Fils de Gédéon Waatz Francklin P. Ét. Napoléon RAOUX, apprêteur, et de Anais GIRAUD.
Père de Jean Marie Joseph Pierre RAOUX (1914-1985 ; X 1934).
Ancien élève de l'Ecole polytechnique (promotion 1896, entré classé 12 et sorti classé 112 sur 217 élèves). Ancien élève de l'Ecole des mines de Paris (promotion 1899). Ingénieur civil des mines.
Publié dans Bulletin de l'Association amicale des anciens élèves de l'Ecole des mines de Paris, Juillet 1916 :
Philippe Raoux est tombé bravement au champ d'honneur de Verdun.
Né à Lyon le 11 janvier 1876, Philippe Raoux, après de solides études au Lycée de Lyon, vint à Paris faire ses Spéciales au Collège Sainte-Barbe d'abord, puis au Lycée Saint-Louis où il fut reçu 12e à Polytechnique. Après deux années passées à cette Ecole et une année à Vincennes comme sous-lieutenant au 12e d'artillerie, il entra à l'Ecole Supérieure des Mines. A sa sortie, il débuta comme ingénieur aux Mines de Nœux, où il resta trois ans et fut ensuite deux ans directeur de mines en Hongrie. Après ces débuts, où il sut s'assimiler à fond la pratique du métier, il entra en juin 1907 à la Société Comte-Renard. Mis au service des Etudes, des Prix de Revient et des Approvisionnements et Expéditions, il s'y fit remarquer par son esprit de méthode, son intelligence toujours en éveil et sa puissance de travail, fut ainsi nommé ingénieur principal de l'Exploitation, puis ingénieur en chef et finalement directeur des mines de la Société, avec résidence à Sosnovice. En pleine maturité d'esprit, il avait devant lui une belle carrière, où ses brillantes qualités d'organisateur n'avaient qu'à se développer librement, — lorsque la guerre éclata.
Raoux rentrait de congé, avec sa jeune femme, quand le 25 juillet 1914 il apprit à Cassel, par la rumeur publique, la mobilisation commencée en Russie ; sans hésiter il continue sa route et rejoint son poste à Sosnovice. Les jours suivants, malgré les dépêches rassurantes, il se rend compte de la gravité de la situation générale. Le 31 juillet, estimant que le Pays aurait bientôt besoin de tous ses enfants, il décide brusquement de rentrer en France et franchit, pour aller prendre à Myslowitz (Allemagne) le train de Francfort, le pont-frontière quelques minutes avant qu'il saute. En butte à des difficultés sans cesse grandissantes, au prix de mille dangers, il traverse avec sa famille l'empire allemand et parvient, au milieu d'un groupe d'Américains, à franchir à pied la frontière suisse. Il gagne par Bâle les Verrières et Pontarlier, où il arrive le 3 août. Sans perdre un instant, il se sépare des siens pour rejoindre son dépôt.
Il prend immédiatement part à la lutte comme lieutenant au 27e régiment d'artillerie, et fait la campagne de Belgique ; il est de la retraite de Charleroi et de la bataille de la Marne. Nommé capitaine commandant la 24e batterie pendant la campagne d'Artois, il reste enseveli quelques instants sous son observatoire défoncé par un obus et, à peine dégagé, reprend avec le plus grand sang-froid la direction de ses tirs — ce qui lui vaut la belle citation à l'ordre de l'Armée que l'on connaît et la Croix de guerre avec palme. Il prend ensuite part à la bataille de Champagne.
Quand se déclanche, le 21 février 1916, violente, formidable, la ruée allemande sur Verdun, la batterie de Raoux occupe depuis plusieurs jours déjà une position à 4 kilomètres au Nord du village de Douaumont, dans la région la plus bombardée, dans celle où se porte le plus violent effort de l'ennemi. Le 21 et le 22, sa batterie tire sans arrêt sur les bois envahis par les Allemands et évacués par nous dans le premier fléchissement de nos troupes sous l'ouragan de fer et de feu. Le 23 au matin, maintenant une liaison intime avec notre infanterie qui défendait les bois de la Wavrille, Raoux est mis au courant du mouvement de retraite de nos fantassins submergés par les masses ennemies ; vers 11 heures, la situation devient critique, sa batterie peut être entourée d'un moment à l'autre, il fait tirer tous ses obus et à la dernière minute mettre ses canons hors service et donne enfin l'ordre à ses hommes de se replier par petits paquets. Tels sont l'attachement et l'affection qu'il a su créer autour de lui qu'aucun ne peut se décider à partir le premier et à le laisser. Personne ne bougeant, solennel mais les larmes aux yeux, Raoux commande : « Par ordre du capitaine commandant la batterie, partez !... Direction : S... » et lentement le défilé commence. Quand tous furent partis, ne conservant avec lui qu'un sous-officier, Raoux se décida enfin à quitter son poste ; mais au lieu de suivre ses hommes, il voulut porter des renseignements à un officier d'infanterie qui occupait un bois voisin : bien qu'il eût à franchir un espace où tombait une quantité prodigieuse d'obus, brave jusqu'à la témérité, Raoux, une fois de plus, n'hésita pas dans l'accomplissement de ce qu'il estimait son devoir. Quelques instants plus tard, un obus de 305, tombant près de lui, le tuait net. Le bombardement était si intense, la mêlée si âpre, qu'il fut impossible de retourner près du capitaine, et dans la nuit les Allemands s'emparaient du terrain où reposait son corps.
