Ancien élève de l'Ecole des mines de Paris (promotion 1912). Ingénieur civil des mines.
Bulletin de l'Association amicale des anciens élèves de l'Ecole des mines de Paris, Juillet-août-septembre 1920 :
Au cours de la grève des cheminots du mois de mai 1920, les élèves des grandes Ecoles se firent une obligation patriotique d'utiliser leurs connaissances techniques et s'enrôlèrent volontairement au service des grands réseaux de chemins de fer pour y remplacer une partie du personnel, notamment des mécaniciens et chauffeurs, que de mauvais conseils avaient entraînés hors du devoir.
Au cours d'une manœuvre exécutée en gare de Paris-P.-L.-M., Georges Poigné fut victime d'un accident mortel, qui fit en même temps deux autres victimes, dont un autre volontaire. Nous nous inclinons respectueusement devant la tombe de ce tout jeune homme, si prématurément ouverte, et nous reproduisons les paroles émues que prononça aux obsèques M. le directeur de l'Ecole [Chesneau].
Monsieur le Ministre (M. Le Trocquer, ministre des Travaux publics), Messieurs.
C'est avec une indicible émotion que je viens, au nom de l'Ecole Nationale Supérieure des Mines, rendre un suprême hommage à notre jeune camarade Georges Poigné, surpris par une mort brutale au poste qu'il avait accepté volontairement pour maintenir intacte la vie pacifique de la nation, après avoir héroïquement combattu pendant toute la grande guerre pour défendre sa patrie contre un barbare envahisseur.
Avec lui, l'Ecole des Mines perd un de ses meilleurs et plus chers enfants, sur qui nous fondions à juste titre les plus grandes espérances.
Né le 30 décembre 1891 dans l'Allier, Georges Poigné, après d'excellentes études au lycée Saint-Louis, avait été brillamment reçu au concours d'admission de 1912 à l'Ecole des Mines. Il y était entré en 1913, après une année de service militaire, et s'était immédiatement classé en tète de sa promotion. Au premier jour de la guerre, il partait comme sous-lieutenant d'artillerie et se distinguait bientôt en France, puis en Italie, comme brave entre les braves ; à la fin des hostilités, il était lieutenant au 113e régiment d'artillerie lourde, ayant obtenu la croix de guerre avec trois citations, ainsi que la croix de mérite de guerre italienne.
Ecoutez comment le dépeignent ses émouvantes citations :
Avril 1916 : » Officier plein d'entrain et de sang-froid, s'est distingué partout depuis le début de la campagne... »
Août 1917 : » Officier d'un dévouement et d'une conscience absolue... »
Novembre 1918 : « Commandant de batterie remarquable. Toujours prêt à marcher... »
Epuisé par le long effort que sa magnifique conception du devoir ne lui avait pas fait ralentir un instant, terrassé par une maladie contractée dans les derniers jours de la guerre. Georges Poigné, après une longue convalescence, était enfin venu en novembre 1919 reprendre parmi nous — avec quelle joie ! — ses chères études si longtemps interrompues.
J'ai pu le suivre alors de très près et me rendre compte par moi-même des qualités exceptionnelles de l'intelligence du coeur que possédait notre jeune camarade, dont la modestie et la grâce charmante recouvraient d'un voile discret une ame héroïque et puissamment trempée.
Je n'oublierai jamais l'aimable sourire donl il me salua il y a six jours, en quittant l'Ecole pour se rendre au poste que sa conscience lui faisait un devoir d'accepter.
La simplicité dans le dévouement ! Nous l'avons admirée pendant la guerre chez nos combattants ; nous la retrouvons aujourd'hui dans l'élan spontané avec lequel la jeunesse de nos grandes écoles — cette fleur de la France — vient se ranger aux cotés des travailleurs restés conscients de leurs devoirs et impassibles devant les appels désordonnés de quelques égarés qui se mettant au-dessus des lois, sacrifient à l'on ne sait quelles ambitions les intérêts supérieurs de la patrie, épuisée par cinq ans d'une guerre implacable et se raidissant pour réparer ses ruines.
On a dit qu'il serait aussi difficile de gagner la paix que de gagner la guerre ; les victimes du devoir professionnel que nous honorons ici nous montrent que, comme la guerre, la paix a, elle aussi, ses martyrs et ses héros, tombés glorieusement au champ d'honneur.
Georges POIGNÉ est de ceux-là, et son nom, dans le livre d'or de l'Ecole des Mines, sera mis à côté de ceux dont le sang a fait germer la victoire dans les siilons de l'Yser, de la Champagne et de la Lorraine.
Il symbolisera pour les promotions futures le sentimeni du devoir dans la paix uni à l'héroïsme dans la guerre, et si quelque consolation peut adoucir la douleur de parents infortunés, qui voient disparaître avec lui tous leurs espoirs, c'est bien la pensée que la fin tragique de l'enfant chéri qu'ils pleurent sera pour nous un souvenir sacré et un exemple éternel.
Georges Poigné, mort pour la Franco, recevez ici le salut respectueux et fier de vos camarades actuels et des promotions à venir !