Ecole des Mines de Paris (promotion 1863). Il a redoublé sa première année et ensuite abandonné les études sans recevoir le diplôme. Voir bulletin de notes.
Bulletin de l'Association des Anciens élèves de l'Ecole des Mines de Paris, juin 1903 :
Le 10 mars dernier, notre camarade Charles Mâlot, Ingénieur du Service des combustibles et du laboratoire de chimie de la Compagnie du chemin de fer du Nord, sortait de la gare du Nord, après avoir quitté son bureau à quatre heures et demie du soir, lorsqu'il fut frappé d'une congestion cérébrale qui devait l'emporter en quelques heures.
Il était âgé de 62 ans. Bien que sa santé, autrefois robuste, eût été fort ébranlée depuis deux ans à la suite d'une première atteinte de la terrible maladie qui devait lui être fatale, ses amis et ses collaborateurs ne s'attendaient pas à un aussi brusque dénouement. Lui même, cependant, en avait un vague pressentiment, et il avait confié à quelques amis ses appréhensions à ce sujet. Il essayait de faire diversion à ces idées tristes en s'absorbant dans ses occupations journalières ; et précisément il paraissait jouir d'un mieux relatif depuis quelques semaines, lorsque se produisit le tragique événement.
Charles Mâlot était né à Amiens le 29 novembre 1841. Il fit d'excellentes études classiques au lycée de cette ville, puis vint à Paris où il se prépara à l'Ecole Nationale Supérieure des Mines. Il y fut admis en 1863. Tout en suivant avec assiduité les cours de notre École, il fréquenta les cours de l'Ecole de Droit, et au moment ou il sortait de l'École des Mines avec le diplôme d'ingénieur, il conquérait le grade de licencié en droit. Muni de ces deux diplômes qui lui permettaient de suivre des carrières différentes, il hésita pendant quelques temps, mais se décida bientôt pour la carrière d'ingénieur et entra, en 1867, à la Compagnie du chemin de fer du Nord. Après un stage très court, il fut nommé inspecteur du matériel, puis inspecteur de la traction attaché au laboratoire de chimie. Grâce à son goût prononcé pour la chimie il sut donner un rapide développement au laboratoire embryonnaire qui lui avait été confié; il l'installa peu à peu de façon à permettre de procéder aux très nombreuses analyses de métaux, de combustibles, de produits divers, y compris les produits alimentaires, qui sont demandées chaque jour au laboratoire actuel.
Ayant été chargé de l'essai des combustibles au laboratoire, Charles Mâlot fut amené à en suivre l'emploi dans les foyers de locomotives, et fit étudier les conditions de rendement, la comparaison des qualités, l'utilisation des mélanges des différentes sortes de combustibles mis par les mines à la disposition de la grande industrie et des chemins de fer. De ses études, de ses observations, il tira admirablement parti en indiquant la voie à suivre pour obtenir une diminution continue des prix de revient des combustibles par la substitution progressive des charbons tout-venant aux charbons criblés, puis des charbons menus aux tout-venants et par la préparation de mélanges de charbons de qualités différentes et de calibres appropriés. La mise en pratique de ses conseils a fait bénéficier la Compagnie du Chemin de fer du Nord d'économies importantes ; et la constatation des heureux résultats obtenus a engagé successivement les différentes Compagnies françaises de chemins de fer à suivre l'exemple de la Compagnie du Nord. Aussi Charles Mâlot était-il considéré par ses collègues des autres Compagnies comme un conseiller aux lumières duquel on recourait volontiers.
D'ailleurs la réputation qu'il s'était acquise n'était pas limitée au cercle des ingénieurs des Compagnies de chemins de fer. Charles Mâlot, en s'occupant sous la direction de l'Ingénieur en chef du Matériel et de la Traction des pourparlers préliminaires et de la correspondance relative aux achats de combustibles, avait été chargé en même temps d'organiser le Service des réceptions des charbons et briquettes fournies par les mines et de surveiller leur répartition dans les différents dépôts du réseau. L'exercice de ses fonctions l'avait mis en relations suivies avec les directeurs et ingénieurs des Houillères du Pas-de-Calais et du Nord de la France et aussi des différents bassins houillers de la Belgique. Par son amabilité et la façon simple et digne de son accueil, il s'était attiré l'estime et la sympathie de ceux qui l'avaient approché, ne fût-ce qu'une fois. Par sa droiture en affaires, il avait su inspirer une confiance absolue en sa parole. Par son expérience éprouvée et ses connaissances étendues, il s'était acquis une réputation méritée de haute compétence dans les questions si délicates de l'emploi et de l'achat des combustibles industriels.
