Henri KUSS (1852-1914)

Né à Cernay (Haut-Rhin), le 19/6/1852. Décédé le 22/11/1914.

Fils de Jean-Frédéric KÜSS, pasteur, et de Louise Amélie KÜSS. Petit-fils de Georges Charles KÜSS, Inspecteur de l'enregistrement à Colmar et Wissembourg, et de Louise Salomé TRAUTTMANN. Frère de Charles KÜSS (1855-1910, X 1873). Neveu de Adolphe Eugène KÜSS (né en 1818 ; X 1836 corps des Ponts et chaussées). Cousin de Emile KUSS, maire de Strasbourg, et de Benjamin Frédéric KÜSS (1871-1901 ; X 1889 corps des Ponts et chaussées). Marié en 1888 à Mlle WEISS. Décrit dans le registre matricule de Polytechnique comme : Cheveux châtain foncé - Front haut - Nez moyen - Yeux bleus - Bouche petite - Menton rond - Visage allongé - Taille 166.

Ancien élève de l'Ecole polytechnique (promotion 1871, major d'entrée et de sortie), et de l'Ecole des Mines de Paris. Corps des mines.

Voir aussi : Paroles aux obsèques de Henri Kuss, par G. Chesneau



Kuss, élève de l'Ecole des Mines de Paris
(C) Photo collections ENSMP


NOTICE NECROLOGIQUE sur HENRI KUSS
INSPECTEUR GÉNÉRAL DES MINES, DIRECTEUR DE L'ÉCOLE NATIONALE SUPÉRIEURE DES MINES

Par M. Ch. LALLEMAND, de l'Institut, Inspecteur général des Mines.

Publié dans Annales des Mines, 1922 (tome II).

Une carrière entièrement consacrée à l'art des mines, dans ses manifestations les plus diverses, et à l'étude des nombreux problèmes, techniques et sociaux, rencontrés par l'ingénieur, soit qu'il cherche à réduire les prix de revient, soit qu'il veuille assurer à l'ouvrier mineur, dans son dur métier, les meilleures conditions d'hygiène et de sécurité : tel est le grand exemple offert par la vie d'Henri Kuss, tour à tour collaborateur éminent de l'administration, dans la surveillance des exploitations minérales ; expert consciencieux, aux avis très appréciés des financiers ; ingénieur des plus écoutés dans les Conseils, les Commissions et les Congrès internationaux; enfin, technicien averti et d'une haute compétence dans les questions d'enseignement professionnel.

Le souvenir d'un tel homme méritait d'être conservé dans les Annales du Corps des Mines, auquel il a partout fait honneur.

Tel est le but de la présente notice.

I. Les premières années. Le lycée et l'École polytechnique.- Henri Kuss est né, le 19 juin 1852, à Cernay (Haut-Rhin), d'une vieille souche alsacienne. Vers le milieu du XVIIe siècle, un de ses ancêtres est bailli de Bouxwiller (Bas-Rhin), où, plus tard, son grand-père maternel, un Kuss lui aussi, prendra une part active aux événements de la Révolution. Son cousin, Emile Kuss, le dernier maire français de Strasbourg, député du Bas-Rhin à l'Assemblée nationale en 1871, meurt tragiquement a Bordeaux le jour du vote des préliminaires de paix abandonnant l'Alsace au vainqueur.

Son père, Frédéric Kuss, né à Bouxwiller, le 2 fructidor an XIII (20 août 1805), cadet d'une famille de douze enfants, s'était d'abord consacré à l'enseignement, après de fortes études au collège de sa ville natale, dont, successivement, il avait été professeur, puis principal. Plus tard, on le retrouve pasteur de l'église luthérienne de Cernay, dans la Haute-Alsace. Cette petite localité se trouvant dépourvue de toutes ressources pour l'instruction des enfants, Frédéric Kuss assure lui-même celle de ses fils et, partiellement aussi, celle de ses neveux, dont quatre feront plus tard des polytechniciens distingués.

Resté prématurément veuf avec trois fils nés d'une première union, Frédéric Kuss en contracte une seconde, d'où lui naissent dix autres enfants, parmi lesquels quatre garçons, dont Henri est l'aîné.

En 1862, à la mort de son père, brusquement emporté à l'âge de cinquante-sept ans, il vient seulement d'entrer dans sa onzième année ; mais déjà, dans les leçons et l'exemple paternels, il a puisé pour toujours le goût de l'étude, la rectitude du jugement et une sévère discipline morale.

