Beau-père de Bernard Maurice Dominique EYSSAUTIER (X 1959, né en 1939) lui-même fils de Louis Charles EYSSAUTIER (X 1932 corps des mines, décédé).
Ancien élève de l'Ecole polytechnique (promotion 1939 A), et de l'Ecole des Mines de Paris. Corps des mines.
Ingénieur général des mines. Il débute sa carrière à Béthune, où il participe au traitement des grands conflits sociaux du Nord et du Pas-de-Calais en 1947 et 1948. Détaché au Maroc, il est nommé en 1955 directeur du Bureau de recherches et de participations minières (BRPM). Directeur général des Houillères du bassin d'Aquitaine (Carmaux et Decazeville) en 1959, il est affecté en 1966 aux Houillères du bassin de Lorraine dont il devient le directeur en 1970 après le départ à la retraite de Jean LORIMY. Dans les deux cas, il doit faire face aux conséquences de l'inexorable processus de réduction de la production charbonnière française. Il est nommé directeur général adjoint des Charbonnages de France en 1975.
Jean Lagabrielle nous a quittés le 7 janvier 1988. Originaire du Lot par sa famille paternelle. il a passé son enfance à paris. Son père, comptable de profession, veut l'orienter vers la préparation des Ecoles de commerce. Mais ses évidentes capacités scientifiques le conduisent finalement à la taupe de Chaptal. Entré à l'Ecole Polytechnique en 1939, mobilisé dans le génie, il retrouve l'Ecole repliée à Lyon à la fin de 1940, en sort dans le Corps des mines.
Après un début de carrière en service ordinaire à paris, puis à Chalon-sur-Saône, il est nommé à la fin de 1947 à Béthune, dans l'Arrondissement minéralogique de Lille, où il participe au traitement des grands conflits sociaux qui secouent les Houillères du Nord et du Pas-de-Calais en 1947 et 1948. Au cours de la grande grève de l'automne 1948, l'armée doit se déployer dans le bassin, faire évacuer des sièges d'extraction occupés par des groupes de militants décidés et souvent violents. Il faut parfois faire discrètement remarquer à des chefs d'unités coopératifs et pleins d'enthousiasme, mais un peu marqués par le plis du métier, que l'objectif n'est pas de planter sur les chevalements de victorieux drapeaux, mais d'amener les ouvriers à reprendre le travail. Jean Lagabrielle avec l'ensemble du service des mines régional, participe à ces entremises délicates.
Après une période plus calme qui permet aux Houillères d'adapter leur organisation et de trouver leur rythme de croisière, Jean Lagabrielle quitte pour un temps le territoire métropolitain. Détaché auprès de la Résidence général de France au Maroc, il est nommé au début de 1955 directeur du Bureau de recherches et de participations minières (B.R.P.M.). Nous sommes alors dix mois avant l'accession du Maroc à l'indépendance. L'année 1955 connaît beaucoup de troubles sur le plan politique, de menaces pour la sécurité des personnes et des biens, d'attentats sanglants auxquels n'échappent pas certaines équipes du B.R.P.M. ; circonstances difficiles pour une prise de fonction.
Dès la constitution du premier Gouvernement marocain en décembre 1955, le B.R.P.M. se trouve placé sous l'autorité de Jean Lagabrielle avec un Conseil d'administration marocain où siègent de nombreuses personnalités politiques, c'est un tournant délicat dans la vie de cet organisme. Jean Lagabrielle sait y faire face de la meilleure manière, en jouant le jeu d'une totale loyauté et en agissant, comme sa fonction l'exige, dans l'intérêt du Maroc, tout en veillant à protéger les intérêts légitimes des exploitants miniers. Il sait aussi, et ce n'est peut-être pas le plus facile, faire partager cet état d'esprit à son personnel.
Les recherches en cours dans la haute Moulouya, l'Atlas et l'Anti-atlas connaissent un beau développement. Progressivement des cadres marocains compétents remplacent les cadres français aux principaux postes de commande. Deux ans après l'accession du Maroc à l'indépendance, le Ministre marocain le plus directement concerné par l'activité du B.R.P.M. pouvait affirmer dans une réunion officielle que cette activité représentait "un modèle de coopération franco-marocaine".