Sa bonté était légendaire et elle lui avait attiré en particulier l'attachement absolu de tous les agents de son Service, qu'il connaissait d'ailleurs personnellement et qu'il avait formés lui-même.
Les obsèques de notre regretté camarade ont eu lieu, le 14 mars 1903, à Paris, en l'église Saint-Sulpice. L'affluence des ingénieurs et amis qui y assistaient a prouvé à sa famille en quelle estime il était tenu dans le monde des ingénieurs des Mines et des Chemins de fer.
M. du Bousquet, Ingénieur en chef du Matériel et de la Traction, éprouvé très récemment par un cruel deuil personnel, avait chargé M. de Fonbonne, Ingénieur principal de la Traction, de le remplacer pour prendre la parole au nom de la Compagnie du chemin de fer du Nord. M. de Fonbonne avait été précisément camarade d'enfance de Charles Mâlot ; il devait trouver, dans ses sentiments d'amitié personnelle pour le défunt, les expressions les plus délicates pour rappeler les phases de sa vie et faire son éloge. Nous reproduisons ci-dessous le texte du discours qui a été prononcé par M. l'Ingénieur principal de Fonbonne, après la cérémonie religieuse sur le péristyle de l'église, avant le départ du corps pour Abbeville.
MESDAMES, MESSIEURS,
Il y a trois jours, vers cinq heures du soir, un voyageur sortant de la gare du Nord faisait quelques pas en chancelant et s'affaissait entre les bras de passants accourus à son aide. Après quelques soins qui ne purent lui rendre le sentiment, il était transporté chez lui, où, peu d'heures plus tard, la mort, qui venait de le toucher, achevait son oeuvre.
Celui qu'elle avait enlevé si brusquement était Charles Mâlot, ingénieur chargé du service des combustibles à la Compagnie du Nord, frappé d'apoplexie presque à la sortie de son bureau, sans qu'aucun symptôme ait pu, au cours de la journée, faire pressentir à ses collaborateurs qu'en les quittant il partait pour son dernier voyage, celui dont on ne revient pas.
Ses amis et ses collègues, qu'une commune tristesse réunit autour de son cercueil, n'ont pas voulu se séparer pour toujours de lui sans avoir témoigné, par la voix de l'un deux, en quelle estime et quelle affection ils le tenaient et avoir exprimé les regrets que leur inspire sa perte.
Vous savez quelle voix, plus autorisée que la mienne, se serait élevée à cette place pour parler en leur nom, si un deuil personnel trop récent et trop cruel ne lui imposait un silence que nous devons respecter, et c'est à moi, l'un des plus anciens parmi ses amis, qu'échoit le triste honneur d'être leur interprète.
Charles Mâlot est né en 1841.
Il appartenait à une famille des plus distinguées. Son père, avocat de grand talent, fut bâtonnier de l'Ordre au barreau d'Amiens ; lors de la création du chemin de fer du Nord, la Compagnie lui confia le soin de défendre ses intérêts dans cette ville et lui conserva cette confiance pendant dix-huit ans, jusqu'au moment où il prit sa retraite.
Il avait un oncle, dont le nom, bien connu, est inséparable de la construction des chemins de fer de l'Est, où il était ingénieur en chef de la voie : M. Emile Vuigner [père de Henry Louis VUIGNER].
Ayant sous les yeux ce double exemple de brillante réussite dans deux carrières différentes, Mâlot hésita-t-il sur le choix de celle qu'il suivrait? Je l'ignore : je sais seulement qu'il se prépara à toutes deux, fit à la fois son droit et ses études à l'École des Mines, et conquit, d'un côté, le grade de licencié en droit, de l'autre, le diplôme d'ingénieur, montrant ainsi la souplesse d'une intelligence capable d'acquérir et de s'assimiler les connaissances les plus variées, même celles dont l'acquisition semble exiger des aptitudes presque opposées. Il se décida pour la carrière d'ingénieur. En 1867, sous les auspices de M. Mary, l'ancien Inspecteur général des Ponts et Chaussées, et surtout puissamment recommandé parles bons souvenirs qu'y avait laissés son père, il entrait à la Compagnie du Nord, dans le service du Matériel et de la Traction, qu'il ne devait plus quitter et auquel il a donné, à la lettre, jusqu'à sa dernière heure de travail.
