Abel Étienne Louis TRANSON (1805-1876)

Gendre de Louis Marie François Dessales Desnoyers (1787-1846 ; X 1806), dont une autre fille avait épousé Louis Marcellin Tournaire.

Ancien élève de Polytechnique (promotion 1823, sorti major sur 95 élèves) et de l'Ecole des Mines de Paris (entré major sur 4 élèves). Corps des mines.


NOTICE NÉCROLOGIQUE SUR ABEL TRANSON.
INGÉNIEUR EN CHEF DES MINES,
Par M. TOURNAIRE, inspecteur général des mines.

Annales des Mines, 7e série vol. 14, 1878.

Cette notice est consacrée à la mémoire d'Abel Étienne Louis Transon, ingénieur en chef en retraite et ancien examinateur d'admission à l'École polytechnique, qui est décédé le 23 août 1876. Doué à la fois d'une grande aptitude pour les investigations mathématiques et d'une âme enthousiaste et artiste, qui s'éprenait des idées généreuses et savait les exprimer avec une puissance communicative, il a laissé d'importants travaux de géométrie et d'analyse et a brillé d'un vif éclat parmi les hommes marquants qui ont illustré la première période de la prédication Saint-Simonienne.

Il naquit à Versailles à la fin de 1805, y fit ses études avec de nombreux succès, et, après avoir remporté le grand prix de mathématiques au concours général, fut reçu en 1823 à l'École polytechnique. Son admission eut lieu dans une circonstance singulière. Au début de l'examen (les candidats n'en passaient alors qu'un seul), ayant mal saisi une question, il se déconcerta et quitta la salle. Heureusement son professeur était présent et courut sur les pas du fugitif : l'examinateur voulut bien reprendre l'interrogation suspendue. Pourtant Transon ne fut au nombre des élus que grâce à une liste supplémentaire. L'année suivante, comme au classement final, il occupait le premier rang de sa promotion.

En sortant de l'École des mines, il ne prit point de service public. Il ne voulait pas s'éloigner de son père malade, et les tentatives de rénovation et d'organisation sociales, qui s'agitaient alors, s'étaient emparées de son esprit et le passionnaient.

Vers 1830, il était devenu adepte du Saint-Simonisme, avec plusieurs jeunes ingénieurs de notre corps, Jean Reynaud, Fournel, M. Michel Chevalier.

La jeunesse d'aujourd'hui a sans doute peine à comprendre qu'au temps de ses devanciers des théories étrangères à l'expérience et nées de méditations solitaires, qui, à l'aide d'ingénieuses combinaisons, prétendaient changer rapidement la face du monde, aient trouvé si accessibles à la foi, si promptes à l'action et à la propagande, des intelligences d'élite, façonnées par leur éducation à la rigueur des raisonnements scientifiques. Car nos caractères et notre tempérament moral ont depuis lors beaucoup changé, dans les classes cultivées comme dans le milieu populaire, à la suite des échecs qu'ont subis les conceptions systématiques dès qu'elles ont été placées en présence de la réalité, et des dures leçons que nous ont données les événements. Nous avons vu les plus capables parmi les novateurs tenir en estime la prudence et l'attention aux faits journaliers et contingents, s'en remettre volontiers au temps et au cours naturel des choses, tandis que beaucoup de partisans des institutions déchues semblaient hériter de la fougue révolutionnaire. Cependant les utopies écloses dans la première partie du siècle, qui n'ont pu supporter en 1848 l'épreuve de la liberté, procédaient de cette idée en elle-même philosophique, que, les bases de l'ancienne société étant ruinées en partie, devait surgir un ordre de lois et de croyances différent de celui que le passé avait connu. D'ailleurs les grands mouvements religieux qui ont transformé non-seulement les usages et les moeurs, mais même des nations, n'ont-ils pas présenté aux yeux contemporains de leurs origines tous les caractères de ce que nous appelons utopie? Volontiers en 1850 on attendait la religion nouvelle : volontiers on en saluait les prophètes.

Il semble aussi que nous ayons besoin de faire une part à l'imagination dans nos spéculations les plus sérieuses. Si les théories humanitaires ont de nos jours perdu leur crédit, n'est-il pas étrange que la fantaisie ait envahi un des domaines de la science, que des naturalistes éminents, entourés de nombreux disciples, aient cru pouvoir déduire des belles observations de Darwin et de ses aperçus sagaces et féconds, mais très-insuffisants pour un tel objet, une genèse complète et détaillée des êtres vivants, si précise en ses résultats qu'elle nous a décrit des animaux dont on n'a pas encore découvert les vestiges?

