D'après des informations fournies par Jean Chauveau :
Il naît et poursuit ses études (notamment avec Maurice GIGNOUX) à Grenoble où il se marie en 1930 avec Germaine DODERO (1900-1983). Ils ont 4 enfants : Jean-Louis (1931-2001, agrégé d'histoire, docteur ès-lettres et professeur à Paris-Vincennes), Michelle (née en 1934 ; épouse de Jean CHAUVEAU), Magdeleine (née en 1937 ; épouse de Jean-Louis BERNIER) et Paul (né en 1941 ; chirurgien-dentiste à Lyon).
Il prépare sa thèse de géologie en Alger tout en travaillant au service de la carte géologique. Cette thèse, sur le nummulitique du Sud-Algérien, sera soutenue tardivement après la guerre et a reçu un prix.
Il passe 20 ans en Algérie avec sa famille (1930-1950), en collaborant notamment avec le BRGM. Détaché par l'Université à Strasbourg, puis à l'IFP de Rueil-Malmaison, il forme des ingénieurs géologues de l'ENSPM et collabore aux travaux du Bureau des Etudes Géologiques. Il termine sa carrière universitaire à Lyon, où il crée la chaire de géologie appliquée. Il prend sa retraite en 1973. En 1978, ses anciens collègues et étudiants font paraître un livre jubilaire en son hommage : "Les sédiments, leur histoire, leur environnement et leur devenir".
Au sein de l'Encyclopédie NRF de Gallimard (La Pléïade, Raymond Queneau), il a collaboré au volume "La Terre" (chapitre Hydrocarbures) sous la direction de Jean GOGUEL.
Officier engagé dans l'armée du Maréchal Juin, il a fait toute la guerre d'Italie. Après sa démobilisation, la thèse qu'il a soutenue en Sorbonne sur le Nummulitique dans le Sud-Algérien lui a valu le prix Fontannes décerné par la Société géologique de France, en 1949.
1908...1978
En l'année 1973, Jacques Flandrin, professeur de géologie à la Faculté des Sciences puis à l'Université Claude-Bernard de Lyon, quittait le service actif pour bénéficier d'une retraite méritée, laborieuse et heureuse.
A l'occasion de ce départ, tout le personnel du Département des Sciences de la Terre avait tenu à manifester au professeur Flandrin sa sympathie et son attachement au cours d'une cérémonie privée à laquelle participait le professeur Georges Millot. Alors fut décidé de rendre un hommage plus large à l'un de nos maîtres : un livre jubilaire traduirait cet hommage et serait réalisé pour l'année du 70e anniversaire de Jacques Flandrin.
Les chercheurs du Département des Sciences de la Terre de Lyon, les amis et les élèves du professeur Flandrin furent sollicités ; beaucoup répondirent ; le résultat est le présent livre, modeste traduction d'une profonde sympathie.
1978...
Hommage à Jacques Flandrin
Voici un petit dialogue de Jean Giraudoux, dans « Electre ».
« Comment cela s'appelle-t-il, quand le jour se lève comme aujourd'hui, et que tout est gâché, et que l'air partout se respire, et qu'on a tout perdu, que la ville brûle, que les innocents s'entretuent, mais que les coupables agonisent, dans un coin du jour qui se lève ?
—- Cela a un très beau nom, répond le mendiant, cela s'appelle l'Aurore ».
Chaque jour est une aurore. Et chaque jour est une douleur. Et chaque jour, se mêlent la joie de l'aurore et la crainte de demain. Aujourd'hui, c'est une aurore. Parce que c'est une fête, la fête de notre Maître et Ami, Jacques Flandrin. Et les jours de fête, le rythme de la vie se calme et l'on peut réfléchir.
Eh bien, oui, j'ai réfléchi. J'ai cherché à savoir où Jacques Flandrin était né ! Curieuse préoccupation. Le Directeur vient de dire que ce fut à Grenoble. Mille indices me font soupçonner qu'il n'en est rien. J'ai été si frappé, depuis vingt ans que nos liens se sont serrés et affinés,
— par cette raison nuancée,
— par cette rigueur dans la distinction, entre le domaine scientifique qui nous est commun, et celui de nos choix philosophiques, qui nous sont personnels
— et aussi par cette disponibilité à écouter, à aider, à comprendre et à donner,
que j'ai d'abord pensé que Jacques Flandrin était né en Grèce. Mais, s'il y a en toi une part de grec, je crois qu'il est plus juste de songer que tu es né à Alexandrie ! D'ailleurs ton visage recèle tes origines : teint basané, visage mobile, regard et chevelure : tout ceci est propre aux hommes du soleil levant.
Il me faut maintenant vous démontrer que Jacques Flandrin est né à Alexandrie.
