Goutte à goutte est un recueil de poèmes écrits par un très haut fonctionnaire français, Claude Daunesse, qui utilisait le pseudonyme de "Lou TESTUT".
Claude Daunesse est un membre du corps des mines. Célibataire, il consacre tout son temps au travail, à l'exception de quelques rares retours dans sa ville natale La Teste de Buch (Gironde). Il reçoit plusieurs propositions très intéressantes d'entreprises privées qui lui proposent de hauts niveaux de responsabilité, mais il les refuse toutes. Il a tout juste 40 ans en juin 1964 lorsque le gouvernement le nomme directeur des mines au ministère de l'industrie. De ce fait, il est le fonctionnaire le plus en vue du ministère : il dirige le corps des mines tout en ayant des fonctions extrêmement variées comme la responsabilité de développer l'innovation et la technologie industrielle, la direction du réseau des services des mines de province (devenus par la suite les DRIRE), ou bien autorité sur les Ecoles des mines. Claude Daunesse se trouve dans un milieu de "requins" et conçoit alors son rôle comme devant protéger ses collaborateurs pour qu'ils puissent faire sérieusement leur travail à l'abri des vélléités politiques et des pièges administratifs. Fortement soutenu par ses amis qui l'entourent en toutes circonstances, Claude Daunesse finira néanmoins par craquer et se suicidera en se jetant d'un train en 1969.
Goutte-à-goutte couvre la période de 1947 à 1967. Cette sélection de poèmes autobiographiques a été rassemblée et éditée par des amis de Daunesse.
A je devinais qui
Souvenir lancinant
souvenir insidieux
d'un soir
un samedi pas plus triste qu'un autre
où nous étions plusieurs
à nous sentir trop vieux
en écoutant ce chant
qui n'était jamais nôtre
et venait réveiller
le désir obsédant
d'une jeunesse heureuse
inconnue
étrangère
que nous n'aurions jamais
Et nous avions 20 ans !
Et nous avons 20 ans !
Et la vie arbitraire
nous aura tous lassés
avant d'avoir chanté
car nous ne saurons pas entrer dans la colonne
au moment où le pas ralentira pour nous...
on nous regardera
comme de pauvres fous
car on ne verra pas
que nous avons tenté
ce que nous avons pu...
mais que nos voix détonnent.
Un jour le vent
surgissant brusquement
fit voler mon chapeau
et me gifla
holà jeune étourneau
on ne dit plus bonjour aux gens
oh pardon monsieur le Vent
je ne vous savais pas là
j'ai perdu mon chemin
dit le vent
le connais-tu gamin
eh oui monsieur le Vent
c'est tout droit
par-dessus les toits
vers les nuages
merci
répondit le vent
et il partit
en coup de vent.
Un bûcheron s'enfuit
une hache à la main
un sapin le poursuit
la cime ornée d'un casque américain
mitrailleuse en branche
qu'est ce que vous voulez qu'on y fasse
contre une mitrailleuse
une hache ne peut rien.
Comme un qui tire ses vingt ans
sans espérance
éperdument
la route
entre les dunes
saute les dunes
une à une
saute les dunes et redescend
le sable crisse
le frein glisse
la route luit
la route sue
la route saute
par-dessus la dune
et redescend pour remonter
pour remonter et redescendre
et s'arrêter
essoufflée
au Bassin
mais la route n'a jamais su nager
évidemment elle aurait bien voulu
s'étendre sur la plage
à moitié nue
et se baigner
comme une dame
mais ces jeux-là sont faits
pour des gens sans métier
ce ne sont pas des jeux
de route qui travaille
la route n'a pas le temps
de perdre son temps
à faire l'élégante
et pourtant
hésitante
elle flâne
et serpente
écoutant la forêt
chuchoter tendrement
sa chanson un peu folle
chanson de l'air du temps
aiguilles qui se frôlent
paroles au vent
qu'emporte le vent
vers l'océan.
A pas lents d'homme las
dos voûté
un dos portant sa croix
à pas lents de peine
il fuyait sa peine
mais elle était fixée à lui comme une lourde chaîne
une chaîne de trop de jours sans route claire
sans arbre dans le vent
sans sourire de femme qu'on aime
sans même une petite fille à serrer dans ses bras
sans rien à espérer que d'autres jours pour étouffer
il était las
il fuyait lentement dans le vent de la vie
il cherchait la vie mais rivé à sa chaîne
il n'avançait jamais que pour mieux s'enchaîner
la chaîne était trop courte il cessa de lutter
il cessa de rêver aux routes claires dans le vent
aux routes où l'on entend le rire des enfants
qui jouent à la marelle
il cessa de rêver à la petite fille qu'il aurait
il effaça la femme qu'il aimait
il ferma les yeux pour voir le noir
il était seul
sans espoir
sans espoir
il eût voulu mourir
il mourut.
Dans le champ broussailleux
des souvenirs perdus j'ai cueilli pour toi seule
un bouquet de pensées
un sourire un bonjour
quelques mots entendus
quand tu croyais rêver
à tes amours passées
Mets les soigneusement
dans un coin de ton coeur
et si tu veux un jour
revivre ta jeunesse
elles remonteront
du fond de ma douceur
pour venir te donner
une ultime caresse.
Des rêves
gyroscopes dans leur boîte
rien que des rêves
Ce soir j'ai fermé la porte de ma jeunesse
la porte ouverte sur mes rêves
la porte de la nuit nacrée
la porte du jour doré
ce soir la grande porte du passé
j'avais voulu l'ouvrir à deux battants
croyant pouvoir entrer dans le monde ignoré
que j'avais dessiné du fond de ma jeunesse
j'avais cru pressentir des vents chargés de rêves
enfin cristallisés
j'avais cru deviner la trame de ma vie
et j'ai laissé la porte ouverte
la porte de la vie
je me suis avancé
et mes rêves s'en sont allés
et ma jeunesse et ma tendresse
et ma gaîté
lentement j'ai refermé la porte
ce soir la porte du regret
ce soir la porte du passé
ce soir j'en ai perdu la clef
ce soir mes beaux espoirs sont envolés.
Souvenez-vous des soirs où nous avons cherché
ce qui nous rendait tous pareils et différents
souvenez-vous du jour où nous avons trouvé
ce qu'il aurait fallu pour guérir nos vingt ans
souvenez-vous des nuits où nous avons tenté
de libérer nos cours de nos espoirs d'enfants
souvenez-vous du temps que nous avons passé
à répéter sans fin des mots exaspérants
souvenez-vous des mois où nous étions lassés
de sentir nos efforts chaque jour plus lassants
souvenez-vous de l'heure où nous avons rêvé
de pouvoir nous tuer pour être plus vivants
Vous qui avez gommé les reflets démodés
vous qui avez franchi le fossé des vingt ans
souvenez-vous toujours de vos anciens regrets
et sans vous demander pourquoi je suis vivant
souvenez-vous de moi qui voulais me tuer
et suis resté perdu dans mes rêves d'enfant.
Sur le trottoir un pas
mais ce n'est pas son pas
dans la rue une voix
mais ce n'est pas sa voix
à la porte on a frappé
n'entrez pas son coeur est fermé
je n'ouvre pas son coeur est fermé
revenez on ne sait jamais
peut-être j'ouvrirai
si je peux oublier.
Quelques jours d'impatience
impatience perdue
j'ai perdu l'espérance
ainsi va le chemin
n'importe où
dans le vent
sa voix ne s'entend pas
car le monde est trop grand
on le voit toujours seul
comme un brave chemin
qui n'a pas d'illusions
le long des menthes et des fleurs
a quoi bon se figer
sur la route passante
je prendrai le chemin
où ne passe personne
pour m'allonger sous les buissons
et m'endormir
pour endormir mes illusions.
A lui
ovale et blasé
clopin clopant
les yeux brisés
rêvant de vivre
éperdument
le cou noyé dans son carcan
bouche tordue loin de la piste
ovale triste sous le fard
loin des lumières dans le noir
dans la musique et dans le vent
rêvant
à lui
une gifle et l'on rit
plus on le gifle et plus on rit
et plus on rit plus il est triste
et plus on l'applaudit
bis
il est parti
dans la musique et dans le vent rêvant de vivre
éperdument
rêvant de rire dans la vie
rêvant de rire
à l'infini.
Vous
il n'y avait que vous
j'avais beau me fixer sur des choses sans fin
je ne voyais que vous en feuilletant les pages
un dessin c'était vous
un désir c'était vous
l'avenir c'était vous
la danse du soleil
les cheveux de la cigarette
la musique du vent à la fenêtre
les rires du matin dans la brume des rêves
tout cela c'était vous
c'était vous
douce comme la vie un matin de vacances
claire comme un baiser qui claque dans le vent
légère comme un coeur qui cherche l'aventure
inaccessible
comme un long rêve qui se brise
quand je vous oubliais je n'étais pas heureux
je ne voyais que vous quand je fermais les yeux
je n'attendais que vous quand j'oubliais la vie
je ne voyais la vie qu'à l'image de vous
quand je pensais à vous je ne voyais que vous
mon amour je vous aimais
et j'étais fou de vous
et j'en suis fou
j'en deviendrais fou.