Sa mère, femme d'une rare intelligence, reste veuve avec six enfants vivants, dont l'aînée a vingt ans et le plus jeune, sept ans ; malgré la modicité des ressources qu'elle garde, elle veut à tout prix achever l'instruction de ses fils ; dans ce but, elle quitte Cernay pour aller habiter Strasbourg, où, tout en conservant les avantages de la vie de famille, ils bénéficieront de l'enseignement d'un lycée alors justement réputé, notamment pour la préparation à l'École polytechnique. Dès la mort de son père, apres avoir été au lycée de Colmar, où il fait ses classes de sixième et de cinquième, Henri est transféré, le 1er octobre 1864, au lycée de Strasbourg. Il y obtient ses deux baccalauréats es lettres et es sciences; puis, en octobre 1869, il entre en mathématiques spéciales et, comme dans ses classes précédentes, s'y montre un élève hors de pair. Lorsque la guerre éclate, le 15 juillet 1870, il vient de faire de brillantes compositions pour l'Ecole polytechnique, mais la rapidité des événements empêche le jury de venir à Strasbourg procéder aux examens oraux ; Henri Kuss s'y trouve bientôt enfermé avec sa famille, par le siège d'abord, par l'occupation allemande ensuite. Après l'armistice seulement, il peut rêver à nouveau d'entrer dans une école où déjà l'ont précédé plusieurs de ses oncles et cousins.

Arrivé à Paris au début de mars 1871, il se rend à l'Ecole polytechnique pour s'enquérir de la situation que lui créent ses excellentes compositions écrites, bien que, par force majeure, elles n'aient pas été suivies des épreuves orales réglementaires. La promotion de 1870, où figurent ses camarades ayant pu terminer avec succès leurs examens, vient de réintégrer l'École, après avoir été, en janvier, réunie à Bordeaux, et après y avoir fait un premier semestre d'études quelque peu écourtées. On laisse entendre à Kuss que, s'il insiste pour subir les épreuves d'admission, on lui accordera probablement cette faveur et qu'il pourra peut-être ainsi se voir admis, mais ce sera avec un retard considérable, nuisible au succès ses études. Puisque son âge lui en laisse largement temps, pourquoi ne terminerait-il pas plutôt l'année scolaire dans l'un des établissements parisiens avant pour spécialité la préparation aux grandes écoles? Il aurait ainsi toutes chances d'entrer à la tête de la promotion suivante.

Fort de ces conseils, mais plus riche d'espérances que d'écus après les épreuves où sa famille vient de passer, Henri Kuss, en cette occurrence, montrant déjà la sûreté de jugement et la fermeté de décision qui resteront les traits dominants de son caractère, va trouver le directeur du collège Sainte-Barbe et lui demande de l'accueillir comme boursier, en retour du bénéfice moral que l'établissement retirera de son succès au prochain concours.

Devant l'assurance du jeune élève, le directeur se laisse convaincre ; pendant quelques mois, Kuss bénéficie des excellentes leçons de professeurs tels que Moutard et Moutier, et, peu de temps après, il est reçu premier de cette promotion de 1871 que devait plus tard illustrer le Maréchal Foch.

Exceptionnellement doué pour les mathématiques et très laborieux, Henri Kuss n'a pas de peine à conserver son rang pendant les deux années d'études, bien qu'une partie de ses loisirs, durant les jours de sortie, soit absorbée par des interrogations données aux futurs candidats du collège dont il sort. Il satisfait ainsi son goût pour l'enseignement, et, en même temps, il aide sa mère à poursuivre l'instruction de ses frères plus jeunes.

II. L'École des Mines de Paris. Missions en Europe et en Algérie.- L'année 1873 voit Kuss entrer à l'École des Mines, où, tout en continuant ses leçons au dehors, il s'initie à l'art de l'Ingénieur.

Les règlements de l'École font aux élèves l'obligation de compléter leurs études théoriques par des voyages de mission en France et à l'Étranger; au cours des étés de 1874, 1875 et 1876, Kuss parcourt ainsi successivement les grands bassins houillers du Nord de la France et de la Belgique, de la Ruhr et de la Saxe, puis les célèbres régions métallifères d'Allemagne et d'Autriche, berceau de l'art des mines, enfin les gîtes d'Espagne, parmi lesquels celui d'Almaden retient particulièrement son attention.

Sa dernière mission se termine en Algérie, où il visite plusieurs grandes exploitations de plomb et de zinc, ainsi que les mines de fer de Mokta-el-Hadid ; c'était l'époque où, envisageant le prochain épuisement de ces mines, on entreprenait, dans le bassin de la Tafna, la mise en valeur de ressources nouvelles, dont l'abondance et la variété allaient assurer à notre Afrique du Nord l'une des premières places parmi les producteurs de minerais de fer riches et purs.

De chacun de ces voyages Kuss rapporte des journaux et des mémoires pleins d'observations avisées et de judicieuses réflexions personnelles : il en ramène aussi, pour les Annales des Mines, la matière de plusieurs notes sur la statistique de l'Industrie minérale en Prusse, en Saxe et en Autriche, et sur l'enseignement de la minéralogie en Espagne.

Son mémoire sur les mines de mercure et les usines d'Almaden constitue l'une des meilleures études originales publiées, en français, sur ce gisement. Connaissant bien la langue, apprise par lui au cours du voyage, il s'était complètement assimilé les publications espagnoles relatives à ce sujet; aux enseignements ainsi obtenus il avait joint le fruit d'observations personnelles recueillies sur place, et les résultats d'analyses d'échantillons, faites, à son retour, au laboratoire de l'École des Mines, ainsi que les résultats d'examens microscopiques effectués, à sa demande, par Fouqué et Michel Lévy, sur les différents types de roches qu'il avait rapportés.