Dans le Saint-Simonisme, Transon collabora à la rédaction du Globe et devint surtout célèbre par les éloquentes prédications qu'il prononça aux réunions publiques de la salle Taitbout. Selon les procédés que l'École sociale affec-tionnait et que bien peu parmi ses frères en croyance ont mis en oeuvre avec un égal talent, le dogmatisme et la critique historique y prennent une forme transcendante et inspirée, qui en voile les impossibilités et les lacunes. Mais ce qui entraîne surtout en lui est l'accent convaincu de l'apôtre. L'esprit de fraternité et l'amour des hommes pénètrent sa parole : elle abonde en élans de charité et peint en fortes images les souffrances et les misères auxquelles sont exposées les classes adonnées aux travaux les plus rudes, pour réclamer les remèdes que promettait l'enseignement du maître. Par là elle a vivement agi sur les âmes portées à l'abnégation et à la tendresse, et beaucoup de ses auditeurs et auditrices en ont jusqu'à leurs derniers jours gardé la vive impression.

Quelque-unes de ses allocutions n'ont pas péri et méritent d'être conservées, à cause de leur beauté et comme un curieux témoignage de la marche des idées en notre siècle. Nous citons notamment les cinq discours adressés aux élèves de l'École polytechnique et un discours sur l'éducation.

En 1851, les discussions sur le rôle de la femme et sur les lois qui doivent régir le lien conjugal, dont l'abolition de l'hérédité et l'éducation commune diminuaient d'ailleurs grandement l'importance, amenèrent un schisme retentissant. Transon répugnait par tous ses instincts à des doctrines qui auraient conduit au relâchement des moeurs : après quelques fluctuations, il suivit l'exemple de Bazard et de Pierre Leroux et abandonna, au commencement de 1832, Enfantin et ses fidèles, qui s'établirent à Ménilmontant.

Dès cette époque, il avait cru trouver la vérité plus entière et plus logiquement déduite dans la théorie de Fourier, et en effet, à part ce qu'il y a d'arbitraire dans le poétique développement de ses descriptions, l'éden rêvé par Fourier devient une prédiction logique si l'on admet à priori que la fin providentielle de l'humanité est la suppression de toute souffrance et la réalisation ici-bas d'un bonheur accompli.

De même que la nouvelle école fut inférieure à la précédente en science et en vues philosophiques, de même les écrits phalanstériens de Transon qui sont restés n'égalent ni l'originalité, ni la vigueur de sa prédication saint-simonienne. Des doutes, semble-t-il, vinrent l'assaillir assez promptement et s'accrurent lorque fut tenté un essai de colonisation à Condé-sur-Vesgres, qui ne manqua pas de se heurter à des difficultés nombreuses. On le voit dans une correspondance particulière demander que la formule de la naissante phalange devienne plus élastique, plaider la cause des sociétaires amoureux de leur chez soi et qui, plutôt que d'y renoncer tout à fait, sacrifieraient une partie des avantages économiques de la vie commune. Les chefs au contraire résistaient à ces légitimes, mais dissolvantes revendications.

Il se sépara du Fouriérisme en 1834, et profondément ébranlé par les déceptions de sa foi, se recueillit plusieurs années soit à Versailles, soit à Paris, plongé dans les études de métaphysique et de religion et dans la lecture des livres qui en traitent, notamment des oeuvres de Wronski, dont il fut admirateur. Ces méditations furent traversées par de longues crises de découragement, qui s'étaient déjà produites durant son apostolat saint-simonien.

