Goutte à goutte est un recueil de poèmes écrits par un très haut fonctionnaire français, Claude Daunesse, qui utilisait le pseudonyme de "Lou TESTUT".
Claude Daunesse est un membre du corps des mines. Célibataire, il consacre tout son temps au travail, à l'exception de quelques rares retours dans sa ville natale La Teste de Buch (Gironde). Il reçoit plusieurs propositions très intéressantes d'entreprises privées qui lui proposent de hauts niveaux de responsabilité, mais il les refuse toutes. Il a tout juste 40 ans en juin 1964 lorsque le gouvernement le nomme directeur des mines au ministère de l'industrie. De ce fait, il est le fonctionnaire le plus en vue du ministère : il dirige le corps des mines tout en ayant des fonctions extrêmement variées comme la responsabilité de développer l'innovation et la technologie industrielle, la direction du réseau des services des mines de province (devenus par la suite les DRIRE), ou bien autorité sur les Ecoles des mines. Claude Daunesse se trouve dans un milieu de "requins" et conçoit alors son rôle comme devant protéger ses collaborateurs pour qu'ils puissent faire sérieusement leur travail à l'abri des vélléités politiques et des pièges administratifs. Fortement soutenu par ses amis qui l'entourent en toutes circonstances, Claude Daunesse finira néanmoins par craquer et se suicidera en se jetant d'un train en 1969.
Goutte-à-goutte couvre la période de 1947 à 1967. Cette sélection de poèmes autobiographiques a été rassemblée et éditée par des amis de Daunesse.
 
 
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A je devinais qui
Souvenir lancinant 
souvenir insidieux 
d'un soir
un samedi pas plus triste qu'un autre
où nous étions plusieurs
à nous sentir trop vieux
en écoutant ce chant
qui n'était jamais nôtre
et venait réveiller
le désir obsédant
d'une jeunesse heureuse
          inconnue
étrangère
que nous n'aurions jamais
Et nous avions 20 ans ! 
Et nous avons 20 ans !
Et la vie arbitraire 
nous aura tous lassés 
avant d'avoir chanté
car nous ne saurons pas entrer dans la colonne
au moment où le pas ralentira pour nous...
on nous regardera
comme de pauvres fous
car on ne verra pas
que nous avons tenté
ce que nous avons pu...
mais que nos voix détonnent.
Un jour le vent
surgissant brusquement
fit voler mon chapeau
et me gifla
holà jeune étourneau
on ne dit plus bonjour aux gens
oh pardon monsieur le Vent
je ne vous savais pas là
j'ai perdu mon chemin
dit le vent
le connais-tu gamin
eh oui monsieur le Vent
c'est tout droit
par-dessus les toits
vers les nuages
merci
répondit le vent 
et il partit 
en coup de vent.
Un bûcheron s'enfuit
une hache à la main
un sapin le poursuit
la cime ornée d'un casque américain
mitrailleuse en branche
qu'est ce que vous voulez qu'on y fasse
contre une mitrailleuse
une hache ne peut rien.
Comme un qui tire ses vingt ans
sans espérance
éperdument
la route
entre les dunes
saute les dunes
une à une
saute les dunes et redescend
le sable crisse
le frein glisse
la route luit
la route sue
la route saute
par-dessus la dune
et redescend pour remonter
pour remonter et redescendre
et s'arrêter
essoufflée
au Bassin
mais la route n'a jamais su nager
évidemment elle aurait bien voulu
s'étendre sur la plage
à moitié nue
et se baigner
comme une dame
mais ces jeux-là sont faits
pour des gens sans métier
ce ne sont pas des jeux
de route qui travaille
la route n'a pas le temps
de perdre son temps
à faire l'élégante
et pourtant
hésitante
elle flâne
et serpente
écoutant la forêt
chuchoter tendrement
sa chanson un peu folle
chanson de l'air du temps
aiguilles qui se frôlent
paroles au vent
qu'emporte le vent
vers l'océan.
A pas lents d'homme las 
dos voûté
un dos portant sa croix 
à pas lents de peine 
il fuyait sa peine
mais elle était fixée à lui comme une lourde chaîne
une chaîne de trop de jours sans route claire
sans arbre dans le vent
sans sourire de femme qu'on aime
sans même une petite fille à serrer dans ses bras
sans rien à espérer que d'autres jours pour étouffer
il était las
il fuyait lentement dans le vent de la vie 
il cherchait la vie mais rivé à sa chaîne 
il n'avançait jamais que pour mieux s'enchaîner 
la chaîne était trop courte il cessa de lutter 
il cessa de rêver aux routes claires dans le vent 
aux routes où l'on entend le rire des enfants 
qui jouent à la marelle
il cessa de rêver à la petite fille qu'il aurait
il effaça la femme qu'il aimait
il ferma les yeux pour voir le noir
il était seul
sans espoir
sans espoir
il eût voulu mourir
il mourut.
Dans le champ broussailleux 
des souvenirs perdus j'ai cueilli pour toi seule 
un bouquet de pensées 
un sourire un bonjour 
quelques mots entendus 
quand tu croyais rêver 
à tes amours passées
Mets les soigneusement 
dans un coin de ton coeur 
et si tu veux un jour 
revivre ta jeunesse 
elles remonteront 
du fond de ma douceur 
pour venir te donner 
une ultime caresse.
Des rêves
          gyroscopes dans leur boîte 
rien que des rêves
Ce soir j'ai fermé la porte de ma jeunesse
la porte ouverte sur mes rêves
la porte de la nuit nacrée
la porte du jour doré
ce soir la grande porte du passé
j'avais voulu l'ouvrir à deux battants 
croyant pouvoir entrer dans le monde ignoré 
que j'avais dessiné du fond de ma jeunesse 
j'avais cru pressentir des vents chargés de rêves 
enfin cristallisés
j'avais cru deviner la trame de ma vie 
et j'ai laissé la porte ouverte
                    la porte de la vie
je me suis avancé 
et mes rêves s'en sont allés 
et ma jeunesse et ma tendresse 
et ma gaîté
lentement j'ai refermé la porte
ce soir la porte du regret
ce soir la porte du passé
ce soir j'en ai perdu la clef
ce soir mes beaux espoirs sont envolés.
Souvenez-vous des soirs où nous avons cherché 
ce qui nous rendait tous pareils et différents 
souvenez-vous du jour où nous avons trouvé 
ce qu'il aurait fallu pour guérir nos vingt ans 
souvenez-vous des nuits où nous avons tenté 
de libérer nos cours de nos espoirs d'enfants 
souvenez-vous du temps que nous avons passé 
à répéter sans fin des mots exaspérants 
souvenez-vous des mois où nous étions lassés 
de sentir nos efforts chaque jour plus lassants 
souvenez-vous de l'heure où nous avons rêvé 
de pouvoir nous tuer pour être plus vivants
Vous qui avez gommé les reflets démodés 
vous qui avez franchi le fossé des vingt ans 
souvenez-vous toujours de vos anciens regrets 
et sans vous demander pourquoi je suis vivant 
souvenez-vous de moi qui voulais me tuer 
et suis resté perdu dans mes rêves d'enfant.
Sur le trottoir un pas
mais ce n'est pas son pas
dans la rue une voix
mais ce n'est pas sa voix
à la porte on a frappé
n'entrez pas son coeur est fermé
je n'ouvre pas son coeur est fermé
revenez on ne sait jamais
peut-être j'ouvrirai
si je peux oublier.
Quelques jours d'impatience
impatience perdue
j'ai perdu l'espérance
ainsi va le chemin
n'importe où
dans le vent
sa voix ne s'entend pas
car le monde est trop grand
on le voit toujours seul
comme un brave chemin
qui n'a pas d'illusions
le long des menthes et des fleurs
a quoi bon se figer
sur la route passante
je prendrai le chemin
où ne passe personne
pour m'allonger sous les buissons
et m'endormir
pour endormir mes illusions.
A lui
ovale et blasé 
clopin clopant 
les yeux brisés 
rêvant de vivre
                    éperdument
le cou noyé dans son carcan 
bouche tordue loin de la piste 
ovale triste sous le fard 
loin des lumières dans le noir 
dans la musique et dans le vent 
rêvant
à lui
une gifle et l'on rit
plus on le gifle et plus on rit
et plus on rit plus il est triste
et plus on l'applaudit
bis
il est parti
dans la musique et dans le vent rêvant de vivre
                    éperdument 
rêvant de rire dans la vie 
rêvant de rire
                                        à l'infini.
Vous
il n'y avait que vous
j'avais beau me fixer sur des choses sans fin 
je ne voyais que vous en feuilletant les pages 
un dessin c'était vous 
un désir c'était vous 
l'avenir c'était vous
la danse du soleil
les cheveux de la cigarette
la musique du vent à la fenêtre
les rires du matin dans la brume des rêves
tout cela c'était vous
c'était vous
douce comme la vie un matin de vacances 
claire comme un baiser qui claque dans le vent 
légère comme un coeur qui cherche l'aventure 
inaccessible
                    comme un long rêve qui se brise
quand je vous oubliais je n'étais pas heureux 
je ne voyais que vous quand je fermais les yeux 
je n'attendais que vous quand j'oubliais la vie 
je ne voyais la vie qu'à l'image de vous 
quand je pensais à vous je ne voyais que vous
mon amour je vous aimais 
et j'étais fou de vous 
et j'en suis fou 
j'en deviendrais fou.
Il a pris son élan au tremplin de la vie 
son talon a frappé la planche 
frémissant
impatient de quitter les mesquines envies 
et le jarret tendu par l'appel vers la vie 
une volte un soleil 
le soleil de la vie
une offrande infinie une offrande rêvée 
détente de beauté avec le coeur cambré 
et les gouttes de mort ruissellent au soleil 
attirantes
poussière de soleil où s'écrase la vie 
dans le lac de la mort.