Après avoir décrit les filons d'Almaden, les roches qui les accompagnent et les terrains où ils sont encaissés, il déduit de son étude l'âge approximatif des gisements ; puis, il indique le traitement adopté pour extraire le mercure du minerai. Un an plus tard, ayant pu recueillir de nouvelles données sur les rendements obtenus, il en fait l'objet d'une note additionnelle à son premier mémoire.

III. Grenoble.- Ayant, sans efforts et constamment, gardé la première place à l'Ecole dans tous les classements, Henri Kuss, à la sortie et après sa nomination d'ingénieur de troisième classe, en 1877, bénéficie du précieux avantage d'être attaché, pendant un an, au Secrétariat du Conseil général des Mines. Il en profite pour compléter son instruction administrative par l'étude des dossiers envoyés au Conseil. En méme temps l'intérim, dont il est bientôt chargé, d'un arrondissement du contrôle des chemins de fer de l'Est, sous la direction d'un de ses oncles, Adolphe Kuss, ingénieur en chef des Ponts et Chaussées, lui permet de s'initier à la pratique de l'exploitation des voies ferrées.

Un an plus tard, le 14 juin 1878, il est envoyé à Grenoble, pour y assurer à la fois le service du sous-arrondissement minéralogique et le contrôle du chemin de fer de Paris-Lyon-Méditerranée qui s'y trouve rattaché. Il occupera pendant douze ans ce double poste, où son activité trouvera matière à d'utiles initiatives et où il acquerra une profitable expérience. Mais ces fonctions officielles ne suffisent pas à satisfaire son besoin de travail. Tout en s'adonnant à des études géologiques, il suit un certain nombre d'exploitations minérales on de recherches minières dans les terrains tourmentés des Alpes et, témoin averti de plus d'un insuccès, il se familiarise avec les aléas et les difficultés de la mise en valeur de gîtes irréguliers et peu riches.

Dans ce poste de Grenoble, Kuss se fait hautement apprécier de son chef, l'excellent géologue Hippolyte Lachat, un précurseur dans la connaissance de la stratigraphie des Alpes. « M. Kuss, dit-il dans ses notes signalétiques, est un des ingénieurs les plus distingués que j'aie connus. Il juge très sainement, a des idées très nettes et très pratiques et les exprime très clairement. » Un peu plus tard il ajoute :« A un esprit très conciliant... M. Kuss joint un profond sentiment du devoir et y conforme ses avis et sa conduite » ; puis encore : « M. Kuss est un ingénieur d'une grande compétence en matière d'industrie minérale ; il apprécie avec beaucoup de justesse, de sens pratique et de netteté, la situation et l'avenir des entreprises qui se rattachent à cette industrie et donne d'excellents conseils aux exploitants. »

Des différentes mines ou recherches de mines dont il suit ou surveille les travaux, les plus importantes et les plus intéressantes pour lui sont les mines d'anthracite de La Mure et les mines de fer spathique d'Allevard.

Durant son séjour à Grenoble, il a la satisfaction de voir les mines de la Mure développer peu à peu leur extraction et la porter de moins de 100.000 tonnes par an, en 1877, jusqu'à près de 150.000 en 1890, quand il quitte la région.

Mais sa curiosité, toujours en éveil, ne se limite pas aux problèmes rencontrés par lui dans l'accomplissement de sa tâche officielle. Il profite de toutes les occasions pour aider aux progrès de l'art des mines et de la métallurgie. Ainsi, une tentative, la première en France, ayant été faite à Froges (Isère) pour fabriquer industriellement l'aluminium métallique et quelques-uns de ses alliages par le procédé Héroult, avec l'électricité comme seul agent métallurgique, Kuss tient à suivre cet essai et « pensant que quelques renseignements sur cette métallurgie nouvelle, encore mal connue, pourraient intéresser les lecteurs des Annales des Mines », il en fait pour eux l'objet d'une note détaillée (1889).

De cette même période de sa carrière date une autre publication, d'une portée plus haute, et qui a contribué à classer Kuss, quoique jeune encore, parmi les ingénieurs les plus au courant des questions concernant les gisements miniers : il s'agit de l'excellente traduction, donnée par lui en 1884, du Traité des gîtes métallifères, d'Albert von Groddeck, conseiller des Mines, directeur de l'Académie royale des mines de Clausthal. « Frappé, depuis longtemps, de la pauvreté de notre littérature géologique didactique, il se propose, dit-il dans l'Avant-propos, de combler une lacune dans le domaine de la géologie appliquée», l'étude des gîtes minéraux lui paraissant, dès cette époque, «devoir être considérée, non comme une branche accessoire de la géologie, mais comme une des parties intégrantes de cette science». Il pense donc « faire oeuvre utile en mettant à la portée des lecteurs français un ouvrage destiné à devenir classique en Allemagne, dans le pays des fortes traditions minières»: mais il ne peut s'empêcher d'exprimer le regret de n'y trouver aucun exemple tiré des gîtes anglais, français ou espagnols et surtout d'y voir, suivant une coutume trop fréquente chez les savants allemands, passées complètement sous silence les théories françaises relatives à l'origine des gisements métallifères. Aussi avait-il d'abord songé à ajouter, en appendice à sa traduction, un résumé de ces dernières ; mais, renonçant à ce projet, par déférence pour l'auteur, il se borne à dire : « Il y a pour nous un sérieux intérêt scientifique à savoir quelles sont les théories généralement admises en Allemagne, alors même, alors surtout qu'elles diffèrent sensiblement de celles qui ont cours en France. »