Il en sortit entièrement catholique et le resta jusqu'à la fin de sa vie. L'antique croyance lui donnait des réponses précises aux questions relatives à notre destinée finale et à la rétribution de nos mérites et de nos fautes, qui l'avaient tourmenté infructueusement quand il avait voulu les résoudre par la science, et satisfaisait aux mystiques et artistiques aspirations de son âme. La vie de communauté, consacrée soit à l'étude ou à la contemplation pure, soit au soulagement des misères physiques ou mieux encore à la réhabilitation des misères morales, lui paraissait volontiers, comme aux premiers chrétiens, l'idéal de perfection que l'homme pût atteindre, quoiqu'il se soit toujours fait scrupule de pousser personne au renoncement du monde, et cela faisait comprendre l'attraction que les écoles sociales avaient eues autrefois pour lui. Il inclinait en matière de doctrine aux interprétations qui laissent une place à l'indépendance individuelle, et les efforts du père Lacordaire, plus tard ceux du père Gratry, qui fut son ami, pour concilier le catholicisme avec les tendances libérales et démocratiques des nations modernes eurent toutes ses sympathies. Il accepta pourtant avec une complète et immédiate soumission les décisions très-autoritaires qui prévalurent. Il évita d'ailleurs avec soin, à partir de sa conversion de s'immiscer aux discussions publiques, regrettant ses hardiesses d'autrefois, dont le souvenir aurait nui à l'influence de sa parole, et devenu méfiant envers sa propre raison. De grands dons naturels furent ainsi stérilisés, non sans dommage, pendant la plus longue période de sa vie. Ils reparaissaient par éclairs dans sa conversation ou sa correspondance, et ceux qui jouirent de son intimité purent souvent s'apercevoir que la flamme était couverte, mais non pas éteinte.

Lorsqu'un suffisant repos fut entré en son esprit (il ne connut jamais le calme complet, incapable qu'il fut de se résigner à la vue du mal et à l'ignorance des objets les plus dignes de nos pensées), il se remit à cultiver les mathématiques, et ces études, dans lesquelles il s'est montré inventeur ingénieux et généralisateur habile, n'ont depuis lors cessé de l'occuper. Elles ont porté sur de nombreux et divers problèmes, de préférence sur ceux qui se rattachent aux points fondamentaux de nos connaissances en algèbre et en géométrie, aux conceptions philosophiques qui les dominent, ou que par l'emploi de leurs symboles elles ont suscitées sans les avoir prévues. Les résultats qu'il a obtenus, toujours présentés avec élégance et clarté, ont été publiés en plusieurs recueils, le journal de M. Liouville, le journal de l'École polytechnique, et plus abondamment dans les Nouvelles Annales. Nous allons non pas les exposer, ce qui exigerait beaucoup trop de développements, mais en rappeler le plus succinctement possible les principaux.

Recherches sur les courbures des lignes et des surfaces (Journal de M. Liouville, 1841. Nouvelles annales de mathématiques, 2e série, 1870). - Pour étudier la courbure d'une ligne plane, on se borne d'ordinaire à chercher les grandeurs et les positions des cercles oscillateurs, c'est-à-dire de ceux qui ont trois points consécutifs infiniment voisins communs avec la ligne donnée. On peut rendre cette notion plus approfondie en substituant au cercle la conique osculatrice, qui passe par cinq points consécutifs. Une infinité de coniques satisfont à la condition de passer par quatre de ces points et d'avoir ainsi avec la ligne un contact plus intime que le cercle. Toutes ont un diamètre commun, qui aboutit au point de contact et dont le conjugué est parallèle a la tangente. L'angle de ce diamètre et de la normale, que Transon nomme déviation, s'exprime par une formule des plus simples en fonction des rayons de courbure de la ligne donnée et de sa développée.

Après avoir établi ces principes, l'auteur en fait une belle application à la théorie des surfaces. Il montre que, si l'on conduit divers plans sécants par une même tangente, une seule des sections correspond à une déviation nulle et celle qui lui est perpendiculaire correspond à la déviation maximum, que la tangente trigonométriqne de la déviation, pour une section quelconque, s'obtient en multipliant celle de la section correspondant au maximum par le cosinus de l'angle que font entre eux ces deux plans; enfin, ce qui est une conséquence des propositions précédentes, que les axes de déviation (ou diamètres des coniques plus haut définies) relatifs à une même tangente sont contenus dans un plan. Il montre aussi que, parmi toutes les sections passant par une normale, il y en a une ou bien trois dont la déviation est nulle, que le nombre des sections normales à parabole osculatrice est 6, 4, 2 ou 0, partageant la surface en régions ou aires distinctes, caractérisées par cette propriété que toutes les sections normales faisant partie d'une même aire sont de même genre, soit elliptiques, soit hyperboliques, tandis que les sections appartenant à deux aires contiguës sont de genres différents, sauf, bien entendu, les points singuliers pour lesquels certaines de ces aires s'annulent, parce que l'équation qui les détermine a des racines égales.