Il a pris son élan au tremplin de la vie
son talon a frappé la planche
frémissant
impatient de quitter les mesquines envies
et le jarret tendu par l'appel vers la vie
une volte un soleil
le soleil de la vie
une offrande infinie une offrande rêvée
détente de beauté avec le coeur cambré
et les gouttes de mort ruissellent au soleil
attirantes
poussière de soleil où s'écrase la vie
dans le lac de la mort.
Mars 48
Sa vie était un réseau de bowettes
avec des bures sans fond
problèmes sans raison
raisons à deviner
devinettes en rond...
ce n'était qu'un réseau de bowettes
sans fin...
il marchait
lampe à la main
vers la recette supposée
il marchait
sans se retourner
pour ne pas échouer
dans sa course à la vie
ce fut sa lampe qui trahit
comme une garce
à bout de souffle
sans crier gare
en plein danger...
son espoir n'avait plus de raisons d'espérer
il était enfoncé dans la nuit des jours ternes
et pour achever son destin
il se laissa mourir de faim.
Entre nous contre nous
voix des morts
jambes nues
ventre nu
17 heures au soleil
on s'en fout
choeur des morts d'autrefois :
« nous les morts...
nous qui sommes les morts...
nous qui sommes les vénérables morts...
(enfin on nous le dit
mais on se fout de nous)
du temps de nos grand'mères
il fallait voir à voir
avant d'aller tout nu
ah les moeurs d'après guerre ! »
et les morts de la guerre :
« qu'est ce que ça peut vous faire ?
si ça leur fait plaisir à ces pauvres enfants ?
et puis d'ailleurs
c'est un bon entraînement au froid
qui vous prend dans la tombe ».
Pourquoi as-tu revu l'espionne
camarade
parce qu'elle est jeune et belle
et qu'elle aime l'amour
pourquoi as-tu aimé l'espionne
camarade
parce qu'elle sentait bon les draps chauds et l'amour
pourquoi as-tu livré nos sccrcts à l'espionne
camarade
parce que je l'aimais
j'ai suivi le parti de l'amour
pourquoi as-tu trahi ton pays
camarade
j'ai trahi mon pays parce que je vous hais
comme je hais tous ceux qui crèvent de richesse
et ramassent l'argent pour mépriser l'amour
j'ai trahi mon pays car ce n'est plus le mien
je préfère une femme à vos gueules de brutes
camarades
tu vas mourir es-tu prêt
je suis prêt
camarades.
Je voudrais être comme lui
avec des cailloux plein les poches
et des rêves plein le coeur
rêves de plis de fond par un âge sans lune
dunes de sable mou qui se transforme en grès
je voudrais être sans regret
comme celui qui cherche au bout de son marteau
quelque chose à casser qui soit plus vieux que moi
pauvres bêtes d'autrefois
ayant connu le jour
on ne sait de quel amour
restes d'on ne sait quoi
venus on ne sait d'où
qui sont morts lentement
on ne sait pas comment
avec regret peut-être
peut-être sans regret.
Tu m'as dit bien entendu
j'ai répondu c'est évident
crois-tu vraiment
que nous soyons du même avis
mais non
tu n'as pas voulu me contredire
j'ai voulu te faire plaisir
au fond tu vois
c'est la meilleure solution
il faut avoir une opinion
mais il vaut mieux la garder pour soi.
Je chante un autre temps où les vagues parlaient
mais le varech est toujours le même
marron sous la vague cordons roulés
vestige d'une vie en fond clair sur le sable
anémones portées crabes dans la forêt
cassé n'importe quel un courant l'apporta
ici plutôt que là
moulu roulé battu laissé bossu
et cheveux dans un brin j'y revois le néant
gluant
marron
cordon
la plage et rats au vent.
Le sable est jaune et la mer bleue.
Ouvre les yeux.
Le sable est jaune et la mer bleue.
Le ciel est bleu.
Ouvre les yeux vers le soleil.
Trop de soleil ? Ferme les yeux.
Trois soleils rouges sur fond noir,
trois soleils rouges sur fond vert,
un soleil vert sur fond bleu.
Ouvre les yeux.
Le ciel est bleu et la mer bleue.
Trop de soleil. Ferme les yeux.
Si tu cherches la vie, serre les dents
et cherche.
On t'a parlé. Serre les dents.
Ecoute et cherche sans parler.
Regardé, ferme les yeux,
regarde sans les ouvrir, tu verras mieux,
tu verras beaucoup mieux la douceur du regard,
tu balaieras d'un coup la crainte d'être aveugle,
et sourd, si tu écoutes, entendras-tu la voix peut-être.
Mais cherche sans parler
et revois chaque jour les raisons découvertes
sans peur de reculer.
Serre les dents si tu veux pleurer -- et pleure,
et cherche pourquoi tu pleures
et ris, mais sans parler, d'avoir pleuré
et pleure d'avoir ri et ris d'avoir pleuré.
Quand tu auras trouvé que ce n'est pas la peine de chercher
parce qu'il n'y a rien à trouver,
sinon qu'il n'y a rien,
et qu'il faut prendre tout comme venant de rien,
ou d'un Autre,
quand tu auras trouvé que les raisons sont bêtes
et que les choses sont comme on les voit,
en ligne et non en file,
qu'elles n'ont de réel que ce que tu en crois
et que toi-même existe par ta foi,
alors tu pourras parler ou te taire - à ton choix,
écouter, t'amuser, te révolter,
pleurer sans rire et rire sans pleurer,
tu pourras même chanter si ça te fait plaisir,
chanter que Dieu est grand ou qu'il n'existe pas.
Qu'importe, si tu le crois ?
Trois violons sont passés
ils jouaient pour des pièces
des pièces de vingt sous
des pièces de dix sous
des boutons de culotte
des jetons de téléphone
ils jouaient pour tout ce qui sonne
en tombant dans la rue
des fenêtres s'ouvraient et d'autres se fermaient
des femmes préparaient des cuisines gluantes
puis elles revenaient pour avaler la rue
un corbillard trois gosses une vieille qui prie
un monsieur se découvre
il engueule les gosses
espèces de voyous
on ne vous a pas dit
qu'il fallait saluer
les morts qu'on accompagne
à leur dernière demeure
les morts et les drapeaux
le drapeau mes enfants la Patrie
et les enfants saluent pour ne pas l'exciter
car il semble méchant
c'est peut-être un ministre
il est décoré
mais puisqu'il est à pied
et qu'il a l'air d'avoir le temps
c'est plutôt un commandant
un commandant à la retraite
naturellement
qui regrette son commandement
il remet son chapeau car le mort est passé
les gosses en ont assez de l'écouter
alors ils vont ramasser des sous pour les violons
qui jouent toujours la même chanson
pour des pièces et des boutons.
Je l'ai fait
comme l'Autre a gravi son calvaire
car il fallait le faire
pour égaler mon rêve aux actes de ce monde
sans lâcheté mais sans courage
honnêtement
partie de moi jouant et partie regardant
mes doigts tremblaient
et la cendre tombait
inanimée
avec des mots anciens qui passaient la frontière
étonnés de leur étrangeté
la lumière douce du soir
projetait devant moi le reflet gris du rêve
et la fumée reliait une forme
à d'autres formes entrevues
surgies d'une autre vie
mes yeux ouverts comme mes yeux fermés
guettaient le mouvement imperceptible
des lèvres à la recherche des mots perdus
et les mots sont venus
comme ils devaient venir depuis longtemps
je me suis tu pour écouter comme il fallait se taire
heureux de retrouver la conclusion imaginaire
qui détruisait mon rêve en le légitimant.
C'est un matin d'octobre frais et bleu
qui serait comme les autres
si une chose n'était arrivée
terrible et rassurante
un de ces petits faits sans importance
qui montrent que vous avez changé
ce matin je n'ai envie de tuer personne
je n'ai envie d'aimer personne
sauf mes amis
pour la première fois depuis longtemps
je suis très calme
j'ai seize ans de nouveau
je regarde passer les gens dans la rue
je chante
je retrouve des habitudes perdues
il me semble que je reviens chez moi
après un long voyage à l'étranger
je me souviens des mots que je disais
et j'éclate de rire.
Tu ris dans ton berceau mon tout petit
puisses-tu rire toute la vie
comme ta maman n'a pas ri
tu n'as plus de papa et tu ne le sais pas
il était gentil ton papa
aussi gentil que toi
mon tout petit qui ne sais pas
j'ai peur de te casser
quand je t'ai dans les bras
mais je remplace ton papa
tu es ma petite cousine
ta maman c'est ma grande cousine
et je suis ton parrain aussi
c'est ton papa qui m'a choisi
j'avais dit oui ça m'amusait
de jouer au vieux
de me prendre au sérieux
je t'aurais négligée s'il était resté là
il t'aurait tout dit bien mieux que moi
mon tout petit qui ne sais pas
maintenant je ne dois pas
il faut que je te parle de ton papa
c'est si bête la vie mon tout petit
je voudrais tant que tu ne saches pas
mon tout petit qui ne sais pas
et pourtant il faut parler de ton papa.
Le gravier de mes joies fait corps dans le ciment.
Je compte au vieux réveil la prise du ciment.
On ne l'entendra plus, le rire d'autrefois,
la prise du ciment fonde une autre maison
et les mots mentiront pour bâtir la maison.
La maison d'autrefois n'a plus de fondations.
Je n'ai plus de maison, je bâtis ma maison.
Le gravier de mes joies se perd dans le ciment.
La bataille est gagnée, le ciment a tenu.
Tant de peine perdue sans joie dans la maison !