En septembre 1959, Jean Lagabrielle rentre en France. Les dirigeants des Charbonnages de France avaient, dès avant son départ au Maroc, remarqué ses qualités et pris une option sur la suite de sa carrière. Il est nommé directeur général des Houillères du bassin d'Aquitaine qui regroupent les exploitations de Carmaux et de Decazeville. Ce n'est pas pour y trouver la tranquillité. En 1958, le charbon qui vient d'assurer après la guerre la renaissance économique du pays, connaît déjà les atteintes d'une dure concurrence de pétrole et doit amorcer sa longue retraite, en France comme d'ailleurs partout en Europe de l'ouest. Les petits bassins houillers du centre et du midi, aux gisements tourmentés et aux débouchés limités par leur enclavement, sont parmi les premiers touchés. L'exploitation de Decazeville est partagée entre une mine souterraine et une exploitation en découverte. Si cette dernière, dont les résultats sont satisfaisants, n'est pas menacée, il faut par contre décider la fermeture de l'exploitation souterraine.
Cette décision provoque une intense émotion d'un personnel animé depuis Jaurès par une puissante tradition syndicale, ainsi que des élus locaux et même du clergé. Jean Lagabrielle se rappellera longtemps l'accueil glacial que lui réserve l'évêque de Rodez. La période précédant la fermeture à la fin de 1960 et au début de 1961, voit se développer une grève avec occupation du fond. Il s'y mêle des épisodes folkloriques, notamment une messe de minuit célébrée au fond de la mine, et des moments plus tendus qui obligent même les dirigeants à prendre des précautions pour leur sécurité personnelle.
Laissant le bassin d'Aquitaine relativement apaisé, Jean Lagabrielle est affecté, au début de 1966, aux Houillères du bassin de Lorraine dont il devient directeur général le 1er avril 1970. C'est pour y trouver de nouveaux et chauds problèmes. Le bassin de Lorraine, jusque là relativement épargné, se trouve impliqué à son tour dans l'inexorable processus de réduction de la production charbonnière française. A la fin de 1968, le Gouvernement a prescrit la fermeture de deux sièges d'extraction, dont celui de Faulquemont. Les charbonnages de France ont obtenu à grand mal que le choix définitif des sièges à fermer soit différé jusqu'à l'aboutissement des reconnaissances destinées à préciser les meilleurs champs d'exploitation sur lesquels doit se concentrer l'extraction du bassin. Ce délai doit aussi être mis à profit pour attirer et implanter les activités industrielles de conversion qui font encore cruellement défaut.
A la fin de 1970, cet objectif est atteint. La nécessité de fermer Faulquemont est confirmée. Les premières usines de conversion ont vu le jour. La renonciation à la préparation d'un nouvel étage d'extraction, qui entraînerait de lourdes et stériles dépenses, ne peut plus être différée. L'annonce de cette décision entraîne dans le bassin une grave crise sociale ponctuée de grèves, d'occupation des lieux de travail, y compris du fond, de manifestations plus ou moins violentes. Jean Lagabrielle, qui prend un fois de plus toutes ses responsabilités et qui n'élude aucun contact avec le personnel, est victime à plusieurs reprises d'actes de séquestration qui n'entament en rien sa détermination. On se trouve malheureusement en pleine période préélectorale avant les élections communales, et le Gouvernement, soumis à la pression des élus locaux, n'appuie que très mollement cette fermeté, bien que ses propres décisions soient à l'origine de la crise.
A grand mal, le calme est rétabli dans le bassin, après qu'aient été données les assurances voulues sur l'avenir général des exploitations et les conditions de reclassement ou de conversion du personnel de Faulquemont. La fermeture définitive du siège interviendra en 1974, non sans de nouveaux soubresauts. La malchance veut en effet que l'événement intervienne cette fois à l'époque où la première crise pétrolière a fait naître chez le personnel minier des espoirs largement excessifs sur un nouvel avenir du charbon.