Mars 48
Sa vie était un réseau de bowettes
avec des bures sans fond
problèmes sans raison
raisons à deviner
devinettes en rond...
ce n'était qu'un réseau de bowettes
sans fin...
il marchait
lampe à la main
vers la recette supposée
il marchait
sans se retourner
pour ne pas échouer
dans sa course à la vie
ce fut sa lampe qui trahit
comme une garce
à bout de souffle
sans crier gare
en plein danger...
son espoir n'avait plus de raisons d'espérer 
il était enfoncé dans la nuit des jours ternes 
et pour achever son destin 
il se laissa mourir de faim.
Entre nous contre nous 
voix des morts
jambes nues 
ventre nu 
17 heures au soleil 
on s'en fout
choeur des morts d'autrefois :
« nous les morts...
nous qui sommes les morts...
nous qui sommes les vénérables morts...
(enfin on nous le dit
mais on se fout de nous)
du temps de nos grand'mères
il fallait voir à voir
avant d'aller tout nu
ah les moeurs d'après guerre ! »
et les morts de la guerre :
« qu'est ce que ça peut vous faire ?
si ça leur fait plaisir à ces pauvres enfants ?
et puis d'ailleurs
c'est un bon entraînement au froid 
qui vous prend dans la tombe ».
Pourquoi as-tu revu l'espionne 
camarade
parce qu'elle est jeune et belle 
et qu'elle aime l'amour
pourquoi as-tu aimé l'espionne 
camarade
parce qu'elle sentait bon les draps chauds et l'amour
pourquoi as-tu livré nos sccrcts à l'espionne 
camarade
parce que je l'aimais
j'ai suivi le parti de l'amour
pourquoi as-tu trahi ton pays 
camarade
j'ai trahi mon pays parce que je vous hais 
comme je hais tous ceux qui crèvent de richesse 
et ramassent l'argent pour mépriser l'amour 
j'ai trahi mon pays car ce n'est plus le mien 
je préfère une femme à vos gueules de brutes 
camarades
tu vas mourir es-tu prêt
je suis prêt 
camarades.
Je voudrais être comme lui
avec des cailloux plein les poches
et des rêves plein le coeur
rêves de plis de fond par un âge sans lune
dunes de sable mou qui se transforme en grès
je voudrais être sans regret
comme celui qui cherche au bout de son marteau
quelque chose à casser qui soit plus vieux que moi
pauvres bêtes d'autrefois
ayant connu le jour
on ne sait de quel amour
restes d'on ne sait quoi
venus on ne sait d'où
qui sont morts lentement
on ne sait pas comment
avec regret peut-être
peut-être sans regret.
Tu m'as dit bien entendu 
j'ai répondu c'est évident 
crois-tu vraiment 
que nous soyons du même avis 
mais non
tu n'as pas voulu me contredire
j'ai voulu te faire plaisir
au fond tu vois
c'est la meilleure solution
il faut avoir une opinion
mais il vaut mieux la garder pour soi.
Je chante un autre temps où les vagues parlaient
mais le varech est toujours le même 
marron sous la vague cordons roulés
 vestige d'une vie en fond clair sur le sable 
anémones portées crabes dans la forêt 
cassé n'importe quel un courant l'apporta 
ici plutôt que là
moulu roulé battu laissé bossu
et cheveux dans un brin j'y revois le néant
gluant
marron
cordon
la plage et rats au vent.
Le sable est jaune et la mer bleue. 
Ouvre les yeux.
Le sable est jaune et la mer bleue. 
Le ciel est bleu. 
Ouvre les yeux vers le soleil. 
Trop de soleil ? Ferme les yeux. 
Trois soleils rouges sur fond noir, 
trois soleils rouges sur fond vert, 
un soleil vert sur fond bleu. 
Ouvre les yeux.
Le ciel est bleu et la mer bleue. 
Trop de soleil. Ferme les yeux.
Si tu cherches la vie, serre les dents 
et cherche.
On t'a parlé. Serre les dents.
Ecoute et cherche sans parler.
Regardé, ferme les yeux,
regarde sans les ouvrir, tu verras mieux,
tu verras beaucoup mieux la douceur du regard,
tu balaieras d'un coup la crainte d'être aveugle,
et sourd, si tu écoutes, entendras-tu la voix peut-être.
Mais cherche sans parler
et revois chaque jour les raisons découvertes
sans peur de reculer.
Serre les dents si tu veux pleurer -- et pleure, 
et cherche pourquoi tu pleures 
et ris, mais sans parler, d'avoir pleuré 
et pleure d'avoir ri et ris d'avoir pleuré.
Quand tu auras trouvé que ce n'est pas la peine de chercher
parce qu'il n'y a rien à trouver, 
sinon qu'il n'y a rien,
et qu'il faut prendre tout comme venant de rien, 
ou d'un Autre,
quand tu auras trouvé que les raisons sont bêtes 
et que les choses sont comme on les voit, 
en ligne et non en file,
qu'elles n'ont de réel que ce que tu en crois
et que toi-même existe par ta foi,
alors tu pourras parler ou te taire - à ton choix,
écouter, t'amuser, te révolter,
pleurer sans rire et rire sans pleurer,
tu pourras même chanter si ça te fait plaisir,
chanter que Dieu est grand ou qu'il n'existe pas.
Qu'importe, si tu le crois ?
Trois violons sont passés
ils jouaient pour des pièces
des pièces de vingt sous
des pièces de dix sous
des boutons de culotte
des jetons de téléphone
ils jouaient pour tout ce qui sonne
en tombant dans la rue
des fenêtres s'ouvraient et d'autres se fermaient
des femmes préparaient des cuisines gluantes
puis elles revenaient pour avaler la rue
un corbillard trois gosses une vieille qui prie
un monsieur se découvre
il engueule les gosses
espèces de voyous
on ne vous a pas dit
qu'il fallait saluer
les morts qu'on accompagne
à leur dernière demeure
les morts et les drapeaux
le drapeau mes enfants la Patrie
et les enfants saluent pour ne pas l'exciter
car il semble méchant
c'est peut-être un ministre
il est décoré
mais puisqu'il est à pied 
et qu'il a l'air d'avoir le temps 
c'est plutôt un commandant 
un commandant à la retraite 
naturellement
qui regrette son commandement
il remet son chapeau car le mort est passé
les gosses en ont assez de l'écouter
alors ils vont ramasser des sous pour les violons
qui jouent toujours la même chanson
pour des pièces et des boutons.
Je l'ai fait
           comme l'Autre a gravi son calvaire 
car il fallait le faire
pour égaler mon rêve aux actes de ce monde 
sans lâcheté mais sans courage 
honnêtement
partie de moi jouant et partie regardant
mes doigts tremblaient 
et la cendre tombait 
inanimée
avec des mots anciens qui passaient la frontière
étonnés de leur étrangeté
la lumière douce du soir
projetait devant moi le reflet gris du rêve
et la fumée reliait une forme
à d'autres formes entrevues
surgies d'une autre vie
mes yeux ouverts comme mes yeux fermés 
guettaient le mouvement imperceptible 
des lèvres à la recherche des mots perdus
et les mots sont venus
comme ils devaient venir depuis longtemps
je me suis tu pour écouter comme il fallait se taire 
heureux de retrouver la conclusion imaginaire 
qui détruisait mon rêve en le légitimant.
C'est un matin d'octobre frais et bleu
qui serait comme les autres
si une chose n'était arrivée
terrible et rassurante
un de ces petits faits sans importance
qui montrent que vous avez changé
ce matin je n'ai envie de tuer personne 
je n'ai envie d'aimer personne 
sauf mes amis
pour la première fois depuis longtemps
je suis très calme
j'ai seize ans de nouveau
je regarde passer les gens dans la rue
je chante
je retrouve des habitudes perdues 
il me semble que je reviens chez moi 
après un long voyage à l'étranger
je me souviens des mots que je disais 
et j'éclate de rire.
Tu ris dans ton berceau mon tout petit
puisses-tu rire toute la vie
comme ta maman n'a pas ri
tu n'as plus de papa et tu ne le sais pas
il était gentil ton papa
aussi gentil que toi
mon tout petit qui ne sais pas
j'ai peur de te casser
quand je t'ai dans les bras
mais je remplace ton papa
tu es ma petite cousine
ta maman c'est ma grande cousine
et je suis ton parrain aussi
c'est ton papa qui m'a choisi
j'avais dit oui ça m'amusait
de jouer au vieux
de me prendre au sérieux
je t'aurais négligée s'il était resté là
il t'aurait tout dit bien mieux que moi
mon tout petit qui ne sais pas
maintenant je ne dois pas
il faut que je te parle de ton papa
c'est si bête la vie mon tout petit
je voudrais tant que tu ne saches pas
mon tout petit qui ne sais pas
et pourtant il faut parler de ton papa.
Le gravier de mes joies fait corps dans le ciment.
Je compte au vieux réveil la prise du ciment.
On ne l'entendra plus, le rire d'autrefois, 
la prise du ciment fonde une autre maison 
et les mots mentiront pour bâtir la maison.
La maison d'autrefois n'a plus de fondations. 
Je n'ai plus de maison, je bâtis ma maison.
Le gravier de mes joies se perd dans le ciment. 
La bataille est gagnée, le ciment a tenu.
Tant de peine perdue sans joie dans la maison !
Deux cigarettes dans un cendrier 
deux cigarettes qui fumaient longues 
d'abord rapetissaient 
le temps passait 
deux cigarettes qui mouraient 
longues d'abord comme un baiser 
brûlant après comme l'amour puis oubliées
deux mégots morts à enterrer
sur leurs cendres
deux amoureux dansaient.
