Le prix Henri Poincaré est remis chaque année au Major de sortie de Polytechnique. Comment ce prix a-t-il été créé, et comment a été financée l'édition des oeuvres de Henri Poincaré ? C'est à ces questions que répond le document ci-après.
Publié dans La Jaune et la Rouge, juillet 1976.
Mon cher Camarade,
C'est au nom de la Chambre Syndicale de la Sidérurgie Française que je vais vous remettre la médaille de vermeil à l'effigie d'Henri Poincaré qui accompagne traditionnellement la remise de ses oeuvres par le Président de la Société Amicale des Anciens Elèves de l'Ecole Polytechnique. Monsieur Ferry, président de la Chambre Syndicale de la Sidérurgie Française, dont je suis un proche collaborateur, a toujours tenu à être présent à cette réunion et à remettre lui-même cette médaille au nom de notre profession. Il se trouve qu'il en est, aujourd'hui, empêché par des obligations auxquelles il n'a pu se dérober et il m'a prié de le remplacer.
Avant de vous remettre ce souvenir, permettez-moi d'en retracer sommairement l'histoire parce qu'elle constitue une leçon de patience, de persévérance dans la poursuite d'un objectif, qualités qui vous seront aussi utiles dans la vie que la formation mathématique dispensée par notre Grande Ecole.
Henri Poincaré est décédé en 1912. Dès 1913, le Ministre de l'Instruction Publique décidait de financer, sur fonds publics, la publication de l'ensemble de ses oeuvres scientifiques. Il faut dire que cela représentait un travail considérable, long et forcément très onéreux, car les oeuvres d'Henri Poincaré étaient dispersées dans plus de 500 mémoires ou notes qui avaient été publiées par un grand nombre de revues françaises ou étrangères dont certaines avaient déjà cessé de paraître et dont les collections étaient elles-mêmes dispersées dans des bibliothèques scientifiques d'accès souvent difficile et réservé à des spécialistes. Il fallait les retrouver, les classer, les répertorier, les annoter pour en faire un ensemble cohérent. Le soin de surveiller et diriger ce travail fut confié par le Ministre au Secrétaire Général de l'Académie des Sciences, mais l'Etat devait se charger de le financer tant au point de vue des rémunérations à allouer qu'en ce qui concerne les frais d'édition.
Le premier tome est sorti en 1916 - en pleine guerre - et le Secrétaire Général de l'Académie des Sciences, M. Gaston Darboux, écrivait dans sa préface " je ne verrai certainement pas l'achèvement de cette oeuvre, mais ce sera l'honneur de ma carrière de l'avoir provoquée et commencée ". Il ne se trompait pas : le second tome ne pouvant sortir que douze ans après, en 1928, et le troisième en 1934. Il en restait sept autres à mettre sur pied: l'Etat ne finançait plus et l'Académie des Sciences n'avait pas les ressources nécessaires pour y pourvoir. Il semblait donc que cette opération soit définitivement arrêtée.
C'est seize ans plus tard, en 1950, à l'approche des cérémonies du centenaire de la naissance de H. Poincaré, qui devaient avoir lieu en 1954, que la question fut reprise à l'occasion de contacts entre les milieux scientifiques, contacts et collaboration dont le Président de la Société Amicale vient de souligner l'importance. M. Pierre Ricard, ingénieur au Corps des Mines, qui avait été major de la promotion 1918, était alors vice-président du Conseil National du Patronat Français et président de la Chambre Syndicale de la Sidérurgie. Il décida, en accord avec l'Académie des Sciences, d'associer toutes les industries regroupées par le Conseil du Patronal au succès d'une souscription nationale qui devait apporter d'emblée les fonds nécessaires pour l'achèvement complet, en trois ans, de l'oeuvre commencée et, avec autorité et souplesse, il fixa pour chaque secteur de l'industrie et du commerce représenté au C.N.P.F., la somme à verser au C.N.P.F. lui-même qui devait la reverser à l'Académie.
Ce fut un succès et c'est ainsi que la publication des volumes qui vous sont remis aujourd'hui fut achevée en 1954, quarante ans après avoir été décidée. La Société Amicale des Anciens X décida alors, à l'instigation de M. Ricard, de créer le Prix Henri Poincaré et de mettre en réserve cinquante collections qui permettraient de remettre ce prix annuellement jusque vers l'an 2000 au major de sortie de Polytechnique. Simultanément, la sidérurgie ferait frapper par la Monnaie cinquante médailles de vermeil destinées à accompagner le Prix pendant la même durée.
Leçon de patience, leçon de persévérance, cet historique est aussi une leçon de confiance dans l'avenir, puisqu'il témoigne qu'en 1954 on n'hésitait pas à croire à la continuité d'une institution comme celle-ci jusqu'en l'an 2000.
La photo a été prise lors de la remise du prix et de la médaille commémorative en vermeil au Major de la Promotion 1973, Patrick KRON.