– Marcel Roubault (1905 – 1974) – Fond d’archives ENS Géologie (Nancy)
A travers cet article, l’auteur a souhaité rendre hommage à Marcel Roubault (11 mai 1905 – 17 avril 1974), cet homme qui a occupé de multiples et de hautes fonctions, et à qui on a dédié une espèce minérale nouvelle, la roubaultite (carbonate hydraté d’uranyle et de cuivre).
Marcel Roubault a été Membre de l’Académie des Sciences (section géologie), Doyen de la Faculté des Sciences de Nancy, Directeur de l’Ecole Nationale Supérieure de Géologie de Nancy. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, il a été le responsable des premières recherches minières et approvisionnements d’uranium de la France puis Président du Comité des Mines du CEA.
Il y aurait beaucoup à dire. Aussi afin d’évoquer les aspects principaux de la carrière de Marcel Roubault ainsi que ses nombreuses réalisations, l’auteur a choisi d’évoquer deux thèmes : l’uranium et le pôle de Géoscience de Nancy.
Le présent article propose de conduire le lecteur en quatre points, tout d’abord, avec une reproduction intégrale du texte du Portrait de Marcel Roubault, par Marcel Roubault lui-même : qui mieux que lui-même pouvait se présenter ? Ensuite, en prenant la Direction de la DREM du CEA (en 1948), Marcel Roubault allait participer aux « temps légendaires » de la recherche française de l’uranium (référence au titre de l’un des ouvrages d’A. Paucard) : ses activités au sein du CEA seront évoquées dans le deuxième chapitre. Acteur dans cette quête pour le précieux métal, Marcel Roubault n’en a pas oublié le côté « recherche et publications » avec un intérêt plus particulier porté sur la formation des roches granitiques, ainsi que les minerais et minéraux d’uranium : ce sujet sera développé dans le troisième chapitre. Enfin, dans un dernier volet, l’auteur ne pouvait pas terminer sans retracer son action en faveur du développement de l’Ecole Nationale Supérieure de Géologie, des différents Laboratoires et Centres de recherche de Nancy ainsi que d’autres créations nancéennes. Afin de rendre cet article plus « vivant », de nombreux extraits d’articles, de préface d’ouvrages ou encore de textes de discours ont été reproduits.
Comme il a été précisé en introduction, qui mieux que Marcel Roubault pouvait se présenter ? Voici donc le discours qu’il prononça sur lui-même lors de la cérémonie de remise de son Epée d’Académicien au Grand Salon de l’Hôtel de Ville de Nancy, le 19 novembre 1968 :
« Mais peut-être n’est-il pas inutile - sacrifiant en cela à une tradition - que j’essaie brièvement, dans la difficile sinon impossible mesure où un homme peut se juger lui-même, de dire l’enchaînement des faits qui ont marqué les étapes parcourues et surtout d’évoquer, au long des ans, la mémoire des disparus auxquels je dois tant. Mon père, successivement Professeur de Physique au Lycée d’Angoulême, puis au Lycée Lakanal à Sceaux, a marqué ma vie d’une ineffaçable empreinte. Il était de ces hommes pour lesquels l’Enseignement n’est pas un métier mais une vocation exigeante au même titre qu’un sacerdoce. Fils d’un artisan de la Brie décédé prématurément, boursier au Collège de Melun, Agrégé des Sciences Physiques après des études poursuivies à la Sorbonne dans des conditions matérielles difficiles, à une époque où n’existaient pas de confortables résidences universitaires, il avait parallèlement, associés intimement aux valeurs intellectuelles, le culte de l’effort et de l’habileté manuelle. Il était en outre animé d’un sens social profond; rêvant comme tant d’autres à plus de justice et à une société meilleure, grand admirateur de Jaurès, Officier de réserve décoré de la Légion d’Honneur à titre militaire en 1918, il fut pour moi - tant sur le plan scientifique que sur le plan humain - le guide, au sens le plus absolu du terme. Aussi, comment n’évoquerais-je pas ici, ce soir, le souvenir de tant de faits, de tant d’actions, ou même d’anecdotes qui ont pesé sur ma propre destinée. Combien, en de tels moments, ne regrette-t-on pas que le temps puisse faire marche arrière et que - par quelque mystérieux artifice - lui-même et ma chère maman ne puissent être informés du motif de cette fête. Dans une telle ambiance, je fis mes études secondaires au Lycée Lakanal où enseignaient, aux côtés de mon père, deux hommes dont l’influence contribua également à m’orienter vers les Sciences de la Nature : Auguste Joxe, le père de M. le Ministre Louis Joxe, qui fut mon premier Professeur de Géologie et A. Panthier, Géographe passionné de géologie nivernaise. Et si j’ajoute à cela le fait que pendant les vacances je recevais également les conseils et les enseignements de mon oncle Edouard Roubault, Professeur de Sciences Naturelles au Collège de Sedan, vous voyez que je ne manquais pas de Maîtres et pour tout dire que je n’avais qu’à bien me tenir. Après, ce fut la Sorbonne où je préparai seul le Concours de l’Ecole Normale Supérieure par l’option dite alors Groupe 11, car à cette époque, aucune classe préparatoire n’accueillait les candidats correspondants, au demeurant fort peu nombreux. Cela nécessitait certes un très gros effort personnel mais, déjà non conformiste, cette option avait l’avantage de m’éviter le régime de la classe de Mathématiques spéciales. Quoiqu’il en soit, ce passage en Sorbonne avant mon entrée rue d’Ulm me valut à la fois deux certificats de la licence de Physique et la connaissance d’une jeune étudiante qui, vous l’avez compris, devait devenir 4 ans plus tard Madame Roubault; car pour mes parents, point n’était pensable un mariage d’étudiants - les temps ont bien changé -, l’avis était sans réplique "Passe d’abord l’Agrégation". Décrire le passage à l’Ecole Normale, tout ce que l’on peut acquérir dans cette chère vieille Maison, est une tâche bien difficile et quasi impossible. Je m’y emploierai d’autant moins que mon témoignage risquerait fort de faire pâle figure à côté des paroles si justes et si émouvantes que prononça récemment, sur le même sujet, M. le Recteur Bompaire en évoquant la figure de notre regretté camarade le Doyen Edmond Urion. A cette époque, les laboratoires de "Sciences Naturelles" étaient concentrés dans un petit bâtiment vétuste dénommé la "Nature" et dont l’aspect extérieur et intérieur - je parle pour mes amis nancéiens - était assez comparable à certains bâtiments du quartier St Sébastien en cours de démolition; je n’exagère rien car sur l’une de ses façades, ce noble bâtiment scientifique était soutenu par des étais. Et l’intérieur valait l’extérieur. C’est là que je reçus les enseignements de Maîtres qui avaient nom Louis Blaringhem et Lucien Plantefol en Botanique, Robert Lévy en Zoologie et surtout, en Géologie, Léon Bertrand, mon futur Patron. J’y appris également de la Chimie pour compléter ma licence de Sciences Physiques. Nous avions des cours à l’Ecole et à la Sorbonne; Pour certains de ces derniers qui n’étaient pas particulièrement distrayants, surtout en chimie organique, je confesse aujourd’hui que Melle Henriette Lacostère, ma fiancée, étudiante studieuse et sage, s’était mise à la disposition de plusieurs complices, dont mon ami regretté le Doyen Urion, et me semble-t-il aussi Jean Wyart, en allant prendre les notes à notre place, ce qui nous évitait des déplacements devenus évidemment inutiles. En ce bon vieux temps, lorsqu’un cours ne nous plaisait pas, nous ne manifestions pas dans les rues : beaucoup plus réalistes, nous utilisions tout simplement les compétences. C’est à l’Ecole Normale que débuta ma véritable carrière de Géologue à une époque illustrée en France par une querelle de savants, d’une âpreté extrême, à laquelle était directement intéressé mon Patron et qui portait sur la structure des Pyrénées. Un temps j’hésitai entre la Botanique et la Géologie, mais l’enthousiasme que déclenchaient les excursions sur le terrain, les "Ballades Bertrand" demeurées célèbres chez les normaliens, l’emporta. Elles étaient d’ailleurs célèbres à plusieurs titres : bien sûr l’intérêt géologique, mais aussi des repas plantureux, car le Patron, une force de la Nature, avait un solide appétit, et aussi un régime que l’on peut qualifier de sportif; les cars n’étaient pas encore d’usage courant et des courses de 25, 30 km à pied par jour, sinon davantage, étaient monnaie courante. Mes pieds ont en particulier gardé le cuisant souvenir d’une course de 42 km dans les Alpes maritimes avec deux montées de 1 500 m chacune, le tout sac au dos et dans la même journée. Léon Bertrand eut sur ma carrière une influence décisive car, outre son extraordinaire culture et ses talents de géologue et de Professeur, il possédait un sens aigu des réalités pratiques et était très orienté vers les applications de la géologie dont il fut l’un des premiers grands artisans français. Sous sa direction, je fis de premières recherches dans les Pyrénées, puis m’orientai rapidement vers l’Afrique du Nord, où l’Agrégation une fois passée, fut choisi mon sujet de thèse : étude d’une région alors très peu connue, la Kabylie de Collo, massif montagneux situé à l’Ouest de Philippeville et dont le cœur était formé d’un vaste massif de granite. C’est ainsi que, petit à petit, se dessinèrent pour moi deux orientations principales de recherche. D’une part les roches cristallines avec tout le secours de méthodes d’études physicochimiques alors en pleine évolution et auxquelles m’avaient solidement préparé la formation initale que je devais à mon père, et d’autre part, l’ampleur croissante prise par les