Deux cigarettes dans un cendrier
deux cigarettes qui fumaient longues
d'abord rapetissaient
le temps passait
deux cigarettes qui mouraient
longues d'abord comme un baiser
brûlant après comme l'amour puis oubliées
deux mégots morts à enterrer
sur leurs cendres
deux amoureux dansaient.
Je la reconnaissais
je voyais son visage
un visage attendri par la douceur sans fin des yeux qu'on a fermés
plus rose et plus vivant que l'oeillet blanc du livre
et plus triste qu'un bel été
une page entre deux pages s'est ouverte
et l'oillet est tombé sous la table
dans l'obscurité
j'ai crié très fort en moi-même
un nom
que j'ai inventé
le nom s'est effeuillé entre deux pages dans le livre
à la place de l'oillet
entre deux pages
dans un livre
un nom reste caché
je ne sais plus lequel
mais plus réel que si je savais.
Volontaire tu pars pour la guerre
fais ta prière et garde ton sang-froid
je garde mon sang-froid
mais pourquoi des prières
je ne crois pas en Dieu et j'accepte le jeu
je vais tuer mes frères et je suis volontaire
mais pas pour dire des prières
volontaire tes frères te tueront
c'est la règle du jeu
fais ta prière et garde ton sang-froid
ils me tueront
tant pis pour moi
tant mieux pour eux
je n'ai pas peur
à la grâce de Dieu
volontaire tu viens de faire une prière
tu n'es plus volontaire.
Un soir
je marchais par les rues de la ville
une marche en courant
viens chéri
eh vas donc
une marche à tâtons par les rues de la ville
pour revenir au viens chéri
et la route obliquait
ce n'était pas cela que je voulais
je marchais
pour marcher
et pour rêver
par le treillis des rues en croix
où se perdent les pas
dont l'écho me suivait
deux talons dans la nuit qui frappent les pavés
je marchais
pour aimer la ville comme je l'aime
le soir
quand il n'y a plus personne pour l'aimer
que les putains sur le trottoir
qui connaissent leur ville
comme une grande soeur
une soeur qui se montre le soir
à tous ceux qui savent la voir
par le treillis des rues en croix
où résonnent les pas
toute nue sous la lune
hélant les attardés
dont les pas
font crier
les pavés.
Comment veux-tu que je t'oublie
tu ne m'as rien donné
tu ne m'as pas souri
tu ne m'as pas embrassé
tu es passée dans ma vie sans me voir
tu n'as rien oublié
pas de lettres à brûler
pas de fleur à respirer
pas de photo à regarder
tu n'as rien dit
je n'ai rien dit
comment veux-tu que je t'oublie.
Ici les vieux chagrins
et là d'autres regrets
ailleurs de beaux jardins
ailleurs d'autres beautés
ailleurs d'autres secrets
mais ailleurs de quoi demain sera-t-il fait ?
demain
comme aujourd'hui
comme autrefois
une fois
puis cent fois
et puis toutes les fois
ou demain de jamais
une fois découvert pareil à son image
rêvée
ou différent ?
mais demain
de quoi demain sera-t-il fait ?
même question
pas de réponse
il s'agit de foncer
vers le jour sans regrets
premier jour sans chagrins
le premier jour
SANS LENDEMAIN.
Pour t'approcher de l'autre monde
pas le monde des morts
mais celui de la vie
imite un vieux pêcheur assis dans un bateau
de l'autre monde à lui
trouve le fil
au fil de l'eau
et suis le fil
au fil du temps
pour t'approcher de l'autre monde
trompe le temps au fil de l'eau
trompe le monde et tue le temps
et prends le vent
et tue le monde
et rêve à des amours perdues dans l'océan
et vole à tes amours le reste de ton temps
reviens à des amours perdues dans le néant
et trompe ces amours avec des faux-fuyants
et puis vas-t-en
maudis l'amour
et supprime les jours
et supprime les nuits
et recommence
toute la vie.
Ici
soupers dansants dansés
des fous chantants chantaient
de bons vivants vivaient
de faux brillants brillaient
et des amants s'aimaient
Là-bas
des chats-huants huaient
des chiens couchants couchés
des chiens courants couraient
des cerfs-volants volaient
des vers luisants luisaient
ailleurs
des fours tournants tournaient
des crève-la-faim crevaient.
Je suis passé près d'une porte
une porte qu'en d'autres temps
je trouvais accueillante
comme un fauteuil au coin du feu
J'ai marché dans une rue tranquille
une rue que jadis
j'ai connu trépidante
de tous mes rêves inventés
J'ai pris le train dans une gare une gare où j'étais arrivé
sans espérer quoi que ce soit
une gare d'où je repars
sans regretter quoi que ce soit.
Dans les secrets des dieux
se cachent des secrets
ne les dévoile pas
tu ne les connais pas
et moi non plus
des secrets pour les uns
des secrets pour les autres
les mêmes pour chacun
les mêmes pour aucun
dans les secrets des dieux
se disent des secrets
ne les répète pas
tu ne les entends pas
et moi non plus
secrets qui n'en sont pas
et secrets qui en sont
des secrets pour toi seule
et des secrets pour moi
dans les secrets des dieux
un secret pour nous deux ?
ne réponds pas
tu ne sais pas
et moi non plus.
Ma ville je t'aimais
comme on aime une amie
tu faisais bien un peu province
avec tes trams sans élégance
et les jurons des Capucins
le monument des Girondins
les foires des Quinconces
où l'on te voyait grise
mais tu étais si bonne fille
ma ville
qu'on pardonnait tes incartades
on acceptait tes gasconnades
en riant de ton franc-parler
on t'amenait en promenade
au même endroit tous les étés
te souviens-tu des pins
et de la dune
et du bassin
te souviens-tu de nos week-ends
te souviens-tu de nos vacances
et la rentrée venue
on reprenait les habitudes
te souviens-tu dimanche après-midi
le triangle magique où l'on se rencontrait
tout étonné de la rencontre
on descendait par l'Intendance
on remontait par l'Intendance
et l'on recommençait
tous les dimanches de l'année
ma ville comme je t'aimais
et je ne parle pas de tant de choses
que je n'ai pas la force d'évoquer
de Pessac à Lormont
et de Bruges à Cenon
en passant par le pont
en passant par les quais
toutes ces choses que j'aimais
qui font rire les étrangers
il faut t'avoir comprise pour t'aimer
ma ville
et ce n'est pas facile
et comme je t'aimais
je t'ai quittée ma ville il y a longtemps
je ne viens plus te voir et je t'aime pourtant
mais un homme peut avoir
d'autres amours que sa ville
même dans cette ville
et souvent sans espoir.
Quand le printemps viendra
vous savez le printemps des chansons
avec des fleurs et des éclats de rire
des baisers et des robes légères
quand le printemps viendra
ce printemps-là c'est pour les vieux
nous autres on n'y croit plus
on en a marre des bourgeons
et des petits oiseaux
quand le printemps viendra
on lui dira ce qu'on en pense
et puis on s'en ira
en Argentine ou au Chili
quand il viendra là-bas
on reviendra ici.
L'heure n'est plus très loin
doux sont la cigarette et le verre de rhum
longuement réchauffé
dans une main qui tremble
dans le froid qui tressaille au seuil de l'aventure
doux sont les souvenirs
de la tiédeur secrète de la nuit
pour la dernière fois précédant l'aventure
doux les bruits de la rue
au petit jour
dans le brouillard
les gestes des amis
qu'on va quitter pour très longtemps
dans le crachin
l'heure n'est plus très loin
à plus tard les regrets
un coup de rhum avant de s'en aller
et l'on part en chantant
au revoir les amis
pour la grande aventure de sa vie.
Il regardait les ronds de fumée
qu'elle faisait sans y penser
ils grandissaient en tournoyant
une fois grands se déroulaient
en longues larmes de fumée
et d'autres ronds les remplaçaient
et d'autres ronds disparaissaient
comme des rêves achevés
il regardait monter
les rêves et les ronds
vers le plafond
et plus il regardait
plus il était surpris
de la solidité
de son amour.
Goutte à goutte
toute la vie
coups de poignard
je vous ai bus
jusqu'à la lie
jusqu'à la garde
si je pouvais
je vomirais toute ma vie
mais la garde
hélas
ne se rend pas.
Un homme s'est jeté dans la Seine
un dimanche matin
pour tromper sa faim
pour noyer sa peine
c'est la faute à pas de chance
c'est la faute à pas de pain
c'est la faute à son destin
Fallait pas qu'y se promène
sur les quais de la Seine
sans avoir rien à faire
un dimanche matin
qu'à écouter les arbres
et regarder la Seine
fallait pas qu'y s'y hasarde
c'est qu'elle est belle le matin
quand on a pas de pain
quand on a du chagrin
elle est plus belle qu'une femme
on voit les arbres lui parler
on les écoute et on se penche
la tête tourne quand on a faim
c'est la faute à cette garce
elle est plus vache qu'une femme
Un homme s'est jeté dans la Seine
un dimanche matin
pour tromper sa faim
pour noyer sa peine
personne s'en est aperçu
les cloches de Notre-Dame ont sonné
pour annoncer sa mort
personne a entendu
ils avaient peur d'arriver en retard à la messe
les gros richards
ils ont pas regardé la Seine
c'est eux qu'y faudrait y jeter les salopards
mais c'est les autres qui prennent
c'est la faute à la vie
c'est la faute à la faim
c'est la faute au chagrin
c'est la faute à la Seine.
