corallique et pyriteux et les différentes formations des calcaires oolitique, zoophytique, compacte et jurassique.»

4°)-«entre les diverses formations du calcaire lias et celles du calcaire qui les recouvrent.»

5°)-«entre les psammites, les arkoses et leurs argiles (...) et le terrain de formation intermédiaire.»

Il prend cependant soin de préciser qu'il ne prétend pas «qu'on ne rencontrerait, dans l'étendue de ces terrains, que ces cinq niveaux d'eau seulement.-»

Quant à l'artésianisme, Héricart de Thury l'explique fort clairement à l'aide d'un exemple : «près de Sézanne, les eaux qui coulent en A à la jonction de la craie (...) et des terrains (...) qui la recouvrent, s'écoulent sur la masse de craie ou s'infiltrent dans son intérieur, si la partie supérieure a éprouvé des accidens postérieurement à la formation, et y forment une nappe d'eau A'A', qui tend à remonter au-dessus de la surface de la terre, et à reprendre le niveau de leur point de départ A, partout où elle trouve des issues, et par conséquent par les issues artificielles qu'on y perce à l'aide de la sonde, tel que le puits foré A'A'.»

La preuve éclatante de la véracité des conceptions de Héricart de Thury fut apportée par le jaillissement du puits artésien de Grenelle qui eut lieu le 26 février 1841 : la nappe des sables albiens y avait été atteinte à une profondeur de 548 mètres !

EPILOGUE.

La dizaine de pionniers méconnus dont nous avons évoqué les travaux ont, comme nous l'avons vu, contribué à faire progresser, parfois de manière significative, la connaissance de la géologie du Bassin Parisien. Mais s'agissait-il réellement d'un bassin ? C'est précisément la question que se posa en 1848 Léonce Elie de Beaumont (1798-1874) dans le second volume de l'"Explication de la Carte géologique de la France" [38]. Une vingtaine d'années auparavant, il avait déjà souligné «l'uniformité qui règne dans la constitution de la ceinture jurassique du grand bassin géologique qui comprend Londres et Paris» [39]. Dans l'intervalle, cette uniformité supposée des couches à travers l'espace avait pu être vérifiée au centre du bassin grâce aux observations faites pendant le forage du puits artésien de Grenelle qui avait atteint la nappe des sables verts de l'Albien (bien sûr, on n'avait pas atteint le Jurassique mais ce qui était vrai pour le Crétacé devait également valoir pour celui-ci !). Or, Elie de Beaumont faisait remarquer avec sagacité que les organismes fossilisés dans le Jurassique (gryphées, exogyres, encrines, polypiers) ont vécu «adhérents au sol du bassin» et qu'«aucun de ces êtres n'était de nature à vivre sous une profondeur d'eau considérable.» Il en déduisait donc que les couches qui renferment ces fossiles ont dû se déposer à une profondeur «qui, pour la plupart, a été inférieure à cent mètres.» L'accumulation des couches successives implique donc que, «pendant la période durant laquelle ce dépôt a été formé, la distance verticale originaire (sic) du fond du bassin à la surface de la mer ait graduellement augmenté.» Or, «cette augmentation graduelle de profondeur ne peut être expliquée que par l'enfoncement graduel du fond du bassin, enfoncement déterminé peut-être par le poids graduellement croissant des sédiments qui s'y superposaient.»

Intervient alors le Polytechnicien qui démontre que, compte tenu de la courbe terrestre, la calotte sphérique dans laquelle est circonscrit «le bassin jurassique parisien», est caractérisée par une flèche de 2086,72 mètres qui représente près de quatre fois la profondeur atteinte par le puits artésien de Grenelle (548 mètres). Elie de Beaumont en déduit ainsi que «la couche de sable vert qui fournit l'eau au puits artésien de l'abattoir de Grenelle est convexe, et non pas concave.» Ce point est d'une importance capitale car, «si le fond du bassin est réellement convexe, il formera une véritable voûte, et cette voûte ne pourra s'abaisser dans son centre sans que ses voussoirs soient comprimés ou sans que ses appuis soient écartés. »

Elie de Beaumont pouvait donc conclure que si «un abaissement de la croûte terrestre» s'est produit sous l'action exercée par le poids des sédiments, cet abaissement a eu pour conséquence le soulèvement des «parties circonvoisines», ce qui n'était pas sans importance pour la compréhension de l'histoire géologique globale du Bassin Parisien.

Avec Elie de Beaumont, ce que nous appelons aujourd'hui la géologie structurale, faisait ainsi une entrée remarquée dans l'étude géologique du Bassin Parisien auquel, comme nous l'avons vu, avaient été essentiellement consacrées jusqu'alors des recherches stratigraphiques, paléontologiques et paléogéographiques .

REFERENCES.