IV. Voyages à l'Étranger.- Mais ni ses fonctions officielles, remplies de la façon la plus consciencieuse, ni les études dont elles peuvent être l'occasion, ni les travaux de cabinet, auxquels il se livre entre temps, ne suffisent à l'activité de Kuss. Aussi, après un premier contact avec son service de Grenoble, cède-t-il rapidement à la tentation - très forte chez lui - de ces missions lointaines de prospection ou d'expertise de mines, où il a si largement développé son expérience pratique.

Sauf les trois derniers, ces voyages, qui s'échelonnent sur une période de plus de trente ans, ont été entrepris par Kuss durant son séjour officiel à Grenoble. Le dernier fut celui d'Australie, qu'il accomplit en 1910, alors que déjà, depuis plusieurs années, il siégeait au Conseil général des Mines.

Nous allons, suivant l'ordre chronologique, donner de chacun d'eux un compte rendu succinct.

V. Saint-Étienne.- Ses nombreux voyages n'empêchent pas Kuss de remplir consciencieusement ses devoirs officiels, et l'Administration apprécie grandement ses services. A l'automne de 1890, le poste d'ingénieur ordinaire du sous-arrondissement minéralogique-Ouest devient vacant dans le bassin houiller de Saint-Étienne, que les catastrophes successives de Châtelus (1887), Verpilleux (1889) et Villeboeuf (1890) ont douloureusement signalé à l'attention publique. Le Ministre des travaux publics tient à confier ce poste à un ingénieur dont la personnalité puisse, à la fois, rassurer le monde ouvrier et s'imposer aux exploitants. Aussi, bien qu'à la veille d'être placé, comme ingénieur en chef, à la tête d'un arrondissement minéralogique, Kuss est-il pressé d'accepter, ne fût-ce que pour peu de temps, cette ingrate mission.

Entré en fonctions le 28 octobre 1890, il ne reste guère à Saint-Étienne plus de six mois, mais il sait mettre à profit ce court délai pour faire appliquer, avec une rigueur chaque jour plus grande, dans les exploitations des trois importantes Sociétés de Roche-la-Molière et Firminy, de Montrambert et La Béraudière, et des Mines de la Loire, une série de mesures destinées à prévenir les explosions de grisou. Ces mesures qui, plus tard, seront codifiées, par l'Administration, dans des règlements généraux, ouvrent, dans les mines du bassin, une ère nouvelle: les accidents de grisou, devenus de plus en plus rares, n'y atteindront plus désormais les proportions de véritables catastrophes.

Kuss se trouve à Saint-Étienne en même temps que son camarade Tauzin, qui est affecté au sous-arrondissement et qui, plus tard, lui succédera, comme ingénieur en chef à Rodez pour le retrouver enfin - mais pour quelques trop courtes années seulement - au Conseil général des Mines.

VI. Rodez.- Le 11 mai 1891, l'ingénieur en chef de l'arrondissement minéralogique de Rodez, M. de Castelnau, ayant été désigné pour le poste de Saint-Étienne, Kuss est choisi pour lui succéder. Cinq jours après, il reçoit le grade d'ingénieur en chef; le 11 juillet suivant, il est fait Chevalier de la Légion d'honneur. Dans l'Aveyron, Kuss retrouve des difficultés comparables à celles de la Loire; il lui faut avoir toujours présent à l'esprit et constamment rappeler à ses collaborateurs, comme aux exploitants, le douloureux enseignement de la catastrophe survenue, en 1888, à la mine de Campagnac. La question des feux se joint ici à celle du grisou. Pour écarter ces deux dangers, trop fréquents, hélas! dans les couches épaisses des bassins du Centre, il lui faut engager une lutte permanente contre les éléments naturels, contre les préjugés et la routine d'ingénieurs attardés, et, surtout, contre l'insouciance même des intéressés.

Pas plus que son prédécesseur, cette lutte, souvent ingrate, ne rebute Henri Kuss ; il la poursuit avec une inflexible fermeté.

Grâce à lui, principalement, l'exploitation par tranches uniques prises en descendant se substitue partout, dans le bassin de Decazeville, à la méthode par étages de trois tranches montantes, dont la deuxième, presque toujours incomplètement exploitée, développe, dans la troisième, des feux impossibles à maîtriser et qui en entraînent l'abandon. Outre qu'elle diminue le danger des incendies pour la mine et pour le personnel, cette nouvelle méthode assure une meilleure utilisation du gîte. On peut s'étonner que de tels avantages aient été si longtemps méconnus. Mais l'action si utile de Kuss est, ici encore, trop tôt interrompue.

VII. Douai.- Dès le 10 février 1892, moins d'un an après sa nomination à Rodez, Henri Kuss se voit confier l'important arrondissement minéralogique de Douai, dont rassortissent les mines du bassin de Valenciennes, le grand centre industriel de Lille et l'école des Maîtres-ouvriers mineurs de Douai.