Je la reconnaissais 
je voyais son visage
un visage attendri par la douceur sans fin des yeux qu'on a fermés
plus rose et plus vivant que l'oeillet blanc du livre 
et plus triste qu'un bel été
une page entre deux pages s'est ouverte 
et l'oillet est tombé sous la table 
dans l'obscurité
j'ai crié très fort en moi-même 
un nom
que j'ai inventé
le nom s'est effeuillé entre deux pages dans le livre 
à la place de l'oillet
entre deux pages
dans un livre
un nom reste caché
je ne sais plus lequel
mais plus réel que si je savais.
Volontaire tu pars pour la guerre 
fais ta prière et garde ton sang-froid
je garde mon sang-froid
mais pourquoi des prières
je ne crois pas en Dieu et j'accepte le jeu
je vais tuer mes frères et je suis volontaire
mais pas pour dire des prières
volontaire tes frères te tueront
c'est la règle du jeu
fais ta prière et garde ton sang-froid
ils me tueront 
tant pis pour moi 
tant mieux pour eux 
je n'ai pas peur 
à la grâce de Dieu
volontaire tu viens de faire une prière 
tu n'es plus volontaire.
Un soir
je marchais par les rues de la ville 
une marche en courant 
viens chéri 
eh vas donc
une marche à tâtons par les rues de la ville
pour revenir au viens chéri
et la route obliquait
ce n'était pas cela que je voulais
je marchais
pour marcher
et pour rêver
par le treillis des rues en croix 
où se perdent les pas 
dont l'écho me suivait
deux talons dans la nuit qui frappent les pavés 
je marchais
pour aimer la ville comme je l'aime 
le soir
quand il n'y a plus personne pour l'aimer
que les putains sur le trottoir
qui connaissent leur ville
comme une grande soeur
une soeur qui se montre le soir
à tous ceux qui savent la voir
par le treillis des rues en croix
où résonnent les pas
toute nue sous la lune
hélant les attardés
dont les pas
font crier
les pavés.
Comment veux-tu que je t'oublie
tu ne m'as rien donné
tu ne m'as pas souri
tu ne m'as pas embrassé
tu es passée dans ma vie sans me voir
tu n'as rien oublié
pas de lettres à brûler
pas de fleur à respirer
pas de photo à regarder
tu n'as rien dit
je n'ai rien dit
comment veux-tu que je t'oublie.
Ici les vieux chagrins
                                          et là d'autres regrets 
ailleurs                     	de beaux jardins
ailleurs	                     d'autres beautés
ailleurs                      d'autres secrets
                     mais ailleurs de quoi demain sera-t-il fait ?
demain
                     comme aujourd'hui 
                     comme autrefois 
une fois
              puis cent fois
                                          et puis toutes les fois
ou demain de jamais
une fois découvert pareil à son image
                                                               rêvée
                                          ou différent ?
mais demain
           de quoi demain sera-t-il fait ? 
même question 
pas de réponse 
il s'agit de foncer
           vers le jour sans regrets 
           premier jour sans chagrins 
le premier jour
           SANS LENDEMAIN.
Pour t'approcher de l'autre monde 
pas le monde des morts
           mais celui de la vie 
imite un vieux pêcheur assis dans un bateau 
de l'autre monde à lui
           trouve le fil
                      au fil de l'eau 
           et suis le fil
                      au fil du temps
pour t'approcher de l'autre monde 
trompe le temps au fil de l'eau 
trompe le monde et tue le temps
                      et prends le vent
                                 et tue le monde 
et rêve à des amours perdues dans l'océan 
et vole à tes amours le reste de ton temps 
reviens à des amours perdues dans le néant 
et trompe ces amours avec des faux-fuyants
et puis vas-t-en
           maudis l'amour
                      et supprime les jours 
                      et supprime les nuits
et recommence
           toute la vie.
Ici
soupers dansants dansés 
des fous chantants chantaient 
de bons vivants vivaient 
de faux brillants brillaient 
et des amants s'aimaient
Là-bas
des chats-huants huaient 
des chiens couchants couchés 
des chiens courants couraient 
des cerfs-volants volaient 
des vers luisants luisaient
ailleurs
des fours tournants tournaient
des crève-la-faim crevaient.
Je suis passé près d'une porte
          une porte qu'en d'autres temps 
          je trouvais accueillante 
          comme un fauteuil au coin du feu 
J'ai marché dans une rue tranquille 
          une rue que jadis 
          j'ai connu trépidante 
          de tous mes rêves inventés 
J'ai pris le train dans une gare une gare où j'étais arrivé 
          sans espérer quoi que ce soit 
          une gare d'où je repars 
          sans regretter quoi que ce soit.
Dans les secrets des dieux 
se cachent des secrets
ne les dévoile pas 
tu ne les connais pas 
et moi non plus
des secrets pour les uns 
des secrets pour les autres 
les mêmes pour chacun 
les mêmes pour aucun
dans les secrets des dieux 
se disent des secrets
ne les répète pas 
tu ne les entends pas 
et moi non plus
secrets qui n'en sont pas 
et secrets qui en sont 
des secrets pour toi seule 
et des secrets pour moi
dans les secrets des dieux 
un secret pour nous deux ?
ne réponds pas 
tu ne sais pas 
et moi non plus.
Ma ville je t'aimais
                    comme on aime une amie 
tu faisais bien un peu province 
avec tes trams sans élégance 
et les jurons des Capucins 
le monument des Girondins 
les foires des Quinconces
                    où l'on te voyait grise 
mais tu étais si bonne fille 
ma ville
qu'on pardonnait tes incartades 
on acceptait tes gasconnades 
en riant de ton franc-parler 
on t'amenait en promenade 
au même endroit tous les étés 
te souviens-tu des pins
                    et de la dune
                                       et du bassin
te souviens-tu de nos week-ends 
te souviens-tu de nos vacances 
et la rentrée venue 
on reprenait les habitudes 
te souviens-tu dimanche après-midi
le triangle magique où l'on se rencontrait
tout étonné de la rencontre
on descendait par l'Intendance
on remontait par l'Intendance
et l'on recommençait
tous les dimanches de l'année
ma ville comme je t'aimais
et je ne parle pas de tant de choses
que je n'ai pas la force d'évoquer
de Pessac à Lormont
et de Bruges à Cenon
en passant par le pont
en passant par les quais
toutes ces choses que j'aimais
qui font rire les étrangers
il faut t'avoir comprise pour t'aimer
ma ville
et ce n'est pas facile
et comme je t'aimais
je t'ai quittée ma ville il y a longtemps
je ne viens plus te voir et je t'aime pourtant
mais un homme peut avoir
d'autres amours que sa ville
même dans cette ville
et souvent sans espoir.
Quand le printemps viendra
vous savez le printemps des chansons
avec des fleurs et des éclats de rire
des baisers et des robes légères
quand le printemps viendra
ce printemps-là c'est pour les vieux
nous autres on n'y croit plus
on en a marre des bourgeons
et des petits oiseaux
quand le printemps viendra
on lui dira ce qu'on en pense
et puis on s'en ira
en Argentine ou au Chili
quand il viendra là-bas
on reviendra ici.
L'heure n'est plus très loin
doux sont la cigarette et le verre de rhum
longuement réchauffé
dans une main qui tremble
dans le froid qui tressaille au seuil de l'aventure
doux sont les souvenirs
de la tiédeur secrète de la nuit
pour la dernière fois précédant l'aventure
doux les bruits de la rue
au petit jour
dans le brouillard
les gestes des amis
qu'on va quitter pour très longtemps
dans le crachin
l'heure n'est plus très loin
à plus tard les regrets
un coup de rhum avant de s'en aller
et l'on part en chantant
au revoir les amis
pour la grande aventure de sa vie.
Il regardait les ronds de fumée
qu'elle faisait sans y penser
ils grandissaient en tournoyant
une fois grands se déroulaient
en longues larmes de fumée
et d'autres ronds les remplaçaient
et d'autres ronds disparaissaient
comme des rêves achevés
il regardait monter
les rêves et les ronds
vers le plafond
et plus il regardait
plus il était surpris
de la solidité
de son amour.
Goutte à goutte
toute la vie
coups de poignard
je vous ai bus
jusqu'à la lie
jusqu'à la garde
si je pouvais
je vomirais toute ma vie
mais la garde
hélas
ne se rend pas.
Un homme s'est jeté dans la Seine
un dimanche matin
pour tromper sa faim
pour noyer sa peine
c'est la faute à pas de chance
c'est la faute à pas de pain
c'est la faute à son destin
Fallait pas qu'y se promène 
sur les quais de la Seine 
sans avoir rien à faire 
un dimanche matin 
qu'à écouter les arbres 
et regarder la Seine 
fallait pas qu'y s'y hasarde 
c'est qu'elle est belle le matin 
quand on a pas de pain 
quand on a du chagrin 
elle est plus belle qu'une femme 
on voit les arbres lui parler 
on les écoute et on se penche 
la tête tourne quand on a faim 
c'est la faute à cette garce 
elle est plus vache qu'une femme
Un homme s'est jeté dans la Seine
un dimanche matin
pour tromper sa faim
pour noyer sa peine
personne s'en est aperçu
les cloches de Notre-Dame ont sonné
pour annoncer sa mort
personne a entendu
ils avaient peur d'arriver en retard à la messe
les gros richards
ils ont pas regardé la Seine
c'est eux qu'y faudrait y jeter les salopards
mais c'est les autres qui prennent
c'est la faute à la vie
c'est la faute à la faim
c'est la faute au chagrin
c'est la faute à la Seine.
En prenant tes gants sur la table 
tu as dit 
chienne de vie 
chien de temps
il ne pleuvait pas plus que d'habitude
la pluie fine de tous les jours
et pourtant tu as dit
chienne de vie
chien de temps
pour un peu
tu serais resté là
à regarder tomber la pluie
jusqu'à la fin du monde
sachant qu'elle ne viendrait pas
finalement
tu as pris tes gants
et tu es parti
et tu as dit
chienne de vie
chien de temps
il ne pleuvait pas plus que d'habitude 
on entendait les bruits de tous les jours 
et tu réfléchissais
en prenant tes gants pour t'en aller
et tu t'en es allé
sous la pluie
en répétant
chienne de vie.