Il y fut successivement inspecteur du matériel, puis inspecteur de la traction attaché au laboratoire de chimie, laboratoire embryonnaire alors, qui, sous son impulsion et grâce à sa très réelle science en chimie, prit un développement justifié par son utilité maintenant incontestée; car on recourt de plus en plus à lui pour contrôler, par l'analyse, la qualité des matières si diverses approvisionnées en quantités si considérables par une grande Compagnie comme celle du Nord.
Au premier rang de ces matières, il convient de placer les combustibles : Mâlot, chargé de leur essai, fut naturellement amené à entretenir des relations suivies avec les charbonnages, puis, en qualité d'ingénieur, collabora activement, sous la direction de l'Ingénieur en chef, à la correspondance et à la préparation des marchés de sa Compagnie avec les Compagnies houillères.
L'importance du Service des combustibles est grande dans une Compagnie de chemin de fer, dont la consommation, s'élevant journellement à des milliers de tonnes, absorbe des millions de francs chaque année.
Le chef de ce Service, soucieux de mener à bien la tâche qui lui incombe, doit s'ingénier à atténuer l'énormité de cette charge et néanmoins toujours réserver aux locomotives le combustible de premier choix qui leur est nécessaire Pour concilier ces deux exigences contradictoires, il faut qu'il connaisse à fond la nature de chaque espèce de charbon de toutes provenances, qu'il suive attentivement les variations de leur valeur marchande et soit assez perspicace pour, au besoin, les présager. Cette connaissance approfondie, cette attention et cette perspicacité, nul ne les posséda à un plus haut degré que Mâlot et nul, par conséquent, ne fut mieux qualifié pour la fonction qui lui avait été attribuée. Aussi a-t-il pu, en conseillant des mélanges habilement combinés, surtout en y introduisant une forte proportion de fines, faire bénéficier sa Compagnie d'économies importantes.
Les grands services qu'il rendit ainsi ne furent pas méconnus; l'augmentation graduelle de sa situation le prouve. Mais, en dehors du cercle assez restreint de ses chefs immédiats et de ses collègues, ils furent à peu près ignorés et ne lui valurent aucun renom. A quelle cause faut-il attribuer cet oubli? A sa trop grande modestie? Non. A coup sûr, il n'était pas de ceux qui se trouvent à l'affût de toute occasion de se produire, mais il était trop intelligent pour se méprendre sur sa propre valeur. La vérité, c'est qu'il était plus épris de son oeuvre pour elle-même que jaloux d'en retirer tous les avantages personnels qu'il aurait pu légitimement revendiquer et peut-être obtenir en se faisant valoir. Il n'eut certes pas dédaigné ces avantages, mais il n'apportait pas à leur poursuite l'ardeur et encore moins l'âpreté du véritable ambitieux.
Et puis, bien que très affable et, au fond, très cordial, il ne se livrait pas tout d'abord, ni à tout le monde. Pour l'apprécier à sa véritable valeur, il fallait l'avoir pratiqué un certain temps, il fallait avoir pénétré dans son intimité. Ceux qui ont eu cette bonne fortune ont trouvé en lui une culture générale très séduisante, une intelligence ouverte, s'intéressant à toute manifestation d'ordre intellectuel en science, en littérature ou en art, une érudition étendue qu'il mettait, d'ailleurs, avec la plus grande obligeance, au service de tous.
Ils ont trouvé aussi de liantes qualités morales, une grande droiture, une loyauté parfaite et surtout, primant toutes les autres, une extrême bonté. Trop évidente pour ne pas frapper quiconque l'approchait - et les regrets dont, à l'occasion de sa mort, nos correspondants des charbonnages nous ont envoyé l'expression émue, en témoignent éloquemment - cette bonté n'a pourtant été connue que d'un petit nombre, dans toute son étendue. Pour ma part, je sais de lui des traits généralement ignorés qui l'honorent, je connais des bienfaits cachés que des indiscrétions m'ont révélés et que sa pudeur dans l'accomplissement du bien ne me pardonnerait pas de dévoiler.