Il occupera ce poste pendant quatorze ans.

Son influence, cette fois, s'étend sur des entreprises considérables et sur une population minière de près de-trente mille ouvriers. De fréquentes occasions s'offrent à lui d'intervenir : tantôt il s'agit de créer des méthodes ou des règlements d'exploitation propres à écarter les dangers d'éboulement; tantôt il faut améliorer l'utilisation des gîtes, l'aérage, l'éclairage ou l'assainissement des travaux, le boisage des chantiers, l'aménagement des eaux, ou encore la circulation du personnel ; tantôt, comme à la suite du douloureux accident d'Aniche, où, le 28 novembre 1900, l'explosion d'une dynamitière souterraine avait coûté la vie à vingt et un ouvriers, il faut reprendre, dans tous ses détails, la question de l'emmagasinage et de la distribution des explosifs ; tantôt enfin, s'attachant à l'hygiène des travailleurs du sous-sol, il faut user de toute son influence pour obtenir le développement des bains-douches, ainsi que pour assurer le dépistage et le traitement systématique de l'ankylostomiase.

L'intérêt constant porté par Kuss à la condition de l'ouvrier mineur, et à son bien-être, le désigne tout naturellement pour remplir les fonctions d'arbitre lorsque des difficultés viennent à surgir entre patrons et ouvriers. Toujours il est prêt à donner un sage conseil aux uns et aux autres. En même temps il constitue, pour l'Administration, l'agent le mieux informé sur la genèse des conflits et sur ce que peuvent avoir de fondé les revendications des uns ou les résistances les autres.

Dans un autre ordre d'idées, il prête à l'Administration militaire un précieux concours dans la préparation des mesures à prendre, en cas de mobilisation, pour assurer, en temps voulu, l'expédition des stocks de houille nécessaires aux années, et aussi pour maintenir à la mine le personnel, trop peu nombreux, mis en sursis d'appel dans la prévision - combien erronée, hélas! - d'une guerre courte.

En 1897, l'affaire de Fachoda ayant appelé l'attention sur le danger qu'il y avait à trop compter sur le charbon anglais pour nos flottes, Kuss étudie et met sur pied un nouveau plan qui assure ce ravitaillement par les salines d'Anzin.

Des multiples charges inhérentes à ses fonctions, celles relatives à la préparation d'une guerre éventuelle sont, pour Kuss, les plus attachantes. Son âme d'Alsacien, toujours meurtrie, sent que le retour du pays natal à la France exige, de la part de tous, le maximum d'efforts, en prévision du grand jour où l'ennemi nous obligera à tirer l'épée.

En reconnaissance de la précieuse collaboration prêtée par Kuss à l'autorité militaire, le ministre de la Guerre, en 1904, lui remet la rosette d'Officier de la Légion d'Honneur.

VIII. L'École des maîtres-mineurs. Si grand que soit le rôle joué par Kuss, à Douai, comme ingénieur en chef de l'arrondissement minéralogique, les services rendus par lui à l'École des maîtres-mineurs ne le sont pas moins.

Lorsqu'on 1892 il en prend la direction, cette école, encore à ses débuts, subit une véritable crise. Comme l'a écrit M. Décatoire, ingénieur des Travaux publics de l'État, vice-président de l'Association amicale des anciens élèves, « un tuteur lui était nécessaire. M. Kuss a été ce tuteur, à la fois ferme et bienveillant, sachant ce qu'il voulait et capable d'imposer ce qu'il croyait utile à la prospérité de l'École ». Celle-ci, instituée par décret du 27 mars 1878, à l'image de celle d'Alais, son aînée de près de quarante ans, a pour objet de procurer des maîtres mineurs et des géomètres à l'industrie minière. Les ingénieurs en chef Lebleu et Peslin en ont été les premiers directeurs. Si, au début, le nombre des admissions (24 en 1878 et 20 en 1879) avait été suffisant pour satisfaire aux besoins, il tombait à 15 en 1880, et n'atteignait même plus que 13, en moyenne, dans la décade suivante.

Dès 1892, au lendemain de l'entrée en fonction du nouveau Directeur, le chiffre des élèves admis remonte à 18 ; il est de 24 en 1893; durant les treize années suivantes, il oscillera entre 25 et 30, avec une moyenne de 27,5, soit le maximum de ce que permet la place disponible dans les dortoirs et les salles d'études. L'afflux croissant des candidats, la valeur de leur préparation et la facilité avec laquelle les élèves se placent à la sortie permettraient d'en prendre davantage, mais l'École , étant surtout destinée à former des contremaîtres, Kuss écarte impitoyablement les candidats n'ayant pas acquis, avant l'entrée, une réelle pratique du métier de mineur.

Kuss a pleinement atteint son but. En 1906, quand il quitte l'Ecole, sur 393 anciens élèves dont on a pu relever les professions, 141, soit plus du tiers, sont surveillants, porions ou chefs porions dans les mines, et 110 autres sont employés comme chefs-géomètres, géomètres ou vérificateurs.