Une conique peut avoir six points consécutifs communs avec une courbe plane. Transon la nomme alors surosculatrice. Il établit, que, dans l'ensemble des sections formées sur une surface par les plans passant par un de ses points et contenant une même droite, oblique ou normale, mais non tangente, il y en a neuf qui admettent des coniques surosculatrices, étant expliqué qu'une seule de ces neuf sections subsiste nécessairement, les autres pouvant être imaginaires par couples, que, dans l'ensemble des sections planes menées par une même tangente, il y en a trois jouissant de cette propriété, dont l'une au moins réelle.

Mémoire sur les propriétés d'un ensemble de droites menées de tous les points de l'espace suivant une loi continue (Journal de l'École polytechnique, 1861). - Les angles des droites dont il s'agit avec trois axes fixes doivent être regardés comme des fonctions des coordonnées des points par lesquels elles sont menées.

Quelles que soient ces fonctions, on peut prendre pour lieu des points d'origine une surface telle (appelée par l'auteur résolvante), puis porter sur les droites des longueurs déterminées par une telle fonction des coordonnées que les extrémités de ces longueurs se trouvent sur une surface (appelée directrice) qui leur soit normale. Le nombre des solutions est même illimité, et, entre autres, il est clair qu'à une même résolvante correspond un ensemble de surfaces directrices parallèles. Les plans tangents en un point aux diverses résolvantes passant par ce point contiennent toutes une même droite, perpendiculaire à la droite correspondante du système, et l'auteur montre que cette propriété est l'interprétation géométrique de la condition d'intégrabilité des équations différentielles totales. Il complète aussi un théorème de Malus sur les conditions nécessaires pour que la droite relative à un point soit rencontrée par les droites relatives à des points contigus.

Ce mémoire, entièrement basé sur l'analyse, a été l'objet d'un rapport élogieux de M. Chasles à l'Académie des sciences.

De la projection gauche (Nouvelles Annales de mathématiques, 1865 et 1866). - Transon nomme ainsi le tracé qu'on obtient en projetant les différents points d'une figure sur un plan, nommé tableau, par des droites assujéties à rencontrer deux droites fixes, et considère spécialement le cas où les figures primitives appartiennent à un plan.

La projection de toute droite est une conique, passant par trois points fixes, et réciproquement toute conique satisfaisant à cette dernière condition répond à une droite. Cela fournit un moyen de transformer tout théorème relatif à des droites en un autre relatif à des coniques. Généralement la projection gauche d'une ligne de l'ordre n est de l'ordre 2 n, et possède trois points multiples de l'ordre n, imaginaires ou réels, coïncidant avec les trois points communs aux susdites coniques.

Si on fait tourner le plan du tableau autour de son intersection avec celui de la figure primitive, les positions des directrices variant en même temps de telle sorte qu'elles continuent à traverser l'un et l'autre plan aux mêmes points, la projection n'est pas modifiée. La rotation peut aller jusqu'au rabattement du plan du tableau sur celui de la figure, et la transformation gauche est ainsi ramenée à une transformation plane, dont les résultats sont identiques et dont l'épure se trace très-facilement par des lignes droites.

Études sur les roulettes (1845, Nouvelles Annales, tome IV, sous le nom d'un abonné, et Journal de M. Liouville). - Par des considérations immédiates de géométrie infinitésimale, fondées sur l'assimilation des courbes à des lignes brisées, Transon démontre très-simplement que, si un arc roule d'abord sur la convexité, puis sur la concavité d'un arc fixe, les mêmes points de la courbe mobile étant successivement en contact avec les mêmes points de la fixe, la somme ou la différence des deux arcs décrits par un point du plan lié à la mobile est indépendante de la nature de la ligne fixe. Même indépendance en ce qui concerne la somme ou la différence des aires des quadrilatères mixtilignes limités par les arcs de la courbe fixe et de la roulette, et par les deux droites joignant les premières et dernières extrémités de ces arcs. Dans ces énoncés, il faut regarder la somme, si les rayons de courbure de l'arc mobile sont plus petits que les rayons de courbure correspondants de l'arc fixe, et au cas contraire la différence.

Si donc on connaît la longueur et l'aire de la double roulette engendrée par une courbe roulant sur une courbe donnée, on connaîtra les longueurs et les aires de toutes les doubles roulettes de la même mobile. En particulier, si la ligne fixe est une droite, la longueur et l'aire de la roulette simple en sont les moitiés; si la courbe fixe est identique à la mobile, les contacts se faisant aux points semblables, l'arc de la roulette est double de ce qu'il est quand le roulement a lieu sur une droite.

