Fils de Joseph François TERMIER, manufacturier à Lyon, et de Jeanne MOLLARD ; ils habitaient 43 rue Vielle Monnaie à Lyon. Description de Pierre TERMIER d'après le registre matricule de Polytechnique : Cheveux chatains - Front droit - Nez moyen - Yeux gris - Bouche petite - Menton rond - Visage ovale - Taille 170
Marié le 6/8/1883. 7 enfants : 2 fils (nés en 1895 et 1924) et 5 filles (nées en 1886, 86, 89, 91, 97).
Une fille de Pierre, Jeanne TERMIER, épousa en 1912 Jean BOUSSAC. Une autre, Marie-Marguerite, épouse en 1919 Edouard VILLIÉ, ingénieur.
Son fils Pierre TERMIER meurt le 20/2/1924.
La famille compte deux autres géologues d'envergure, Henri TERMIER (1897-1989), neveu de Pierre, et son épouse Geneviève TERMIER née DELPEY (1917-2005).
Grand-père de Joseph ARTRU (né en 1912) et de Marie-Madeleine CALLIES (née en 1929, dont le pere est ancien élève de l'EMP, promotion 1910). Arrière-grand-père de Xavier MARCHAND (X 1985, producteur de films et de séries).
Dominique SEPULCHRE (né en 1929) est petit-neveu de Pierre TERMIER, petit-fils de Jean SEPULCHRE (EMP 1895), neveu de Victor NICOLET (EMP 1919) et de Gabriel NICOLET (EMP 1920).
Pierre TERMIER était le cousin de Mgr TERMIER, évêque de la Tarentaise.
Ancien élève de Polytechnique (promotion 1878 ; entré classé 10ème, classé 2ème à la fin de la 1ère année, sorti major en 1880 sur 235 élèves) et de l'Ecole des Mines de Paris. Corps des mines.
Dates importantes de sa carrière :
En souvenir de Pierre TERMIER, rédigé par Louis NELTNER (1931)
Publié par le Club Alpin Français.
23 Octobre 1930. Jour de deuil : Pierre TERMIER, membre de l'Institut, écrivain éminent, Tertiaire de Saint François d'Assise, amoureux fervent de la Montagne, s'éteignait doucement à Varces, au milieu de ses chères Alpes. Et quelques jours plus tard, accompagné d'une grande foule de savants illustres et d'amis éplorés, ce grand travailleur descendait prendre place dans cette Terre à qui il avait consacré sa vie,
« Il est plus tard que vous ne croyez » : P. TERMIER nous disait un jour l'émotion profonde qu'il avait ressentie, au retour d'une course avec Marcel BERTRAND, en lisant cette simple devise à l'humble cadran solaire d'un petit village de Vallouise. Nous tous, ses amis, ses disciples, nous connaissions ces pages admirables où il mit le meilleur de lui-même pour rendre hommage à son Maître, Marcel BERTRAND ; mais nous refusions d'appliquer le solennel avertissement à celui dont la verte vieillesse semblait défier les assauts du temps.
Resté jeune de corps et de caractère, il se plaisait dans la compagnie des jeunes, et, au milieu de ceux-ci, c'était bien souvent lui qui se montrait le plus jeune de corps et surtout de coeur. Dans ses cours, dans ses causeries familières sur le terrain, on voyait transparaître son âme enthousiaste ; mieux que sa science, c'était sa flamme intérieure qu'il nous donnait et nous ne pouvions penser qu'un pareil flambeau fût si près de s'éteindre.
Quelques mois auparavant, il avait présidé avec éclat les fêtes du centenaire de la Société Géologique de France et sa voix éloquente avait chanté une fois de plus la gloire impérissable de la Science et de la Montagne.
Au début d'Octobre, il partait en mission au Maroc, où il était arrêté par une brève maladie. Là-bas, j'eus le bonheur de le voir, et ce grand travailleur me disait en souriant : « Me voici souffrant et pourtant je n'ai pas travaillé cet été ; pour la première fois que je me repose, cela ne me réussit guère. » Le lendemain il s'embarquait pour la France et contractait à bord une pneumonie qui l'enlevait en quelques jours.