La Grèce était tentante : « Cette Grèce où nous sommes nés ». Tel est le titre d'un livre de Monsieur Thierry Maulnier, qui manie une langue admirable. Athéna, la déesse éponyme, est fille de la raison, et non l'inverse comme c'est le cas des dieux de l'Orient. Elle apporta l'olivier dont l'huile fait la lumière, aidée par son oiseau, que n'effraient pas les ombres, car il voit la nuit. C'est dans les vallées rocheuses, ouvertes sur la mer et dans les collines brûlantes de la Grèce, c'est dans cet Univers mesuré, que l'humanité a inventé le premier humanisme et le premier rationalisme. Il ne s'agit pas seulement de l'Acropole poétique de Renan, mais de l'Acropole héroïque que nous connaissons mieux aujourd'hui, car Athéna veille sur les ténèbres et sur l'Asie menaçante, la lance à la main.
On nous a maintes fois redit que la pensée grecque avait « apporté aux hommes la claire ordonnance et le juste agencement des idées et des choses ». Oui, mais il n'y a pas de mesure sans passion à réduire, pas d'harmonie sans tension résolue, pas de raison sans ardeur à tempérer. La Grèce est un combat poursuivi, contre les monstres des premiers âges, on les humanisa en centaures, contre nos monstres intérieurs, contre l'Asie toute proche, qu'il fallait contenir en s'en nourrissant. « La Grèce à vécu son classicisme non comme un bonheur, mais comme une angoisse », forgeant son équilibre et sa raison comme un défi à l'obscurité, à la faiblesse et à l'éphémère.
Et c'est bien ainsi que nous te connaissons. C'est pourquoi tu es grec. Mais, ce portrait n'est pas complet. Il y a plus. Car les Grecs logeaient encore les dieux dans la nature : le soleil et la lune étaient pour eux divins. Les Grecs croyaient à l'Eternel Retour des choses et des idées. Les Grecs, hoplites, commerçants et pirates, n'étaient pas les hommes du Partage.
C'est ainsi que j'ai cherché dans les grandes cités méditerranéennes, où quelques siècles plus tard, se fit le mariage entre le rationalisme grec et le dynamisme oriental. Et parmi ces cités, il n'est pas plus florissante qu'Alexandrie, où, dans les premiers siècles de notre ère, des communautés judéo-chrétiennes parlant grec, connurent un épanouissement extraordinaire. C'est là que fusionnèrent l'héritage de la Grèce et le souffle de l'Orient. Et ce merveilleux rebondissement du passé parvint, grâce aux Arabes, par l'Espagne, jusqu'à saint Thomas et Descartes. Nous en fûmes transformés, au point que c'est ainsi que l'aventure scientifique devint possible.
Les trois nouveautés considérables qui venaient d'Orient, renouveler et animer l'hellénisme dans ces grandes métropoles romaines sont les suivantes :
1) Le sens de l'Histoire au lieu de l'Eternel Retour : au lieu du cycle fatal, un destin, une histoire, une évolution. Il n'est que de prononcer ce mot pour sentir à quel point il nous anime. L'évolution est le fondement de tous nos travaux. Elle a tout envahi et, non sans mal, récemment, l'Eglise elle-même.
2) La notion capitale que Dieu, c'est « tout autre chose ». Dieu n'est pas le monde, il n'est pas du monde. Il est transcendant, impossible à décrire, à dire et même, selon une tradition biblique, impossible à nommer. Du même coup, le champ est libre au travail des hommes sur le monde. Descartes devint possible. C'est l'aurore de la Liberté et de la Science.
3) Le sens du partage, de la communication, du don et de la communauté universelle. Victoire de l'esprit sur la tribu et le clan. Un homme se grandit, s'il donne. Un groupe se fortifie, s'il communique, s'il échange avec le groupe voisin, ses idées, ses ressources, ses femmes même, comme nous le montrent les ethnologues modernes.
Tels sont bien les courants que tu illustres parmi nous, mon cher Jacques, je pourrais dire Jacques d'Alexandrie. Tu me parais résumer en ta personne ces deux traditions qui nous viennent de la Grèce et de l'Orient par Alexandrie. Et c'est pourquoi nous t'aimons et te respectons. Aucune autorité n'est accordée à celui qui n'illustre pas, tout à la fois, la raison, le sens de l'avenir, et le don. Et tu le fais chaque jour, au service de la communauté des Sciences de la Terre. C'est en son nom que je parle. Permets-moi d'ajouter que, dans une période de ma vie, où j'avais besoin de lutter à la fois contre ma faiblesse et les dangers de la raideur, ta présence à mon côté a été un immense bienfait.
Nous sommes à l'aurore, et tu passes, au long du sentier où tu chemines depuis des années, par un col rocheux. Derrière toi, s'étale un paysage longuement parcouru, que tu regardes avec émotion. Devant toi, une fois le col franchi, s'ouvre, illuminé par les doigts de rosé de l'aurore, un nouveau paysage.
N'aie pas de crainte, ce paysage nouveau, c'est le même, et nous y sommes avec toi. Je t'embrasse.
à Lyon, le 15 novembre 1978
Georges Millot.