applications de la géologie, tant recherches de combustibles et de métaux - elles-mêmes inséparables de l’étude de la genèse des roches - que constructions de barrages auxquelles Léon Bertrand participait avec activité. M. et Mme Kauffmann, son gendre et sa fille, ont eu la très délicate pensée de venir à Nancy ce jour ; ils peuvent être assurés que la figure de mon vieux Maître est toujours présente à ma mémoire. Côté Science pure, un événement inattendu devait marquer de façon décisive le cours de mes travaux sur le granite. C’est en effet au moment où j’achevais ma thèse que, grâce à l’aimable intervention de M. l’Ingénieur Général des Mines Gaston Bétier, alors Directeur du Service de la Carte Géologique de l’Algérie et que j’ai le très grand plaisir de voir ici aujourd’hui, je fis la connaissance de l’éminent Métallurgiste René Perrin, Géologue à ses heures, qui venait de publier deux articles scientifiques jugés révolutionnaires et dont le contenu m’enthousiasma. Ainsi devait commencer une collaboration de plus de vingt-cinq années qui demeurera l’un des souvenirs les plus chers de ma carrière et qui eut une influence considérable, non seulement sur l’orientation future de mes propres recherches, mais encore sur celles de mes élèves. De l’ami disparu, je ne puis hélas évoquer avec émotion que le souvenir; puisse Mme René Perrin, qui m’accueillit si souvent à son foyer avec une délicatesse touchante, trouve ici l’expression de mes plus fidèles pensées. Côté Science appliquée, je vivais alors dans une ambiance tout imprégnée de l’importance croissante des développements de la géologie. Aux deux laboratoires que dirigeait mon Patron à l’Ecole Normale et dans la Chaire de Géologie Appliquée de la Sorbonne, première du nom, créée grâce à une subvention de l’Office des Combustibles liquides, la recherche du Pétrole était particulièrement à l’honneur; Pierre Viennot, qu’une grave maladie devait prématurément emporter, rentrait d’une mission en Mésopotamie où il venait de prospecter avec succès pour la Compagnie Française des Pétroles; Louis Barrabé, alors agrégé-préparateur, découvrait les premiers indices valables dans l’Hérault; Léon Bertrand, le Patron, dirigeait lui-même avec passion les recherches alors entreprises en Aquitaine, travaux précurseurs aux découvertes ultérieures de Parentis et de Lacq. Juste avant la deuxième guerre, ces travaux devaient le conduire à peser de façon déterminante dans le choix de l’emplacement du forage de St-Marcet dont la réussite marqua vraiment le début du Pétrole National. C’était aussi le moment où, sous l’impulsion de l’ingénieur des Mines Fernand Blondel, récemment disparu, avaient lieu chaque semaine au Museum, de passionnantes conférences sur la géologie naissante des Colonies et dont la conclusion était que la France, hélas, se trouvait fort en retard quant à leur prospection. C’était enfin l’époque - 1936 - de la création, sous le Gouvernement Léon Blum, du premier Secrétariat d’Etat à la Recherche Scientifique, et, trois années plus tard, du C.N.R.S., sous l’impulsion déterminante de Jean Perrin. De tout cela résultait une atmosphère exaltante pour les jeunes chercheurs dont j’étais devenu militant; je participai activement aux assises du Mouvement "Jeune Science" dont je fus un temps secrétaire administratif. Nous avions créé bien avant que cela ne fût entré dans les mœurs officielles, une Commission du Plan dont j’ai conservé les dossiers, et mon Confrère Janot, un ami militant de l’époque et qui fut élu à l’Académie des Sciences quelques semaines avant moi, me rappelait récemment le temps où - je cite - on entendait "ma forte voix" retentir dans les salles de cafés du Quartier latin où nous nous réunissions. Nous pensions aussi aux Territoires lointains, et je fus l’un des fondateurs d’une Association éphémère mais qui contenait en germe l’idée de l’Office de la Recherche Scientifique des Territoires d’Outre-Mer : l’Association des chercheurs scientifiques coloniaux. Puis, brusquement, 1938 marque un grand tournant dans ma vie. A 33 ans, bien que mes recherches me placent alors nettement dans le camp des Pétrographes dissidents, mais peut-être un peu à cause de cela, soutenu par des Maîtres au premier plan desquels je citerai Lucien Cayeux, et Alfred Lacroix, je fus élu Professeur titulaire de Géologie à la Faculté des Sciences de Nancy et Directeur de l’Institut de Géologie Appliquée où je succédais à Paul Fallot nommé Professeur au Collège de France. Ce fut pour moi un moment de vérité. Placé à la tête d’un établissement alors modeste, mais unique en France, et dont la vocation correspondait aux idées que j’avais si souvent développées dans le feu des discussions sur les trottoirs du boulevard Saint-Michel, il ne suffisait plus de parler : il fallait agir et bâtir. Et c’est à cela que, de toutes mes forces, sans interruption depuis 30 ans, je me suis employé. Le reste, chers Amis, vous le connaissez, et j’aurais scrupule à vous importuner avec des détails inutiles. L’Institut de Géologie Appliquée fut transformé en une Grande Ecole Nationale d’ingénieurs; le vieux bâtiment de l’avenue de Strasbourg fut modernisé puis agrandi; Vandœuvre vit surgir de nouveaux laboratoires. Les éminentes personnalités qui m’ont aujourd’hui fait le très grand honneur et l’immense joie de parler de façon trop élogieuse de ce que j’ai pu réaliser, vous en ont dit l’essentiel. Aussi, je me bornerai à ajouter simplement ceci : depuis le premier jour, j’ai cru profondément à ce que j’ai fait. Cette foi dans l’action et dans le rôle de la Science face au destin des hommes, m’a été inculquée à l’origine par mon père et je n’ai fait rien d’autre qu’appliquer sans relâche mes efforts au service d’une discipline dont je crois le développement essentiel pour assurer le bonheur matériel de l’humanité. On parle beaucoup des besoins croissants en énergie. Où est la solution ? Elle est pour un temps réduit dans le charbon dont la combustion est sans doute la plus mauvaise utilisation que l’on en puisse faire; elle est pour un temps plus long certainement dans le pétrole; elle est de façon partielle dans l’utilisation des forces hydrauliques; elle est surtout, pour l’avenir, dans l’Uranium qu’une fée bienfaisante a répandu à l’état de traces dans la plupart des roches de l’écorce terrestre. Or, tout cela s’appelle Géochimie, Prospection et études géologiques au sens le plus large du terme. On parle beaucoup de besoins en eau, cette eau indispensable à la vie et que le développement industriel croissant faire rare même sous nos climats; et cela s’appelle d’abord Hydrogéologie. On parle beaucoup aujourd’hui de la lutte contre la faim; où est la véritable solution à ce drame dont le spectacle remplit d’angoisse les biens nourris que nous sommes ? Certainement pas dans les quêtes qui ne sont qu’un palliatif indispensable mais momentané : elle est dans une meilleure utilisation des surfaces non cultivées ou mal cultivées et cela s’appelle Pédologie, la Science des sols; et le sol vaut ce que vaut le sous-sol. Et que dire de l’importance croissante de la Géotechnique et de la Mécanique des roches et des sols dont la méconnaissance - génératrice d’économies aussi sordides qu’incompréhensibles a provoqué à plusieurs reprises la destruction catastrophique de grands ouvrages d’art, la mort de centaines de victimes et la dépense de milliards en pure perte. Tout cela s’appelle Sciences de la Terre. Tout cela s’appelle Géologie au service des Hommes. Ce n’est pas par hasard qu’en U.R.S.S., le budget consacré à ces Sciences est l’un des premiers en importance après celui qui est consacré aux Sciences Physiques. Ce n’est pas par hasard qu’aux Etats-Unis, les présidents eux-mêmes et à plusieurs reprises, le Président Truman en 1947 dans son discours annuel au Congrès et le Président Johnson en 1965 à l’occasion du 50ème Anniversaire de la Fondation de l’Association des géologues pétroliers, ont souligné avec force le rôle essentiel des Sciences géologiques dans le développement des grandes nations modernes. Aussi, m’élevant au-dessus de toute considération personnelle, la présence de toutes les éminentes personnalités rassemblées dans cette salle, représentants du Gouvernement, Membres du Parlement ou Directeurs responsables des grandes Administrations, remplit d’une joie particulière les géologues qui les entourent car ils y voient l’intérêt que toutes elles portent à leurs travaux. Et cela m’est une raison de plus, une raison majeure de leur dire notre profonde gratitude. Mesdames et Messieurs, mes chers Amis, la journée du 19 novembre 1968 restera dans mon souvenir et dans celui des êtres qui me sont chers, une journée faste entre toutes car avec la magnifique épée que vous venez de m’offrir - symbole de mon élection à l’Académie des Sciences et à laquelle Mme Guzman-Nageotte, grand prix de Rome de gravure, a apporté tout son art, cette journée dis-je, marque ce que d’aucuns appellent le couronnement d’une carrière. Cependant, la tâche ne peut s’arrêter ce jour. Lorsque l’on parcourt les couloirs du Palais du Quai Conti, on voit, soigneusement classés, des dossiers au dos desquels sont inscrits les noms des Académiciens disparus et parmi ces noms ceux prestigieux d’hommes tels que Ampère, Fresnel, Carnot et bien d’autres; ces noms que, dans ma jeunesse, on m’a appris à vénérer. Sans avoir l’illusion d’atteindre jamais leur niveau, comment alors ne pas se dire : mon nom ne sera-t-il pas un jour considéré comme trop indigne