De tels hommes ne devraient pas mourir, ils sont si nécessaires aux autres ! Pour lui, il goûte maintenant, auprès de Dieu, la récompense finale promise aux hommes de bonne volonté, la joie parfaite qu'il a espérée toute sa vie, au milieu des peines qui ne l'ont pas épargné. Mais nous tous, ses amis, ses disciples, nous restons tout désemparés, ne sachant plus, dans nos heures de doute et de crainte, vers qui nous tourner, maintenant que nous ne pourrons plus trouver un appui dans la bonté accueillante de notre Maître.
Resté modeste au milieu des honneurs, n'hésitant pas à reconnaître très ouvertement ses erreurs, P. TERMIER avait le culte mais non le fétichisme de la Science. En des termes inoubliables, il a chanté la « joie de connaître », « la vocation de savant », mais toujours il a su monter les limites de nos connaissances, et si, bien souvent, son imagination puissante l'enlevant au delà des bornes connues, il a prédit avec sûreté les découvertes du lendemain, il savait aussi se tenir près des faits et répondre aux questions un «je ne sais pas » plein de mystère et de beauté. S'il a chanté les splendeurs de la Science, il a su aussi et, peut-être mieux encore, nous dire l'attrait de l'inconnu.
Ecoutons-le :
« Je m'arrête sur ce nouvel et dernier aveu d'ignorance. Lentement, comme les six autres, notre septième énigme, l'énigme de la Durée, s'enfonce dans la brume et se dérobe à nos regards. Il serait vain de l'interroger davantage.
« De cette promenade dans mon jardin étrange, et de ce colloque avec les sphinx qui le peuplent, je voudrais que quelque chose d'important restât à chacun de vous :
« Tout d'abord une estime plus grande, une estime extraordinaire pour la géologie, qui est le berger de ces monstres et qui s'efforce de les apprivoiser et d'arracher quelques secrets à leur effrayant mutisme ; pour la géologie, qui conduit l'homme si près de l'Inconnaissable, et donc si près de Dieu.
« Ensuite, un goût plus vif pour tout ce qui est mystérieux, pour tout ce qui est science, pour tout ce qui est compréhension ; pour tout ce qui est marche en avant, même au travers des ténèbres, vers la Lumière et la Vérité.
« Enfin, une conception plus haute de l'immense dignité de l'âme humaine ; de l'âme capable de s'intéresser à de pareils problèmes, qui semblent, de prime abord, la dépasser indéfiniment ; de l'âme, plus grande assurément que tous les mondes de l'univers visible, puisqu'elle les embrasse d'un coup d'oeil, qu'elle a conscience de leur caducité et de leur brièveté, et qu'elle les plaint de n'être point éternels. » ( A la Gloire de la Terre : Paris, N. L. N., 1922, p. 352).
D'autres diront en détail le rôle scientifique de P. TERMIER, je veux simplement rappeler ici qu'il a touché avec bonheur à toutes les grandes questions de la géologie. Il a contribué à éclaircir l'origine des granites, donné des aperçus nouveaux sur la géologie de la Corse et de l'Afrique du Nord, mais il s'est surtout attaché à l'étude des Alpes qu'il a parcourues en tous sens. Avec son Maître Marcel BERTRAND, il a donné la clé de la structure de la chaîne dans une série de Mémoires consacrés : au Briançonnais, au Pelvoux, aux Grandes Rousses, à la Vanoise ; et, en 1903, dans un éclair de génie, il donnait la solution générale du problème alpin en expliquant la redoutable énigme des Alpes Orientales. Longtemps combattues, ses idées sur les Alpes faisaient chaque jour de nouveaux adeptes et maintenant on ne les discute plus guère.
Plus que tout autre il a contribué à éclaircir l'origine de nos montagnes et, à ce titre seul, il aurait droit à la reconnaissance de tous les hommes qui pensent. Mais, à d'autres titres encore, il a mérité le respect admiratif des amis de la Montagne, car lui aussi fut des nôtres, et parmi nous, le plus fervent.