Lorsqu'aux points correspondants les rayons de courbure de la fixe et de la mobile sont dans un rapport constant, ce qui arrive pour les épicycloïdes, les arcs des roulettes extérieure et intérieure sont entre eux comme la somme de ces rayons de courbure est à leur différence.

Un point d'une circonférence qui roule à l'intérieur d'une circonférence de rayon double décrit, comme on sait, un diamètre de cette dernière. De cette propriété et des théorèmes et lemmes précédents, Transon déduit les expressions de l'arc et de l'aire de toute épicycloïde.

Un point quelconque lié à cette même circonférence décrivant une ellipse, il en résulte encore que les arcs de toutes les autres épicycloïdes allongées ou raccourcies (c'est-à-dire engendrées de même par un point n'appartenant pas à la circonférence mobile mais entraîné avec elle) se peuvent ramener à des arcs d'ellipse, propriété que Pascal et Nicolle avaient aperçue d'une autre manière.

Chaque foyer d'une section conique qui roule sur elle-même traçant un arc circulaire, il s'ensuit que les rectifications et les quadratures des roulettes décrites par un foyer d'une conique dépendent de la rectification et de la quadrature du cercle.

L'assimilation ci-dessus indiquée des deux arcs à deux lignes brisées permet aussi d'établir immédiatement une expression des plus simples de la distance qui sépare du point de contact le centre de courbure de la roulette. De là se déduit une construction facile du rayon de courbure de l'ellipse, qu'on peut regarder comme une roulette, ainsi qu'il est dit plus haut, construction déjà donnée par Transon dans une note précédente, d'après d'autres considérations. De là encore une méthode générale, souvent applicable avec succès, pour obtenir le rayon de courbure d'une ligne plane engendrée par un mouvement quelconque ; car ce mouvement peut toujours être représenté par le roulement d'une certaine courbe sur une autre supposée fixe, et comme il suffît d'envisager à la fois une petite portion d'arc, on peut même lui substituer une quelconque des roulettes, en nombre infini, qui ont deux éléments communs avec elle, prendre par exemple pour ligne fixe momentanée une droite et pour mobile une circonférence.

Note sur les polygones semi-réguliers inscrits à l'ellipse (Nouvelles Annales, 1863). - Transon appelle ainsi la projection d'un polygone régulier inscrit à un cercle. Il montre que, si on forme pour les divers sommets les puissances 2/3 des rayons de courbure de l'ellipse qui est la projection du cercle, la moyenne arithmétique de ces quantités est indépendante de la position particulière du polygone, ainsi que du nombre de ses côtés.

Note sur les principes de la mécanique (Journal de M. Liouville, tome X, 1845). - Dans les problèmes de cinématique et de mécanique, on considère les première et seconde dérivées de espaces parcourus, estimés en fonction du temps, dont on a fait les entités auxquelles on a donné les noms de vitesse et de force accélératrice : celle-ci est génératrice de la vitesse, comme la vitesse est génératice de l'espace parcouru. On aurait pu aller plus loin, créer une entité exprimée par la dérivée troisième, et ainsi de suite. Transon, se bornant au mouvement d'un point 1ibre, étudie les propriétés de cette dérivée troisième, qu'il appelle virtualité.

Comme les vitesses et les forces, les virtualités estimées suivant diverses directions se composent et se décomposent par la règle du parallélogramme. La virtualité et la force accélératrice, dans le mouvement rectiligne comme dans le curviligne, sont liées exactement par les mêmes relations que la force accélératrice et la vitesse.

Les trois principales composantes de la virtualité, c'est-à-dire celles qui sont tangentes à la trajectoire, normale dans le plan oscillateur et perpendiculaire à ce plan, s'expriment par des fonctions simples de la vitesse, des trois composantes principales de la force et des éléments de la courbure.

De l'algèbre directive et de ses applications à la géométrie (Nouvelles Annales, 1868, 1869, 1875). - Dès que les mathématiciens ont substitué dans leurs recherches des notations générales et abstraites aux grandeurs concrètes et aux opérations de l'arithmétique, les formules que leur ont données les calculs effectués sur ces symboles se sont trouvées plus compréhensives et plus vastes que les problèmes posés. L'interprétation si naturelle et si simple des quantités négatives s'est présentée de suite à tous les esprits, quoique, il y a trente ans, une doctrine bien peu philosophique prévalût à cet égard dans les écoles, où la plupart des maîtres disaient aux débutants que la règle des signes était une convention purement arbitraire. Quant aux expressions imaginaires auxquelles conduisent les équations algébriques, la seule signification qu'on leur ait attribuée pendant longtemps était de marquer une incompatibilité absolue entre la solution cherchée et les données premières : en elles-mêmes on les qualifiait d'absurdités et de non sens.