de figurer aux côtés des leurs ? Alors apparaît un autre devoir : celui de travailler encore et de poursuivre dans le sillon que l’on s’est tracé. A ce tournant de la vie, j’émets donc un vœu que j’ai déjà confié à plusieurs des personnalités présentes; puissé-je un jour prochain, être déchargé de tâches administratives et de responsabilités devenues trop lourdes, et redevenir simple Professeur et simple Chercheur. Certes, lorsque j’exprimais ce désir pour la première fois, la tempête n’avait pas encore atteint notre Université et il n’est pas d’usage que le Capitaine quitte son navire en péril. Mais des conversations en cours et dont parfois l’âpreté me rappelle celle avec laquelle il me fallut autrefois combattre pour créer je retiens déjà l’annonce du calme après l’orage. Alors, dans la quiétude retrouvée, auprès d’une compagne aimée qui, après avoir fait des études supérieures a renoncé à enseigner, son rêve de toujours, et sans cesse attentive à ses devoirs de mère - pendant mes longues et multiples absences - a permis à nos deux fils devenus médecins de se consacrer eux aussi au Service des Hommes, je voudrais rédiger deux livres auxquels je songe depuis bien des années. Soyez sans inquiétude : je n’ai aucun message à transmettre à la postérité; le mot est trop ambitieux. Mais après 40 ans de réflexion scientifique et de méditation sur l’origine et le devenir de cette roche extraordinaire que l’on nomme granite, et sur laquelle nous reposons tous en ce Moment - car il est présent même sous les sédiments de la Lorraine - je voudrais dresser simplement mon bilan personnel, bilan d’autant plus nécessaire que j’aurai été 40 ans durant un non conformiste, ennemi des dogmes trop rigides, mal adaptés à une réalité que le progrès des Sciences et des Techniques rend chaque jour plus mouvante. Dans un tout autre domaine, je voudrais aussi exprimer ma pensée sur l’aspect humain du rôle de l’ingénieur Géologue. Sur les épaules de ces hommes trop longtemps ignorés - et ils le sont hélas souvent encore - repose chaque jour une responsabilité bien lourde dont j’ai en particulier mesuré l’ampleur lorsque j’ai eu le triste privilège d’être appelé pour les Instructions judiciaires consécutives à de terribles catastrophes. Car il est là une très grave lacune : l’absence d’une déontologie, comparable à celle des médecins, qui définisse leurs droits et leurs devoirs et que l’expérience rend chaque jour plus nécessaire. Si je parviens à ce but, j’ai conscience d’avoir, comme disait Raoul Dautry, bien fait mon métier d’homme. Et je pourrai alors, pendant quelques années, entouré de mes petits-enfants déjà avides de connaître la beauté des cailloux, aller cultiver mes fleurs avant de reposer définitivement, sans doute le plus tard possible, sous une belle, une très belle dalle de granite. »
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Avant d’évoquer le parcours de Marcel Roubault au sein du CEA, il est nécessaire de rappeler le contexte géopolitique au lendemain de la Seconde Guerre mondiale : suite aux progrès fulgurants de la physique nucléaire qui ont abouti entre autres aux bombes d’Hiroshima et de Nagasaki, tous les pays et la France en particulier, ont voulu se mettre à niveau, ce qui commençait par la recherche de minerai d’uranium. Le Général De Gaulle décida de faire de la France une puissance nucléaire à part entière, ce qui nécessitait l’indépendance de la filière d’approvisionnement en matières premières minérales. Or, à l’époque, le minerai d’uranium n’était guère connu qu’à Shinkolobwe (exploité pour le radium), Province du Katanga, et à Joachimsthal (Jachymov) en République Tchèque, gisements qui pour le premier était contrôlé par les USA (convention avec les belges), et pour le second par l’URSS. De plus, l’uranium étant une matière « classifiée », il n’était pas possible d’en acheter aux rares pays producteurs. A cette époque, quelques indices étaient pourtant connus en France. Citons les principales espèces minérales répertoriées : l’autunite historique de St Symporien de Marmagne près d’Autun (dans le Morvan), reconnue aussi dans les pegmatites potassiques du Limousin, la « chalcolite » (torbernite) dans l’Aveyron et à Lachaux dans le Forez, ou encore les niobotantalates dans les Territoires d’Outre-Mer, en particulier à Madagascar (A. Lacroix). Mais tous ces indices ne représentaient que des curiosités minéralogiques et non pas des gisements potentiels.
C’est dans ce contexte, plus précisément le 18 octobre 1945, que nacquit officiellement le CEA par l’ordonnance n°45-2563, dont le troisième alinéa de son article premier précise : « Le Commissariat à l’Energie Atomique […] organise et contrôle, d’accord avec les départements ministériels intéressés, la prospection et l’exploitation des gisements des matières premières nécessaires ». A cet effet, un Département fut créé en 1946 (devenant ultérieurement une Direction) : le Département des Recherches et Exploitations Minières (DREM). Celui-ci, confié initialement à André Savornin (le lecteur lira avec intérêt A. Paucard, Tome I, 1992), dut être très rapidement opérationnel. Au départ, on ignorait si la France pouvait recéler des gisements d’uranium importants dans son sous-sol et rien dans la documentation scientifique de cette époque, ne prêtait à le croire (à part les quelques indices répertoriés). Les recherches furent d’abord orientées tout naturellement vers ces petites occurrences minéralogiques connues depuis longtemps.
Appelé par Frédéric Joliot-Curie, Haut-Commissaire à l’Energie Atomique et sommité scientifique mondiale, Marcel Roubault entra en scène, le 19 mars 1948, en prenant la direction de la DREM (en France et dans les Territoires d’Outre Mer) tout en restant en parallèle Directeur de l’Ecole de Géologie de Nancy. L’urgence des besoins en uranium était très grande. Certes, quelques tonnes d’oxyde d’uranium avaient miraculeusement échappé à l’occupant allemand mais il fallait vite fournir beaucoup de minerai.
« En 1946, les seules ressources en uranium dont dispose le CEA naissant pour ses recherches consistent en un wagon d’uranate impur retrouvé en gare du Havre où il a passé toute la guerre considéré comme un colorant sans valeur, soit l’équivalent d’environ 3 tonnes d’oxyde et le stock d’environ 8 tonnes d’oxyde prêté en 1939 par l’Union Minière du Haut Katanga à F. Juliot Curie. Ce stock a été caché pendant toute la guerre dans une mine de phosphates de Khouribga au Maroc grâce aux initiatives de Français efficaces et … discrets. »
Les Secrets des cuves d’attaque, P. Bodu, 1994.
Pour assurer la réussite de la tâche d’intérêt capital de fournir de l’oxyde d’uranium, Marcel Roubault fit recruter pour la DREM un grand nombre de prospecteurs et de mineurs compétents, dont beaucoup étaient d’anciens élèves de Nancy ; et fin 1950, l’effectif maximum de la DREM fut atteint avec 675 personnes, composé de 75 ingénieurs, 186 agents de maîtrise et 414 ouvriers ! Marcel Roubault créa plusieurs équipes afin de trouver et d’exploiter le précieux minerai. Il fallait aller vite et les prospecteurs, aidés par le fameux compteur AVP, lourd à leurs bras mais indispensable pour détecter au travers des terrains le moindre indice de radioactivité, balayèrent systématiquement toutes les zones potentielles de la France et des Territoires d’Outre Mer, Marcel Roubault n’hésitant pas à se rendre lui-même sur le terrain : « il est aujourd’hui établi que la prospection n’est plus une opération dont le succès est lié uniquement au hasard ». Il donne une grande importance aux relevés et à leur interprétation : la prospection fondée sur la détection de la radioactivité fut développée et de très nombreux indices nouveaux furent découverts. Ils furent explorés par des méthodes géophysiques et par sondages, et pour les meilleures anomalies, par tranchées et très rapidement par travaux miniers : puits et galeries de recherches. Dans cette agitation, les prospections allaient connaître un dynamisme incroyable, tant du point de vue humain que technologique, et déboucher rapidement sur des découvertes de très importants gisements.
A la DREM (également dénommée REM), Marcel Roubault réalisa un « bicéphalisme » Recherche/Exploitation tant au siège que sur les chantiers devenus en fonction de leur importance des « Divisions ». Trois puis quatre Divisions furent créées :
Dès avril 1948, il fut demandé de faire un gros effort dans le domaine de la concentration des minerais. Marcel Roubault obtint du CEA en mai 1948 puis en février 1949 des crédits importants pour accroître les moyens de la laverie de Rophin à Lachaux. Cette laverie deviendra vite le centre principal d’expérimentation de la DREM (procédés de concentration gravimétrique et de flottation). Le but était de produire sur les carreaux de mine des Divisions des préconcentrés à environ 10% U, pour les expédier à l’usine du Bouchet (Essonne). On constatera par la suite que les procédés de traitement physique, classique pour le traitement de nombreux minerais, ne sont pas vraiment adaptés pour ceux d’uranium ; ils laisseront la place aux procédés chimiques beaucoup plus performants.
Au terme d’une période de quatre ans, de 1948 à 1952, pendant laquelle Marcel Roubault fut à la tête de la DREM, une aventure extraordinaire couronnée de succès fut entreprise grâce à la combinaison d’une approche scientifique de la prospection (selon les procédés de l’époque), de l’organisation minière et industrielle et de l’animation des hommes.