Mais avant d'aller plus loin.il convient de donner un bref aperçu de la vie de Pierre TERMIER. Né à Lyon, le 3 Juillet 1859, il entrait à 18 ans à l'École Polytechnique : il en sortait premier en 1880 et suivait alors les cours de l'École des Mines de Paris. A l'X., il avait goûté la joie des Mathématiques ; aux Mines, il fut séduit par la beauté plus souple des sciences de la Nature. Et désormais, conquis, il consacrait un voyage d'études à un travail, remarqué, sur les éruptions du Harz. Sorti de l'École, il fait un bref séjour de deux ans dans le service ordinaire des Mines, puis, en 1885, il prend un poste de professeur à l'École des Mines de Saint-Etienne ; en 1894, il quitte Saint-Etienne pour Paris où il enseigna jusqu'à sa mort.
Dès le début, il avait compris que le rôle du professeur, du Maître, n'est pas seulement d'instruire la jeunesse, de lui faire aimer la Science - et en cela d'ailleurs, il excellait mieux que personne - mais aussi de faire progresser cette science ; la liste éloquente de ses travaux montre qu'il ne faillit pas à cette tâche. En 1909, il entrait à l'Académie des Sciences dont, en 1930, il était vice-président. Entre temps, en 1911, il était devenu directeur du Service de la Carte géologique de France et pouvait alors, dans cette nouvelle fonction, étendre largement le rôle d'initiateur et de conseiller qu'il remplissait déjà si magnifiquement auprès de ses élèves.
Pierre Termier (au centre) et ses élèves.
Calcaires de l'Eychauda, Arête de la Condamine à Montbrizon et Mont Pelvoux vus de Serre Chevalier.
Durant 45 ans il fut professeur, mieux que cela, il fut le Maître. « Faut-il parler d'élèves, disait-il un jour, on ne devrait avoir que des disciples » ; et cette simple parole le peint tout entier. Il a formé de nombreuses générations d'ingénieurs, essayant de leur inculquer la flamme qui l'animait. Il aimait la jeunesse et celle-ci le lui rendait bien. Je le vois encore au milieu de nous, parlant des époques disparues, nous montrant les faits observés, essayant de les relier, pour tracer un tableau de la vie du monde passé ; et nous, avides de mieux comprendre et savoir davantage, nous le pressions de questions : - Pourquoi ? Comment cela s'est-il fait ? - Et lui, souriant de notre ardeur juvénile qui ne voulait pas connaître de bornes, bien souvent il nous répondait : « Je ne sais pas... On ne sait pas ».
On peut dire de lui ce qu'il écrivait de SUESS : «... il montre. Il conduit son lecteur par la main ; il lui fait voir les sommets et les abîmes ; il lui fait toucher du doigt les cicatrices et les fractures ; il le promène sur les rivages, non pas seulement ceux d'aujourd'hui, mais aussi ceux des anciennes mers ; et il relève avec lui, pas à pas, les traces, aux trois quarts effacées, des ridements, des plissements de jadis. En la compagnie du Maître, on plane sur les temps géologiques, comme sur les terrestres espaces. L'impression est singulière, immédiate, inoubliable : on ne sait plus bien à quelle époque de la durée on a reçu la vie ; l'on voit se dessiner simultanément, sur la face de la planète, les traits anciens et les traits actuels. Vision vertigineuse, souvent confuse et trouble, comme celles qui passent, en haute montagne, sous les yeux de l'alpiniste, un jour d'épaisse brume et de vent violent...
« L'utilité d'un pareil [enseignement] est de susciter de grands et féconds enthousiasmes ; de jeter à la Science lumineuse, pour toute la durée de leur existence active, des centaines de jeunes hommes - qui sans cet excitateur, n'auraient rien fait ou auraient tâtonné dans les ténèbres... » (A la Gloire de la Terre, p. 286).