En prenant tes gants sur la table
tu as dit
chienne de vie
chien de temps
il ne pleuvait pas plus que d'habitude
la pluie fine de tous les jours
et pourtant tu as dit
chienne de vie
chien de temps
pour un peu
tu serais resté là
à regarder tomber la pluie
jusqu'à la fin du monde
sachant qu'elle ne viendrait pas
finalement
tu as pris tes gants
et tu es parti
et tu as dit
chienne de vie
chien de temps
il ne pleuvait pas plus que d'habitude
on entendait les bruits de tous les jours
et tu réfléchissais
en prenant tes gants pour t'en aller
et tu t'en es allé
sous la pluie
en répétant
chienne de vie.
Les mots venus
comme des atouts-maîtres
qu'on abat sur la table
(de quel pays ?
par quelle donne impénétrable ?)
les mots de l'autre bord
s'imposent brusquement
(par quel chemin du temps ?
par quelle fantaisie ?)
comme un défaut des souvenirs écrits
plus obsédant qu'une chanson
et plus fuyant qu'un souvenir
symphonie répétée depuis le temps jadis
(par quel orchestre noir ?)
plus fascinante qu'un espoir
et plus troublante que la vie.
Il y pensait à peine
non qu'il eût oublié le temps d'avant-fumer
mais il fumait à la fenêtre
et ça lui suffisait...
une gauloise après une autre
avec l'autre allumée
un mégot écrasé en se brûlant les doigts
dans un tas de mégots
la fumée respirée qui fait mal en hiver
quand on est enrhumé
et qu'on rejette avec une toux rauque
un peu de soi d'avant-fumer qui part
sans qu'on s'en aperçoive ...
Il y pensait à peine
non qu'il fît un effort pour ne plus y penser
mais il fumait et ça lui suffisait
il ne désirait rien
il ne demandait rien
il ne regardait rien
qu'un point rouge
passant alternativement
de sa main à sa bouche
et réciproquement.
Les visiteurs du soir sont entrés dans la chambre,
ils ont fermé la porte et se sont approchés de celui
qui rêvait, comme de vieux amis :
ils entrent dans la chambre en silence
et s'assoient sur les lits
sans avoir rien à dire ;
on les écoute, on les trouve pareils à soi-même
et à ceux qui s'ennuient ;
et celui qui rêvait,
la tête entre ses mains,
les coudes sur la table, a regardé la table
en se croyant certain
de ne voir qu'une table, a regardé son lit
en se croyant certain
de ne voir que son lit, et il s'est étonné
du changement produit, car sans avoir parlé,
les visiteurs du soir étaient déjà sortis
comme ils étaient entrés ;
mais il avait compris ce qu'ils n'avaient pas dit,
par les moyens de l'habitude,
les moyens ignorés de comprendre les mots
qu'on n'entend pas ; et tout d'un coup
l'on s'aperçoit
que la chose à ce jour évidente ne l'est pas,
et l'on se sent nouveau d'avoir trouvé un sens nouveau
à tout ce qu'on a fait sans le savoir ou le sachant,
comme de rêver.
Et celui qui rêvait a sifflé
pour donner le départ de la nouvelle course
qu'il s'imposait, et,
content d'avoir imaginé cette course sans arrivée,
s'est endormi, la tête entre les mains,
les coudes sur la table,
dans la chambre où les visiteurs
étaient venus comme de vieux amis :
ils entrent dans la chambre
et s'assoient sur les lits
sans avoir rien à dire ; on les écoute,
et sans avoir rien dit, on les voit
différents depuis toute la vie.
Ils ont marché dans le désert
par les chemins offerts
en marge de la vie
sans y croire
ils ont vu devant eux
la tour de l'avenir
sans y croire
ils ont fermé les yeux par crainte du mirage
et supprimé la vérité
on ne peut pas marcher par des chemins
différents
et se rencontrer
sauf aux croisements
à condition de s'arrêter
et regarder longtemps si l'autre ne vient pas
de tous ses yeux
de toute la volonté qu'on met à regarder
si l'autre peut venir
quand on l'attend
même s'il ne vient pas
sinon la tour de l'avenir
brusquement
comme un donjon
l'un tourne en rond
et l'autre tourne en même temps
à la même allure
dans le même sens
tout le long du mur tout le long du temps
comme des gens pleins de mépris pour les mirages
quand la plaisanterie a trop duré
l'un s'arrête
l'autre s'arrête
à la même heure
de l'autre côté
et tous deux pleurent
la vérité heureuse
à tort supposée mirage
dans le désert
des enfants sages.
Faire celui qui n'a rien à faire
et regarder
regarder comment on fait pour avoir l'air d'être occupé
regarder d'un air distrait
et surtout ne pas faire semblant de s'embêter
ou de chercher
sinon tout le monde voudra vous aider
et c'est le seul moyen de ne rien trouver
non faire semblant de rire et de bien s'amuser
dire tout simplement ce qu'on ne pense pas
et garder le reste pour soi
en parler quelquefois à des gens qu'on connaît
si on les connaît bien
et bien les regarder
et regarder leurs yeux quand ils ont l'air de rire
et détourner ses yeux et regarder ailleurs
réfléchir
réfléchir qu'ils vous connaissent bien
se rappeler leurs yeux quand ils se détournaient
se dire que chacun a compris ce que ne dit pas l'autre
et puis faire comme si personne ne comprenait
et ne plus en parler.
Le soir
avant de s'endormir
il se racontait des histoires
plus secrètes que l'avenir
et moins fades que l'habitude
des histoires sans souvenir
des histoires à dormir debout des histoires
pour s'endormir
et puis il s'endormait
Ce soir-là par hasard
il avait beau chercher
il connaissait depuis longtemps tout ce qu'il racontait
et rien ne lui plaisait
et il s'agitait dans son lit
à n'en plus finir
sans arriver à s'endormir.
Mon amour est né comme un enfant
il a frappé
il est entré timidement
et il m'a dit bonjour
comme un enfant poli
comme un amour d'enfant
qui dit bonjour à ses amis
je l'ai reçu
comme mon premier-né
comme un enfant de mon amour d'enfant
potelé
souriant
il me pinçait au coeur
entre ses doigts comme un bébé
et je l'aimais comme son premier-né
et mon amour est mort
un soir d'hiver
naïvement
sans connaître la vie
il m'a dit bonsoir en mourant
tout simplement
comme un enfant poli
comme un amour d'enfant
qui s'en va
et dit bonsoir à ses amis.
Adieu dans le brouillard...
comme un point
qui fut si près
si fou
si frais
marchant vers son destin
marchant...
je ne vois plus ses jambes...
un manteau dans le vent
adieu mon illusion
je ne vois plus grand'chose...
un point au loin
très loin
qui fut si près
si fou
un point
c'est tout.
Sais-tu que je t'aimais avant de te connaître ?
Peut-être le sais-tu...
Je répétais un nom, petite fille,
l'imaginant, sans le savoir, plus estompé que l'ombre
où le regard se perd,
je me moquais de mes chagrins
t'imaginant plus belle et moins banale
que les autres,
et contre toi, tout contre toi,
les vagues se brisaient,
tu l'as peut-être deviné
car je t'aimais sans te connaître...
Je ne t'ai pas connue, le savais-tu que je t'aimais ?
Si tu l'as su...
mais je ne t'aime plus.
Le souvenir de ce matin
dormant à poings fermés hâlé par les voyages
et bleui par la barbe de l'ombre
s'est réveillé soudain avec un geste de la main
un geste d'amitié au lutin du plafond
le lutin sautillant
son frère de saison qui danse dans le vent
le lutin bondissant
venu par le balcon annoncer le printemps
et tous deux enlacés peuplant la chambre vide
ont rajeuni l'amour à revenir
la douceur des soirs où l'on rêve
et le vent qui se lève
sans avoir l'air de rien
négligemment
comme un vieux monsieur très indulgent
qui se lève au bon moment.
Le réveil a sonné
il a regardé l'heure
il s'est levé
il a fumé la cigarette du matin
il a regardé l'heure
une deuxième fois
juste le temps de se raser
de s'habiller
il a mis sa plus belle cravate
et son plus beau costume
il s'est assis
jusqu'à l'heure désignée
où rien ne pouvait arriver
alors il s'est déshabillé pour la journée
car s'il n'attendait rien du moment désigné
il attendait encore moins
du restant de la journée.
Je pense à un pays qui n'aurait pas de frontière
un pays plus grand que la terre
où tout le monde se connaîtrait
je pense à une ville
une ville plus grande que le monde
où tout le monde s'aimerait
je pense à une maison
une maison plus haute que le ciel
où tout le monde habiterait
je pense à une salle
une salle plus vaste que mille cathédrales
où tout le monde se réunirait
je pense à une tombe
une tombe plus profonde que la mer
où tout le monde dormirait
je pense à un second pays qui n'aurait pas de frontière
un pays plus grand que la terre
où tout le monde se réveillerait...
Il avait toujours le mot de la fin
le mot pour rire
il a pris son révolver
il l'a chargé
il l'a mis contre sa tempe et il a dit
imaginez ce qui arriverait
si je tirais le révolver n'étant pas chargé
on entendrait un petit déclic
ridicule
imaginez ce déclic mesquin
impuissant
et tous de rire
il a tiré et il est tombé mort
ce fut la dernière fois qu'il les fit rire.