Les mots venus 
comme des atouts-maîtres 
qu'on abat sur la table 
(de quel pays ?
par quelle donne impénétrable ?)
les mots de l'autre bord
s'imposent brusquement
(par quel chemin du temps ?
par quelle fantaisie ?)
comme un défaut des souvenirs écrits
plus obsédant qu'une chanson
et plus fuyant qu'un souvenir
symphonie répétée depuis le temps jadis
(par quel orchestre noir ?)
plus fascinante qu'un espoir
et plus troublante que la vie.
Il y pensait à peine
non qu'il eût oublié le temps d'avant-fumer
mais il fumait à la fenêtre
et ça lui suffisait...
une gauloise après une autre
avec l'autre allumée
un mégot écrasé en se brûlant les doigts
dans un tas de mégots
la fumée respirée qui fait mal en hiver
quand on est enrhumé
et qu'on rejette avec une toux rauque
un peu de soi d'avant-fumer qui part
sans qu'on s'en aperçoive ...
Il y pensait à peine
non qu'il fît un effort pour ne plus y penser
mais il fumait et ça lui suffisait
il ne désirait rien
il ne demandait rien
il ne regardait rien
qu'un point rouge
passant alternativement
de sa main à sa bouche
et réciproquement.
Les visiteurs du soir sont entrés dans la chambre,
ils ont fermé la porte et se sont approchés de celui
qui rêvait, comme de vieux amis :
ils entrent dans la chambre en silence
et s'assoient sur les lits
sans avoir rien à dire ;
on les écoute, on les trouve pareils à soi-même
et à ceux qui s'ennuient ;
et celui qui rêvait,
la tête entre ses mains,
les coudes sur la table, a regardé la table
en se croyant certain
de ne voir qu'une table, a regardé son lit
en se croyant certain
de ne voir que son lit, et il s'est étonné
du changement produit, car sans avoir parlé,
les visiteurs du soir étaient déjà sortis
comme ils étaient entrés ;
mais il avait compris ce qu'ils n'avaient pas dit,
par les moyens de l'habitude,
les moyens ignorés de comprendre les mots
qu'on n'entend pas ; et tout d'un coup
l'on s'aperçoit
que la chose à ce jour évidente ne l'est pas,
et l'on se sent nouveau d'avoir trouvé un sens nouveau
à tout ce qu'on a fait sans le savoir ou le sachant,
comme de rêver.
Et celui qui rêvait a sifflé
pour donner le départ de la nouvelle course
qu'il s'imposait, et,
content d'avoir imaginé cette course sans arrivée,
s'est endormi, la tête entre les mains,
les coudes sur la table,
dans la chambre où les visiteurs
étaient venus comme de vieux amis :
ils entrent dans la chambre
et s'assoient sur les lits
sans avoir rien à dire ; on les écoute,
et sans avoir rien dit, on les voit
différents depuis toute la vie.
Ils ont marché dans le désert
par les chemins offerts
en marge de la vie
sans y croire
ils ont vu devant eux
la tour de l'avenir
         sans y croire 
ils ont fermé les yeux par crainte du mirage
         et supprimé la vérité
on ne peut pas marcher par des chemins 
différents
et se rencontrer 
sauf aux croisements 
à condition de s'arrêter
et regarder longtemps si l'autre ne vient pas 
de tous ses yeux
de toute la volonté qu'on met à regarder 
si l'autre peut venir 
quand on l'attend
         même s'il ne vient pas 
sinon la tour de l'avenir
                  brusquement 
comme un donjon 
l'un tourne en rond 
et l'autre tourne en même temps 
à la même allure 
dans le même sens
tout le long du mur tout le long du temps 
comme des gens pleins de mépris pour les mirages
quand la plaisanterie a trop duré 
l'un s'arrête 
l'autre s'arrête
         à la même heure 
de l'autre côté 
et tous deux pleurent 
la vérité heureuse 
à tort supposée mirage 
dans le désert 
des enfants sages.
Faire celui qui n'a rien à faire 
et regarder
regarder comment on fait pour avoir l'air d'être occupé 
regarder d'un air distrait
et surtout ne pas faire semblant de s'embêter 
ou de chercher
sinon tout le monde voudra vous aider 
et c'est le seul moyen de ne rien trouver 
non faire semblant de rire et de bien s'amuser 
dire tout simplement ce qu'on ne pense pas 
et garder le reste pour soi 
en parler quelquefois à des gens qu'on connaît 
si on les connaît bien 
et bien les regarder
et regarder leurs yeux quand ils ont l'air de rire 
et détourner ses yeux et regarder ailleurs 
réfléchir
réfléchir qu'ils vous connaissent bien 
se rappeler leurs yeux quand ils se détournaient 
se dire que chacun a compris ce que ne dit pas l'autre 
et puis faire comme si personne ne comprenait 
et ne plus en parler.
Le soir
avant de s'endormir 
il se racontait des histoires 
plus secrètes que l'avenir 
et moins fades que l'habitude 
des histoires sans souvenir 
des histoires à dormir debout des histoires 
pour s'endormir
                  et puis il s'endormait
Ce soir-là par hasard
il avait beau chercher
il connaissait depuis longtemps tout ce qu'il racontait
et rien ne lui plaisait
et il s'agitait dans son lit
à n'en plus finir
sans arriver à s'endormir.
Mon amour est né comme un enfant 
il a frappé
il est entré timidement 
et il m'a dit bonjour 
comme un enfant poli 
comme un amour d'enfant 
qui dit bonjour à ses amis
je l'ai reçu
comme mon premier-né
comme un enfant de mon amour d'enfant
potelé
souriant
il me pinçait au coeur 
entre ses doigts comme un bébé
et je l'aimais comme son premier-né
et mon amour est mort 
un soir d'hiver 
naïvement
sans connaître la vie 
il m'a dit bonsoir en mourant 
tout simplement 
comme un enfant poli 
comme un amour d'enfant 
qui s'en va
et dit bonsoir à ses amis.
Adieu dans le brouillard... 
comme un point 
qui fut si près 
si fou 
si frais
marchant vers son destin 
marchant...
je ne vois plus ses jambes... 
un manteau dans le vent 
adieu mon illusion 
je ne vois plus grand'chose... 
un point au loin
        très loin 
qui fut si près 
si fou 
un point 
c'est tout.
Sais-tu que je t'aimais avant de te connaître ? 
Peut-être le sais-tu...
                Je répétais un nom, petite fille, 
l'imaginant, sans le savoir, plus estompé que l'ombre
                où le regard se perd,
je me moquais de mes chagrins 
t'imaginant plus belle et moins banale 
que les autres,
et contre toi, tout contre toi,
les vagues se brisaient,
tu l'as peut-être deviné
car je t'aimais sans te connaître...
Je ne t'ai pas connue, le savais-tu que je t'aimais ? 
Si tu l'as su...
        mais je ne t'aime plus.
Le souvenir de ce matin
dormant à poings fermés hâlé par les voyages 
et bleui par la barbe de l'ombre 
s'est réveillé soudain avec un geste de la main 
un geste d'amitié au lutin du plafond 
le lutin sautillant
son frère de saison qui danse dans le vent 
le lutin bondissant
venu par le balcon annoncer le printemps
et tous deux enlacés peuplant la chambre vide
ont rajeuni l'amour à revenir
la douceur des soirs où l'on rêve
et le vent qui se lève
sans avoir l'air de rien
                négligemment 
comme un vieux monsieur très indulgent 
qui se lève au bon moment.
Le réveil a sonné 
il a regardé l'heure 
il s'est levé
il a fumé la cigarette du matin 
il a regardé l'heure 
une deuxième fois 
juste le temps de se raser 
de s'habiller
il a mis sa plus belle cravate
et son plus beau costume
il s'est assis
jusqu'à l'heure désignée
où rien ne pouvait arriver
alors il s'est déshabillé pour la journée
car s'il n'attendait rien du moment désigné
il attendait encore moins
du restant de la journée.
Je pense à un pays qui n'aurait pas de frontière
un pays plus grand que la terre
où tout le monde se connaîtrait
je pense à une ville
une ville plus grande que le monde
où tout le monde s'aimerait
je pense à une maison
une maison plus haute que le ciel
où tout le monde habiterait
je pense à une salle
une salle plus vaste que mille cathédrales
où tout le monde se réunirait
je pense à une tombe
une tombe plus profonde que la mer
où tout le monde dormirait
je pense à un second pays qui n'aurait pas de frontière 
un pays plus grand que la terre 
où tout le monde se réveillerait...
Il avait toujours le mot de la fin 
le mot pour rire 
il a pris son révolver 
il l'a chargé
il l'a mis contre sa tempe et il a dit
           imaginez ce qui arriverait 
si je tirais le révolver n'étant pas chargé 
on entendrait un petit déclic 
ridicule
imaginez ce déclic mesquin 
impuissant
           et tous de rire 
il a tiré et il est tombé mort 
ce fut la dernière fois qu'il les fit rire.
Si nos doutes d'un jour avaient été fondés
nous auraient-ils permis
de passer tant de nuits à rêver
tant et tant de journées
et tant et tant d'années
riches de matins bleus
tant de matins d'avril et de matins de mai
à respirer le ciel
à caresser le vent
à fabriquer ces jeux acides de printemps
tous ces jeux d'homme-enfant
je ferai
tu verras
nous saurons
vous aurez
narquois comme un citron
calmants comme un baiser
à la mi-temps de nos projets
si nos doutes d'un jour avaient été fondés
nous auraient-ils permis
de trouver le second souffle
pour le grand match de notre vie.