Mais c'était surtout sur le terrain qu'il se montrait le mieux lui-même, qu'il se donnait le plus volontiers. Nous l'écoutions avec bonheur, mais, parfois aussi, dispersés de-ci et de-là, ou l'attention un instant coupée par un incident banal, nous n'entendions pas l'explication, et lui, à chacune de nos questions si saugrenue fût-elle, répondait avec une inlassable patience ; sa joie devenait complète de voir enfin sa pensée comprise et de savoir le problème aimé avec passion. Sous le charme de sa parole nous voyions la Terre s'animer et la prodigieuse histoire des Alpes se dérouler sous nos yeux : la mer immense et sans bornes recouvrait les sommets proches, puis elle se retirait et les couches commençaient à se plisser, puis les plis se déversaient, se couchaient et venaient déferler comme une immense vague ; peu à peu le calme revenait, puis la patiente action des glaciers et des torrents, bruissant dans le lointain, achevaient de ciseler les cimes voisines.
Je le revois encore nous conduisant lentement au sommet du Vieux Chaillol, et, là-haut, je l'entends encore nous expliquer l'immense panorama : ici le massif autochtone de l'Oisans, dont il saluait au passage les cimes amies, là la grande masse des nappes Briançonnaises. Quelques jours après nous étions sur ces nappes et, le travail terminé, nous nous reposions un instant sous l'azur triomphal du ciel de la Durance, en face du Pelvoux. Et lui, debout au milieu de nous, admirait le charme de la Nature et nous disait simplement et magnifiquement la beauté des Monts silencieux.
S'il ne fut pas grand conquérant de cimes Pierre TERMIER fut un des plus fervents amis de la Montagne et, servi par un talent littéraire remarquable, il nous a laissé en trois volumes, un admirable poème de la Science et des Alpes : A la Gloire de la Terre, La Joie de connaître, La Vocation de Savant, recueils de conférences où il a mis toute son âme.
Fuyant l'étalage d'une vaine érudition, il partait de la base solide de faits clairement exposés, puis de temps en temps il s'élevait et entraînait ses lecteurs avec lui dans son ascension vers le ciel. Personne n'a su comme lui parler de la Vie, du Temps, de la Terre : « Oh ! l'étrange laboratoire (la Terre), où luttent sans trêve la vie et la mort ; où les générations succèdent aux générations ; où, constamment, de nouveaux phylums apparaissent, grandissent, se propagent, se transforment, déclinent, puis meurent ; où se manifeste un progrès certain, une ascension certaine, un acheminement vers une vie plus compliquée, vers plus de vie et peut-être une vie plus consciente !...
Il [Termier] courait la montagne au cours des problèmes géologiques qui se posaient ; il explora ainsi le massif du Pourri, celui de la Vanoise, celui de Péclet-Polsrt. puis ce fut le tour des Grandes Rousses et enfin des Ecrins et du Pelvoux. Dans le Massif de la Vanoise, il poussa à fond son exploration et fit en 1890 les premiers passages connus des cols du Vallonet, de la Glière et de Léchaux (Dict. géogr., de Joanne, article Vanoiso, page 5095). Entraîné par le problème de la liaison des calcaires de l'Eychauda avec les granites du Pelvoux, un jour, le 28 Août 1894. en compagnie du guide Emile Pic et de son fils Théophile Pic, parti du Monêtier-les-Bains. il attaqua le Glacier du Casset, arriva au Col glaciaire du Casset, remonta à l'Ouest la belle arête de glace et de neige qui se dirige vers le Sommet des Agneaux et arriva sur les rocs qu'il désirait interroger. Il venait de faire, après 7 heures de montée, la première ascension de la Roche de Jabel (3 002 m.) où aucun pied humain ne s'était encore posé. Un beau pic du Groupe du Galibier, sur l'arête orientale qui se dirige vers le Col de la Ponsonnière,a reçu le nom de Roc Termier, sur la proposition de l'éminent géologue Wilfrid KILIAN, proposition de suite ratifiée par R. GODEFROY et Pierre LORY, les premiers ascensionnistes de cette cime (12 Septembre 1894) ; jamais hommage ne fut plus mérité. Nous devons cette cote, 3 078 m., encore inédite, à la toujours gracieuse obligeance de Paul HELBRONNER, qui a bien voulu la calculer pour La Montagne.