Cependant d'illustres analystes se sont fait un instrument de ces prétendus non-sens, et leur appliquant les règles du calcul ordinaire, en ont déduit des démonstrations et des théorèmes nouveaux, preuve bien évidente que des réalités étaient contenues sous leur voile ; car on ne peut concevoir que l'absurde mène toujours et sûrement au vrai.

Au commencement du siècle, quelques savants, dont la célébrité est d'ailleurs restée modeste, ont montré que, dans les problèmes de géométrie plane, on interprète d'une manière très-satisfaisante le symbole RACINE ( -1 ) , en le regardant comme caractéristique de la perpendicularité, c'est-à-dire comme indiquant que la grandeur qui en est affectée doit être portée dans un sens perpendiculaire à celui que l'esprit avait envisagé d'abord. Lorsqu'ensuite ils remplacèrent l'expression binôme a + b RACINE ( -1 ) par l'expression monôme AOMEGA ou seulement A, dans laquelle A représente la longueur de la ligne dont a et b sont les deux projections rectangulaires et OMEGA (exprimé ou sous-entendu) l'angle que cette ligne fait avec une droite fixe, leur doctrine fut solidement constituée. Les quantités, dites directives, qu'ils avaient ainsi créées, plus complètes que celles de l'arithmétique et de l'algèbre ordinaire, s'additionnent entre elles, comme on sait, selon la règle du parallélogramme ou de la composition des vitesses et des forces. Quant à la multiplication, elle donne une quantité dont la grandeur absolue est le produit brut des facteurs au sens arithmétique et dont l'angle directif est la somme des angles partiels, et, à l'inverse, l'angle d'un quotient directif est celui que font entre elles les lignes figurant le dividende et le diviseur.

Transon mit beaucoup d'ardeur à introduire dans l'enseignement ce nouveau symbolisme, qui étend si heureusement la signification du nombre, et le moyen qu'il employa fut surtout d'en prouver la fécondité par l'exemple de sa propre investigation.

Il s'en est heureusement servi pour élucider la théorie des équations algébriques. Un polynôme f(z) contenant une variable peut, comme celle-ci, représenter une longueur. Si l'extrémité de la variable se meut, celle de f(z) décrit aussi une certaine ligne et passe par l'origine lorsque la valeur donnée à z est l'une des racines de f(z) = 0. L'esprit suit sans effort ces routes concomitantes, et les raisonnements basés sur cette méthode s'appliquent aux racines imaginaires comme aux réelles, et encore au cas où les coefficients sont eux-mêmes des nombres directifs. Transon établit ainsi le théorème fondamental que toute équation a des racines, et ceux qui sont connus sous les noms de principe des substitutions et de principe de Rolle, dont l'acception devient plus générale: puis il démontre très-simplement un théorème de Cauchy sur le nombre des points racines contenus dans un contour fermé.

Une équation entre deux variables directes f(x, y}= 0 représente non plus un lieu déterminé, comme dans la géométrie cartésienne, mais une transformation de figure; car si l'extrémité de x suit une courbe quelconque, l'extrémité de y trace une courbe correspondante. L'équation du premier degré y = ax + b désigne la transformation par similitude, et quand le coefficient a est sans inclinaison, les deux figures sont en outre homothétiques. L'extrémité de la ligne b / ( 1 - a ) est dans tous les cas le centre de similitude, et cette expression conduit immédiatement au théorème connu que les trois centres correspondants à trois systèmes semblables et homothétiques, que l'on considère successivement deux à deux, sont sur une même droite.

Dans toute transformation qui résulte d'une équation à deux variables directives, les régions infiniment petites situées dans l'un et l'autre système, autour d'un point transformé et du point transformant sont semblables; car, dans ces limites de variation, l'équation se peut remplacer par sa dérivée première et réduire ainsi au premier degré.

Transon établit encore ces théorèmes généraux d'un grand intérêt : 1° que toutes les droites passant par un même point ont pour transformées des courbes dont le centres de courbure, relatifs au point correspondant, sont sur une même droite, 2° que, si plusieurs courbes passant en un même point y ont le même rayon de courbure, les rayons de courbure correspondants de leurs transformées sont les vecteurs d'une même conique.

