Ancien élève de l'Ecole des mines de Paris (promotion 1913). Ingénieur Civil des Mines
Publié dans Bulletin de l'Association amicale des anciens élèves de l'Ecole des mines de Paris, Juillet 1917 :
Notre camarade Jules-Adolphe-Philippe Richard, sous-lieutenant au 46e régiment d'artillerie, est mort glorieusement à l'ennemi le 11 avril 1916.
C'est, entre tant d'autres, une figure particulièrement attachante qui disparaît, attachante surtout à notre point de vue et pour notre souvenir.
Après de brillantes études au lycée de Charleville, complétées par une forte préparation dans la classe de mathématiques spéciales du lycée Louis-le-Grand, Richard avait été reçu à l'Ecole le 7e de sa promotion. Il avait fait alors sa première année de service militaire au 15e régiment d'artillerie à Douai, et il avait commencé à suivre les cours de l'Ecole en novembre 1912. Il y avait montré beaucoup d'application et des dispositions non douteuses. Il était de la région industrielle des Ardennes et, durant toute son enfance, il avait eu sous les yeux l'activité des usines. Le mariage de l'une de ses sœurs avec un ingénieur des mines de la Société de Liévin (Notre camarade Louis Lahoussay) avait contribué à fixer en lui l'idée d'embrasser une carrière pour laquelle il se sentait d'ailleurs une véritable vocation. Du lycée à l'Ecole, il s'était constamment distingué par des qualités d'équilibre et d'ordre, par un sens des réalités et une maturité au-dessus de son âge. Esprit positif, aimant en tout la précision, et dont les facultés largement compréhensives ne s'accommodaient d'aucun à peu près, il était remarquablement servi par sa nature même pour les travaux qu'embrassent nos programes.
Il avait le goût des sciences exactes et sur toutes choses des idées générales bien classées. Toutes les matières de l'enseignement sollicitaient également sa solide intelligence. Il n'abordait aucun problème sans en examiner soigneusement toutes les données, aucune tâche sans la pousser à fond. Les questions financières, l'économie politique, les sciences sociales l'intéressaient non seulement comme des sujets d'étude propres à fortifier son instruction générale, mais comme un complément nécessaire à la formation de l'homme de réalisation qu'il entendait devenir. Déjà nous apercevions en lui des aptitudes marquées à la direction, et ces qualités, possession de soi, coup d'œil, qui, développées par la pratique et la réflexion, font l'autorité, celle qui s'exerce dans la conduite des affaires et le maniement du personnel. Il eût été, suivant la formule anglaise, the right man in the right place, et peut-être ainsi s'expliquerait, par une affinité de caractère, cette admiration innée qu'il professait pour l'Angleterre, ses mœurs, ses idées, le peuple et l'état social. Il s'était passionné pour la langue anglaise et s'y était perfectionné par la lecture des chefs-d'œuvre, par celle aussi des ouvrages techniques et scientifiques. Sa conversation reflétait une conception rationnelle de la vie, mais elle n'en avait pas moins un charme qui venait de la sincérité et de la bonne foi dont elle portait la marque. Tout en Richard exprimait la loyauté et la franchise. Dans ses projets d'avenir, rien qui ne s'inspirât d'un sentiment de droiture inflexible et du ferme propos d'agir en toute occasion suivant la conscience et le devoir. Si je cherchais à me l'imaginer dans le cadre de l'existence à laquelle il se préparait, il me semblait le voir dans son cabinet d'ingénieur, méthodique, sérieux, dictant ses ordres avec calme et netteté, ou bien encore parcourant les ateliers ou les fosses, l'œil à tout et à tous, en un de ces décors pleins d'animation du pays noir dont le grand artiste belge Constantin Meunier a si fortement exprimé la poésie âpre et puissante. Non pas que Richard fût dénué de jeunesse. Tous ceux qui l'ont connu, qui ont pénétré sa vie intime, se rappellent au contraire sa gaîté saine et franche, son entrain de bon aloi, la cordialité qui se lisait dans ses yeux et qui lui attirait à la fois la sympathie et la confiance.
Richard terminait sa deuxième année d'études à l'Ecole et, après un voyage géologique fait avec un groupe d'élèves dans la région du Puy-de-Dôme et de la Loire, il venait d'arriver à Douai pour accomplir son stage dans les exploitations minières de la région, lorsque la guerre éclata. Quelques heures après la mobilisation, il partait pour Saint-Mihiel. où il rejoignait le 40e régiment d'artillerie, auquel l'affectait son ordre d'appel.