En 1975 Jean Lagabrielle est nommé directeur général adjoint des Charbonnages de France. Il se trouve enfin, sinon le calme, car les difficiles problèmes de la régression charbonnière sont toujours dominants, tout au moins un certain recul par rapport à des événements où il a été tant de fois si rudement impliqué. Il prend notamment en charge la programmation à long terme et les perspectives commerciales qui, avec le développement de la production nucléaire et la crise de la sidérurgie, vont subir de profondes mutations. Il prend aussi la présidence de la SOFIREM, filiale financière que les Charbonnages de France ont créée pour faciliter, par des prises de participation temporaires, l'implantation d'entreprises de conversion dans les régions minières en déclin. Il peut ainsi y manifester son souci des hommes dont on lui a parfois, à l'occasion de telle ou telle crise si injustement reproché la négligence, faut-il rappeler que c'est grâce à ces persévérantes actions que les Charbonnages de France ont pu réduire leurs effectifs, par dizaines de milliers sans jamais réduire au chômage les ouvriers dont l'emploi disparaissait ?
Jean Lagabrielle prend sa retraite en 1981, mais ce n'est pas pour abandonner tout activité. Il accepte les fonctions de juge au Tribunal de commerce de Paris. Cette fonction est assez assez astreignante en temps, totalement désintéressée, voir onéreuse pour celui qui l'occupe. On imagine donc bien qu'elle implique le besoin de conserver une activité intellectuelle, une ouverture sociale et le souci du bien public, toutes choses qui caractérisaient au mieux la personnalité de Jean Lagabrielle. Il y avait aussi pour lui, dans cette activité, l'intérêt de se consacrer à des problèmes nouveaux, de rencontrer des hommes d'origines variées dans une ambiance fort différente de celle des houillères.
Si l'on jette sur cette carrière un regard panoramique, c'est bien la haute exigence du service public qui en est le trait dominant. Si Jean Lagabrielle s'est trouvé, dans presque toutes les étapes de sa vie professionnelle, confronté à des situations difficiles, et souvent à des crises, on peut y voir une série exceptionnelle de coïncidences. Mais bien plutôt, ses qualités d'intelligence et de caractère le prédisposaient à être choisi pour des postes dont les perspectives n'étaient pas nécessairement souriantes, et à les accepter avec résolution. Sur son énergie et sa droiture de conscience, même des syndicalistes, auxquels il fut parfois affronté, ont tenu à témoigner à l'occasion de son décès.
Sa rigueur intellectuelle et son courage faisaient parfois soupçonner quelque dureté, mais dès qu'on le connaissait bien on découvrait sous ces apparences une grande sensibilité, que trahissait souvent un imperceptible frémissement de la voix. Cette sensibilité était à la base de son ouverture aux autres qui ne l'abandonnait à aucun moment. On sentait combien il était affecté quand il avait à prendre des décisions rigoureuses pour le personnel sous son autorité. Mais on découvrait aussi cette ouverture dans son attention pour ses collaborateurs. Elle l'avait conduit par exemple, en Aquitaine, à organiser pour ses ingénieurs des séminaires sur les grands courants de pensée contemporains, à une époque où le souci d'élargir l'horizon des cadres n'était pas encore devenu une mode.
Cette même chaleur humaine se retrouvait dans le cours de sa vie familiale. Marié dès mars 1940, père de cinq enfants, il leur a consacré, ainsi qu'à certains de ses petits enfants, quand les circonstances l'y inclinaient, le meilleur de lui-même et notamment de ses qualités pédagogiques, dans le temps que lui laissait sa vie professionnelle.
C'est un grand honnête homme qui vient de nous quitter prématurément. Honnête homme par sa probité intellectuelle sans faille, son refus de compromettre ou de rien sacrifier à l'intérêt personnel. Honnête homme au sens classique aussi, par son ouverture d'esprit et de cœur, le large éventail de se centres d'intérêts qui lui a permis de parcourir une carrière diversifiée, son respect constant des valeurs humaines.
P. Gardent