Étudiant les transformations du second degré dans quelques-unes de leurs espèces, il en déduit de remarquables corrélations, et entre autres il généralise certaines des lois qui régissent les rapports anharmoniques, en considérant ces rapports non plus entre quatre points d'une droite, mais entre quatre points quelconques d'un plan, et par suite comme comportant non-seulement des grandeurs linéaires, mais encore des angles.

L'accroissement différentiel d'une longueur directive est précisément l'élément d'arc que trace son extrémité, et une égalité de rapport entre deux éléments linéaires suppose qu'ils font entre eux le même angle. Par suite, le calcul directif est très-propre à résoudre les problèmes qui concernent les angles sous lesquels les courbes transformantes et transformées coupent des lignes déterminées ou se coupent entre elles : l'auteur le montre par plusieurs applications.

On peut aisément représenter par une équation directive une courbe dont l'équation en coordonnées cartésiennes, y PHI ( x ) , est connue; il suffit de prendre pour variables d'une part l'abscisse elle-même, d'autre part le rayon vecteur z, qui sont liés par la relation z =x + PHI (x) RACINE ( -1 ). Cette traduction est avantageuse pour résoudre certains problèmes. Ainsi Transon a trouvé que, si en chaque point d'une conique, et sur une direction constamment inclinée du même angle sur la normale, on porte une longueur proportionnelle à la moyenne géométrique des deux rayons focaux, l'extrémité de cette longueur décrit une nouvelle conique, concentrique à la première et de même genre qu'elle.

De la transformation isologique et de la transformation isogonale des courbes planes (Nouvelles Annales, 1869). - Deux équations réelles X=f(x, y] et Y = g(x, y), liant entre elles les coordonnées cartésiennes de deux systèmes de figures planes, produisent une transformation, qui d'ordinaire ne rentre pas dans la classe de celles qu'engendrent les équations entre deux variables directives.

Elle comporte cette propriété générale que, si des figures en nombre quelconque passent par un point du premier système, leurs tangentes en ce point et les tangentes correspondantes de leurs transformées forment des faisceaux homographiques. Pour que deux courbes quelconques du second système se rencontrent sous le même angle que les courbes correspondantes du premier, ce qui entraîne la similitude des régions infiniment petites, il faut qu'on ait en outre les relations df/dy +/- dg/dx = 0 , et
dg/dy +/- df/dx = 0>

De quelques effets d'optique relatifs à la perspective (Revue générale de l'architecture et des travaux publics, 1849; Nouvelles Annales, 1871). - Lorsqu'un artiste trace sur un tableau des objets qu'il a devant les yeux ou qu'il crée par l'imagination, son dessin n'est exact que pour le point de vue spécial où il s'est placé. Comment se fait-il cependant que le même tableau puisse être regardé avec plaisir dans des positions très-écartées de ce point? Transon en donne l'explication suivante.

A un dessin perspectif, vu d'un lieu donné, correspondent abstraitement une infinité de reliefs différents ; mais, grâce aux connaissances acquises, aux habitudes de notre jugement et de notre organisme, parmi cette infinité de solutions mathématiques, l'oeil n'en voit jamais qu'une. Ainsi des lignes droites concourant en un point sur un tableau paraîtront toujours parallèles au spectateur. En-outre, si une ligne droite a été représentée pour une situation particulière de l'oeil comme divisée dans un certain rapport rationnel, l'apparence de ce rapport, qui reste dans la possibilité de la perspective, sera conservée. Ainsi des rangées de colonne également espacées seront toujours aperçues telles : il adviendra seulement que les distances d'espacement comparées aux hauteurs verticales varieront. Les angles subissent, il est vrai, des altérations très-marquées, mais l'oeil est bien moins sensible à l'égalité des angles qu'à la rectitude ou au parallélisme des lignes.

Nous passerons sous silence beaucoup d'autres études de Transon, qui s'appliquent à des sujets de portée moins générale, ou que nous ne pourrions clairement désigner sans l'emploi de formules, et pour terminer cette récapitulation, nous nous bornons à mentionner un travail sur les fonctions symétriques, simplifiant les calculs de l'élimination (Nouvelles Annales, 1850), qui a été cité par plusieurs auteurs et traduit en allemand.