Si nos doutes d'un jour avaient été fondés
nous auraient-ils permis
de passer tant de nuits à rêver
tant et tant de journées
et tant et tant d'années
riches de matins bleus
tant de matins d'avril et de matins de mai
à respirer le ciel
à caresser le vent
à fabriquer ces jeux acides de printemps
tous ces jeux d'homme-enfant
je ferai
tu verras
nous saurons
vous aurez
narquois comme un citron
calmants comme un baiser
à la mi-temps de nos projets
si nos doutes d'un jour avaient été fondés
nous auraient-ils permis
de trouver le second souffle
pour le grand match de notre vie.
On peut échafauder une main si l'on veut
une main aux longs doigts
un croisement de main un cri de joie
au besoin un départ un retour
une porte qui bat
un visage marqué sur un autre visage
un feu de paille un feu de joie
on peut échafauder un amour si l'on veut
on aime plusieurs fois
une preuve d'amour à défaut un retard
un départ sans retour
une porte qui bat
un jour de fête un feu de joie un autre amour
n'importe quoi
une main si l'on veut une histoire un amour
à condition de l'avouer
et de garder pour soi
une main si l'on veut
une main aux longs doigts
une histoire un amour qui n'y ressemblent pas.
On reste 107 ans paralysé de rêve
et l'on a peur du vent
et puis un jour
la porte s'ouvre
une envolée
comme un oiseau
en laissant quelques plumes
on les sent tomber
une à une
sur le bout de son nez
alors on éternue
on se réveille tout à fait
et l'on se met à rire
pour essayer de compenser
107 ans de silence et de banalité
et l'on rit 107 ans
avant de s'arrêter.
Il ne faut pas cracher
sur des amours déçues
on crache sur les tombes
on crache dans ses mains
mais les amours ne se font pas
et les amours sont immortelles
il ne faut pas pleurer
sur des rêves déchus
on pleure à une fin
on pleure à un début
on pleure même quelquefois
quand la mariée n'est pas très belle
mais les mariées ne se font pas
et les amours sont éternelles
il faut partir sans y penser
partir si loin
qu'on en revient
sans y penser
la saison a changé
il pleut sur les pavés
on marche dans la nuit
Paris n'a pas changé
alors on rajeunit
jusqu'au prochain été.
Pour faire la preuve par neuf
de son amour
de son amour tout neuf
un bouquet de roses rouges
il en faut douze pour ce jeu
neuf de douze
reste trois
une dans Ses cheveux
une à sa boutonnière
la troisième au vent de la terre
pour fêter la venue
de cet amour
inattendu
extraordinaire
de cet amour géant
comme furent tant d'amours sur la terre
en leur temps
puis les neuf roses dans un vase
un vase rouge et rose
rose comme Ses joues
rouge comme les roses
et pour finir le jeu
un baiser sur Ses lèvres
dont la couleur intervient peu
dans la suite de l'histoire
jusqu'au moment
où la maman
mettant la main sur le mouchoir
découvre ainsi le pot aux roses
alors
suivant son attitude
on montre par l'absurde
avec preuve à l'appui
qu'on a trouvé ou non
la femme de sa vie.
Le jour où le café s'est vendu sans ticket
le marchand de sable s'est tué
il était comme les autres
il faisait du marché noir
on le voyait depuis longtemps
jeter le sable sans viser
et les petits enfants ne voulaient plus dormir
même quand on disait
le marchand de sable vient de passer
et le sable épuisé
fouillant au fond du sac
il en tirait du vrai café
qu'il vendait aux bonnes d'enfants
maintenant c'est fini on trouve du café
et le marchand de sable s'est tué
on demande quelqu'un d'honnête
pour le remplacer.
Ce bureau poussiéreux
commence à me peser
quinze jours de métier
changement d'habitudes
autrefois étudiant je regardais les filles dans la rue
de ma fenêtre
à Paris
il faisait beau pour tout le monde
on disait tu à tous les yeux du monde
autrefois étudiant
(il est vieux le printemps)
qu'il était doux le temps perdu
en attendant
un bureau monotone
une ville sans joie
un soleil poussiéreux
une mise au courant
(de 8 heures à midi
de 2 heures à 6 heures
de 8 heures à minuit le dimanche compris)
aujourd'hui un instant de repos
c'est la première fois
entre un décret et une loi
le temps d'une cigarette à la fenêtre
et je vois
une ville sans joie un soleil poussiéreux
des femmes mal peignées laides comme la pluie
dans les chemins d'hiver
un garage de bicyclettes
la fanfare du quartier
cachant sa provision de couacs
soigneusement collectionnés
et puis soudain dans la hideur
une surprise heureuse enfuie
présente désormais
jolie fille aperçue
comme on n'en voit jamais par les fenêtres
la ville est si petite on pourra se connaître
après tout ce bureau n'est pas laid
sous le regard des mères-lois
les décrets abrogés veillent sur leurs enfants
un rayon de soleil relance un arrêté
et j'écris pour moi seul
des histoires de rues
où l'on trouve des filles
qui sourient gentiment
à la vie et aux gens.
L'amour m'a dit
j'ai de la chance
personne ne me hait
et je ne hais personne
quand on me voit on me sourit
je m'assieds dans un fauteuil
et je m'en vais si j'attends trop
mais une chose me chagrine
il y a des gens qui me ressemblent
on me reproche très souvent
les fautes qu'ils peuvent faire
je sais bien qu'on souffre quelquefois
à cause de moi
ça me suffit
je ne veux pas qu'on m'accuse
des fautes d'autrui
je désire simplement qu'on me reconnaisse
quand j'arrive
tâchez de vous en souvenir
jeune homme
à l'avenir.
Il faut de tout pour faire un monde
pour commencer
des riens
des bouts de rien
qu'on sort de rien
sinon ce n'est pas drôle
et l'on en fait des touts
des tas de touts
qui font le monde
on peut avoir quelques difficultés
au début
mais c'est à la portée de tout le monde
avec de l'habitude
et quand on a fini
on s'aperçoit que c'est tout simple
et que ça ne valait vraiment pas la peine
d'en faire un monde.
[Note de l'éditeur] Visiblement, à l'arrivée à son premier poste à l'arrondissement minéralogique de Montpellier, Claude Daunesse n'a pas trouvé son travail très passionnant
Elève Untel
veuillez me réciter votre table de rien
Rien
rien de rien
reste rien
rien par rien
donne rien
moins que rien
absolument rien
ni plus ni moins
Ça ne vaut rien recommencez
trois fois rien
toujours rien
on n'en sortira pas
il faut partir de rien
et rien ne sort de rien
on n'en sortira rien
remarquez que ça n'ajoute rien
mais ça n'enlève rien évidemment
Ça ne fait rien continuez
c'est presque ça
je vais vous mettre sur la voie
un deux trois
partez
Je crois que j'ai trouvé
quatre cinq six
rien
si
rien pour rien
saint pour cinq
quatre Saint-Cyriens
Elève Untel ce n'est pas mal mais c'est bien lent
vous auriez dû y penser avant
vous n'êtes pas assez sérieux
il faudra que je vous mette au pas
comme eux.
Annoncez que vous allez tout casser
mais attendez
regardez autour de vous
répétez que vous allez tout casser
attendez encore
et puis décidez-vous
prenez un brin de paille
et cassez-le
et dites bien que vous l'avez cassé
tout le monde s'étonnera d'en voir un qui tient parole
on s'inclinera
sur votre passage.
Je vous revois
mon amour d'autrefois
en robe grise avec un reflet mauve
ou quelque chose d'approchant
peut-être rose
(pour un garçon les couleurs vont
ou ne vont pas
mais leur couleur ne compte pas)
une robe aux genoux
rappelez-vous
mon amour d'autrefois
c'était la mode en ce temps-là
un mardi gras
à Bordeaux
il y a longtemps
c'était le mardi gras d'avant mes dix-huit ans
et d'avant vos seize ans
avec un reflet mauve
ou quelque chose d'approchant
le seul jour important de ma vie
pendant longtemps
jusqu'au second exactement
où j'ai compris que le premier
n'était pas très important.
C'était la fin de sa jeunesse il avait pris le train il regardait le quai c'était vraiment la fin car de son point de vue tout le monde partait il avait pris le train et le train le prenait rien d'étonnant au fond puisque c'était la fin (l'ami pas d'amertume et pense au lendemain).
Un serrement de coeur
un mouvement de main
un sourire éperdu vers un autre destin
un croisement de jambe
un bel amour de moins
un brin de souvenir à cacher dans un coin
un moment de regret un moment de chagrin
puis un juron soudain
(comme avec les copains)
un essai de sommeil
un désir de copains
à l'arrivée du train
un visage inconnu qui lui paraît humain
un mouvement du coeur
un serrement de main
l'ami pas d'amertume et pense au lendemain.
Choisir un souvenir précis
et l'embellir
puis l'oublier
de temps en temps y repenser
se demander s'il est parfait
s'apercevoir que non
le retoucher
par addition
par suppression
ou par combinaison
en faire un canevas
pouvant servir une autre fois
le répéter
étudier longuement les possibilités
s'attarder sur les mots-clés
quand le rôle est au point
jouer la pièce au bon moment
et se raidir
en ayant l'air de plaisanter
pour ne pas retomber dans les erreurs passées
normalement on réussit
et l'on obtient un souvenir
absolument vrai
pour raconter plus tard à ses petits-enfants
sinon recommencer
tout simplement.
