n°94 Décembre 2008
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par Pierre
Couveinhes
Rédacteur en Chef des
Annnales des Mines
On observe dans les organisations des
dysfonctionnements ou
des crises, liées au heurt de logiques différentes, voire
contradictoires entre
elles. S'agit-il, comme en mécanique, de résistances au
frottement, qui ne
remettent pas fondamentalement en cause les modèles sur lesquels
on se fonde
pour agir, ou est-ce plus profond ? Le présent
numéro de « Gérer
& Comprendre » donne divers exemples donnant à
penser que les
contradictions sont en réalité au cœur du management
d’institutions,
d’entreprises voire de secteurs économiques entiers.
Ainsi, Jacques BARRAUX relate la manière dont la Presse
économique française a su évoluer dans
l’après-guerre vers davantage de
professionnalisme et de rigueur, en surmontant maintes contradictions,
dont
celle consistant à parler librement d'entreprises dont le
journal attend des
ressources. Elle se trouve aujourd’hui confrontée à un
nouveau défi :
comment concilier le « temps court » d’Internet,
qui permet une
circulation quasi instantanée de l’information et le
« temps long »,
indispensable à son traitement rationnel et organisé, qui
est le véritable rôle
du journalisme.
Autre question non encore résolue, liée à
l’évolution
technique : l’échec relatif de la
« télématique automobile »
n’est-il pas lié au fait qu’elle relève de trois univers
différents, dotés de
logiques spécifiques difficilement conciliables : l’automobile,
les
télécommunications et les fournisseurs de contenus ?
Ces contradictions peuvent revêtir un caractère individuel
et
moral : la pression permanente exercée par les entreprises
sur leurs
cadres en matière de résultats ne
dégénère-t-elle pas dans certains cas dans
des comportements de harcèlement injustifiables ? Quel type
d’organisation
mettre en place, pour éviter de telles dérives ?
L’opposition entre logiques locales et logique globale peut
conduire également à des situations paradoxales :
bien qu’il s’agisse
d’une priorité régulièrement
réaffirmée par les pouvoirs publics, la chirurgie
ambulatoire se développe, en France, beaucoup moins vite que
dans d’autres
pays, en particulier parce que le nombre de lits d'un service est un
critère
majeur de reconnaissance des patrons de médecine.
François ENGEL et les
Docteurs Maxime CAUTERMAN et Ayden TAJAHMADY montrent comment ce
développement
peut résulter d’initiatives locales, indépendamment des
incitations mises en
place au niveau national.
De même, des employés de services publics peuvent apporter
aux usagers des prestations allant très au-delà des
règles qui leur sont prescrites,
en mettant en œuvre sous la forme d’un « don
gratuit » leur propre
vision du rôle de leur institution.
Plus systématiquement encore, la mondialisation conduit à
des confrontations particulièrement complexes de logiques
multiples : par
exemple, la réussite d’une fusion d’entreprises de
nationalités différentes
exige de concilier entre elles non seulement certaines
particularités
nationales, mais aussi des différences entre cultures de
métier, qui peuvent
être encore plus marquées.
Mais les structures en place peuvent, elles aussi, avoir un
certain ressort : ainsi, la France et l’Allemagne ont su
harmoniser leurs
diplômes de gestion avec le système anglo-saxon dominant
du « LMD »
(licence, master, doctorat), tout en conservant
leur organisation propre (fondée, respectivement, sur les
grandes écoles
de commerce et sur le titre de
« Diplom-Kaufmann »).
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