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« Il se pourrait donc que la Terre fût seule à porter la Vie, seule dans le vaste monde. Bien entendu, cela n'est pas vérifiable ; je me contente de dire que c'est possible ; et j'aurais grande envie d'ajouter que c'est tout à fait vraisemblable. Mais alors, si c'était vrai, quel astre prodigieux serait la Terre ! Et comment parler avec assez de respect de sa suréminente dignité ? Réfléchissez à ce que contient ce simple mot, la Vie. Songez que l'aboutissement, le couronnement des transformations de la Vie sur notre globe, a été la naissance du premier couple humain ; songez à l'incomparable grandeur de l'homme ; souvenez-vous qu'il est bien plus grand que l'Univers, puisque, comme disait Pascal, il se connaît misérable, et puisque si l'Univers l'écrase, l'Univers n'en sait rien. Alors vous serez conduits à révérer la Terre comme l'une des plus nobles filles de Dieu. Non, ce n'est pas un astre quelconque. Je vois, autour d'elle, des millions d'astres moins privilégiés, d'astres à tout jamais stériles, les uns étincelants et couronnés de flammes, les autres obscurs et pareils à des maudits. Ah ! si ces créatures de feu ou de pierre avaient une âme, je suis sûr qu'elles envieraient la Terre, et, si elles avaient une voix, je suis sûr qu'elles chanteraient, toutes ensembles, choeur aux proportions démesurées, la gloire exceptionnelle de notre planète. » (La Vocation de savant, Paris, Desclée [1929], p. 57 à 61).
Ami des grandes pensées, des grandes choses, P. TERMIER aimait les Alpes. Ce qu'il affectionnait surtout chez elles, c'était leurs proportions majestueuses et l'énigme géologique déchiffrée ; il les aimait en poète, en artiste, en savant, beaucoup plus qu'en sportif. Capable de faire à l'occasion de rudes escalades, il ne les considérait pas comme un but. Bien qu'ayant eu jeune, un assez grave accident de montagne, il ne recula jamais devant une ascension qui lui paraissait utile, et ses recherches le conduisirent souvent sur des sommets réputés. Il fit ainsi le 28 Août 1894 - il avait 35 ans - la première ascension de la Roche de Jabel (3 602 m.), dans l'arête orientale du Pic des Agneaux du Massif des Ecrins ; il était accompagné du célèbre guide Emile Pic et de son fils Théophile Pic. Le cas échéant, il aimait rappeler la montée du Col du Casset au sommet de la Roche par une belle et aérienne arête de glace. Il ne méprisait pas le côté sportif et se plaisait à parler des alpinistes de l'époque héroïque qu'il avait connus dans ses études en Oisans, COOLIDGE, Maurice PAILLON qu'il avait rencontré à Ailefroide - et chargé de chercher un plissement calcaire à la liaison des granites de Clousis. Il nous présentait volontiers le tableau sympathique des deux ALMER fumant - sans mot dire - les jours de repos à la Bérarde ; il nous remémorait ses causeries amicales dans la cabane de l'Alpe de Sarenne, avec Louis le berger et le guide Emile Pic, devant le feu qu'ils entretenaient et près de l'énorme marmite où la soupe cuisait.
Il comprenait et estimait la joie et l'utilité de l'exploration alpine ; mais lui, indifférent aux fatigues, aux dangers, il brûlait d'une flamme plus haute; il était de ces prédestinés au culte de la Science, il avait entendu l'appel impérieux de la vocation du savant ; et, tout enfin à sa noble passion, il ne pouvait s'adonner à d'autres joies.