Le voyage était long
je l'aurais cru plus difficile
le voyage était long
il fallait arriver
on part sans espérer que l'on puisse arriver
car le voyage est long
il paraît difficile
une boucle à boucler
une clef dans sa poche
une poche trouée
c'est un mauvais départ il faut recommencer
on revient dans ses trous
et l'on part au sifflet
et quand on est parti
il suffit de tourner
et l'on arrive un jour
il s'agit d'arriver...
Le voyage était long
je l'aurais cru plus difficile
j'ai tourné très longtemps
et la boucle est bouclée
mais je ne suis pas sûr que la chance ait tourné.
En Avignon
un dimanche d'avril
il y avait du vent
et tout le monde sait que le vent est espiègle
et tout le monde sait qu'une fille jolie
aime bien se montrer aux garçons de son âge
et tout le monde sait qu'un garçon de cet âge
aime bien regarder une fille jolie
il y avait du vent
son foulard est tombé
car tout le monde sait qu'un foulard est léger
et tout le monde sait que le vent est taquin
il caresse les filles il effeuille les roses
et comme il a bon dos pour ce genre de choses
on accuse le vent on efface les causes
elle n'a pas souri
son foulard est tombé
il y avait du vent
je n'ai pas vu le geste
son foulard est tombé
et je l'ai ramassé
il y avait du vent
le reste est oublié
et notre amour c'est un mystère
le mystère d'Avignon
où le vent bon garçon
prend le parti des filles
et celui des garçons.
Une porte a claqué
c'est peut-être un oiseau
un oiseau de passage
peut-être un courant d'air
un rayon de fumée multiplie les visages
une main sur les yeux
on retrouve des airs
on efface des yeux
des yeux nouveaux
des airs anciens
un jeu ancien qui recommence
on perd souvent
drôle de jeu
rien n'est perdu on recommence
(mais si l'on gagne on a perdu)
des yeux anciens
des airs nouveaux
on chante pour l'oiseau
pour l'oiseau courant d'air
qui fait le fier dans la fumée
dans sa cage de fumée
sans voir qu'il est en cage
(et la cage est fermée)
on chante faux comme l'oiseau
une porte a claqué
c'est le soir qui tombait
les oiseaux sont couchés
et le soir est tombé
il ne viendra personne
et l'on va se coucher.
Le soleil fait un métier de chien
il court toujours à la poursuite de son ombre
il n'a jamais connu la fraîcheur de la nuit
la couleur de l'eau claire un dimanche de juin
les pieds nus dans la mousse
auprès d'une fiancée
et l'audace des mains et la douceur des lèvres
et le charme du vent
et la mauvaise foi des regards innocents
avant
après
et quelquefois pendant
il n'a jamais joué à dire je vous aime
comme il est seul
on se moque de lui
on prétend qu'il rougit
de surprendre les rivières
dans leur lit
on a beau dire qu'il se couche
il n'a jamais connu la chaleur de la nuit
il est debout toute l'année
pas un jour de congé
quand il est fatigué on lui permet de s'éclipser
de temps en temps
mais rarement
alors il part en pique-nique
il emporte des croissants
croissants de lune évidemment
qu'il va manger près des nuages
tranquillement
puis il revient sans protester
toujours célibataire
et toujours sans enfant
et se met à tourner comme il l'a toujours fait
à trois postes
ventre à terre
comme s'il travaillait
dans les Houillères.
Il aurait pu se faire un monde différent
où nous aurions couru
dès la jeunesse
le même âge tous deux et le même idéal
nids d'oiseaux
vol de fruits
et les jambes griffées
nids d'oiseaux nids de foin
et les cheveux épars
sauvageons tous les deux et les jambes griffées
pas encore avertis que nous étions heureux
et nous l'aurions trouvé par le même idéal
mêmes jambes griffées
mêmes cheveux épars
il aurait pu se faire un monde par hasard
où nous aurions trouvé le bonheur d'être ensemble
toi qui souris moi qui souris
et le bonheur d'aimer sans attendre qu'on s'aime
il aurait pu se faire un monde par hasard
où nous aurions trouvé la douceur de l'amour
de l'amour quand on s'aime
même sans le savoir.
Le sourire
que tu me reproches si souvent
ce sourire moqueur
si tu savais...
ce n'est pas toi qui le provoques
ni les autres
c'est de moi qu'il se moque...
Il avait toujours su
qu'il est absolument idiot
de n'avoir aucune activité
en dehors de son métier
comme il était coiffeur
il en avait assez
de tailler
de couper
de raser
et le soir venu
pour se reposer
il jouait au barbu.
Nous avons dédoublé la ville
à la limite de nos forces
il faut se résigner aux villes simplifiées
les rues multipliées ont divisé nos rêves
les rues multipliées par cent pas redoublés
si le trottoir d'en face avait changé de place
nous aurions traversé
les rivières sans eau
et les rues sans secret
pour le plaisir de traverser
et de nous retrouver
gros-Jean comme devant
nos rêves divisés
et nos espoirs au vent.
Sur la plage
les enfants jouent et nagent
c'est de leur âge
les pêcheurs font sécher les filets
c'est leur métier
une fille s'étend pour brunir davantage
avant de se baigner
un garçon la rejoint
et lui donne un baiser
ce sont peut-être des fiancés
en voyant les oiseaux de passage
les hirondelles pensent à préparer leur grand voyage
mais volent bas
c'est à cause de l'orage
au large
les chalutiers qui rentrent
aspirent les goélands dans leur sillage
c'est le poisson de vendredi
qui sent mauvais dès aujourd'hui
le vent du sud
gonfle les voiles et les nuages
c'est l'arrivée de l'orage
et tout le monde s'en va
les goélands dans le vent
les chalutiers au port
les hirondelles sous les toits les pêcheurs au bistro
le garçon bras dessus
la fille bras dessous
et les enfants au lit
il ne reste que l'eau
qui fait des ronds dans l'eau
et le paysage gris
noyé
pins mouillés grains de brume
qui se perd lentement
corps et biens dans la pluie
corps et biens dans la nuit.
Pour revenir
de loin comme de près
il s'agit d'en partir
même sans bouger
car on peut revenir de beaucoup de pays
où l'on n'est pas allé
la grosse difficulté
précisément
c'est de ne pas y rester.
Je ne sais pas écrire des poèmes
avec des majuscules à chaque ligne
comme on voit dans les anthologies
accompagnées
de commentaires
indulgents ou sévères
sur le nième pied du
pqième vers
alors j'écris comme je peux
j'écris ce qui me plaît
quand la rime s'enfuit
je la supprime
si une rime vient
je la renvoie
un peu plus loin
ou je la garde pour une autre fois
quant aux pieds n'en parlons pas
suivant les cas
j'en ajoute
j'en retranche
ça dépend du moment
de la pluie du beau temps
ça dépend quelquefois tout simplement
d'une chanson que j'entends
d'une fille qui la chante
d'une autre fille qui chantait
des jours anciens où j'essayais de l'aimer
en alexandrins
désespéré
de ne pas avoir
six doigts
à chaque main.
Rue de la Clède
à la Grand'Combe
une fille a souri
comme sourient les jeunes filles
quand elles sont aimées
au hasard
à la rue
à l'étranger
ses yeux ont éclairé
les cendres le charbon le brouillard la fumée
qui pèsent lourdement
sur le ciel de la ville
de Ricard à Trescol
et du Fesc à la Pise
à n'importe quelle heure
par n'importe quel temps
et sans espoir de changement
A la Grand'Combe
on devine des pas dans le brouillard de l'aube
et les ombres s'effacent enrobées de fumée
Sainte Barbe protégez-les
à la Grand'Combe
dans le Gard
le charbon tombe sur la ville
sur les maisons
dans les jardins
sur la cellule et sur l'église
et que Dieu retrouve les siens
les cendres tombent sur la ville
sur les vivants et sur les morts
les uns vivant comme des morts
les autres morts Dieu ait leur âme
A la Grand'Combe
dans les Cévennes
où le Gardon refait son lit
à chaque pluie
une fille a souri
pourquoi parler du reste
un sourire suffit à balayer le ciel.
Dimanche de juillet
ciel bleu violet sur Montpellier
l'étang de l'Or
s'endort
sous les bulles de vase
Carnon et Palavas grouillent de nudité
dimanche de juillet
au pied du Mont Saint-Clair
où nichent les colombes
se pose un pétrolier
l'Espiguette s'élance à l'assaut d'un nuage
mirage délié
dimanche de juillet
nos jambes se retrouvent
et le désir latent de la foule anonyme
unit enfin nos corps
pour une brève éternité
nous nous sommes aimés
pas très loin de Montpellier
un beau dimanche de juillet.
En Alès
Alès la rouge aux franges de misère
le Gardon dérisoire au pied de l'Ermitage
imagine parfois des caprices d'enfant
pour se donner de l'importance
et le mont Ricateau
Larousse des Cévennes
semant à tous les vents
des trombes de poussière
apprend aux étrangers
qu'Aies la mal aimée est issue de la terre
qu'Alès Alès la rouge est tissée de misère
En Alès
Alès la rouge aux sursauts de colère
on ne rêve jamais de paradis lointain
et quand les joues se creusent
et les cabas se vident
on passe dans les rues en hurlant à la mort
sans que personne ait tort
et personne raison
Alès la camisarde est fille du désert
Alès Alès la rouge est gorgée de misère
En Alès
Alès la rouge aux portes de l'enfer
on s'accroche toujours aux restes du passé
Alès est capitale
et le Gardon est fleuve
et tant pis si l'on demande un jour
pourquoi la fière Alès n'est plus qu'un cimetière
Alès
Alès la rouge
sera morte
de misère.
