A
l’heure où j’écris cet
éditorial, l’été hésite encore à
s’installer, les Français s’inquiètent pour leurs
retraites, la
Grande-Bretagne annonce (après bien d’autres
pays) son plan
d’austérité, les investisseurs chinois lorgnent sur une
Grèce exsangue, les
pélicans du Golfe du Mexique barbotent dans le goudron et les
Français ne seront
pas, tant s’en faut, champions du monde de football !
Pas
simple, dans ces
conditions, d’avoir la plume légère et de penser que la
crise ne sera plus
qu’un mauvais souvenir au moment où vous lirez ces lignes.
Alors
débouchons plutôt un
bon Bordeaux, et goûtons à cette légère
euphorie que procure la dégustation
d’un grand cru classé, tout en lisant Baudelaire :
« Un soir, l’âme du vin chantait dans les
bouteilles :
Homme, vers toi je
pousse, ô cher déshérité,
Sous ma prison de verre et mes cires vermeilles,
Un chant plein de lumière et de fraternité ! ». (1)
Et
pour nous guider dans ce
choix, pourquoi ne consulterions-nous pas l’oracle, j’ai nommé
Robert Parker, cet
influent expert américain désormais redouté de
tous les vignerons ? Mais
auparavant, lisons l’article que Jérôme
Barthélémy consacre au célèbre
critique iconoclaste :
nous y verrons que, là comme ailleurs, spéculation,
standardisation et
communication sont parfois plus déterminants pour la
réputation d’un vin que
statut, tradition ou poésie (n’en déplaise à
Baudelaire…).
Si vignerons et négociants
bordelais ont su, au final, retourner en avantage ce qui leur semblait
une remise
en cause radicale pour en retirer collectivement le meilleur profit sur
le
marché international, ils ne sont pas les seuls.
Ainsi, quatre articles de ce
numéro de Gérer & Comprendre s’intéressent
à des producteurs de céréales, de
lait, de sucre ou de pruneaux d’Agen. Ils en analysent les
réponses face aux
crises majeures qu’ils subissent, aux concurrences exacerbées et
aux diktats
des distributeurs. Défense d’un bien commun partagé
au-delà des rivalités
locales, pour les uns, meilleure répartition de la valeur
ajoutée ou conquête
de nouveaux débouchés, pour les autres : les
solutions ne manquent pas, face
à la constante des logiques financières d’une
mondialisation largement
dérégulée (encore faut-il y croire…).
La
régulation sera-t-elle le
maître-mot de la rentrée ? On nous le promet, la main
sur le cœur. Nous
attendons, donc, sereins et confiants…
Mais au
juste comment la
fabrique de la réglementation fonctionne-t-elle ?
Trois
chercheurs se penchent
sur cet épais mystère : comment élabore-t-on
« une réglementation » qui
soit raisonnablement compliquée’ ?
Je ne sors guère rassuré de cette lecture : inertie,
résistances et
complexité font bon ménage, dans le paysage que les
auteurs nous décrivent.
Peut-être est-ce mieux
ailleurs ? Dans un pays émergent comme l’Egypte, par
exemple ? « Hélas,
non… », répond Hèla Yousfi. Les
bonnes intensions ne suffisent pas et, là encore, le diable se
cache dans les détails :
il ne sert à rien de vouloir changer les institutions afin de
séduire
investisseurs et bailleurs de fonds, dès lors que ceux qui les
mettent en œuvre
n’y adhèrent pas et les détournent à leur avantage.
L’année qui vient
verra-t-elle une meilleure prise en compte du bien commun un peu
partout sur
notre planète, ou bien le clivage entre intérêts
privés et contraintes subies
par le plus grand nombre continuera-t-il à s’accentuer ? Le
chant des
sirènes financières cédera-t-il enfin le pas au
« chant plein de lumière et de
fraternité » célébré
par Baudelaire ?
En
attendant (plus que
jamais), Gérer & Comprendre - à
lire sans modération ! - sera toujours là pour
nous aider à saisir les
mécanismes complexes du monde incertain vers lequel nous
semblons nous
acheminer.
(1)
Charles Baudelaire, L’âme du vin, Les Fleurs du Mal,
1857.
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