Et cet ami intelligent, loyal et bon, le voilà maintenant parti lui aussi, parti comme son frère, parti comme tant d'autres compagnons de notre jeunesse. Hélas! si, évoquant ce passé qui me paraît d'hier, tant le souvenir en est encore vivant en moi, je faisais la revue de nos amis communs, combien manqueraient à l'appel, combien dont je chercherais vainement les visages parmi ceux qui m'entourent! Ah! l'on envierait moins le sort de ceux qui s'attardent dans la vie, si l'on songeait aux deuils répétés, aux tristesses accumulées qu'elle leur impose. Rançon bien lourde d'un privilège bien discutable !
Les survivants ont, du moins, une consolation : en jetant leurs regards autour d'eux, ils voient que les vides de leurs rangs éclaircis ont été comblés, et au-delà, par de nouveaux venus, plus nombreux à mesure qu'ils avançaient dans la vie ; il les voient se presser ici avec eux, animés des mêmes sentiments, et par là leur donnant la preuve que leur ami a été compris, apprécié, aimé par d'autres, comme il l'était et méritait de l'être par eux-mêmes.
C'est en leur nom à tous, anciens et nouveaux, que, me tournant vers sa famille, je la prie d'agréer l'expression de nos plus sincères condoléances et lui souhaite de trouver, dans la communion de ses regrets et des nôtres, un adoucissement à sa douleur.
Adieu, ami! Puissions-nous, à votre exemple, mériter, lorsque notre heure aura sonné, que des amis attristés disent ce que je dis aujourd'hui de vous :
« Nous le regrettons parce que nous l'aimions, nous l'aimions parce qu'il était bon. »
Adieu !
L'inhumation, qui a été faite le 18 mars, dans la sépulture de famille, au cimetière de Notre-Dame de la Chapelle, à Abbeville, réunissait autour de la tombe de notre regretté camarade ses amis de la région d'Abbeville et les agents de son Service, qui avaient tenu à accompagner sa dépouille mortelle jusqu'à sa dernière demeure. En sa qualité d'Inspecteur principal du Service des Combustibles, l'auteur de cette notice eût le douloureux honneur d'adresser, au nom du Personnel de ce Service, un dernier adieu à son vénéré Chef :
MESDAMES ET MESSIEURS,
Avant que cette tombe se referme, je viens, au nom du personnel du service des combustibles et du laboratoire de chimie de la Compagnie du chemin de fer du Nord, apporter un suprême hommage à l'ingénieur aimé et respecté qui a été notre chef. En même temps, je viens apporter à ses soeurs et à sa famille l'expression de notre sympathie dans la douleur qui les étreint.
Hier, à Paris, à l'issue de la cérémonie religieuse qui a eu lieu à Saint-Sulpice, M. de Fonbonne, ingénieur principal de la traction, a pris la parole au nom de la Compagnie du chemin de fer du Nord, et a salué une dernière fois le zélé serviteur qu'elle venait de perdre. Il a retracé les différentes phases de la carrière de M. Mâlot, et, en termes émus, il a fait l'éloge de l'ingénieur, en précisant les importants résultats des services rendus par lui à la Compagnie du Nord.
Aujourd'hui, mon rôle est plus modeste, mais aussi d'un caractère plus intime ; je veux me borner à rappeler les liens d'affection qui unissaient le chef à ses agents et employés.
Tous, nous avons pu apprécier les qualités éminentes de cet homme de coeur ; tous, nous avons ressenti les effets de sa grande bonté et nous avons été touchés de la bienveillance et de l'intérêt qu'il savait témoigner à chacun de nous en toutes circonstances. Il était, d'ailleurs, depuis trente ans, le chef de ce service qu'il avait organisé, et dont il est resté l'âme jusqu'au dernier moment.
M. Mâlot avait subi, l'année dernière, les atteintes d'une maladie qui l'avait obligé à prendre quelque repos. A peine remis de cette crise, il avait tenu à reprendre son service à la Compagnie. Bien qu'il fût très fatigué, son activité intellectuelle ne s'était pas démentie, et nous étions loin de nous attendre à un dénouement fatal aussi brusque.
Mardi dernier, après avoir passé la journée au milieu de nous, M. Mâlot était parti à l'heure habituelle pour regagner son domicile. A peine sorti de la gare du Nord, en pleine rue, il tombait frappé d'une nouvelle attaque qui devait l'emporter le lendemain sans qu'il eût repris connaissance. Il est donc mort sur la brèche, en nous laissant l'exemple d'une vie entière de travail et de dévouement.
Nous conserverons fidèlement, au fond de notre coeur, le souvenir de cet homme de bien ; et c'est avec un sentiment de cruelle émotion que nous lui adressons un dernier adieu.