Ce numéro a été coordonné par Julien NOCETTI
Chercheur, GEODE (Géopolitique de la datasphère,
Université Paris 8) et IFRI
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Introduction de Julien NOCETTI
Souveraineté numérique :
dix ans de débats, et après ?
Faut-il se réjouir qu’en 2023 la souveraineté numérique suscite des débats aussi polymorphes et extraits des seuls cercles d’expertise auxquels elle a été confinée pendant des années ? Il est peu de dire que l’enjeu dont il est question dans ce numéro a pris une dimension nouvelle, bien au-delà de sa quasi-exclusive coloration technologique et industrielle d’origine, pour embrasser une série d’enjeux de nature démocratique, socio-économique, sécuritaire et de défense, financière, de formation, etc.
Une actualité omniprésente
En 2023 donc, une part substantielle de l’actualité numérique et technologique renvoie à des considérations souveraines. En juillet, la polémique née de la nomination, par la Commission européenne, d’une experte américaine au poste de cheffe économiste à l’influente direction générale de la concurrence, chargée d’enquêter sur les pratiques anti-concurrentielles des entreprises – dont les Gafam – révèle tout autant le manque de sens politique de la Commission sur un enjeu majeur de la relation transatlantique et le risque bien réel d’instrumentalisation politique par des formations eurosceptiques.
En outre, le projecteur politique placé sur TikTok des deux côtés de l’Atlantique, montre bien que la régulation des plateformes du numérique se situe au cœur des rapports de puissance, tant entre alliés qu’entre adversaires géopolitiques. Il est frappant de remarquer les analogies du discours américain sur TikTok avec les inquiétudes exprimées de longue date par l’Union européenne (UE) en matière de « souveraineté numérique ». À travers son expansion numérique, la Chine tendrait-elle un miroir déformant aux États-Unis ? Comme lors de l’entrée en application du RGPD (Règlement général de protection des données) européen, en mai 2018, l’effet d’entraînement normatif de l’UE est et restera scruté de près avec l’affaire TikTok, à travers la mobilisation des outils juridiques de celle-ci, à commencer par le Digital Services Act (DSA) entrant en vigueur.
« Dix ans de débats », suggère le titre du présent numéro. À l’évidence, la souveraineté numérique telle que discutée en 2012-2013 est différente de celle actuellement débattue. Le concept n’est lui-même pas apparu partout au même moment. En Europe, et en France en particulier, est évoqué le lien entre la souveraineté des États et l’ère de foisonnement numérique qui s’ouvre entre le milieu et la fin des années 2000, sous l’influence (certes encore modeste) de débats internationaux qui, de Genève à Tunis, commençaient à replacer les États en haut de la pyramide des acteurs de la gouvernance de l’internet. Le concept, sans surprise, monte en puissance au moment des révélations de l’ancien contractuel de la National Security Agency (NSA) américaine Edward Snowden, en juin 2013, avant que l’emprise croissante des grandes plateformes californiennes ne vienne révéler crûment les propres failles de l’Europe en matière de souveraineté.
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