« Jamais en effet je n’avais senti peser sur mes épaules une si lourde et si grave responsabilité ; et quatre années durant, jour et nuit, je puis vous assurer que ce n’est pas une image de style, sans pour autant abandonner mes fonctions nancéennes, j’abordai une tâche qui me laisse aujourd’hui encore le souvenir d’une entreprise extraordinaire… grâce aux splendides équipes de la Direction des Recherches et Exploitations Minières, la DREM, preuve était faite que la France avait son uranium. ».
Marcel Roubault, 1968.
C’est aussi durant cette période (1948-1952) que la majorité des principaux districts uranifères français fut découverte (métropole et Territoires d’Outre Mer). Henri Baïssas (Inspecteur Général de l’Instruction Publique et Conseiller scientifique auprès du Haut Commissariat à l’Energie Atomique) a eu l’occasion d’évoquer en 1968 quelques les événements majeurs à ce sujet :
« Et puis les découvertes se multiplient ; en 1951, ce sont les Bois Noirs dans le Forez d’où viendront plus tard des milliers de tonnes. L’Autunois et le Morvan sont moins riches qu’on ne l’espérait, mais la Vendée, terrain où aucune trace de minéralisation n’avait jamais été signalée révéla ses gisements de La Chapelle Largeau et de l’Escarpière, sièges aujourd’hui d’importantes extractions. A Madagascar, après les enthousiasmes suivis, hélas ! de déboires suscités par des niobotantalates des Hauts Plateaux, l’uranothorianite de Fort Dauphin nous donne un minerai d’une richesse extraordinaire. Au Gabon, le gisement de Franceville [Mounana], aujourd’hui en pleine exploitation promet des dizaines de milliers de tonnes de métal. »
Plaquette d’Hommage à Marcel Roubault, Henri Baïssas, 1968.
Le 12 septembre 1952, un arrêté ministériel créa le Comité des Mines du CEA ; Marcel Roubault, quitta la direction de la DREM (confiée le 21 septembre à Jacques Mabile) pour devenir Président du Comité des Mines. Cependant, il garda la direction scientifique du Laboratoire de Minéralogie et resta investi sur plusieurs années d’une mission d’inspection de la DREM, comme le montre cet extrait tiré d’un rapport d’automne 1954 :
« Tous les chantiers sur lesquels on travaille en Limousin correspondent à des découvertes de 1951 ou antérieures. Bref, l’une de nos plus importantes divisions vit sur son passé… La politique de la DREM a été plus une politique de mise à vue sur des gisements connus que de découvertes sur des secteurs nouveaux…Du point de vue de l’avenir…10 tonnes de nouvelles reconnues dans un gisement connus ont une valeur moindre de 10 tonnes nouvelles dans un nouveau gisement… J’affirme que 1955 doit absolument voir naître de nouveaux centres avec de nouveaux travaux de recherches. »
Marcel Roubault, 1954.
Au cours de sa carrière au sein du CEA, Marcel Roubault releva le défi de trouver rapidement les tonnes de minerais d’uranium qu’exigeait le développement de l’industrie du nucléaire. Il permit de fournir au Gouvernement les éléments nécessaires pour que soit établi après la guerre le plan quinquennal de réalisations atomiques françaises. Les divers aspects de son activité dans ce domaine et les résultats des prospections entreprises sous sa direction sont soulignés dans la préface de Francis Perrin (Haut Commissaire au CEA) de l’ouvrage « La Géologie de l’Uranium » (1958).
On ne saurait clore ce parcours sans évoquer la découverte et la mise en exploitation de la première mine française d’uranium : le 25 novembre 1948, de la pechblende massive fut découverte suite à quelques coups de pioche effectués par les prospecteurs du CEA, au « point C du pré Cantiant » à environ 100 m d’une anomalie découverte dès 1947, près de l’Etang la Crouzille (la Crouzille est située à environ 20 km au nord de Limoges en Haute Vienne). C’est une découverte capitale à l’époque avec toutes les conséquences politiques et stratégiques pour la DREM (la découverte de La Crouzille n’est néanmoins divulguée qu’en février 1949). Le filon principal puis la mine elle-même fut baptisée « Henriette » du prénom de l’épouse de Marcel Roubault :
« En 1949 et 1950, les travaux très groupés vont comprendre :
- à la suite des tranchées de la découverte, des sondages entrepris le 2 mars 1949 par Bertin Chalony, dépêché de Lachaux, avec une sondeuse prêtée par l’Ecole de Géologie de Nancy,
- un grand puits de recherches, P1 amorcé le 4 mai 1949. Il descend au niveau -30. Le soutènement est fait de moise de 20 x 20 cm. La section utile est de 1,50 x 1 m. […]
- un premier dépilage dès le 4 octobre entre les niveaux -21 et -12,
- le creusement d’un nouveau puits P2, à partir du 10 novembre 1949. […] Le puits atteint 100 m. Cérémonie officielle et baptême le 26 juillet : le P2 devient « Puits Henriette », prénom de Madame Roubault, proposé par les anciens du Professeur, aimait à rappeler Robert Avril qui se plaçait ainsi au premier rang des disciples. »
Les Temps Légendaires (1946-1950), A. Paucard, 1992.
Henriette « brise le monopole (anglo-saxon) de l’énergie atomique » s’exclama Frédéric Joliot-Curie à la nouvelle de la découverte! La mise en production rapide d’Henriette sur les filons de pechblende à haute teneur, jusqu’au 26 février 1957 (les derniers travaux ayant atteint une profondeur de 302 m) constitua le premier grand pas français dans la production d’uranium. Au total, 186 tonnes d’uranium furent extraites de cette mine. C’est aussi le minerai d’Henriette qui permit presque à lui seul, pendant 4 ans, de satisfaire aux exigences en combustible nucléaire des premières piles françaises, à l’exception de la toute première « Zoé » qui entra en service au moment même de la découverte du filon.
d’après « Gîtes d’uranium du Nord-Limousin : la mine Henriette », J. et J. A. Sarcia (1956)
La mine Henriette et l’étude systématique des anomalies radioactives du district (Division de la Crouzille) furent à l’origine d’une succession de découvertes majeures en Limousin, satisfaisant une bonne partie des besoins français.
C’est aussi dans cette région que de très beaux échantillons minéralogiques ont été récoltés et que trois nouvelles espèces minérales secondaires d’uranium ont vu le jour (à Margnac) : l’agriniérite, la compreignacite et la rameauite.
Ayant été impliqué très tôt dans la Grande Histoire de l’Uranium, tant du point de vue industriel que du point de vue scientifique, Marcel Roubault permit le développement de nombreux travaux de géologie et de minéralogie inédits. Pendant la période où il a exercé à la DREM puis au Comité des Mines, des milliers d’échantillons, étudiés par le Service de Minéralogie du CEA et par les Laboratoires et les Centres de recherche nancéens, furent à l’origine de nombreuses publications.
Pour l’anecdote, signalons que pour les tous premiers prélèvements réalisés sur le terrain par les prospecteurs du CEA, l’origine exacte des minerais et des minéraux, compte tenu du climat politique était jalousement gardée secrète !
« Cette Energie Atomique, source de l’arme suprême, est, partout de par le monde, le royaume du SECRET. Pour l’heure, il faut se prémunir contre toute fuite d’information involontaire. Cette prudence est requise des REM et de leur personnel. Ainsi, les échantillons de minerai prélevés dans les fouilles et les sondages et qui parviennent au laboratoire de minéralogie sont envoyés munis d’un simple numéro, sans repérage de lieu ou de filon : le mot « pechblende » ne peut être prononcé hors de cercles fort restreints d’initiés. Ainsi, il est interdit de photographier, et des photographies de famille sont munies du tampon « reproduction interdite ». […] Ainsi, les trésors uranifères de la Crouzille sont mis en sac nuitamment, à l’abri des regards indiscrets. [Par la suite] derrière un assouplissement de façade, les portes des ateliers et des chantiers restent fermées aux visiteurs trop curieux. Il faudra attendre 1955 pour que les règles du secret soient sensiblement relâchées. »
Les Temps Légendaires (1946-1950), A. Paucard, 1992.
Marcel Roubault fut à l’origine de la revue Sciences de la Terre, Annales de l’Ecole Nationale Supérieure de Géologie Appliquée et de Prospection Minière de Nancy. Cette revue a témoigné de l’œuvre intellectuelle du moment de 1953 à 1982-83.
« Dans le secteur des périodiques, en 1953, conscient comme beaucoup de mes confrères des difficultés rencontrées pour la publication de mémoires géologiques de quelque importance, surtout lorsqu’il s’agit de domaines nouveaux […], j’ai fondé la Revue « Sciences de la Terre » […] Cette revue, non exclusivement réservée aux géologues nancéiens, a pris un rapide essor et se classe désormais, de l’avis général, parmi les grands périodiques français. »
Activités diverses, Titres et travaux scientifiques, Marcel Roubault.
Avec le travail de J. Geoffroy et de Jacqueline A. Sarcia, « Contribution à l’étude des pechblendes françaises » (préface de Marcel Roubault), Sciences de la Terre (1954), commença la publication des observations scientifiques faites par le personnel de la DREM et de celui du Service de Minéralogie du CEA. A l’époque, seuls des travaux préliminaires ou notes fragmentaires, d’ailleurs en nombre très réduit avaient vu le jour sur les minerais et minéraux radioactifs français.