On peut échafauder une main si l'on veut
           une main aux longs doigts 
un croisement de main un cri de joie 
au besoin un départ un retour
 une porte qui bat
un visage marqué sur un autre visage 
un feu de paille un feu de joie 
on peut échafauder un amour si l'on veut
           on aime plusieurs fois 
une preuve d'amour à défaut un retard 
un départ sans retour 
une porte qui bat
un jour de fête un feu de joie un autre amour 
n'importe quoi
une main si l'on veut une histoire un amour 
à condition de l'avouer 
et de garder pour soi 
une main si l'on veut
           une main aux longs doigts
une histoire un amour qui n'y ressemblent pas.
On reste 107 ans paralysé de rêve
et l'on a peur du vent
et puis un jour
la porte s'ouvre
une envolée
comme un oiseau
en laissant quelques plumes
on les sent tomber
une à une
sur le bout de son nez
alors on éternue
on se réveille tout à fait
et l'on se met à rire
pour essayer de compenser
107 ans de silence et de banalité
et l'on rit 107 ans
avant de s'arrêter.
Il ne faut pas cracher
sur des amours déçues
on crache sur les tombes
on crache dans ses mains
mais les amours ne se font pas
et les amours sont immortelles
il ne faut pas pleurer
sur des rêves déchus
on pleure à une fin
on pleure à un début
on pleure même quelquefois
quand la mariée n'est pas très belle
mais les mariées ne se font pas
et les amours sont éternelles
il faut partir sans y penser
partir si loin
qu'on en revient
sans y penser
la saison a changé
il pleut sur les pavés
on marche dans la nuit
Paris n'a pas changé
alors on rajeunit
jusqu'au prochain été.
Pour faire la preuve par neuf
de son amour
de son amour tout neuf
un bouquet de roses rouges
il en faut douze pour ce jeu
neuf de douze
reste trois
une dans Ses cheveux
une à sa boutonnière
la troisième au vent de la terre
pour fêter la venue
de cet amour
inattendu
extraordinaire
de cet amour géant
comme furent tant d'amours sur la terre 
en leur temps
puis les neuf roses dans un vase
un vase rouge et rose
rose comme Ses joues
rouge comme les roses
et pour finir le jeu
un baiser sur Ses lèvres
dont la couleur intervient peu
dans la suite de l'histoire
jusqu'au moment
où la maman
mettant la main sur le mouchoir 
découvre ainsi le pot aux roses 
alors
suivant son attitude 
on montre par l'absurde 
avec preuve à l'appui 
qu'on a trouvé ou non 
la femme de sa vie.
Le jour où le café s'est vendu sans ticket
le marchand de sable s'est tué
il était comme les autres
il faisait du marché noir
on le voyait depuis longtemps
jeter le sable sans viser
et les petits enfants ne voulaient plus dormir
même quand on disait
le marchand de sable vient de passer
et le sable épuisé
fouillant au fond du sac
il en tirait du vrai café
qu'il vendait aux bonnes d'enfants
maintenant c'est fini on trouve du café
et le marchand de sable s'est tué
on demande quelqu'un d'honnête
pour le remplacer.
Ce bureau poussiéreux
commence à me peser 
quinze jours de métier 
changement d'habitudes
autrefois étudiant je regardais les filles dans la rue 
de ma fenêtre 
à Paris
il faisait beau pour tout le monde 
on disait tu à tous les yeux du monde 
autrefois étudiant
(il est vieux le printemps) 
qu'il était doux le temps perdu 
en attendant
          un bureau monotone 
          une ville sans joie 
          un soleil poussiéreux 
          une mise au courant 
          (de 8 heures à midi 
          de 2 heures à 6 heures 
          de 8 heures à minuit le dimanche compris) 
aujourd'hui un instant de repos 
c'est la première fois 
entre un décret et une loi
le temps d'une cigarette à la fenêtre 
et je vois
une ville sans joie un soleil poussiéreux
des femmes mal peignées laides comme la pluie
dans les chemins d'hiver
un garage de bicyclettes
la fanfare du quartier
cachant sa provision de couacs
soigneusement collectionnés 
et puis soudain dans la hideur 
une surprise heureuse enfuie 
présente désormais 
jolie fille aperçue
comme on n'en voit jamais par les fenêtres
la ville est si petite on pourra se connaître
après tout ce bureau n'est pas laid
sous le regard des mères-lois
les décrets abrogés veillent sur leurs enfants
un rayon de soleil relance un arrêté
et j'écris pour moi seul
des histoires de rues
où l'on trouve des filles
qui sourient gentiment
à la vie et aux gens.
L'amour m'a dit
j'ai de la chance
personne ne me hait
et je ne hais personne
quand on me voit on me sourit
je m'assieds dans un fauteuil
et je m'en vais si j'attends trop
mais une chose me chagrine
il y a des gens qui me ressemblent
on me reproche très souvent
les fautes qu'ils peuvent faire
je sais bien qu'on souffre quelquefois
à cause de moi
ça me suffit
je ne veux pas qu'on m'accuse 
des fautes d'autrui
je désire simplement qu'on me reconnaisse
quand j'arrive
tâchez de vous en souvenir
jeune homme
à l'avenir.
Il faut de tout pour faire un monde
pour commencer
des riens
des bouts de rien
qu'on sort de rien
                sinon ce n'est pas drôle 
et l'on en fait des touts 
des tas de touts 
qui font le monde 
on peut avoir quelques difficultés 
au début
mais c'est à la portée de tout le monde
avec de l'habitude
et quand on a fini
on s'aperçoit que c'est tout simple
et que ça ne valait vraiment pas la peine
d'en faire un monde.
[Note de l'éditeur] Visiblement, à l'arrivée à son premier poste à l'arrondissement minéralogique de Montpellier, Claude Daunesse n'a pas trouvé son travail très passionnant
Elève Untel
veuillez me réciter votre table de rien
 
Rien
rien de rien 
reste rien 
rien par rien 
donne rien 
moins que rien 
absolument rien 
ni plus ni moins
Ça ne vaut rien recommencez
trois fois rien 
toujours rien 
on n'en sortira pas 
il faut partir de rien 
et rien ne sort de rien 
on n'en sortira rien 
remarquez que ça n'ajoute rien 
mais ça n'enlève rien évidemment
Ça ne fait rien continuez
c'est presque ça
je vais vous mettre sur la voie
un deux trois
partez
Je crois que j'ai trouvé 
quatre cinq six 
rien 
si
rien pour rien 
saint pour cinq 
quatre Saint-Cyriens
Elève Untel ce n'est pas mal mais c'est bien lent
vous auriez dû y penser avant
vous n'êtes pas assez sérieux
il faudra que je vous mette au pas
comme eux.
Annoncez que vous allez tout casser
mais attendez
regardez autour de vous
répétez que vous allez tout casser
attendez encore
et puis décidez-vous
prenez un brin de paille
et cassez-le
         et dites bien que vous l'avez cassé 
tout le monde s'étonnera d'en voir un qui tient parole 
on s'inclinera 
sur votre passage.
Je vous revois
mon amour d'autrefois
en robe grise avec un reflet mauve
ou quelque chose d'approchant
peut-être rose
         (pour un garçon les couleurs vont 
         ou ne vont pas
         mais leur couleur ne compte pas) 
une robe aux genoux 
rappelez-vous 
mon amour d'autrefois 
c'était la mode en ce temps-là 
un mardi gras 
à Bordeaux 
il y a longtemps
c'était le mardi gras d'avant mes dix-huit ans
et d'avant vos seize ans
avec un reflet mauve
ou quelque chose d'approchant
le seul jour important de ma vie
pendant longtemps
jusqu'au second exactement
où j'ai compris que le premier
n'était pas très important.
C'était la fin de sa jeunesse il avait pris le train il regardait le quai c'était vraiment la fin car de son point de vue tout le monde partait il avait pris le train et le train le prenait rien d'étonnant au fond puisque c'était la fin (l'ami pas d'amertume et pense au lendemain).
Un serrement de coeur
                  un mouvement de main 
un sourire éperdu vers un autre destin 
un croisement de jambe
                  un bel amour de moins 
un brin de souvenir à cacher dans un coin 
un moment de regret un moment de chagrin 
puis un juron soudain
                  (comme avec les copains) 
un essai de sommeil
                  un désir de copains 
à l'arrivée du train
un visage inconnu qui lui paraît humain 
un mouvement du coeur
                  un serrement de main 
l'ami pas d'amertume et pense au lendemain.
Choisir un souvenir précis 
et l'embellir 
puis l'oublier
de temps en temps y repenser 
se demander s'il est parfait 
s'apercevoir que non 
le retoucher
                  par addition 
                  par suppression 
                  ou par combinaison 
en faire un canevas 
pouvant servir une autre fois 
le répéter
étudier longuement les possibilités 
s'attarder sur les mots-clés 
quand le rôle est au point 
jouer la pièce au bon moment 
et se raidir
en ayant l'air de plaisanter
pour ne pas retomber dans les erreurs passées
normalement on réussit
et l'on obtient un souvenir
absolument vrai
pour raconter plus tard à ses petits-enfants 
sinon recommencer 
tout simplement.
Le voyage était long
                  je l'aurais cru plus difficile
le voyage était long
                  il fallait arriver 
on part sans espérer que l'on puisse arriver 
car le voyage est long
                  il paraît difficile 
                  une boucle à boucler 
                  une clef dans sa poche 
                  une poche trouée 
c'est un mauvais départ il faut recommencer 
                  on revient dans ses trous 
                  et l'on part au sifflet 
et quand on est parti
                  il suffit de tourner 
et l'on arrive un jour
                  il s'agit d'arriver...
Le voyage était long
                  je l'aurais cru plus difficile 
j'ai tourné très longtemps
                  et la boucle est bouclée 
mais je ne suis pas sûr que la chance ait tourné.