Au tournant de la route
une fille attendait
elle faisait signe aux voitures qui passaient
mais aucune ne s'arrêtait
les voitures ne s'arrêtent pas dans les tournants
excepté celles des imprudents
et la fille attendait
car un garçon prudent
n'aurait pu l'embrasser
en lâchant le volant
je me suis arrêté
au tournant
au tournant de la route
où la fille attendait
un imprudent
et depuis ce jour-là
je conduis un gendarme
quand une fille attend sur le bord de la route
mon gendarme déclare
en me pinçant le bras
qu'on ne s'arrête pas
dans un tournant
même s'il est en ligne droite.
Sur la plage de la Salie
un jour de mauvais temps
au début de septembre
nous avons joué comme des enfants
et le sable cinglait nos jambes
mouillées par les embruns
puis les grains de suroît
sont venus par rafales
la côte a disparu
et nous avons rêvé
d'être des naufragés
heureux d'avoir fait naufrage
puis nous avons rejoint
le hâvre de l'auto
et nous avons souri d'être toujours vivants
et nous avons mêlé le sel de nos visages
pour remercier l'amour
de nous avoir sauvés.
Avant de te connaître
comme je te connais
la vie pour moi était un jeu
si l'on obtient ce qu'on désire
on marque un point
en cas d'échec c'est l'autre qui le marque
on fait le classement à la fin de l'année
et la vie continue
à travers les saisons
avec l'espoir -- un jour -- d'une grande victoire
avant de te connaître
comme je te connais...
maintenant tu as détruit tout mon système
tu te moques de moi
je t'aime
la vie n'est pas un jeu
et je ne sais plus vivre.
Si le temps a passé
je suis resté le même
j'aime Cazaux plus que jamais
je regrette son lac
son chêne
et la douceur d'y vivre
(ô douceur cazaline)
mais on ne peut pas faire ce qu'on veut
comme on le veut
même si on le veut
et je passe ma vie à me jeter à l'eau
ce n'est pas à Cazaux
et j'écris tendrement
des vers qui n'en sont pas
où se cache parfois
entre deux assonances
le souvenir vivant
de mon plus cher amour.
Il n'y a plus grand monde sur terre
que je puisse aimer
d'un amour sincère
désintéressé
ma mère nous a quittés
mon père est seul
mais les hommes ont un amour rugueux
silencieux
qui se traduit parfois en tapes sur l'épaule
les jours de grande joie ou de grande détresse
il reste ma filleule
elle a sept ans
des cheveux blonds
quand nous jouons ensemble elle m'appelle Claude
elle cherche parrain pour être protégée
et elle me dit vous quand elle est en colère
ma filleule n'a pas connu son père
et je l'aime de tout mon cour
en souvenir de son père
évidemment
mais aussi probablement
parce qu'elle ressemble à sa maman
qui ne m'aime pas.
La pluie tombe
au-dessus de nos têtes
tu te moques de moi
car je suis du pays de la pluie
mais c'est une autre pluie
douce comme ton corps
fine comme les herbes
une pluie d'océan ou une pluie de ciel
l'océan et le ciel se rejoignent au large
une pluie de genêt de fougère et d'ajonc
une pluie de soleil
si tu la connaissais
mais il pleut
sale pluie
la pluie de Montpellier qui ne sait pas jouer
et qui tombe comme de l'eau
qui ne sait pas tomber
et se casse les gouttes
à tous les coins de mur
tu te moques de moi
je devrais m'en aller
mais il pleut
ce soir
à Montpellier
et je reste avec toi
à rêver de la pluie
la pluie de l'océan
la pluie de mon pays
douce comme ton corps
quand nous dormons ensemble.
D'où je viens je reviens
et je vais où je veux
à pied
à cheval
ou en voiture
et je cherche partout
la pin-up de ma vie
sans grand succès
évidemment
car si elle est ici
je pourrais être ailleurs
et si j'étais ailleurs
je ne la verrais pas
après tout c'est mon droit
de partir où je veux
quand je veux
je ne fais pas de mal
et je ne me plains pas
et si vous critiquez
la façon dont je vis
ne vous inquiétez pas
je partirai bientôt
pour vous débarrasser
à pied
à cheval
ou en voiture.
Le temps
le temps de voir
le temps d'aimer
le temps tout simplement
d'avoir le temps
et de flâner
du Peyrou aux Arceaux
de Figuerolles à Boutonnet
Le temps
je demande le temps
de marcher de rêver
dans les rues tranquilles
de Montpellier
le temps
je veux trouver le temps
de respirer le vent
parfumé de garrigue
Viols-le-Fort
Saint-Gély
Pic-Saint-Loup l'endormi
je demande le temps
de connaître vos rêves
au hasard du printemps
aujourd'hui ou plus tard
mais un soir de printemps
au parfum de garrigue
quand le soleil descend
sur la route de Ganges
et que la nuit se glisse
entre deux rangs de vigne
grenache carignan
cabernet ou hybride
quand le midi s'endort
sans penser au matin.
Vous jouez aux comiques
ô tristes clowns sans âme avides de plaisir
besogneux dépassés d'un avenir exclu
amusants quelquefois à force de bêtise
mais tristes plus souvent de désir avoué
cessez donc de jouer
des rôles mal conçus
un clown est un acteur
plus humain que les autres
dont le coeur mal fichu
est ébloui d'amour
il déchire son coeur aux rires inconscients
espérant seulement le rire d'Isabelle
un seul jour
un seul rire conscient que lui seul entendra
vous jouez aux comiques
ô tristes clowns sans âme avides de plaisir
cessez donc de jouer
des rôles mal conçus
vous ne saurez jamais
vous déchirer le coeur.
L'ingénieur en chef de l'arrondissement de Clermont-Ferrand, Sylvain Stevenard, décède subitement, et Claude Daunesse doit le remplacer au pied levé. Daunesse constate sur place la médiocrité su travail de son prédécesseur.
Un Ingénieur en Chef
est mort
un nouvel ingénieur
est appelé
à peigner
quel drôle de métier
pour un ingénieur
j'ai l'honneur d'accuser...
vous m'avez fait connaître...
comme suite au passé...
reeevez cher monsieur...
j'ai l'honneur d'accuser
mes anciens d'inconscience
vous m'avez fait connaître
un enfer d'intentions
comme suite au passé
oublions le passé
recevez cher monsieur
le pardon de vos fautes
et Dieu veuille sauver
ce qui reste à sauver
car les hommes sont faits
pour condamner les hommes.
En août 1958, Daunesse doit quitter précipitemment Clermont-Ferrand pour aller prndre la direction de l'Arrondissement minéralogique et de l'Ecole des mines de Douai, à la place de Henri Nicolas.
J'aurais voulu connaître une douceur de vivre
ici plutôt que là
puisque je viens d'ailleurs
de Gaillard à Delille
ou de Jaude aux Salins
mais je vieillis chaque matin
chaque pas dans la nuit
éloigne ma jeunesse
je rencontre partout des visages fermés
je n'étais pas méchant
Auvergne
et tu m'as cru
ton ennemi
je n'étais qu'un enfant perdu
chaque pas dans la nuit déchire mon coeur d'homme
il faut vivre pourtant comme vivent les hommes
un peu de souvenirs
et beaucoup d'illusions
il faut vivre je vis
mais l'enfant s'est perdu
et l'homme est sans pitié
pour trouver son chemin.
Nous n'avons rien de distinct
au sens propre
ni amour propre
ni sens commun
nous n'avons rien de commun
à première vue
ni double vue
ni distinction
car il n'y a rien de tel que les comparaisons
pour faire diverger toutes les convergences
car il n'y a rien de tel que les comparaisons
pour faire converger toutes les divergences
et nous vivons ensemble.
La grande ressemblance
entre une différence
et une ressemblance
c'est que la différence
masque la ressemblance
et que la ressemblance
masque la différence
La grande différence
entre une ressemblance
et une différence
c'est que la ressemblance
admet la différence
et que la différence
omet la ressemblance.
Je ne sais plus très bien
où est la vérité
il est bien évident que le monde est absurde
et que la vérité est proche du mensonge
il est tout aussi clair que la vie est très simple
et que l'amour d'aimer est le secret du rêve
mais on ne sait jamais
où est la vérité
(on sait ce que l'on sait
et l'on n'en sait pas plus)
si le rêve d'un jour
vaudra le lendemain
si la marque du temps
supporte l'aventure
si l'aventure même est un reflet du temps
ou si plus simplement à défaut d'une flamme
on forge le futur en fonction du présent
je ne sais plus très bien
où est la vérité
il est bien évident que le monde est absurde
il est tout aussi clair que la vie est très simple
et dans l'amas confus d'un faisceau d'évidences
je crois qu'il faut choisir
qu'il suffit de penser
que le monde est absurde
et que la vie est simple
et vogue la galère.