« Aujourd’hui, après des années d’un labeur acharné qui a conduit à la découverte de gisements jusqu’alors insoupçonnés en France et en Outre Mer, il a paru possible, sinon même nécessaire, de faire connaître un ensemble de faits nouveaux qui représenteront la contribution française à la connaissance des Minerais et de la Métallogénie de l’Uranium et du Thorium ».
[…]
« Sous des formes diverses tous ces travaux ont été des travaux d’Equipe, groupant à côté de jeunes hommes de sciences compétents et ardents à la tâche, d’autres hommes non moins enthousiastes, non moins attentifs au succès de l’Entreprise Nationale à laquelle ils étaient et demeurent tous liés : Ingénieurs de tous ordres, Agents techniques ou Ouvriers, sans cesse en éveil pour découvrir le minéral ou le minerai nouveau. »
Extraits de la préface, Contribution à l’étude des pechblendes françaises, Marcel Roubault, 1954.
La publication de J. Geoffroy et Jacqueline A. Sarcia (1954) fut suivie par d’autres dans cette même collection dont l’intérêt n’est pas moins grand : citons (ouvrages épuisés) celui de J. Chervet et G. Branche « Les Minéraux secondaires d’Uranium français et d’Outre Mer » et celui de A. Poughon et M. Moreau « Les gisements d’Uranium à Parsonsite de la région de Lachaux », publiés en 1955. Par la suite de nombreux autres vinrent les compléter.
C’est probablement à la suite de ces travaux successifs que naquit l’idée de réaliser une publication plus importante sur les minerais, les minéraux d’uranium et leur gîtologie. Ceci fut concrétisé pendant 5 ans, de 1960 à 1965, sous la direction même de Marcel Roubault, dans le cadre de la Bibliothèque des Sciences et Techniques nucléaires : cette œuvre, aujourd’hui incontournable, a pour titre « Les minerais uranifères français et leurs gisements ».
« La description des gisements successivement découverts et des minéraux qui les caractérisent a déjà fait l’objet d’un certain nombre de publication ; mais jusqu’à ce jour il n’avait pas encore été envisagé de présenter, dans son ensemble, la masse de documents scientifiques accumulés par la Direction des Recherches et Exploitations minières du Commissariat à l’Energie Atomique depuis sa création.
Aussi, au moment où a été établi le programme de publication des premiers ouvrages […], était-il normal que les plus qualifiés des hommes qui apportent une contribution si valable à la découverte et à l’étude des nouveaux gisements ainsi qu’à leur minéraux, unissent leurs efforts pour faire bénéficier leurs confrères de données nouvelles qui représentent incontestablement un apport précieux à la connaissance de la géochimie et de la métallogénie de l’uranium.
[Cette publication collective en plusieurs volumes a été conçue] d’un bout à l’autre avec le souci de faire de l’ensemble un ouvrage de référence, véritable document auquel tous les spécialistes pourront se reporter lorsqu’ils auront besoin, pour leur études propres, d’une information de nature quelconque concernant soit les minéraux français d’uranium, soit la structure géologique des gisements eux-mêmes, soit la place respective, dans divers gisements, des minéraux considérés isolément ou dans leurs associations naturelles.
[…]
Par comparaison sans doute audacieuse, avec les ouvrages mondialement connus du célèbre Alfred Lacroix, nous avons désiré présenter au public un ouvrage dont on puisse dire demain, dans le langage direct des hommes de laboratoire ou de terrain : cet ouvrage est le « Lacroix » des minerais d’uranium français. »
Extraits de la préface, Les minerais uranifères français et leurs gisements, Marcel Roubault, 1960.
Dans cette préface, Marcel Roubault fut un visionnaire : pour ceux qui connaissent les « Roubaults jaunes » (comme parfois on les appelle), les quatre tomes constituent en effet des ouvrages de référence dont il n’existe à ce jour, sur le même sujet, aucune publication générale de même ampleur.
Le Tome 1 (1960), de nature essentiellement minéralogique, reprend et réactualise les travaux antérieurs, en particulier ceux publiés dans « Sciences de la Terre » (minerais noirs et minéraux secondaires d’uranium). Il est consacré à la description des minerais et de tous les minéraux uranifères découverts dans les gisements français jusque dans les années 60.
Les trois autres tomes, le Tome 2 (1962), le Tome 3.1 (1964) et le Tome 3.2 (1965) sont consacrés à la description des gisements d’uranium français connus à l’époque et à la présentation de leurs minéralisations.
Marcel Roubault fut aussi l’instigateur du manuel qui s’intitule « La prospection de l’uranium, Manuel pratique à l’usage de tous » publié en 1955. Destiné davantage aux exploitants et aux industriels qu’aux étudiants et aux chercheurs, il expose les différentes méthodes d’investigation et les outils adéquats pour la prospection de l’uranium. Une description des minerais primaires et des minéraux secondaires complète ce manuel, très orientée prospection. Le texte est accompagné par de nombreuses photos d’échantillons. Bon nombre de ces clichés proviennent d’ailleurs des publications de la revue Sciences de la Terre (photos de M. Destas). La sortie de ce manuel « grand public » pourrait sembler précoce (1955) compte tenu de la période du SECRET évoquée précédemment. En fait à cette même période, le CEA, faute de capitaux, comptait sur les exploitants privés pour fournir du minerai d’uranium ; cette ouverture provoqua une véritable « ruée vers l’uranium ».
« En mai 1953, devant le Comité des Mines […], Jacques Mabile [alors Directeur de la DREM] traçait les grandes lignes d’une solution française propre à intéresser les prospecteurs privés à la recherche de l’uranium sous le sous sol national : la prospection générale serait faite par les REM, expérience oblige, qui achèteraient le minerai tout-venant pour ne pas multiplier les lourds investissements en usines chimiques et on donnerait une prime de livraisons à forte teneur…rien que du bon sens et du pragmatisme, à l’image Anglo-Saxons.
Le professeur Roubault s’avisa qu’un manuel de prospection, à l’usage de privés encore ignares, serait indispensable. Avec l’aide anonyme de quelques collaborateurs des REM, il s’attela à la tâche. »
Le temps des conquêtes (1951-1958), A. Paucard, 1994.
Parmi les œuvres de Marcel Roubault qui méritent également d’être signalées, citons « La Géologie de l’Uranium », ouvrage de 462 pages publié en 1958, en collaboration avec G. Jurain.
« Dans le domaine de la radiogéologie, j’ai déjà fait allusion au livre le plus important que j’ai consacré en 1958 à la « Géologie de l’Uranium » et qui a été honoré d’une préface de M. Francis Perrin. Depuis cette personnalité m’a demandé de bien vouloir participer aux travaux du Comité de Direction de la Bibliothèque des Sciences et Techniques Nucléaires qu’il préside ; à ce titre, je dirige désormais la publication d’une série d’ouvrages de haute documentation, rédigés avec la collaboration de plusieurs auteurs, et consacrés aux Minerais uranifères français et leurs gisements. »
Activités scientifiques diverses, Titres et travaux scientifiques, Marcel Roubault, 1963.
Pour terminer, une liste pour le moins conséquente récapitule ci-dessous par année les diverses communications et publications scientifiques de Marcel Roubault en rapport avec la géologie et la minéralogie de l’uranium au sens large :
- La recherche et l’exploitation des minerais d’uranium en France et dans l’Union Française, Conférence Société des Ingénieurs civils de France. Paris
1955
- La prospection de l’uranium, Manuel pratique à l’usage de tous, Aris, Ed. Masson
- Essai de classification des gisements d’uranium et de thorium, C. R. Acad. Sc., t.240, pp 214-216
- Sur les relations entre certains gîtes filoniens d’uranium et la présence d’inclusions radioactives dans les roches encaissantes, C. R. Acad. Sc., t.240, pp 1748-1750 ( avec la collaboration de R. Coppens)
- Les phases successives de la découverte des minéralisations uranifères françaises C. R. Acad. Sc., t.240, pp 1443-1445
- Les gisements d’uranium de la France métropolitaine et des Territoires français d’Outre-Mer. Actes de la Conférence intern. sur l’utilisation de l’énergie atomique à des fins pacifiques, Genève, vol. VI, pp 171-181
1957
- Sur la présence d’autunite de formation récente dans les granites altérés de la région Mallièvre-les-Epesses (Vendée). C. R. Acad. Sc., t.245, pp 101-103 (en collaboration avec R. Coppens)
- Etude de la radioactivité du Massif granitique de Carnac (Morbihan). C. R. 82e Congr. Soc. Savantes, Bordeaux, 1957, pp 31-48 (en collaboration avec R. Coppens)
- L’uranium dans l’écorce terrestre. Saclay, 1957, Inst. Nat. Sci. et Techn. nucléaires, Fasc.I, Part.III, 46 p. dactyl. (cours organisés du 15 au 26 juillet 1957 par l’ O.E.C.E.)
