Victor ZIENKOWICZ (1806-1885)

Bulletin de l'Association amicale des anciens élèves de l'Ecole des Mines, Juin-Juillet 1885

Les anciens élèves de l'Ecole des Mines ont fait une perte de plus regrettables dans la personne de Victor Zienkowicz, élève à titre étranger, de notre Ecole des Mines de Paris (promotion de 1833).

Victor Zienkowicz, ingénieur civil, a succombé après quelques jours de maladie, à une pneumonie aiguë, à l'âge de 78 ans. Il habitait Turin depuis quelques années , avec une partie de sa famille, après avoir longtemps résidé à Milan.

Victor-Augustin Zienkowicz était né en 1806 à Chrapkow (Minsk) dans la province de Lithuanie (Pologne russe) d'une famille noble, mais ruinée par les Révolutions.

A l'époque de l'insurrection de Pologne, en 1831, il était étudiant de quatrième année de la Faculté des sciences mathématiques et naturelles de l'Université de Wilna.

Son ardent patriotisme lui fit prendre les armes comme simple soldat. Après les désastres des armes polonaises, il émigra en Autriche, puis en Saxe ; finalement, il put arriver à Paris, seul, dénué de ressources. Il fut bientôt compris, temporairement, au nombre des réfugiés de sa malheureuse patrie auxquels le gouvernement français accordait quelques secours.

Il entra en 1833 à l'Ecole des Mines de Paris. L'aménité et l'honorabilité de son caractère lui créèrent bientôt de vives sympathies auprès de ses professeurs et de ses camarades d'études. Plus d'une fois, notre camarade a déclaré, depuis, que les souvenirs de cette époque lui étaient chers et, à ses derniers moments, il disait à ceux qui l'entouraient qu'il avait, à cette époque, rencontré un rayon de soleil vivifiant, après plusieurs années d'orages.

A sa sortie de l'Ecole des Mines en 1835, Zienkowicz fut placé par M. Dufrénoy, alors professeur à l'Ecole des Mines et qui l'honorait de sa protection, en qualité de directeur d'une verrerie à Château-Salins, près Nancy. Peu d'années après, il quittait cette position et entrait, en qualité de conducteur, dans le corps des Ponts et Chaussées. Placé sous les ordres de MM. Collignon et Zeiller, ingénieurs, il prit part aux travaux de construction du canal de la Marne au Rhin.

Quelques années plus tard, et sur le conseil même de ses chefs, il quittait le service des Ponts-et-Chaussées pour suivre une carrière plus lucrative pour sa famille. Associé avec quelques capitalistes, il commença à travailler pour son propre compte, comme entrepreneur de travaux publics.

Ses premiers travaux furent exécutés en Lorraine. Tantôt avec un associé, tantôt seul, il dirigea le percement de divers tunnels sur des lignes nouvelles de chemins de fer, en France.

Le dernier travail dont il eut l'entreprise fut le percement du tunnel de Blaisy-Haut, en Bourgogne. Ces travaux étaient à peine terminés, lorsqu'en 1856, il fut appelé en Italie par la Direction des chemins de fer Lombards-Vénitiens, avec le grade d'ingénieur, chef de division. Il fut chargé de travaux géologiques. De 1851 à 1859, il eut à diriger de nombreux sondages à Mestre, près Venise, à Plaisance, à Borgoforte, pour les fondations de piles de ponts et autres travaux importants.

De cette époque datent, aussi, ses recherches sur les gisements de calcaires à chaux hydraulique, dans les Alpes et les Apennins. Elles amenèrent la création de l'usine de Palazzuolo, aujourd'hui florissante.

Depuis 1859, Zienkowicz, marié et père de famille, quitta le service actif des chemins de fer, pour s'occuper exclusivement de la fabrication des charbons agglomérés, à destination des chemins de fer de la Haute-Italie. Il devint, ainsi, le créateur d'une nouvelle branche d'industrie dans les provinces septentrionales de l'Italie.

Etabli à Milan, il s'occupa, à partir de cette époque, de développer l'industrie qu'il avait fondée. Il conservait toute la lucidité de son esprit, dans un âge avancé.

Ce ne fut que dans ces dernières années que Zienkowicz se fixa définitivement, avec la compagne de sa vie, à Turin, où résidait l'un gendres, M. Carrozzi, représentant, pour l'Italie, d'une Compagnie importante d'assurances.

Son second gendre, M. Szylanski, ingénieur civil, ancien élève de l'Ecole supérieure des Mines, fut appelé par Zienkowicz à Milan, pour lui succéder dans ses travaux.

Le gouvernement du Roi d'Italie avait tenu à récompenser les longs et importants travaux de Victor Zienkowicz. Depuis deux ans, il avait reçu la décoration de la couronne de fer d'Italie.

Celui qui trace ces lignes a été heureux de rencontrer auprès du digne gendre de Zienkowicz, M. l'ingénieur Szylanski, des renseignements sur diverses phases de la carrière d'un ami, qui, fixé, depuis longtemps en Italie, ne venait plus que rarement à Paris. Il tient à lui exprimer, ici, ses vifs remerciements. Nous étions, mon camarade Pernolet (ancien directeur des Mines de Poullaouen et Huelgoat, ancien député de la Seine) et moi, heureux de serrer cordialement la main loyale de notre ancien camarade, Victor Zienkowicz, lors de ses voyages à Paris. L'âge n'avait pu glacer son patriotisme et ses nobles aspirations. Nous nous trouvions heureux en retraçant ensemble les souvenirs de notre jeunesse et de nos premières études d'élèves à l'Ecole des Mines.

Entouré des siens, qui le chérissaient, avec la sérénité d'âme du philosophe et du chrétien, Zienkowicz rendait le dernier soupir à Turin le 12 février dernier. Sa mémoire restera chère à tous ceux qui ont pu connaître et apprécier cette nature généreuse, d'une exquise sensibilité et toujours animée du sentiment du devoir.

Félix LE BLANC,
Ancien élève breveté de l'Ecole des Mines, professeur à l'Ecole centrale des Arts et Manufactures.


Voir aussi la biographie de I. Domeyko pour mieux comprendre les circonstances dramatiques du départ des jeunes nobles lituaniens de leur pays en 1831.