26/6/1865-29/5/1931.
Ancien élève de l'Ecole des mines de Paris (promotion 1885). Ingénieur civil des mines.
Bulletin de l'Association des Anciens élèves de l'Ecole des mines de Paris, 1931 :
Henri Jobez était né à Saint-Dizier, le 26 juin 1865, où sa famille maternelle comptait une lignée de maîtres de forges. Du côté paternel, il descendait d'une famille de cultivateurs de la haute montagne du Jura qui, à la fin du XVIIIe siècle, après avoir contribué à donner l'essor à l'horlogerie du pays, créa des forges dans la région.
L'une et l'autre famille avaient toujours pris une part active à l'administration de leur petite comme de leur grande patrie. En 1815, un Jobez fut appelé à la Chambre des Cent Jours et député sous la Restauration.
Cette souche rurale, laborieuse et passionnée pour le bien public, explique les goûts que notre camarade manifesta, dès sa jeunesse, pour la politique saine, pour l'exploitation des forêts et pour la métallurgie.
L'Ecole des Mines, traditionnellement fréquentée par les fils de maîtres de forges, ne pouvait manquer de l'attirer.
Il y entra en 1886. Orphelin de père, il devait, tout en suivant ses cours, diriger de loin l'exploitation de ses forêts; chrétien convaincu, il trouvait le temps de porter, aux ouvriers de Belleville, des paroles d'apaisement, et aux pauvres des Conférences de Saint-Vincent-de-Paul, le traditionnel bon de pain : exemple presque unique à cette époque dans notre Ecole.
Au cours de son voyage d'études de seconde année, il parcourut la Norvège, puis la Suède, où il recueillit une très intéressante documentation sur les installations téléphoniques déjà très développées dans les pays Scandinaves et encore à l'étât embryonnaire en France; il étudia aussi les exploitations hydrauliques que l'on commençait à aménager. Il rapporta à ses compatriotes du Jura la première paire de skis, si précieux dans les pays de montagne.
En 1893, circulent les premières automobiles; Jobez achète la quatrième voiture sortie des ateliers de Peugeot; elle lui permettra de se transporter facilement de sa résidence de Pont-de-Poitte à ses centres d'exploitation forestière.
Reconnaissant de suite l'intérêt d'un combustible national, susceptible de remplacer le pétrole importé, il fit construire à Morez, pour le transport des grumes, un véhicule actionné à la vapeur. Il le fit même sortir. Mais, pour le mettre au point, il aurait fallu y consacrer encore beaucoup de travail et beaucoup d'argent : les moteurs à essence faisaient, à la même époque, des progrès trop rapides pour que les moteurs à vapeur pussent soutenir leur concurrence, et Jobez eut la sagesse d'arrêter les frais. L'idée était toutefois séduisante puisque, quelques années plus tard, deux de nos camarades, dont l'un passé maître ès-sciences mécaniques et aujourd'hui membre de l'Institut, unirent leurs efforts pour la réaliser. Leurs essais se heurtèrent aux mêmes obstacles qui avaient arrêté Jobez lui-même et depuis il ne fut plus question de cette tentative.
Passionné pour tout ce qui avait trait aux forêts de sapins, il était retourné avant la guerre en Suède et Norvège pour y étudier l'exploitation des bois et l'installation des scieries. Il fut l'élève et le continuateur de M. GURNAUD qui avait imaginé un mode d'aménagement dit du « Contrôle », vivement combattu d'abord, mais aujourd'hui adopté et enseigné en France et à l'étranger. Henri Jobez mit cette méthode en pratique dans ses forêts qui lui servirent de champs d'étude, la perfectionna et la fit connaître. Membre de l'Académie d'Agriculture pour la sylviculture, en 1929, il s'y était imposé par un travail et des recherches minutieuses poursuivies pendant plus de trente-cinq ans qui lui avaient valu une grande expérience des choses forestières.
Pour faciliter l'exploitation de ses forêts, Jobez imagina un compteur enregistrant le diamètre des arbres sur pied. L'appareil, envoyé en dernière heure à l'Exposition de 1900, reçut du Jury une médaille d'argent; cette récompense, obtenue sans aucun appui officiel et sans réclame tapageuse, soulignait ainsi, beaucoup mieux que certains grands prix donnés par complaisance, le très réel mérite de l'invention.
Vers 1894, quelques amis le décidèrent à représenter le canton de Morez au Conseil général, et en 1897, l'arrondissement de Saint-Claude (Jura) à la Chambre des députés. Dans ces assemblées, il s'attacha, comme rapporteur de Commissions, à faire, sans bruit, du travail utile. [Il succède comme député du Jura à Jean-Baptiste VUILLOD (1850-1917).]
Mais, dès les élections suivantes, cet honnête homme qui, allant ouvertement à la messe était un grand libéral, se heurta aux intransigeances des deux camps opposés. Certaines personnalités que le Jura a élues depuis, auraient dû le faire regretter par ses électeurs; mais ainsi qu'on l'écrivait récemment, les Français semblent élire leurs représentants comme ils font, au Café du Commerce, leur partie de poker, pour leur divertissement.
En 1911, il patronna, dans la région de Morez, une entreprise d'électrification créée et animée par notre camarade Jigouzo qui déjà avait été son collaborateur dans la construction du chariot à vapeur. Cette entreprise rendit, notamment pendant la guerre, de signalés services, et, en 1930, il en prit la présidence.
En 1924, à la suite de la mort de son oncle maternel, les forges du Closmortier à Saint-Dizier, auxquelles il avait toujours porté un vif intérêt, lui revinrent. Il avait espéré, à sa sortie des Mines, y entrer comme ingénieur, et lorsqu'il comprit que ce désir était irréalisable, il ne se doutait pas que trente-cinq ans plus tard il pourrait reprendre son rêve, de poursuivre, en la modernisant, l'œuvre de patronat de son aïeul, M. Jules ROZET. La Providence ne lui en laissa pas le temps.
Père d'une nombreuse famille, il avait eu le profond chagrin de voir un de ses fils disparaître après une longue maladie. Brisé par la douleur, le cœur épuisé par un surmenage incessant, il s'est éteint au milieu des siens, laissant à son fils aîné la charge de ses affaires, et à tous ses enfants et petits-enfants ainsi qu'à ses camarades d'école, l'exemple d'un noble caractère et d'une vie toute de labeur et de dévouement.
J. G.