1958
- Géologie de l’uranium, Paris, Ed. Masson, 462 p
- Etude de la répartition de la radioactivité et du plomb dans un cristal de zircon. C. R. Acad. Sc., t. 246, pp 137-140 (en collaboration avec R. Coppens)
- Sur une variation brusque et limitée de la radioactivité d’un massif granitique, C. R. Acad. Sc., t. 246, pp 3086-3099 (en collaboration avec R. Coppens)
- La prospection de l’uranium en France et dans les Territoires d’Outre-Mer. Rev. Enseignement Sup., n° 2, pp 5-21 (même article, Soc. Royale Belge des Ingénieurs et Industriels, Bruxelles, 1959, n° 3, p.1-12)
- La radioactivité des eaux minérales. Ischia, 1958, Atti Congr. Intern. Idrologia e Climatologia, pp 1-20 (en collaboration avec R. Coppens, G. Jurain et R. Grandpierre)
- Observation de déplacements de l’uranium dans les roches cristallines : relations possible de ce phénomène avec la genèse de certains gisements. Actes de la 2e Conférence intern. Sur l’utilisation de l’énergie atomique à des fins pacifiques, Genève, pp 128-131 (en collaboration avec R. Coppens)
1959
- sur la teneur en radon des eaux froides de certaines régions de France. C. R. Acad., t. 248, pp 715-717 (en collaboration avec R. Coppens et G. Jurain)
- Remarques sur les déterminations d’âge des minéraux et des roches à l’aide de minéraux radiogéniques. C. R. Acad. Sc., t. 248, pp 881-883 (en collaboration avec R. Perrin)
- Influence de l’altération sur la répartition des éléments radioactifs dans les roches. 84e Congr. Soc. Savantes, Dijon, pp 287-295 (en collaboration avec R. Coppens)
1960-1965
- Roubault M. (sous la direction de), Les minerais uranifères français et leurs gisements,
Tome 1 - Les minerais noirs. Les minéraux secondaires (1960),
Tome 3.1 - Régions Médianes et Sud du Massif Central. Basse-Marche. Bretagne (1964)
Tome 3.2 - Les schistes uranifères des Vosges. Les gîtes et indices sédimentaires du Massif Central. L’uranium dans le carbonifère et le permien de l’Herault. Gisements et indices sédimentaires divers (1965).
Bibliothèque des sciences et techniques, Saclay : INSTN/PARIS : Presses Univ. de France
- Etude radiogéologique d’une partie du massif granitique de Mortagne (Vendée). Report of the intern. Géol. Congress, XXIe session, Norden, Part XV, pp 78-97 (en collaboration avec R. Coppens)
- Etude de la radioactivité des roches encaissantes d’un gisement uranifère. 85e Congr. Des Soc. Savantes, Chambéry, Section Sciences, pp 223-248 (en collaboration avec R. Coppens)
1961
- Ages absolus de divers minéraux uranifères français déterminés par la méthode au plomb. C.R. Acad. Sc., t. 252, pp 367-370 (en collaboration avec G. Durand).
- Etude de la radioactivité des roches d’un sondage profond du massif granitique de Mortagne (Vendée). 86e Congrès des Soc. Savantes, Montpellier, 1961, Section Sciences, pp 429-442 (en collaboration avec R. Coppens)
1962
- Gîtes uranifères filoniens en roches cristallines et radioactivité des roches encaissantes. C. R. Acad. Sc., t. 254, pp 393-396 (en collaboration avec R. Coppens)
1965
- La découverte de l’uranium français. Echos du C.E.A., n° 2, p. 17-19 (article publié à l’occasion du 20e anniversaire de la Fondation du Commissariat à l’énergie atomique)
1966
- Geology of minerals for nuclear energy. Conf. XXIIe Congr. Geol. Intern. New-Delhi 1964, Indina Minerals, Quart. Journal Geol. Survey.
En plus de ces publications, signalons que durant la période 1938 - 1963, Marcel Roubault a dirigé 24 thèses d’Etat, 8 thèses d’ingénieur docteurs, 14 thèses d’Université et 7 thèses de 3e cycle. D’autres sont venues les compléter par la suite. Inutile d’indiquer que certains des sujets étaient en étroite relation avec l’uranium…
Rappelons ici brièvement le parcours de Marcel Roubault qui l’a amené à Nancy : ancien élève de l’Ecole Normale Supérieure, Marcel Roubault a été licencié ès Sciences naturelles et ès Sciences physiques puis premier agrégé de France en 1929. Il a été formé à la carrière enseignante comme Agrégé préparateur à l’Ecole Normale Supérieure, Docteur ès Sciences en 1935, puis est devenu en 1938, Professeur titulaire de la Chaire de Géologie à la Faculté des Sciences de Nancy et Directeur de l’Institut de Géologie Appliquée.
A Nancy, Marcel Roubault s’attela à la rénovation de l’Institut de Géologie et ouvra plusieurs chantiers (les Laboratoires et les Centres de recherche sont présentés ici sous leur dénomination ancienne et actuelle) :
Le 1er octobre 1938, Marcel Roubault devient Directeur de l’Institut de Géologie de Nancy (IGAN), créé à l’origine par René Nicklès en 1908.
« C’est alors que j’eus l’heureuse fortune d’être nommé à 33 ans titulaire d’une importante chaire provinciale et Directeur d’un Etablissement unique en France en son genre, dont la vocation nationale m’était immédiatement apparue. Convaincu dès le premier jour du rôle fondamentale de tous les problèmes concernant l’organisation des laboratoires et la formation des Géologues préparés au travail en équipe, j’abordais une tâche à laquelle, depuis un quart de siècle, j’ai consacré tous mes efforts. »
Introduction, Titres et travaux scientifiques, Marcel Roubault, 1963.
Dès 1944, grâce à son action énergique et persévérante, l’Institut de Géologie fut transformé en Ecole Supérieure de Géologie Appliquée et de Prospection Minière (par décret du 4 décembre), dont les élèves furent désormais recrutés par concours national sur le programme de l’Institut national agronomique pour suivre une scolarité de 3 ans. Puis l’Ecole devint, en 1948 (par décret du 27 mars), Ecole Nationale Supérieure de Géologie Appliquée et de Prospection Minière. La première promotion, qui sortit cette même année, ne compta que 16 élèves auxquels il fallait ajouter 12 recrutés sur titre en troisième année. Le corps professoral fut composé d’enseignants permanents de la Faculté des Sciences et d’ingénieurs en activité. Le programme des études comprenait de la géologie, de la minéralogie, de la physique et de la chimie. Une partie importante du programme fut consacrée aux gîtes minéraux, car au lendemain de la guerre, il fut nécessaire de reconstruire l’économie du pays en découvrant de nouvelles ressources minérales ; il s’agissait à l’époque de cartographier et de prospecter un empire colonial immense et, en métropole, de jeter les bases de grands organismes à vocation minière (CEA, BRGM, sociétés pétrolières, …). L’Ecole y contribua largement.
« Le développement de l’Ecole Nationale Supérieure de Géologie Appliquée et de Prospection Minière était d’ailleurs étroitement lié à l’action que j’ai menée au lendemain de la guerre parallèlement avec tous les Organismes nationaux compétents, en faveur d’une large extension des recherches géologiques françaises dans les Territoires d’Outre Mer. »
Enseignement, Titres et travaux scientifiques, Marcel Roubault, 1963.
L’Ecole de Géologie était pourvue de laboratoires divers, en particulier pour le traitement des minerais. Tout naturellement, Marcel Roubault fit appel aux moyens de son Ecole, par exemple, pour des études de concentration gravimétrique des minerais de Lachaux, ou encore, en utilisant les premières sondeuses pour effectuer des carottages de reconnaissance sur des indices uranifères du CEA.
Comme il a été dit précédemment, l’Ecole joua un très grand rôle dans la formation des cadres recrutés par l’industrie minière française de l’uranium. Déjà en 1948 et 1949, lors de la sortie des deux premières promotions, Marcel Roubault, qui connaissait évidemment bien ses élèves, en recruta 8 pour la DREM. Par la suite, l’industrie de l’uranium continua à recruter des ingénieurs lors des périodes de fort développement ; les ingénieurs de Nancy ne s’occupaient pas seulement de géologie, mais aussi et surtout d’exploitation minière ou encore des procédés de traitement du minerai, en se trouvant à la direction d’unités opérationnelles.
Le 18 mai 1953, l’inauguration officielle des nouveaux locaux historiques de l’Ecole (avenue de Strasbourg à Nancy) en présence du Ministre de l’Education Nationale, vint récompenser les efforts déployés pour leur construction. Mais l’augmentation du nombre des élèves et le développement des activités de recherche posèrent rapidement un problème aigu de place. Marcel Roubault fit alors le pari d’établir une grande partie des activités de recherche de l’Ecole sur le territoire vierge du plateau de Brabois, préfigurant ainsi les extensions à venir du Technopôle de Brabois (sur la commune de Vandoeuvre-les-Nancy, aux portes de Nancy). Cette grande Ecole devint de plus en plus importante et renommée sur le plan national et international.
En 1998, fut finalement inaugurée la « nouvelle » Ecole, hébergée dans des locaux plus modernes. Elle se situe actuellement près d’autres Ecoles de l’Institut national Polytechnique de Lorraine (INPL) que sont l’Ecole Nationale Supérieure d’Electricité et de Mécanique (ENSEM) et l’Ecole Nationale Supérieure d’Agronomie et des Industries Agroalimentaires (ENSAIA).
Le CRPG fut créé en octobre 1952 à l'initiative de Marcel Roubault, par convention entre le Centre National de Recherche scientifique (CNRS) et l'Académie de Nancy.