Pour donner à l'enseignement toute sa valeur, Kuss s'entoure de professeurs compétents, choisis parmi les plus expérimentés des contrôleurs des Mines ; en outre, il s'appuie sur un Conseil d'Administration où, à côté de représentants de l'administration et des corps élus, siègent des hommes éminents, tels que MM. François et Reumaux, pris parmi les exploitants appelés à utiliser les élèves à leur sortie de l'École. Non content d'assurer à ces jeunes gens le bagage intellectuel et moral indispensable, Kuss les aide à se placer d'après leurs aptitudes spéciales et les suit plus tard dans leur carrière. Il est très utilement secondé dans cette tâche par la Société amicale des anciens élèves, constituée en 1886, et dont, jusqu'à sa mort, il restera le Président d'honneur.

A l'Exposition universelle de 1900, figurent, dans le Palais des Mines et de la Métallurgie, quelques travaux des Élèves, accompagnés de tableaux statistiques ou synoptiques, ainsi que d'une notice où Kuss résume l'histoire, l'organisation et les progrès de l'établissement. Une médaille d'argent vient sanctionner les résultats obtenus.

En travaillant ainsi à la prospérité de son École, Kuss ne fait que suivre son goût inné pour l'enseignement ; mais en outre, il a conscience de contribuer, pour sa part, à l'oeuvre de la concorde sociale, l'une de ses principales préoccupations. « J'estime, dit-il, que, dans notre démocratie en travail, les maîtres-mineurs ont un rôle essentiel. Originaires de familles d'ouvriers, ils comprennent le langage des ouvriers, connaissent leurs aspirations et peuvent, mieux que personne, leur servir d'éducateurs et de guides dans la marche vers le progrès social, à réaliser par l'union harmonieuse du travail manuel et du travail intellectuel. »

Outre les débouchés offerts aux élèves de Douai par les mines métropolitaines, Kuss s'efforce de leur ouvrir aussi l'accès des mines de nos colonies. En le faisant il cède sans doute aux souvenirs rapportés de ses voyages lointains, mais il veut également, par ce moyen, concourir à la mise en valeur de notre empire d'outre mer. En 1913, 81 de ses anciens élèves étaient installés aux colonies ou à l'étranger.

C'est également aux démarches personnelles de Kuss et à son influence qu'est dû le décret du 18 janvier 1905 permettant de nommer contrôleurs des Mines, au titre colonial, les élèves diplômés de l'École de Douai.

A cette oeuvre particulièrement féconde, justice a été rendue par M. Reumaux, l'un des membres les plus autorisés du Conseil d'Administration de l'École. « La brillante direction de M. l'inspecteur général Kuss, proclame-t-il, a fait de l'école des maîtres-mineurs de Douai une institution sérieuse et solide, hautement appréciée des exploitants. » Et M. Décatoire, dans sa notice, ajoute : « Pour les élèves, comme pour le personnel placé sous ses ordres, M. Kuss fut le directeur bienveillant, sachant inspirer à tous, par l'exemple, le sentiment du devoir. »

IX. Conseil général des Mines et Commissions diverses.- L'éclat et la diversité des services de Kuss devaient le faire appeler, de bonne heure, au Conseil général des Mines. Dès le 1er août 1906, il est nommé Inspecteur général de deuxième classe, et chargé de la Division du Sud-Est, théâtre de ses premiers débuts. L'année suivante, il obtient l'inspection du Centre, à laquelle ressortit l'École des Mines de Saint-Étienne, si différente de celle de Douai par son objet et par ses méthodes d'enseignement.

La Division du Nord-Ouest, à son tour, étant devenue vacante en 1909, Kuss est aussitôt désigné pour diriger cet important service, où figurent, à côté des grands bassins houillers du Nord et du Pas-de-Calais, différentes régions ferrifères en voie de développement dans l'Orne et la Basse-Normandie.

Le 1er décembre 1911, la légitime autorité conquise par Kuss dans le Conseil lui vaut d'être nommé Inspecteur général de première classe. Mais l'Administration n'a pas attendu jusque-là pour le faire entrer dans nombre de Commissions où l'on apprécie fort sa compétence.

A l'heure de sa mort, il est Président de la Commission interministérielle de navigation aérienne ; membre de la Commission centrale des machines à vapeur, de la Commission d'hygiène dans les mines, de la Commission des recherches scientifiques sur le grisou et les explosifs, du Comité consultatif des chemins de fer, de la Commission permanente des. stations hydrominérales et climatiques. En outre, et pendant plusieurs années, il a rempli les fonctions de Commissaire technique à la Commission militaire des mines.

A toutes ces Commissions, et surtout au Conseil général des Mines, Kuss apporte la collaboration la plus assidue et la plus précieuse, ne reculant jamais devant la tâche de rapporteur, dans les questions délicates où sa compétence le désigne. C'est d'ailleurs en toute conscience qu'il remplit sa mission. Il n'est pas une pièce du dossier qu'il ne lise attentivement ; pas une des circonstances de l'affaire qu'il ne veuille tirer au clair ; pas un point litigieux qu'il n'élucide avec sa rectitude de jugement et sa clarté coutumières. Aussi, les conclusions de ses rapports, toujours formulées avec netteté, sont-elles adoptées le plus souvent à l'unanimité, tellement grande est la confiance qu'il inspire à ses collègues.