Attaché d'abord à une section de munitions, Richard commença la campagne en Lorraine, puis il opéra successivement sur les Hauts-de-Meuse, en Argonne et en Champagne, lors de l'offensive de septembre 1915. Le 5 janvier 1916, il passait sur sa demande à une batterie de 75, au 46e, qui bientôt allait être appelée à prendre part à la défense de Verdun contre la ruée allemande de février 1916. Le 16 mars, la batterie est installée le long du talus d'une route, au nord-ouest de la ville attaquée. De l'observatoire du groupe, le regard découvre le panorama du Mort-Homme et de Béthincourt. L'activité des deux artilleries est intense, le martelage du sol incessant. Un jour, Richard est envoyé en liaison au 161e sur le Mort-Homme ; un autre jour, aux tranchées du 150e où la boue, dans laquelle on entre jusqu'aux genoux, est à tout instant soulevée par les projectiles et menace d'ensevelir les occupants ; puis il part en liaison à la 80e brigade. Toutes ses missions — les attestations de ses chefs le disent — il les remplit avec un zèle, une intelligence et un mépris du danger également remarqués.
Le 11 avril, le groupe est à Esnes, et c'est pour Richard la dernière étape. C'est là qu'il est frappé et qu'il tombe, mortellement blessé, à son poste d'observateur. Il a les deux jambes atteintes. L'une est complètement fracassée, et l'artère fémorale est rompue. Tandis que le sang coule à flots de ses blessures, à des zouaves qui passent, montant au Mort-Homme : « Voyez, mes amis, dit-il, aujourd'hui c'est le tour des artilleurs ! » Transporté en hâte à Montzéville, puis à l'ambulance de Froidos, il est opéré le soir même ; mais il meurt quelques heures après l'opération.
La citation dit :
« Affecté à une section de parc, avait demandé à passer dans une batterie de 75, où, par son zèle, son dévouement et ses connaissances techniques, il a rendu d'excellents services et s'est fait remarquer par sa bravoure et son sang-froid, recherchant toujours les missions les plus périlleuses. Blessé mortellement à son poste d'observation le 11 avril 1916. »
Cette citation, signée du général Berthelot, commandant le 32e corps d'armée, est datée du 27 mai. Mais déjà, le 12 avril, le chef d'escadron faisant fonctions de colonel du 46e, en annonçant la fatale nouvelle à la famille, avait signalé la belle attitude du jeune officier, au cours de la journée du 11. Il ajoutait : « Son courage lui a valu la croix de la « Légion d'honneur. »
L'indication, exacte à l'heure où elle était donnée, ne l'était plus, hélas ! quelques heures après, la mort n'ayant pas voulu attendre la remise d'une récompense si bien gagnée. Ainsi que l'écrivait, à peu de jours de là, le nouveau colonel du 46e, « lorsque le lieutenant Richard fut atteint d'une blessure qui s'annonça immédiatement comme très grave, le chef d'escadron qui commandait le régiment le proposa pour la croix de la Légion d'honneur. La nomination fut signée ; mais à ce moment Richard avait déjà succombé, et la nomination, conformément à un règlement qui ne souffre aucune exception, dut être par la suite rapportée. »
La famille de Jules Richard, qui montre tant de dignité dans son deuil irréparable, n'a donc pu recevoir le signe tangible de l'héroïsme filial ; elle sait tout au moins combien l'honneur fut mérité. Le legs de gloire lui reste.
Il lui reste aussi de bien précieux témoignages des sentiments que notre ami avait su inspirer à tous ceux qui l'avaient approché au cours de la campagne. De nombreuses lettres de condoléances en portent la trace émouvante. Qu'elles viennent de ses anciens camarades de la 10e section de munitions ou de ses camarades du 46e, ou enfin de l'aumônier qui, à l'hôpital de Froidos, l'a assisté avant l'opération, elles permettent de mesurer la place que Richard s'était faite parmi ses compagnons d'armes. « Nous pleurons un camarade qui nous fut cher », dit l'un d'eux. « Je lui avais voué une affection de frère », dit un autre. « J'ai su éprouver ses qualités de cœur et d'esprit », dit un autre encore ; « par son caractère franc et loyal, il s'était attiré l'estime et la sympathie de ses camarades et, par sa compréhension du devoir, l'amitié de ses chefs. »