Dans un grand nombre d'articles, publiés en divers recueils (entre autres Encyclopédie nouvelle, Nouvelles Annales), il s'est étendu sur la philosophie des mathématiques, repoussant avec vigueur l'invasion de la doctrine expérimentale et sensualiste, qui domine légitimement en d'autres sciences, et cherchant à faire voir que leurs axiomes et leurs conceptions abstraites tirent origine de notre seule raison et non du spectacle du monde extérieur ou du fonctionnement de nos organes. Il fut très-absolu dans cette thèse, qui nous paraît contenir un grand fonds de vérité, mais qu'il exagérait selon nous. Ainsi il aimait à soutenir que les principes non-seulement de la géométrie, mais de la mécanique même, y compris la loi de l'inertie, ne doivent rien à l'expérience et se sont imposés à notre esprit spontanément.

Loin de se borner à une branche de connaissances, son désir d'apprendre et de savoir était vif en toutes choses et lui avait fait acquérir une grande érudition. Pendant quelques années il cultiva la géologie, et on lui doit une intéressante et fort bonne description des roches et des formations de l'île de Jersey, qui a paru, accompagnée d'une carte, dans les Annales des mines (tome XX, 1851).

Transon fut nommé en 1841 répétiteur d'analyse à l'École polytechnique.

Lorsqu'une Ecole d'administration fut créée en 1848, le ministre de l'instruction publique le désigna, avec Jean-Jacques Ampère [fils du savant André Marie Ampère, Jean-Jacques était depuis 1847 membre de l'Académie française], pour examiner les candidats de la région du Nord-Est. On sait que cette institution, qui était destinée à soustraire la direction des intérêts départementaux à la prédominence exclusive de la politique, n'eut qu'une durée éphémère.

En 1858, il reçut les fonctions d'examinateur d'admission pour l'École polytechnique. Il s'en acquittait avec la compétence la plus incontestée et avec la conscience la plus scrupuleuse, redoutant les négligences involontaires, les signes d'impatience trop marqués qui auraient dérouté les jeunes gens, et surtout les pièges que pouvaient lui tendre la divination des professeurs et les réponses apprises d'avance. Chacune de ses tournées était précédée d'une sérieuse et longue préparation. Une crise douloureuse, qui le saisit au milieu de ses examens en 1873 et qui avait pour cause une maladie de coeur déjà ancienne, le força à prendre sa retraite.

La croix d'officier de la Légion d'honneur lui avait été remise au commencement de 1872.

Nul moins que lui ne fut préoccupé de se faire valoir. Zélé pour la vérité et la science, mais modeste dans l'estime qu'il avait de lui-même, il aimait à se tenir à l'écart après avoir divulgué ce qui lui semblait utile dans les résultats de ses travaux, et avait en haine les sollicitations et les démarches personnelles. Nombre de fois pourtant on l'a vu s'employer avec chaleur pour que le mérite d'autrui obtînt sa récompense.

Transon avait contracté un mariage où il avait trouvé toutes les satisfactions que peuvent donner la plus profonde affection mutuelle, l'élévation d'esprit, la communauté des croyances religieuses et de la charité. La paternité lui fut refusée, seul regret que les deux époux aient éprouvé dans cette union.

La générosité de ses sentiments et de ses actes, l'extrême bonté qui pénétrait son âme, les moyens ingénieux et touchants dont il se servait pour la manifester, et d'autre part l'originalité de ses idées et de ses aperçus, la distinction de ses jugements sur les oeuvres d'art et de littérature rendaient son commerce plein d'attraits.

Sa maladie fut aggravée par les privations du siège de Paris, plus encore peut-être par la douleur que lui causèrent l'amoindrissement de la patrie et la guerre de la Commune. Cet état de souffrance, l'isolement du monde militant auquel il était par suite condamné, l'impression des catastrophes récentes avaient accru une disposition à la tristesse qui remontait au naufrage de ses illusions humanitaires, et donné à ses opinions et à ses prévisions sur l'avenir un tour qui contrastait avec les tendances de sa jeunesse. Sa capacité et son énergie au travail se soutinrent d'ailleurs jusqu'à ses derniers moments, et la pensée d'abandonner certaines recherches fut un des tourments de sa longue et lucide agonie.


Extrait du registre matricule des corpsards tenu par l'Ecole des mines de Paris. On voit ici, sur la même page, différents ingénieurs de promotions voisines qui furent influencés par le mouvement saint-simonien : Transon, Chevalier, Le Play ...