X. Congrès et missions officielles à l'étranger. Ces rares qualités, jointes à une parfaite connaissance des langues anglaise, allemande et espagnole, y compris les vocabulaires techniques, faisaient de Kuss le délégué le plus qualifié du Ministère des travaux publics dans les Conférences internationales. C'est ainsi qu'à Liège, en 1905, il prend part au Congrès des mines, de la métallurgie, de la mécanique et de la géologie appliquée. En juin 1910, à Dusseldorf, il, assiste, comme chef de la délégation française, au Congrès des mines et de la métallurgie. Au mois d'août de la même année, l'Administration l'envoie à l'Exposition de Bruxelles et dans les bassins houillers belges, pour y étudier les installations relatives à l'hygiène des ouvriers dans les mines; les principales observations recueillies par lui au cours de cette mission se trouvent consignées dans deux notes, l'une « sur l'installation de bains-douches pour les ouvriers mineurs », l'autre « sur la lutte contre l'ankylostomiase dans les mines de Belgique».

En septembre 1913, il participe, à Vienne, dans la section des mines, au Congrès international de sauvetage et de prévention des accidents.

XI. Publications diverses.- Tant d'occupations si variées ne suffisaient pas à absorber l'activité de ce cerveau exceptionnel. Kuss a beaucoup écrit, mais toujours sur des questions de mines ou de métallurgie.

Dès 1884, avons-nous dit, il avait traduit le grand Traité de von Groddeck. L'année suivante, à l'occasion du Congrès tenu à Grenoble, en 1885, par l'Association française pour l'avancement des sciences, il rédige et publie, en une petite plaquette d'une soixantaine de pages, « Monographie de l'industrie minérale du Dauphiné », où l'on trouve, notamment, une intéressante description des mines de la Mure et des exploitations rudimentaires d'anthracite alors existantes dans l'Oisans et le Briançonnais.

Outre sa brochure sur l'École des maîtres mineurs de Douai, signalons encore une Note « sur les principaux appareils destinés à prévenir l'envoi des cages aux molettes » et une Note « sur l'explosion d'un récipient de vapeur».

Entre temps, les éditeurs de l'Encyclopédie théorique et pratique des connaissances civiles et militaires, désirant voir cette publication s'enrichir d'un « Traité de l'exploitation des mines », n'avaient cru pouvoir mieux faire que de s'adresser à Kuss. Il accepta; mais, voulant donner à cette oeuvre un large développement et sentant que, malgré toute sa puissance de travail, il ne pourrait, seul, suffire à la tâche, il s'était assuré la collaboration de M. Fèvre, son collègue d'alors comme ingénieur en chef des Mines, et, plus tard, celle de M. l'ingénieur des Mines Aubrun. La mort, malheureusement, ne lui a pas permis de mener à bonne fin son projet primitif, qui, d'apres l'introduction mise en tète de la première livraison, parue en juillet 1897, devait comporter quinze grands chapitres. Il a pu rédiger seulement le remarquable aperçu de géologie minière par lequel débute l'ouvrage et où il se propose « d'exposer très sommairement les idées généralement admises aujourd'hui sur la composition de l'écorce terrestre, sur les gites minéraux qui s'y rencontrent, sur leurs allures et sur les accidents qui les affectent. » On y trouve en fait, concentrées dans un bref résumé de moins de 100 pages, et illustrées de quelques exemples typiques, les notions essentielles, fruit de sa longue pratique des gîtes minéraux.

XII. L'École supérieure des Mines. Lorsque l'heure de la retraite sonna pour M. Delafond, directeur de l'École supérieure des Mines, nul n'apparaissait mieux préparé que Kuss pour lui succéder à la tête de ce grand établissement.

Sur toutes les questions relatives à l'enseignement, il apportait des vues personnelles, particulièrement autorisées, et le succès avec lequel, pendant longtemps, il avait présidé aux destinées d'une autre école, infiniment plus modeste il est vrai, paraissait un sûr garant des résultats qu'il saurait obtenir dans ce dernier poste.

Nommé à ces nouvelles fonctions le 20 février 1914, pour en prendre possession le 1er août suivant, il semblait encore en parfaite santé. Mais, à se dépenser sans compter, les forces humaines, à la longue, finissent par s'user sans qu'il y paraisse. Dès la fin de juin, apparaissaient chez Kuss les premiers symptômes de la maladie qui, cinq mois plus tard, devait l'emporter.

Quelques semaines après, la guerre éclata, et la mobilisation vint ajourner la réouverture annuelle des cours.

Kuss ne devait pas entrer à l'Ecole !