« Dans plusieurs publications et en particulier dans la brochure sur le CRPG (CNRS) que je dirige à Nancy depuis 1952, j’ai exposé les raisons pour lesquelles j’estimais qu’à l’heure présente, l’une des tâches primordiales des pétrographes était d’adapter les méthodes d’étude dont ils disposent et surtout les méthodes analytiques aux conditions qui leur sont désormais imposées»
Techniques et méthodes d’étude des roches, Titres et travaux scientifiques, Marcel Roubault, 1963.
Aujourd’hui, le CRPG (qui est toujours dans le bâtiment d’origine) a le statut d’unité propre du CNRS et est lié par convention à l’Institut national Polytechnique de Lorraine (INPL) et à l’Université Henri Poincaré (UHP). Il est l’une des composantes de la FR EST (Fédération de Recherche EST) Eau Sol Terre, qui fédère l'ensemble des laboratoires de géologie nancéiens. Le CRPG est constitué de trois équipes « Géochimie », « Pétrologie » et « Géodynamisme ». Les thèmes de recherche sont, entre autre, la cosmochimie et la planétologie, les phénomènes d’érosion, le climat, la géodynamique, la minéralogie et la modélisation numérique. L’activité au sein du CRPG se traduit par un nombre important de publications scientifiques dans les revues internationales et par la préparation de standards utilisés partout dans le monde pour l'analyse des roches et minéraux. Il héberge le Service d’analyse des roches et minéraux (SARM), le Service national de la sonde ionique (microsondes ioniques IMS-3f et IMS-1270), ainsi que le journal « Geostandars and Geoanalytical Research ». L’originalité des programmes de recherches et ses développements analytiques avec des instruments toujours sophistiqués font du CRPG un pôle géochimique et pétrographique de tout premier ordre.
Le Centre de Recherche Radiogéologique (CRR) fut créé en 1956. Ce Centre, tel qu’il était prévu à l’origine, avait essentiellement pour mission d’étudier, dans le cadre de recherches de type fondamentale, les liaisons qui pouvaient exister en la radioactivité des roches et la formation des gisements. En 1965, un contrat très important fut passé entre l’Université de Nancy et la Direction de production du CEA. L’équipe de chercheurs fut alors augmentée d’un certain nombre d’unités tandis que s’intensifiait la collaboration entre les chercheurs et leurs collègues des Divisions minières de la DREM.
« L’étude de multiples problèmes scientifiques soulevés par la prospection des minéraux radioactifs devait tout naturellement m’orienter vers des travaux de Recherche Fondamentale dans le domaine désigné sous le nom de « Radiogéologie ». Cette orientation a d’ailleurs été à l’origine de la création à Nancy, depuis 1956, d’un Centre de Recherche Radiogéologique, dont le fonctionnement est assuré parallèlement par le Commissariat à l’Energie Atomique et l’Université de Nancy. »
Prospection de l’Uranium et Radiogéologie, Titres et travaux scientifiques, Marcel Roubault, 1963.
« Aujourd’hui, les résultats obtenus sont tels qu’en bien des circonstances, les géologues de Divisions minières font appel au Centre de Nancy pour obtenir des informations qui autrefois eussent pu paraître inutiles, car, à priori, d’essence trop fondamentale, mais qui désormais se révèlent être des guides précieux pour améliorer les conditions dans lesquelles s’effectue la prospection. »
Préface, La géologie de l’uranium dans le Massif granitique de St Sylvestre (Limousin, France)
Marcel Roubault 1969.
Le Centre de Recherche Radiogéologique (CRR) a disparu vers 1985 ; il a été remplacé par le Centre de Recherches sur la Géologie de l’Uranium (CREGU). Le CREGU est une société civile créée en 1978 par le CEA, 5 opérateurs miniers français (COGEMA, Elf Aquitaine, Total, Dong Thrieu, CFM) et le CNRS..Le CREGU est maintenant une des composantes de l’Unité Mixte de Recherche CNRS 7566 (Géologie et Gestion des Matières Premières Minérales et Energétiques) en association avec l’Université Henri Poincaré et l’ENSG. Situé à l’interface entre l’Industrie et la Recherche, ce Centre assure différentes missions réalisées à travers de nombreux contrats industriels ainsi que dans le cadre de programmes de recherche régionaux, nationaux et internationaux. Les thématiques portent sur le cycle des matières premières minérales et énergétiques. Elles se traduisent par le développement de deux axes de recherche principaux : géologie et exploration des ressources (problèmes liés à la prospection et à l'exploitation des ressources minérales et énergétiques, développement de modèle de genèse des ressources minérales) et gestion de l'aval des ressources (migration des polluants organiques et inorganiques, réhabilitation des sites d'exploitation, inertage et stockage des déchets).
Marcel Roubault développa l’étude des différents systèmes de traitements des minerais avec la construction d’une Station d’Essais, véritable usine en miniature où l’on pouvait procéder rapidement à divers types d’essais (traitement mécanique et concentration).
« Je me suis également attaché aux problèmes soulevés par la séparation des minéraux des roches par la méthode dérivée de celles employées couramment dans l’Industrie pour la préparation mécanique des minerais. »
Nouvelles recherches en cours, Titres et travaux scientifiques, Marcel Roubault, 1963.
« Lorsque je fus nommé à Nancy en 1938, il existait déjà à l’Institut de Géologie Appliquée, un petit laboratoire contenant sous en forme embryonnaire les éléments nécessaires pour donner aux Ingénieurs Géologues un minimum de formation sur les techniques [de préparation des minerais]. Il est en effet de la première importance que les jeunes gens qui auront souvent au cours de leur carrière la responsabilité de conseiller l’exploitation de tel ou tel gisement découvert, soient parfaitement informés des possibilités de concentration sur place, avant tout traitement métallurgique, des minerais extraits … Aujourd’hui, il est devenu une importante station d’essais à l’échelle semi-industrielle, disposant d’un appareillage complet qui permet pratiquement de procéder à des essais pilotes avec toutes les méthodes couramment en usage dans l’Industrie, aussi bien par voie humide (en particulier traitement par flottation) que par traitement à sec (électrostatique, magnétique ou pneumatique). Cette station d’essais pilote au fonctionnement de laquelle collaborent journellement plusieurs de mes anciens élèves (dont M. Blazy, Chef de la Station), présente l’avantage considérable d’être un laboratoire dont l’activité est indépendante d’intérêts privés. »
Enseignement, Titres et travaux scientifiques, Marcel Roubault, 1963.
La Station d’Essais fut vite devenue le Centre de Recherche sur la Valorisation des Minerais (CRVM), pour évoluer vers l’étude des problèmes liés à l’eau, aux déchets et globalement à l’environnement. Son nom est actuellement le Laboratoire Environnement et Minéralurgie (LEM). Le LEM est une Unité Mixte de Recherche INPL - CNRS. L'activité scientifique du LEM vise à comprendre les mécanismes moléculaires à l'origine des lois de comportement de la matière divisée dans les procédés de génie minéral et dans les milieux naturels. Ses objectifs sont de valoriser et protéger les ressources en minerais, minéraux industriels, eaux, de développer des procédés propres et sûrs de génie minéral et de faire évoluer les techniques de valorisation, de recyclage, de passivation des matières résiduaires. La recherche s'organise autour de trois thématiques scientifiques : la cristallochimie et la minéralogie appliquées, la physico-chimie des interfaces et la physico-chimie des systèmes colloïdaux. Un axe transversal « Chimie et physico-chimie du cycle de l'eau » recoupe ces thématiques. Ce Laboratoire s'appuie, pour les développements industriels, sur sa station expérimentale de valorisation des ressources minérales et des matières résiduaires, STEVAL (Station d’Essais améliorée). Le LEM a développé des partenariats scientifiques et industriels avec de nombreux laboratoires de recherche en Lorraine, en France et dans le monde, l'ensemble de l'industrie minérale en France, et de nombreuses industries mettant en œuvre des matières minérales divisées.
En 1959, Marcel Roubault fut appelé comme Président du Comité des experts (géotechniciens) suite aux problèmes rencontrés sur le site du barrage de Malpasset (Var). Il participa à l’expertise des catastrophes de Champagnole, de Val d’Isère, du Roc de Fiz et de bien d’autres à l’étranger. Impressionné par cette série de catastrophes qui montrait un déficit de prise en compte de la géologie dans les grands ouvrages de Génie Civil, il provoqua la création d’un nouveau Centre de recherches, le Centre de Mécanique des Sols et des Roches. En 1966, il donna naissance au Laboratoire de Géomécanique (à l’initiative de Marcel Roubault et de René Houpert, son premier directeur).
Ce Laboratoire correspond actuellement au Laboratoire Environnement Géomécanique et Ouvrages (LAEGO), issu en 1997 du rapprochement demandé par la Mission Scientifique du Ministère de L'Education Nationale entre le Laboratoire de Géomécanique (Ecole de Géologie de Nancy) et le Laboratoire de Mécanique des Terrains (Ecole des Mines de Nancy). Ce laboratoire est constitué de trois secteurs scientifiques qui sont la Mécanique des Roches, la Mécanique des Sols et les Transferts en Milieu poreux ainsi que d'une opération transversale, la Maîtrise des risques. La finalité des trois grandes opérations est de créer des connaissances scientifiques nouvelles applicables aux problèmes de stockage de déchets, ouvrages miniers, ressources en eau, fondations, talus, carrières, ...
Une opération transversale correspond à la volonté de développer des méthodes nouvelles dans le domaine de l'évaluation et la gestion des risques.