Ce qu'était l'ingénieur, ce qu'était l'officier, ces quelques lignes le montrent assez : Raoux fut l'homme du Savoir et du Devoir.
Mais ce serait ne laisser de notre ami qu'un souvenir incomplet de ne point parler du Chrétien. A pénétrer dans sa vie intime, à suivre l'évolution de ses pensées jusqu'à ses derniers moments, on se sent saisi de respect : ce héros qui, sans une hésitation, allait à la mort pour sauvegarder un petit groupe de soldats, était un saint.
Son éducation très chrétienne développa de bonne heure en lui l'esprit de charité et de sacrifice : ce modeste — d'une modestie parfois excessive, qui fit même qu'à l'Ecole certains de nos camarades le connurent peu — fut l'ami des pauvres et sa générosité n'avait pas de bornes. « Vivre simplement, ne dépenser personnellement que le nécessaire et donner sans compter autour de soi, comme pour niveler pour tous l'épreuve qu'est la vie humaine », telle fut sa ligne de conduite, toute empreinte d'abnégation et d'amour du prochain.
Quand la guerre est déchaînée, Raoux fait bravement son devoir comme, Français, mais aussi comme Chrétien. Dans la mêlée sanglante des nations, dans l'entr'égorgement sans merci des peuples, sa religion, avide de réparation et de pénitence, veut voir « une expiation formidable de l'incrédulité passée, un effet de la juste colère de Dieu passant sur le monde. » Dans ses lettres, il revient sans cesse à cette idée : « Les hommes trop souvent ont refusé à Dieu l'oblation sainte, il leur faut maintenant offrir des milliers de vies... Au lieu du vin et de l'eau que le prêtre consacre dans le calice, il faut les torrents de sang des mourants et les torrents de larmes des vivants. » Dans les entretiens familiers qu'il a avec ses hommes, il leur conseille le recueillement : « Nous, les assistants de cette messe qui se célèbre sur un autel immense, prions, attendant avec confiance le solennel « Ite missa est » qui rendra la paix, cette paix que nous n'avions pas méritée, parce que nous n'avons pas été des hommes de bonne volonté. » Il exalte leur courage, tout en se faisant chérir d'eux par sa droiture et sa gaieté : « Quiconque s'absorbe dans des préoccupations égoïstes, quiconque se dérobe à la souffrance et refuse de prendre sa part d'épreuve, celui-là retarde l'heure de la paix. »
La lutte fantastique à laquelle il prend si noblement part le pousse de plus en plus à un mysticisme élevé : il met dans l'amour divin sa consolation et son espérance ; il a la perception de l'Eternel et ressent l'attirance de la mort, de la mort qui ne rompt point les liens qui unissent les chrétiens et donne la béatitude infinie. Aussi, dans le prélude terrifiant de la bataille de Verdun, envisage-t-il avec calme la mort prochaine, imminente, communiquant à ses hommes par son exemple le courage que lui donne sa foi. Le matin du jour où il doit tomber glorieusement, il s'entretient quelques instants avec l'aumônier de son groupe, qui était un de ses amis ; il fait son admiration par sa force morale dans cette heure que tous sentent grave ; il lui parla de sa batterie, de ses camarades et de ses chefs, et — suprême souvenir à des êtres infiniment chers — de sa femme et de ses deux enfants ; son cœur va déborder, mais sa foi profonde le soutient, et c'est avec fermeté qu'il termine l'entretien : « C'est aujourd'hui la fête de ma chère femme ; comme bouquet de fête, Dieu lui donne une croix ; il l'aidera à la porter... »
La vie des Saints ne contient pas de sentiments plus élevés et plus nobles : au seuil de la mort, Raoux unissant dans le même amour : Dieu, sa patrie, sa famille.
Sachons, nous tous qui le pleurons, montrer dans notre affliction une résignation digne de son héroïsme.
Gabriel Jarrige.