En Avignon 
un dimanche d'avril 
il y avait du vent
                  et tout le monde sait que le vent est espiègle 
                  et tout le monde sait qu'une fille jolie 
                  aime bien se montrer aux garçons de son âge 
                  et tout le monde sait qu'un garçon de cet âge 
                  aime bien regarder une fille jolie 
il y avait du vent 
son foulard est tombé
                  car tout le monde sait qu'un foulard est léger 
                  et tout le monde sait que le vent est taquin 
                  il caresse les filles il effeuille les roses 
                  et comme il a bon dos pour ce genre de choses
                  on accuse le vent on efface les causes 
elle n'a pas souri 
son foulard est tombé 
il y avait du vent 
je n'ai pas vu le geste 
son foulard est tombé 
et je l'ai ramassé 
il y avait du vent 
le reste est oublié 
et notre amour c'est un mystère 
le mystère d'Avignon 
où le vent bon garçon 
prend le parti des filles 
et celui des garçons.
Une porte a claqué
                  c'est peut-être un oiseau
                                    un oiseau de passage 
                  peut-être un courant d'air 
un rayon de fumée multiplie les visages 
une main sur les yeux
                  on retrouve des airs 
                  on efface des yeux 
des yeux nouveaux 
des airs anciens
                  un jeu ancien qui recommence 
                  on perd souvent
                                    drôle de jeu 
                  rien n'est perdu on recommence 
                  (mais si l'on gagne on a perdu) 
des yeux anciens 
des airs nouveaux
                  on chante pour l'oiseau 
                  pour l'oiseau courant d'air 
                  qui fait le fier dans la fumée 
                  dans sa cage de fumée 
                  sans voir qu'il est en cage
                                    (et la cage est fermée) 
                  on chante faux comme l'oiseau 
une porte a claqué
                  c'est le soir qui tombait 
les oiseaux sont couchés 
et le soir est tombé 
il ne viendra personne
                  et l'on va se coucher.
Le soleil fait un métier de chien 
il court toujours à la poursuite de son ombre 
il n'a jamais connu la fraîcheur de la nuit 
la couleur de l'eau claire un dimanche de juin 
                  les pieds nus dans la mousse 
                  auprès d'une fiancée 
et l'audace des mains et la douceur des lèvres 
et le charme du vent 
et la mauvaise foi des regards innocents 
                  avant 
                  après
                  et quelquefois pendant 
il n'a jamais joué à dire je vous aime 
comme il est seul 
on se moque de lui 
on prétend qu'il rougit 
de surprendre les rivières
                  dans leur lit 
on a beau dire qu'il se couche 
il n'a jamais connu la chaleur de la nuit 
il est debout toute l'année 
pas un jour de congé
quand il est fatigué on lui permet de s'éclipser
de temps en temps
mais rarement
alors il part en pique-nique
il emporte des croissants
                  croissants de lune évidemment 
                  qu'il va manger près des nuages 
                  tranquillement 
puis il revient sans protester 
toujours célibataire 
et toujours sans enfant
et se met à tourner comme il l'a toujours fait
à trois postes
ventre à terre
comme s'il travaillait
dans les Houillères.
Il aurait pu se faire un monde différent 
où nous aurions couru
                                    dès la jeunesse 
le même âge tous deux et le même idéal 
nids d'oiseaux
                  vol de fruits
                                    et les jambes griffées
nids d'oiseaux nids de foin
                                    et les cheveux épars 
sauvageons tous les deux et les jambes griffées 
pas encore avertis que nous étions heureux 
et nous l'aurions trouvé par le même idéal 
mêmes jambes griffées 
mêmes cheveux épars
il aurait pu se faire un monde par hasard 
où nous aurions trouvé le bonheur d'être ensemble 
toi qui souris moi qui souris
et le bonheur d'aimer sans attendre qu'on s'aime 
il aurait pu se faire un monde par hasard 
où nous aurions trouvé la douceur de l'amour 
de l'amour quand on s'aime 
même sans le savoir.
Le sourire
                  que tu me reproches si souvent 
ce sourire moqueur 
si tu savais...
                  ce n'est pas toi qui le provoques 
                  ni les autres 
c'est de moi qu'il se moque...
Il avait toujours su 
qu'il est absolument idiot 
de n'avoir aucune activité 
en dehors de son métier 
comme il était coiffeur 
il en avait assez
                  de tailler 
                  de couper 
                  de raser
et le soir venu 
pour se reposer 
il jouait au barbu.
Nous avons dédoublé la ville
à la limite de nos forces
il faut se résigner aux villes simplifiées
les rues multipliées ont divisé nos rêves
les rues multipliées par cent pas redoublés
si le trottoir d'en face avait changé de place
nous aurions traversé
les rivières sans eau
et les rues sans secret
pour le plaisir de traverser
et de nous retrouver
gros-Jean comme devant
nos rêves divisés
et nos espoirs au vent.
Sur la plage
les enfants jouent et nagent
                                    c'est de leur âge 
les pêcheurs font sécher les filets
                                    c'est leur métier 
une fille s'étend pour brunir davantage 
avant de se baigner 
un garçon la rejoint 
et lui donne un baiser
                                    ce sont peut-être des fiancés 
en voyant les oiseaux de passage
les hirondelles pensent à préparer leur grand voyage 
mais volent bas
                                    c'est à cause de l'orage
au large
les chalutiers qui rentrent
aspirent les goélands dans leur sillage
                                    c'est le poisson de vendredi 
                                    qui sent mauvais dès aujourd'hui
le vent du sud
gonfle les voiles et les nuages
                                    c'est l'arrivée de l'orage 
et tout le monde s'en va 
les goélands dans le vent 
les chalutiers au port
les hirondelles sous les toits les pêcheurs au bistro 
le garçon bras dessus 
la fille bras dessous 
et les enfants au lit
                                    il ne reste que l'eau
                                    qui fait des ronds dans l'eau
                                    et le paysage gris
                                    noyé
                                    pins mouillés grains de brume 
                                    qui se perd lentement 
                                    corps et biens dans la pluie 
                                    corps et biens dans la nuit.
Pour revenir 
de loin comme de près 
il s'agit d'en partir 
même sans bouger 
car on peut revenir de beaucoup de pays 
où l'on n'est pas allé 
la grosse difficulté 
précisément
c'est de ne pas y rester.
Je ne sais pas écrire des poèmes 
avec des majuscules à chaque ligne 
comme on voit dans les anthologies 
                      accompagnées 
                      de commentaires 
                      indulgents ou sévères 
                      sur le nième pied du 
                      pqième vers 
alors j'écris comme je peux 
j'écris ce qui me plaît 
quand la rime s'enfuit
                      je la supprime 
si une rime vient
                      je la renvoie 
                      un peu plus loin 
                      ou je la garde pour une autre fois 
quant aux pieds n'en parlons pas 
suivant les cas
                      j'en ajoute 
                      j'en retranche 
ça dépend du moment 
de la pluie du beau temps 
ça dépend quelquefois tout simplement 
d'une chanson que j'entends 
d'une fille qui la chante 
d'une autre fille qui chantait 
des jours anciens où j'essayais de l'aimer 
en alexandrins
                      désespéré
                       de ne pas avoir 
                      six doigts 
                      à chaque main.
Rue de la Clède 
à la Grand'Combe 
une fille a souri
                    comme sourient les jeunes filles 
                    quand elles sont aimées 
                    au hasard 
                    à la rue 
                    à l'étranger 
ses yeux ont éclairé
les cendres le charbon le brouillard la fumée 
                    qui pèsent lourdement 
                    sur le ciel de la ville 
                    de Ricard à Trescol 
                    et du Fesc à la Pise 
                    à n'importe quelle heure 
                    par n'importe quel temps 
                    et sans espoir de changement
A la Grand'Combe
                    on devine des pas dans le brouillard de l'aube 
                    et les ombres s'effacent enrobées de fumée 
                    Sainte Barbe protégez-les 
à la Grand'Combe 
dans le Gard
                    le charbon tombe sur la ville 
                    sur les maisons 
                    dans les jardins 
                    sur la cellule et sur l'église 
                    et que Dieu retrouve les siens 
                    les cendres tombent sur la ville 
                    sur les vivants et sur les morts 
                    les uns vivant comme des morts 
                    les autres morts Dieu ait leur âme
A la Grand'Combe 
dans les Cévennes
                    où le Gardon refait son lit 
                    à chaque pluie 
une fille a souri 
pourquoi parler du reste 
un sourire suffit à balayer le ciel.
Dimanche de juillet
ciel bleu violet sur Montpellier
l'étang de l'Or 
s'endort
sous les bulles de vase
Carnon et Palavas grouillent de nudité
dimanche de juillet 
au pied du Mont Saint-Clair 
où nichent les colombes 
se pose un pétrolier
l'Espiguette s'élance à l'assaut d'un nuage 
mirage délié
dimanche de juillet
nos jambes se retrouvent
et le désir latent de la foule anonyme
unit enfin nos corps
pour une brève éternité
nous nous sommes aimés 
pas très loin de Montpellier 
un beau dimanche de juillet.
En Alès
        Alès la rouge aux franges de misère
        le Gardon dérisoire au pied de l'Ermitage
        imagine parfois des caprices d'enfant
        pour se donner de l'importance
        et le mont Ricateau
        Larousse des Cévennes
        semant à tous les vents
        des trombes de poussière
        apprend aux étrangers
        qu'Aies la mal aimée est issue de la terre
        qu'Alès Alès la rouge est tissée de misère
En Alès
        Alès la rouge aux sursauts de colère 
        on ne rêve jamais de paradis lointain 
        et quand les joues se creusent 
        et les cabas se vident
        on passe dans les rues en hurlant à la mort
        sans que personne ait tort
        et personne raison
        Alès la camisarde est fille du désert
        Alès Alès la rouge est gorgée de misère
En Alès
        Alès la rouge aux portes de l'enfer
        on s'accroche toujours aux restes du passé
        Alès est capitale
        et le Gardon est fleuve
        et tant pis si l'on demande un jour
        pourquoi la fière Alès n'est plus qu'un cimetière
Alès
Alès la rouge
sera morte
        de misère.