« On devine le travail fantastique que nécessitent la construction, l’organisation et l’équipement de tous ces laboratoires […] Si les géologues de Nancy ont le mérite d’avoir accompli et de poursuivre le travail en tant de domaines, il est clair que c’est à Marcel Roubault qu’ils le doivent. »
G. Millot, 1975.
Cette section composée d’élèves « Géologues Prospecteurs » est également l’une des œuvres de Marcel Roubault. Elle fut fondée en 1957 par Marcel Roubault et le Proviseur de l’Ecole Nationale Professionnelle (l’actuel Lycée Henri Loritz de Nancy).
« En marge des transformations de l’Ecole de Géologie pour la formation des Ingénieurs du niveau supérieur, j’ai été en outre l’instigateur de la création, en 1957, d’une Section de Techniciens Géologues Prospecteurs au Lycée Technique d’Etat de Nancy, Section qui fonctionne avec la collaboration du personnel de l’Ecole pour les enseignements de nature géologique. »
Enseignement, Titres et travaux scientifiques, Marcel Roubault, 1963.
La section TSGP, dénommée depuis 1991 « section TSGA » (Technicien supérieur en géologie appliquée), est placée sous la direction du Lycée Loritz en partenariat avec l’ENSG de Nancy. Au terme d’une scolarité de deux ans, complétée par un stage en entreprise de huit semaines, les Techniciens Géologues acquièrent une solide formation dans des domaines variés tels que la recherche, l’exploitation et la gestion des richesses du sous-sol (matériaux, eau, sources d’énergie) et les investigations géologiques, géophysiques et géotechniques nécessaires à la réalisation de grands travaux.
Un prix fut créé par Marcel Roubault et Alain Perrodon à partir des excédents des sommes reçues lors de la souscription pour l'Epée d'Académicien offerte à Marcel Roubault. L'UFG, à la demande d'Alain Perrodon, fut l'organisme retenu pour gérer ce prix ; le Prix Marcel Roubault doit récompenser un individu ou un groupement ayant apporté des progrès ou des résultats importants dans le domaine des applications en sciences de la Terre dans la branche dont il est spécialiste. Les récipiendaires du prix Marcel ROUBAULT, entre 1974 et 2005, ont été :
* Oberto SERRA (Diagraphies ELF)
* Equipe BRGM mines dirigée par J. GUIGUES (découvertes en Bretagne)
* Equipe COGEMA pour le gisement de Coutras (Le Goff, Ballery, Obellianne élèves ENSG Nancy promo 63, Thirion)
* Claude GUILLEMIN (BRGM)
* Pierre DELETIE élève ENSG Nancy promo 64 (géophysique appliquée à l'archéologie, EDF)
* Ghislain de MARSILLY (Hydro)
* Jean-Laurent MALLET élève ENSG Nancy promo 68 (gOcad).
De la carrière si riche de Marcel Roubault, l’auteur a essayé de retracer quelques uns des aspects principaux. Au terme de cet article, le lecteur mesurera le chemin parcouru…
Au sein du CEA (à la DREM et au Comité des Mines), Marcel Roubault releva le défi de trouver rapidement les tonnes du précieux minerai qu’exigeait le développement de l’industrie de l’uranium, ceci afin de garantir l’indépendance énergétique et militaire du pays. Marcel Roubault compte ainsi parmi les pionniers de l’industrie de l’uranium. Dès 1948, les prospections et les travaux miniers développés sous son impulsion à un rythme accéléré permirent, entre autre, d’envoyer de nombreux échantillons dans les laboratoires (au CEA et à Nancy). Leurs études et les recherches menées sur la géologie et la métallogénie de l’uranium, tout autant accélérées, furent à l’origine de nombreuses publications sur les gisements uranifères (français), avec parfois à la clé la description d’espèces minérales nouvelles (dans les gîtes de Margnac en Haute Vienne, dans le secteur de Lodève dans l’Hérault et bien sûr à Mounana au Gabon).
La carrière de chercheur de Marcel Roubault fut abondamment remplie par plus de deux cents publications d’un intérêt soutenu (voir à ce sujet la Notice des Titres et Travaux scientifiques de Marcel Roubault, 1963 et L’œuvre scientifique de Marcel Roubault (1905-1974) par G. Millot, 1975). Une grande partie de ces publications sont en rapport avec l’uranium. Marcel Roubault fut un scientifique de portée internationale.
Par ses actions, Marcel Roubault contribua à faire de Nancy l’une des premières places pour les Géosciences en France. Les géologues nancéiens peuvent en témoigner : directement ou indirectement, tout au long de la seconde moitié du XXème siècle, ils ont été marqués par les entreprises de Marcel Roubault.
« Il semble bien [en parlant de la recherche de l’uranium] que tous les géologues, minéralogistes, mineurs et ingénieurs qui ont participé à cette entreprise en France et en Afrique gardent un souvenir extraordinaire de la mobilité, de l’énergie et de l’esprit de décision dont a fait preuve leur directeur. Ils furent commandés, certes, mais aidés, soutenus et défendus. Le professeur était devenu le chef d’une énorme entreprise et, grâce à la clarté de ses choix et de ses gestes, ce fut la réussite. »
G. Millot, 1975.
Reproduisons ici quelques unes des réflexions de Marcel Roubault (toujours d’actualité) :
« Dans le monde moderne, un ingénieur doit posséder une culture scientifique de base extrêmement solide. Il doit non seulement posséder cette culture sous forme livresque, mais il doit avoir la pratique du laboratoire, pratique qui, seule, lui permettra d’acquérir une méthode de travail rigoureuse et de se dégager de la persistance si tenace des vieilles routines. »
Marcel Roubault, 1951.
« Pour rendre à l’industrie les services qu’elle est en droit d’attendre, le géologue doit être autre chose q’un Monsieur grave descendant de temps en temps de sa chaire pour donner en quelques minutes, tout au plus quelques heures, une bénédiction solennelle. Pour atteindre au but, le géologue doit se fondre au technicien ; ils doivent parler le même langage ; l’un et l’autre doivent être rompus aux mêmes données fondamentales du chantier ou de la mine… »
Marcel Roubault, 1956.
Enfin, pour terminer, voici la belle devise qu’a choisie Marcel Roubault et qui est inscrite sur l’arc de son Epée d’Académicien : « La géologie au service des hommes ».
Cet article a pu voir le jour grâce à la contribution de plusieurs personnes ; pour leur aide, les renseignements et la documentation communiqués, ainsi que pour les autorisations de pouvoir mettre en ligne d’anciens clichés d’archives, l’auteur tient à remercier tout particulièrement MM. J.-L. Ainardi (ENS Géologie de Nancy), P.-J. Chiappero (Museum National d’Histoire Naturelle de Paris), M. Cuney (CREGU – UMR G2R 7566), A. Legait (ENS Géologie de Nancy), P.-C. Guiollard et le personnel de l’ASGA (Fondation pour la Géologie et ses Applications – Revue Sciences de la Terre).
***DOC de SYNYHESE – TABLEAU (FOND VERT)
- Barbier J., Carrat H. G., Coppens R., Dottin H., Kosztolanyi K., Marquaire C., Moreau M., Ranchin G., Sénécal J. (1969), La géologie du Massif granitique de St Sylvestre (Limousin, Massif Central français), Sciences de la Terre, Mémoire n°15, Nancy
- Bavoux B., Guiollard P.C. (1998), L’Uranium de la Crouzille, Ed. P.C. Guiollard
- Bavoux B., Guiollard P.C. (1999), L’Uranium du Lodevois, Ed. P.C. Guiollard
- Bodu R. (1994), Les Secrets des cuves d’attaque, 40 ans de traitement des minerais d’uranium, Ed. Cogema
- Caubel A. (1989), Marcel Roubault (1905-1974), Minéraux et Fossiles, n°164, pp 41-43
- Chervet J., Branche G. (1955), Contribution à l’étude des minéraux secondaires d’uranium, Sciences de la Terre, t. III, n°1-2, Nancy
- Geffroy J., Sarcia Mme J. A. (1954), Contribution à l’étude des pechblendes françaises, Sciences de la Terre, t. II, n°1-2, Nancy
- Lacroix A. (1903), Sur le gisement de l’autunite de St Symphorien-de-Marmagne, Bull. Sc. Hist. Nat. D’Autun
- Millot G. (1975), L’œuvre scientifique de Marcel Roubault (1905-1974), BSGF, 7e série, t. XVII, n°1, pp 3-12
- Notice des Titres et Travaux scientifiques de Marcel Roubault (1963)
- Roubault M. (1955), La prospection de l’uranium, Manuel pratique à l’usage de tous, Aris, Ed. Masson
- Roubault M. (1958), Géologie de l’Uranium, Ed. Masson, Paris, 462 p
- Paucard A. (1992, 1994 et 1996), La mine et les mineurs de l’uranium français (en 3 tomes), Ed. T. Parquet, Brive
- Plaquette d’Hommage à Marcel Roubault – Remise de l’Epée d’Académicien au Professeur Marcel Roubault, Membre de l’Académie des Sciences, dans le Grand Salon de l’Hôtel de Ville de Nancy, le 19 novembre 1968
- Poughon A., Moreau M. (1955), Les gisements à parsonsite de Lachaux, Sciences de la Terre, t. III, n°1-2, Nancy
La première version de cet article a été publiée dans le Cahier des Micromonteurs, (2006), Bulletin spécial de l’AFM « Minéraux dédiés à des minéralogistes français ou à des localités françaises », n° 93, pp 89-113
Version du 01/02/07
Mis sur le web en mars 2007 par Robert Mahl