Il nous l'a dit : « La joie d'ajouter une vérité, une part quelconque, fût-elle infime, de la grande Vérité, au trésor laborieusement amassé, des siècles durant, par la pensée humaine; la joie de connaître ! « A quelle autre joie des hommes la comparerai-je ? A celle de l'explorateur qui s'avance en pays inconnu ? Il va devant lui, dédaigneux de la fatigue, indifférent à l'hostilité des tribus indigènes, plein de mépris pour les maladies qui le guettent ; il va devant lui, porté par l'allégresse de voir ce que n'a vu encore aucun civilisé. A la joie du navigateur qui est parti pour découvrir un nouveau monde ? Voici le soir, les vents sont apaisés, les flots vont s'endormir ; dans l'intérieur du navire l'équipage chante, oublieux d'hier, insoucieux de demain ; mais celui qui commande à bord ne dort, ni ne chante ; debout sur la proue ou sur la passerelle, regardant avec ivresse
monter en un ciel ignoré Du fond de l'Océan des étoiles nouvelles,il attend le cri de la vigie qui annoncera la terre, et la seule attente de ce cri, et le seul mirage de cette terre vont le tenir en extase jusqu'au matin. A la joie de l'alpiniste qui, ayant vu se profiler sur l'azur l'arête hardie d'une cime qu'on dit inaccessible, s'est épris de cette cime et a juré de la conquérir ? Il a lutté pendant des heures, ou pendant des jours, avec les dangers de la montagne ; mais enfin il arrive au but ; oh ! l'instant triomphal ! il va poser son pied sur l'étroit sommet en ruine que, seuls, avant lui, ont visité les aigles et la foudre. Mais non : pauvres joies, toutes ces joies, à côté de celles que je veux dire ; elles ne procèdent que de contingences ; l'élément personnel, curiosité ou orgueil de la vie, y est vraiment par trop prépondérant ; aucune ne correspond à une réelle conquête de l'intelligence, à un réel accroissement du trésor des vérités cherchées et trouvées ; ce sont joies fugitives, éclairs qui brillent et passent, sonorités qui éclatent et tombent (La Joie de Connaître, Paris, N. L. N., [1928], p. 13, 15).
«... [La vocation de savant...] Elle a, cette vocation, des caractères bien connus, qui ne sauraient tromper un professeur attentif : c'est d'abord, et surtout, l'enthousiasme, avec un exclusivisme qui ne tolère pas, ou ne tolère qu'avec peine et dégoût, les tâches accessoires ; c'est la continuité de la pensée ; c'est l'indifférence pour toute autre pensée que celle qui est ainsi continue et toujours présente... L'élu de la science est un amoureux ; il est distrait comme un amoureux, et, comme un amoureux, naïf et simple. » (La Vocation de Savant, p. 18).
Et pourtant nos joies sportives, il les estimait. Mais pour lui qui vivait dans un monde plus haut, le sport resta toujours le servant de la Science. Bien souvent, au cours de ses recherches géologiques, il a circulé parmi les montagnes et il en a ressenti fortement la beauté grandiose et le charme tranquille, et l'image de la Montagne est toujours présente dans son esprit, comme un fond de décors de la scène où se déroule l'histoire géologique.