Voici l'expérience managériale du directeur des mines du ministère de l'Industrie :
Le même homme
ne peut pas être
partout à la fois
à l'envers à l'endroit
au four et au moulin
côté cour et côté jardin
il ne peut pas savoir
tout ce qu'il faut savoir
être et avoir été
quand arrive l'automne
au courant de l'hiver
au parfum du printemps
on ne joue pas avant comme on jouerait arrière
l'essentiel est le jeu
tel qu'il faut le jouer
et il faut le jouer en fonction de l'équipe
qui doit à tout instant
se battre pour gagner
dans les règles du jeu
et jamais en dehors
car les bornes passées
il n'y a plus de limites.
Dans la vie
tout se présente en même temps
l'être ou le néant
le beau temps et le mauvais temps
un visage songeur
un rire qui éclate
un système qui meurt
un autre qui renaît
dans la vie d'un dauphin
un requin est un homme
et dans la vie d'un homme
un requin est un loup
tous les loups sont dans la nature
et meure l'amitié.
Un qui n'a pas souffert
décalque la puissance
un qui n'a pas souffert
ranime la violence
un qui n'a pas souffert
abolit l'espérance
un qui n'a pas souffert
suscite la vengeance
un qui n'a pas souffert
engendre la souffrance.
On peut se poser
des tas de problèmes
problèmes futurs
problèmes passés
on peut se poser
des problèmes vrais
le problème final
qu'il convient de poser
est de savoir pourquoi
les problèmes se posent.
If you can keep your head
et si tu es un homme
tu dois te demander
si je ne suis pas fou
I know I am not mad
et que le monde est fou
Ich will nicht arbeiten
pour un monde en folie
la vie est difficile
et les hommes sont frères
you'll be a man my son
et je compte sur toi
¿ y por qué discutir
y por qué trabajar ?
parce qu'il vient un jour
où le plus délicat
quittant toute vergogne
doit retrousser sa manche
et faire la besogne.
Les choses sont
ce qu'elles sont
les choses sont
comme on les voit
les choses sont ce qu'elles sont
les choses sont en ligne
les choses sont comme on les voit
les choses sont en file
les choses sont comme on les voit
les choses sont en ligne
les choses sont ce qu'elles sont
les choses sont en file
quand je veux m'amuser
je vois les choses
en diagonale
et quand je suis sérieux
j'imagine des graphes
je ne suis jamais sûr de garder mon sérieux
les choses sont comme on les voit
les choses sont
ce qu'elles sont.
Je suis dans mon pays
je regarde le port
dans la seule prison des digues du passé
je suis tout ébloui par la blancheur des tuiles
je suis dans ma maison
je regarde le port
je suis dans mon pays
je regarde mon port
les pinasses sont là
comme dans le passé
rien n'a beaucoup changé
mais tout a bien changé
car le passé n'est plus
et des choses sont mortes
je suis tout ébloui par mon amour d'aimer
j'adorais tout petit l'envol des tourterelles
mon Dieu je m'en souviens
j'aimais ces tourterelles mon Dieu
je m'en souviens
j'adorais leur envol
je suis un exilé car les hommes sont bêtes
mais je dis qu'autrefois
on pouvait se tromper
j'adorais pour ma part l'envol des tourterelles
et j'aimais mon pays
avec ses arbousiers
mais je dis
car je dis
quand j'ai envie de dire
que j'aime beaucoup plus
mes erreurs de jeunesse
que l'aspect fabriqué des choses du présent
je dis
car je le dis
que ces choses sont bêtes
et que j'aime au-delà de l'avenir truqué
l'amour
le simple amour
des choses naturelles
par exemple
l'envol
le simple envol
des pauvres tourterelles.
Les choses sont des choses
et les rêves des rêves
les choses sont des rêves
et les rêves des choses
si tu n'es pas d'accord
je ne suis pas d'accord
Les hommes sont des hommes
et les hommes sont hommes
tu te fais des idées
je me fais des idées
si tu n'es pas d'accord
je ne suis pas d'accord
car cela signifie
que nous ne parlons pas
des mêmes choses.
Quand on est technicien
et qu'on voit un problème
on l'appelle pb
et pour l'apprivoiser
on ajoute petit
il finit quelquefois
par vous trouver gentil
et quand on est sérieux
et qu'on sait ce qu'on veut
on sort son grain de sel
qu'on lui met sur la queue
quand on est technocrate
et qu'on voit un problème
on ne l'appelle pas
on le laisse venir
car il peut déboucher
il finit quelquefois
par se poser vraiment
et quand on est sérieux
et qu'on veut ce qu'on veut
on raconte partout
qu'on l'avait toujours dit
quand on est technicien
on piège l'ortolan
quand on est technocrate
on chasse l'éléphant
quand on est diplomate
et qu'on a tout son temps
on échange indifféremment
des moineaux contre des éléphants
et réciproquement
on est toujours perdant
on est toujours gagnant
Devenu un pirate
on finit trafiquant
tout simplement
et l'on garde pour soi
les ortolans.
Un problème
est un problème
quand on l'aime
sinon c'est un embêtement
tout simplement
et vous m'avez compris
comme dirait quelqu'un
qui pose des problèmes
un problème
quand on l'aime
et l'on aime quelqu'un comme on aime un problème
un problème parfois
est surtout un poème
un poème
est un poème
quand on l'aime
sinon c'est un embêtement
tout simplement
et vous m'avez compris
comme je le disais
moi qui joue aux poèmes
un poème
quand on l'aime
et l'on aime quelqu'un comme on aime un poème
un poème parfois
est surtout un problème.
Mon Dieu
je ne sais plus
si je peux discuter
mon Dieu
je ne sais plus
car j'ai peur des bêtises
je ne suis qu'un gamin
et j'ai peur des salauds
je ne suis qu'un gamin
et les hommes sont vaches
mon Dieu
mon Dieu
je voudrais discuter
je voudrais discuter
car les choses sont là
on peut se demander
et comment et pourquoi
mais les choses sont là
et les hommes sont vaches
pardonnez-moi mon Dieu
mais les choses sont là
mon Dieu
je ne sais plus
si je peux discuter
mais puisque je suis seul
et que j'aime la vie
mon Dieu
pardonnez-moi
même si je me trompe
pardonnez-moi mon Dieu
je défendrai la vie.
Le rêve le plus beau
est toujours le plus simple
car il ne reste rien
au-delà d'un beau rêve
qu'un rêve
un simple rêve
un rêve sans emploi
réflexion sans emploi
rêve sans plate-forme
le rêve est au présent
le refus du passé
et pouvez-vous jurer
vous qui jouez aux rêves
qu'un rêve n'est qu'un rêve
et non pas un juron
le rêve est au futur
le présent du passé
le rêve le plus beau
est toujours le plus simple
un rêve
un simple rêve accroché au présent
un rêve d'avenir fondé sur le passé
un rêve d'être sûr
un rêve d'être bon
un rêve un simple rêve
appuyé d'un juron
un rêve de la vie
comme on voudrait la voir quand on aime les rêves
un rêve de la vie comme on voudrait la vivre
la vie la simple vie
comme on la vit parfois
à l'occasion d'un rêve
quand on aime rêver.
Tu vois nous allions
tous les deux
ensemble
par les sentiers diffus de notre maïeutique
nous allions
tous les deux
le monde est ainsi fait
qu'il faut aller ensemble
et nous sommes allés
par les sentiers touffus
et sous le feu roulant des questions importunes
nous avons hésité dans le soleil couchant
des vents se sont levés
avec des airs méchants
et des cornes de brume
dans le soir vieillissant
où se glisse la lune
nous avons hésité
dans la nuit opportune
des vents se sont levés
commence l'aventure
des vents et des idées
des idées et des mots
des mots sans prétention
et des mots compliqués
commence l'aventure
car les mots sont des mots
même sans prétention
et bien souvent abscons
comme la lune.
La poésie est là pour dire en quelques mots
ce qu'on dit plus souvent en vagues périphrases
poésie
poésie
je rêve de ton nom
poésie
je dis ce que je sais
en termes plébéiens
je dis ce que je fais
car je suis un prolo
poésie
je fais ce que je sais
je ne sais ce qu'ils font
je ne sais ce qu'ils voient
je ne sais ce qu'ils ont
poésie
je me tue à prévoir
l'avenir raisonnable
je me tue à prévoir
et sauf un homme vrai
que j'aime comme un frère
poésie
je me tue à prévoir
sans respecter la forme
et sauf ce camarade
à aimer comme un frère
je suis un pélican dévorant ses enfants.
Il y a des gens qui font
et d'autres qui défont
pour défaire on peut dire
on peut dire
o mon Dieu
o maman o papa
on peut dire jacquot
quand on est perroquet
on peut dire j'ai fait
j'ai fait tous les efforts
j'ai eu tous mes effets
et c'est moi le plus fort
mais pour faire il faut faire
et l'on doit réfléchir
pour savoir ce qu'on fait
car faire ce qu'on fait
en sachant qu'on le fait
c'est faire ce qu'il faut
en sachant qu'il le faut
il le faut
on le sait
on le fait
et c'est tout
on le fait
et d'autres le défont
on le fait
et c'est tout
car rien ne peut défaire une façon de faire.
Le poète disparaît
comme tout un chacun
Quand chacun meurt
reste son souvenir
qui s'estompe dans le temps
Quand le poète meurt
reste son message
que rien ne peut effacer
Ce message
une voie tracée
pour ceux à qui il est destiné
s'ils le comprennent