Au tournant de la route 
une fille attendait
elle faisait signe aux voitures qui passaient 
mais aucune ne s'arrêtait
les voitures ne s'arrêtent pas dans les tournants
excepté celles des imprudents
et la fille attendait
car un garçon prudent
n'aurait pu l'embrasser
en lâchant le volant
je me suis arrêté 
au tournant
au tournant de la route 
où la fille attendait 
un imprudent
et depuis ce jour-là 
je conduis un gendarme
quand une fille attend sur le bord de la route
mon gendarme déclare
en me pinçant le bras
qu'on ne s'arrête pas
dans un tournant
même s'il est en ligne droite.
Sur la plage de la Salie
un jour de mauvais temps
au début de septembre
nous avons joué comme des enfants
et le sable cinglait nos jambes
mouillées par les embruns
puis les grains de suroît 
sont venus par rafales 
la côte a disparu 
et nous avons rêvé 
d'être des naufragés 
heureux d'avoir fait naufrage
puis nous avons rejoint 
le hâvre de l'auto
et nous avons souri d'être toujours vivants 
et nous avons mêlé le sel de nos visages 
pour remercier l'amour 
de nous avoir sauvés.
Avant de te connaître
comme je te connais
la vie pour moi était un jeu
        si l'on obtient ce qu'on désire 
        on marque un point
        en cas d'échec c'est l'autre qui le marque 
        on fait le classement à la fin de l'année 
        et la vie continue 
        à travers les saisons
        avec l'espoir -- un jour -- d'une grande victoire 
avant de te connaître 
comme je te connais...
maintenant tu as détruit tout mon système 
tu te moques de moi 
je t'aime
la vie n'est pas un jeu 
et je ne sais plus vivre.
Si le temps a passé 
je suis resté le même 
j'aime Cazaux plus que jamais 
je regrette son lac 
son chêne
et la douceur d'y vivre 
(ô douceur cazaline) 
mais on ne peut pas faire ce qu'on veut 
comme on le veut 
même si on le veut 
et je passe ma vie à me jeter à l'eau 
ce n'est pas à Cazaux
et j'écris tendrement 
des vers qui n'en sont pas 
où se cache parfois 
entre deux assonances 
le souvenir vivant 
de mon plus cher amour.
Il n'y a plus grand monde sur terre 
que je puisse aimer 
d'un amour sincère 
désintéressé
ma mère nous a quittés 
mon père est seul 
mais les hommes ont un amour rugueux 
silencieux
qui se traduit parfois en tapes sur l'épaule 
les jours de grande joie ou de grande détresse 
il reste ma filleule 
elle a sept ans 
des cheveux blonds
quand nous jouons ensemble elle m'appelle Claude
elle cherche parrain pour être protégée
et elle me dit vous quand elle est en colère
ma filleule n'a pas connu son père
et je l'aime de tout mon cour
en souvenir de son père
évidemment
mais aussi probablement 
parce qu'elle ressemble à sa maman 
qui ne m'aime pas.
La pluie tombe
au-dessus de nos têtes
tu te moques de moi
car je suis du pays de la pluie
mais c'est une autre pluie
douce comme ton corps
fine comme les herbes
une pluie d'océan ou une pluie de ciel
l'océan et le ciel se rejoignent au large
une pluie de genêt de fougère et d'ajonc
une pluie de soleil
si tu la connaissais
mais il pleut
sale pluie
la pluie de Montpellier qui ne sait pas jouer
et qui tombe comme de l'eau
qui ne sait pas tomber
et se casse les gouttes
à tous les coins de mur
tu te moques de moi
je devrais m'en aller
mais il pleut
ce soir
à Montpellier
et je reste avec toi
à rêver de la pluie
la pluie de l'océan
la pluie de mon pays
douce comme ton corps
quand nous dormons ensemble.
D'où je viens je reviens
et je vais où je veux
à pied
à cheval
ou en voiture
et je cherche partout
la pin-up de ma vie
sans grand succès
évidemment
car si elle est ici
je pourrais être ailleurs
et si j'étais ailleurs
je ne la verrais pas
après tout c'est mon droit
de partir où je veux
quand je veux
je ne fais pas de mal
et je ne me plains pas
et si vous critiquez
la façon dont je vis
ne vous inquiétez pas
je partirai bientôt
pour vous débarrasser
à pied
à cheval
ou en voiture.
Le temps 
le temps de voir 
le temps d'aimer 
le temps tout simplement 
d'avoir le temps 
et de flâner 
du Peyrou aux Arceaux 
de Figuerolles à Boutonnet
Le temps
je demande le temps 
de marcher de rêver 
dans les rues tranquilles 
de Montpellier
le temps
je veux trouver le temps 
de respirer le vent 
parfumé de garrigue
Viols-le-Fort 
Saint-Gély
Pic-Saint-Loup l'endormi 
je demande le temps 
de connaître vos rêves 
au hasard du printemps 
aujourd'hui ou plus tard 
mais un soir de printemps 
au parfum de garrigue 
quand le soleil descend 
sur la route de Ganges 
et que la nuit se glisse 
entre deux rangs de vigne 
grenache carignan 
cabernet ou hybride
quand le midi s'endort 
sans penser au matin.
Vous jouez aux comiques
ô tristes clowns sans âme avides de plaisir
besogneux dépassés d'un avenir exclu
amusants quelquefois à force de bêtise
mais tristes plus souvent de désir avoué
cessez donc de jouer
des rôles mal conçus
un clown est un acteur
plus humain que les autres
dont le coeur mal fichu
est ébloui d'amour
il déchire son coeur aux rires inconscients 
espérant seulement le rire d'Isabelle 
un seul jour
un seul rire conscient que lui seul entendra
vous jouez aux comiques
ô tristes clowns sans âme avides de plaisir
cessez donc de jouer
des rôles mal conçus
vous ne saurez jamais
vous déchirer le coeur.
L'ingénieur en chef de l'arrondissement de Clermont-Ferrand, Sylvain Stevenard, décède subitement, et Claude Daunesse doit le remplacer au pied levé. Daunesse constate sur place la médiocrité su travail de son prédécesseur.
Un Ingénieur en Chef 
est mort
un nouvel ingénieur 
est appelé 
à peigner
quel drôle de métier 
pour un ingénieur 
j'ai l'honneur d'accuser... 
vous m'avez fait connaître... 
comme suite au passé... 
reeevez cher monsieur... 
j'ai l'honneur d'accuser 
mes anciens d'inconscience 
vous m'avez fait connaître 
un enfer d'intentions 
comme suite au passé 
oublions le passé 
recevez cher monsieur 
le pardon de vos fautes
et Dieu veuille sauver 
ce qui reste à sauver
car les hommes sont faits 
pour condamner les hommes.
En août 1958, Daunesse doit quitter précipitemment Clermont-Ferrand pour aller prndre la direction de l'Arrondissement minéralogique et de l'Ecole des mines de Douai, à la place de Henri Nicolas.
J'aurais voulu connaître une douceur de vivre
ici plutôt que là
puisque je viens d'ailleurs
de Gaillard à Delille
ou de Jaude aux Salins
mais je vieillis chaque matin
chaque pas dans la nuit
éloigne ma jeunesse
je rencontre partout des visages fermés
je n'étais pas méchant 
Auvergne 
et tu m'as cru 
ton ennemi
je n'étais qu'un enfant perdu
chaque pas dans la nuit déchire mon coeur d'homme
il faut vivre pourtant comme vivent les hommes
un peu de souvenirs
et beaucoup d'illusions
il faut vivre je vis
mais l'enfant s'est perdu
et l'homme est sans pitié
pour trouver son chemin.
Nous n'avons rien de distinct 
au sens propre 
ni amour propre 
ni sens commun
nous n'avons rien de commun 
à première vue 
ni double vue 
ni distinction
car il n'y a rien de tel que les comparaisons 
pour faire diverger toutes les convergences
car il n'y a rien de tel que les comparaisons 
pour faire converger toutes les divergences
et nous vivons ensemble.
La grande ressemblance 
entre une différence 
et une ressemblance 
c'est que la différence 
masque la ressemblance 
et que la ressemblance 
masque la différence
La grande différence 
entre une ressemblance 
et une différence 
c'est que la ressemblance 
admet la différence 
et que la différence 
omet la ressemblance.
Je ne sais plus très bien 
où est la vérité
il est bien évident que le monde est absurde
et que la vérité est proche du mensonge
il est tout aussi clair que la vie est très simple
et que l'amour d'aimer est le secret du rêve
mais on ne sait jamais
où est la vérité
(on sait ce que l'on sait
et l'on n'en sait pas plus)
si le rêve d'un jour
vaudra le lendemain
si la marque du temps
supporte l'aventure
si l'aventure même est un reflet du temps 
ou si plus simplement à défaut d'une flamme 
on forge le futur en fonction du présent
je ne sais plus très bien 
où est la vérité
il est bien évident que le monde est absurde 
il est tout aussi clair que la vie est très simple 
et dans l'amas confus d'un faisceau d'évidences 
je crois qu'il faut choisir 
qu'il suffit de penser
que le monde est absurde 
et que la vie est simple 
et vogue la galère.