XIII. Les communautés protestantes.- Ce n'est pas seulement le monde minier qui faisait appel aux vastes connaissances de Kuss, à son expérience des choses administratives et à son dévouement. Très attaché à la religion dont son père avait été l'un des ministres, il s'était, dans chacune de ses résidences successives, étroitement associé à la vie des communautés protestantes. Aussi, lors de la séparation des Églises et de l'État, quand les associations cultuelles durent se constituer, Kuss fut-il au nombre de ceux qui les servirent le plus utilement. Les églises du Nord-Est de la France s'étant d'abord groupées en un Synode régional, il accepta d'en préparer les statuts et règlements ; son oeuvre fut tellement appréciée qu'ensuite on le sollicita de représenter ce groupe dans l'Union nationale des Églises évangéliques réformées. Il s'y fit une place prépondérante au sein des comités d'études et d'organisation, puis dans la Commission permanente, aux travaux de laquelle il prit une part considérable, comme à ceux des Synodes périodiques. Tous y gardent le souvenir de la luminosité de ses ordres du jour.

XIV. L'homme privé.- Fonctionnaire hors de pair, serviteur dévoué de son église, Henri Kuss réalisait aussi l'idéal de l'homme privé. Dès avant l'âge d'homme, il était le soutien de sa mère veuve ; jusqu'à sa mort, il tint le rôle de chef de famille à l'égard de ses frères et soeurs. C'était, en même temps, le modèle des maris et des pères. En 1888, il avait épousé Mlle Weiss, fille d'un fonctionnaire distingué de l'Administration de l'Enregistrement, dont une alliance de famille lui avait fait faire la connaissance, à Grenoble, au foyer d'Alsaciens émigrés comme lui. Il trouva là une compagne digne de lui, partageant ses plaisirs et ses peines, n'hésitant pas à l'accompagner en Afrique, ni même, plus tard, à traverser deux fois, aller et retour, la mer Rouge et l'Océan Indien pour le suivre en Australie.

Le bonheur parfait qu'il trouva dans cette union était pour lui un puissant réconfort. Chaque soir, sa tâche remplie, il se retrempait dans les joies saines et calmes d'un foyer égayé par une charmante fille qui, jusqu'au dernier jour, en fut le rayon de soleil.

Mais ce bonheur, hélas ! devait avoir un terme.

XV. Les derniers mois. En juin 1914, au retour d'un voyage effectué pour assister à une réunion synodale, Kuss ressent les premières atteintes du mal qui, en quelques mois, aura raison de sa robuste constitution. Une intervention chirurgicale paraît utile; il n'hésite pas à s'y soumettre ; mais, quelques jours après, la mobilisation vient lui enlever les soins, pourtant si nécessaires, de l'éminent praticien auquel il s'est confié. Tout l'été, il lutte contre le mal; mais, au lieu de songer à ses propres souffrances, il pense uniquement à celles endurées par les combattants sur la ligne de feu.

Le 9 août lui apporte une immense joie : les troupes françaises sont entrées à Mulhouse, en même temps que dans sa chère ville natale de Cernay, où le front, peu de jours après, devait se stabiliser et qui devait subir, par la suite, une destruction presque totale.

Ce jour-là, il fait pavoiser son lit de souffrance avec deux petits drapeaux français; ils y resteront jusqu'à l'heure de sa mort, symbolisant sa foi dans la victoire.

Jusqu'à la fin de sa longue maladie, il demeure en pleine possession de sa belle intelligence et suit avec un intérêt passionné les péripéties de la lutte. A tous ceux qui le visitent, il demande des nouvelles du front ; mais sa con-sa confiance dans le succès final ne faiblit pas, même aux jours les plus tristes, où ses proches se demandent avec angoisse s'il ne va pas, immobilisé dans son lit, tomber aux mains de l'ennemi.

Malheureusement c'est en vain que le disputent à la mort les soins dévoués de son admirable compagne et de sa fille, s'initiant ainsi au rôle d'infirmières qu'elles vont bientôt remplir, durant plusieurs années, dans un hôpital militaire. Au moment où il croit tenir la guérison et où parents et amis se laissent aller à partager son espoir, le mal, continuant sournoisement son oeuvre, l'emporte brusquement.

Le 22 novembre 1914, après une courte agonie, Kuss rend le dernier soupir. Il n'a pas soixante-trois ans, Trop tôt terminée, cette belle existence offre une admirable unité.

Foncièrement modeste et plutôt réservé, Kuss paraissait mettre tous ses soins à cacher les qualités de son coeur, profondément bon et serviable; aussi, pour les personnes le connaissant peu, son abord semblait-il assez froid. Ce n'était qu'une apparence.

Kuss a été, dans toute l'acception du terme et dans toutes les circonstances de sa vie, l'homme du devoir.

Le corps des Mines conservera de lui un souvenir durable. Il restera comme un modèle pour les jeunes générations d'ingénieurs.


Emile KUSS (1815-1871), cousin de Henri, fut maire de Strasbourg très brièvement, du 12 septembre 1870 jusqu'à sa mort spectaculaire le 1er mars 1871 lorsque l'Assemblée Nationale, réunie au théâtre de Bordeaux, renonce à reprendre l'Alsace. Le Dr Kuss était un républicain sincère, fondateur en 1851 du journal "La République populaire du Bas-Rhin" et titulaire de la chaire de physiologie à l'Université de Strasbourg.

Voir aussi : biographie de Emile Kuss sur wikipedia


Benjamin Frédéric KUSS, cousin de Henri KUSS, élève de Polytechnique (promotion 1889)
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