Un jour il parlait du Temps, et, de suite, les Alpes apparaissent :
« Parmi les belles et grandes choses de la Terre, ce sont les montagnes, peut-être, les nobles et puissantes montagnes, qui parlent le plus éloquemment aux hommes de stabilité, d'immutabilité, de pérennité. Avez-vous fait quelques fois cette expérience : l'ascension d'une montagne qui vous est familière, dix ans ou vingt ans après le jour où vous y êtes monté pour la première fois ? Cela m'est arrivé souvent, dans mon existence vagabonde de géologue ; et, à chacun de ces retours, j'ai eu, tout d'abord, la sensation profonde et violente de l'immense durée des monts par rapport à nous. L'ascension commence à la façon d'une fête : c'est, dirait-on, un pèlerinage vers un temple où l'on est sûr de retrouver d'heureux souvenirs, où l'on sait que l'on va revivre une journée de jeunesse ; et ce temple paraît indestructible... Plus on avance, et mieux l'on reconnaît les détails de l'escalade. Les mêmes difficultés se présentent, aux mêmes endroits ; dans le rocher, les prises, pour les mains et pour les pieds, n'ont pas varié et, l'une après l'autre, on les retrouve toutes ; les couloirs ont gardé leur aspect, débonnaire ou vertigineux ; et, sur l'arête terminale, voici les mêmes pierres, gardiennes du sommet, qui nous attendaient et que nous sommes tentés de saluer comme des amis... En vérité, rien ne s'est passé, rien n'a coulé, semble-t-il, qu'un peu de vent sur le mont solitaire, qu'un peu d'eau là-bas, au fond des vallées pleines d'ombre. Et l'on est si bien ici, dans l'énorme silence des airs calmes, dans la paix indicible qui s'épand du ciel tout proche, en face de ces cimes rivales qui conversent avec la nôtre... on est si bien, que l'on voudrait arrêter le soleil, congédier le temps, fixer toutes ces choses et nous fixer nous-mêmes pour toujours. Quel est l'alpiniste qui n'a fait ce rêve ? » (A la Gloire de la Terre, p. 400)
De toutes les cimes qu'il a connues ou aimées, l'une l'avait particulièrement séduit ; il ne l'a jamais ascensionnée mais pendant ses courses dans le Pelvoux, les Rousses, la Vanoise même, la Meije apparaissait à ses yeux et réjouissait son coeur, et, s'il eût jamais dérobé à la science quelques instants, je suis sûr que c'eût été pour elle. Il nous a dit cet amour dans l'Alpe de Sarenne :
« Le matin, avant de partir, vite on courait à ce balcon pour voir la Meije. Déception presque douloureuse quand elle n'était pas là, quand elle était invisible, cachée par un nuage...
« Le soir, quelle que fût notre fatigue, nous revenions au balcon de Sarenne, avant de rentrer au chalet... Bientôt la Meije était seule à conserver la lumière, gardienne du feu, vestale incorruptible, phare prodigieux au-dessus de la houle grise des sommets éteints. Souvent aussi elle se voilait à demi d'une écharpe de vapeurs légères. Beauté presque divine, qui nous eût fait battre des mains si le soir où nous la contemplions ainsi eût été notre premier soir à Sarenne. Maintenant, elle nous était devenue familière ; notre extase était silencieuse et nous restions muets et immobiles, comme dans une église au moment le plus auguste du sacrifice. » (La Vocation du Savant, pp. 133 et 135)
Tel fut Pierre TERMIER, grand savant, montagnard fervent, artiste prestigieux ; mais ce serait trahir l'âme du maître que ne pas dire ici sa foi ardente, colossale et humble tout ensemble. Il était croyant dans toute la force du terme : il l'était dans sa parole, dans ses actes, et l'Évangile fut toujours sa règle de vie. Durant sa longue existence, les deuils l'ont entouré et bien des fois la mort est venue frapper autour de lui. Son coeur sensible et bon saignait cruellement, mais chaque fois il se retournait vers Dieu pour lui dire de toute son âme la parole des livres saints : Seigneur, que votre volonté soit faite et non pas la mienne. Et il se remettait au travail en attendant de revoir ses chers disparus dans la « Patrie inimaginable où il n'y aura que de la joie ».
Cher Maître, vous reposez maintenant au pied des Alpes que vous avez aimées, que vous avez expliquées. Dans la joie pure des élus, vous voyez clairement la solution des énigmes que vous avez étudiées ici-bas. Mais en nous quittant, vous nous avez laissé un témoin impérissable : si vos lèvres éloquentes sont désormais closes, les grandes Alpes exaltent votre nom et vos enseignements, et, chaque fois que nos pas nous conduiront auprès d'Elles, nous retrouverons, sur la houle des cimes, un peu de votre science, de votre poésie, et votre pensée nous élèvera bien loin de la Terre, vers les hautes réalités de la Science, de l'Art et de la Foi.
Louis NELTNER.