Voici l'expérience managériale du directeur des mines du ministère de l'Industrie :
Le même homme 
ne peut pas être 
partout à la fois 
à l'envers à l'endroit
au four et au moulin 
côté cour et côté jardin
il ne peut pas savoir 
tout ce qu'il faut savoir 
être et avoir été 
quand arrive l'automne 
au courant de l'hiver 
au parfum du printemps
on ne joue pas avant comme on jouerait arrière
l'essentiel est le jeu
tel qu'il faut le jouer
et il faut le jouer en fonction de l'équipe
qui doit à tout instant
se battre pour gagner
dans les règles du jeu
        et jamais en dehors
car les bornes passées
        il n'y a plus de limites.
Dans la vie
tout se présente en même temps 
l'être ou le néant
le beau temps et le mauvais temps 
un visage songeur 
un rire qui éclate 
un système qui meurt 
un autre qui renaît
dans la vie d'un dauphin 
un requin est un homme 
et dans la vie d'un homme 
un requin est un loup
tous les loups sont dans la nature 
et meure l'amitié.
Un qui n'a pas souffert 
décalque la puissance 
un qui n'a pas souffert 
ranime la violence 
un qui n'a pas souffert 
abolit l'espérance 
un qui n'a pas souffert 
suscite la vengeance 
un qui n'a pas souffert 
engendre la souffrance.
On peut se poser 
des tas de problèmes 
problèmes futurs 
problèmes passés
on peut se poser 
des problèmes vrais
le problème final 
qu'il convient de poser 
est de savoir pourquoi 
les problèmes se posent.
If you can keep your head 
et si tu es un homme 
tu dois te demander 
si je ne suis pas fou
I know I am not mad 
et que le monde est fou 
Ich will nicht arbeiten 
pour un monde en folie
la vie est difficile 
et les hommes sont frères 
you'll be a man my son 
et je compte sur toi
¿ y por qué discutir 
y por qué trabajar ?
parce qu'il vient un jour 
où le plus délicat 
quittant toute vergogne 
doit retrousser sa manche 
et faire la besogne.
Les choses sont 
ce qu'elles sont 
les choses sont 
comme on les voit
les choses sont ce qu'elles sont 
les choses sont en ligne 
les choses sont comme on les voit 
les choses sont en file
les choses sont comme on les voit 
les choses sont en ligne 
les choses sont ce qu'elles sont 
les choses sont en file
quand je veux m'amuser 
je vois les choses 
en diagonale 
et quand je suis sérieux 
j'imagine des graphes
je ne suis jamais sûr de garder mon sérieux 
les choses sont comme on les voit 
les choses sont 
ce qu'elles sont.
Je suis dans mon pays 
je regarde le port
dans la seule prison des digues du passé 
je suis tout ébloui par la blancheur des tuiles 
je suis dans ma maison 
je regarde le port
je suis dans mon pays 
je regarde mon port 
les pinasses sont là 
comme dans le passé 
rien n'a beaucoup changé 
mais tout a bien changé 
car le passé n'est plus
            et des choses sont mortes
je suis tout ébloui par mon amour d'aimer
j'adorais tout petit l'envol des tourterelles 
mon Dieu je m'en souviens 
j'aimais ces tourterelles mon Dieu 
je m'en souviens 
j'adorais leur envol
je suis un exilé car les hommes sont bêtes 
mais je dis qu'autrefois 
on pouvait se tromper
j'adorais pour ma part l'envol des tourterelles 
et j'aimais mon pays 
avec ses arbousiers
mais je dis 
car je dis
quand j'ai envie de dire
que j'aime beaucoup plus
mes erreurs de jeunesse
que l'aspect fabriqué des choses du présent
je dis
car je le dis
que ces choses sont bêtes
et que j'aime au-delà de l'avenir truqué
l'amour
le simple amour 
des choses naturelles 
par exemple 
l'envol
le simple envol
des pauvres tourterelles.
Les choses sont des choses 
et les rêves des rêves 
les choses sont des rêves 
et les rêves des choses
si tu n'es pas d'accord 
je ne suis pas d'accord
Les hommes sont des hommes 
et les hommes sont hommes 
tu te fais des idées 
je me fais des idées
si tu n'es pas d'accord 
je ne suis pas d'accord
car cela signifie
que nous ne parlons pas
des mêmes choses.
Quand on est technicien 
et qu'on voit un problème 
on l'appelle pb 
et pour l'apprivoiser 
on ajoute petit
il finit quelquefois 
par vous trouver gentil 
et quand on est sérieux 
et qu'on sait ce qu'on veut 
on sort son grain de sel 
qu'on lui met sur la queue
quand on est technocrate 
et qu'on voit un problème 
on ne l'appelle pas 
on le laisse venir 
car il peut déboucher
il finit quelquefois 
par se poser vraiment 
et quand on est sérieux 
et qu'on veut ce qu'on veut 
on raconte partout 
qu'on l'avait toujours dit
quand on est technicien 
on piège l'ortolan 
quand on est technocrate 
on chasse l'éléphant
quand on est diplomate
et qu'on a tout son temps
on échange indifféremment
des moineaux contre des éléphants
et réciproquement
on est toujours perdant
on est toujours gagnant
Devenu un pirate 
on finit trafiquant 
tout simplement 
et l'on garde pour soi 
les ortolans.
Un problème
est un problème
quand on l'aime
sinon c'est un embêtement
tout simplement
                        et vous m'avez compris 
                        comme dirait quelqu'un 
                        qui pose des problèmes
un problème 
quand on l'aime
et l'on aime quelqu'un comme on aime un problème 
un problème parfois 
est surtout un poème
un poème
est un poème
quand on l'aime
sinon c'est un embêtement
tout simplement
                        et vous m'avez compris 
                        comme je le disais 
                        moi qui joue aux poèmes
un poème 
quand on l'aime
et l'on aime quelqu'un comme on aime un poème
un poème parfois
est surtout un problème.
Mon Dieu 
je ne sais plus 
si je peux discuter
mon Dieu
je ne sais plus
car j'ai peur des bêtises
je ne suis qu'un gamin 
et j'ai peur des salauds 
je ne suis qu'un gamin 
et les hommes sont vaches
mon Dieu 
mon Dieu
je voudrais discuter
je voudrais discuter 
car les choses sont là 
on peut se demander 
et comment et pourquoi 
mais les choses sont là 
et les hommes sont vaches 
pardonnez-moi mon Dieu 
mais les choses sont là
mon Dieu
je ne sais plus
si je peux discuter
mais puisque je suis seul
et que j'aime la vie
mon Dieu
pardonnez-moi
même si je me trompe
pardonnez-moi mon Dieu
je défendrai la vie.
Le rêve le plus beau 
est toujours le plus simple 
car il ne reste rien 
au-delà d'un beau rêve 
qu'un rêve 
un simple rêve 
un rêve sans emploi
réflexion sans emploi 
rêve sans plate-forme
le rêve est au présent 
le refus du passé
et pouvez-vous jurer 
vous qui jouez aux rêves 
qu'un rêve n'est qu'un rêve 
et non pas un juron
le rêve est au futur 
le présent du passé
le rêve le plus beau
est toujours le plus simple
un rêve
un simple rêve accroché au présent
un rêve d'avenir fondé sur le passé 
un rêve d'être sûr 
un rêve d'être bon 
un rêve un simple rêve 
appuyé d'un juron
un rêve de la vie
comme on voudrait la voir quand on aime les rêves 
un rêve de la vie comme on voudrait la vivre 
la vie la simple vie 
comme on la vit parfois 
à l'occasion d'un rêve
            quand on aime rêver.
Tu vois nous allions
            tous les deux
                        ensemble
par les sentiers diffus de notre maïeutique 
nous allions
            tous les deux 
le monde est ainsi fait 
qu'il faut aller ensemble
et nous sommes allés 
par les sentiers touffus
et sous le feu roulant des questions importunes 
nous avons hésité dans le soleil couchant
des vents se sont levés 
avec des airs méchants 
et des cornes de brume 
dans le soir vieillissant 
où se glisse la lune
nous avons hésité 
dans la nuit opportune 
des vents se sont levés 
commence l'aventure
des vents et des idées 
des idées et des mots 
des mots sans prétention 
et des mots compliqués
commence l'aventure 
car les mots sont des mots 
même sans prétention 
et bien souvent abscons 
comme la lune.
La poésie est là pour dire en quelques mots 
ce qu'on dit plus souvent en vagues périphrases
poésie 
poésie
            je rêve de ton nom
poésie
            je dis ce que je sais 
            en termes plébéiens 
            je dis ce que je fais 
            car je suis un prolo
poésie
            je fais ce que je sais 
            je ne sais ce qu'ils font 
            je ne sais ce qu'ils voient 
            je ne sais ce qu'ils ont
poésie
            je me tue à prévoir 
            l'avenir raisonnable 
            je me tue à prévoir 
            et sauf un homme vrai 
            que j'aime comme un frère
poésie
            je me tue à prévoir
            sans respecter la forme
            et sauf ce camarade
            à aimer comme un frère
            je suis un pélican dévorant ses enfants.
Il y a des gens qui font 
et d'autres qui défont
pour défaire on peut dire 
on peut dire 
o mon Dieu 
o maman o papa 
on peut dire jacquot 
quand on est perroquet
on peut dire j'ai fait 
j'ai fait tous les efforts 
j'ai eu tous mes effets 
et c'est moi le plus fort
mais pour faire il faut faire 
et l'on doit réfléchir 
pour savoir ce qu'on fait 
car faire ce qu'on fait 
en sachant qu'on le fait 
c'est faire ce qu'il faut 
en sachant qu'il le faut
il le faut 
on le sait 
on le fait 
et c'est tout
on le fait
            et d'autres le défont
on le fait 
et c'est tout
            car rien ne peut défaire une façon de faire.
Le poète disparaît 
comme tout un chacun
Quand chacun meurt
reste son souvenir
qui s'estompe dans le temps
Quand le poète meurt 
reste son message 
que rien ne peut effacer
Ce message 
une voie tracée 
pour ceux à qui il est destiné 
            s'ils le comprennent