Daniel DUCRET (décédé en 2011)

Ancien élève de l'Ecole des mines de Saint-Etienne (promotion 1965). Ingénieur civil des mines.


Publié dans MINES Revue des Ingénieurs, novembre-décembre 2011, n° 457

Au milieu de cet été 2011, une triste nouvelle nous est parvenue : le décès de notre ami et camarade Daniel Ducret, terrassé par le mal contre lequel il combattait depuis des années.

Sa famille a reçu de nombreux témoignages d'affection, en particulier de ses camarades des Mines, que nous citons pour leur spontanéité : "Un Daniel toujours en mouvement, passionné et respirant la joie de vivre", "Trop malheureux... le plus beau qui s'en va", "Son sourire si amical", "Les nombreux matchs de volley", et surtout "Sa vraie gentillesse".

Trois années durant nous avons partagé avec toi, Daniel, la vie communautaire de la Maison des Élèves. Venant d'horizons très divers, chacun avec sa personnalité et son caractère, nous y avons tissé des liens passés au crible des affinités électives, mais tous, nous gardons de toi l'image d'un homme sachant concilier exigence et rectitude avec participation joyeuse aux fantaisies du folklore estudiantin. À l'École, ton brio intellectuel, toi qui fus admissible à l'X à 19 ans, t'interdisait de t'enthousiasmer à l'idée de subir certains cours, et tu ne fus pas le dernier à jouer avec le Chat au petit jeu des signatures sur le cahier de présences sûrement relégué au magasin des antiquités depuis des décennies.

Sans doute, le souvenir le plus indélébile pour nous tous sera ta passion de la belle mécanique à quatre roues, et des voitures que ton père retapait pour toi. De l'une à l'autre, sans ostentation, tu montais en catégorie, jusqu'à avoir ce qui était l'un de tes rêves : la R8 Gordini bleue, forcément bleue, avec ses deux bandes blanches. Nous n'oublierons pas le soin dont tu l'entouras jour après jour, ta fierté contenue de nous inviter à y prendre place, ni ton regard quasi désespéré quand, des mois plus tard, le verdict tomba d'une culasse fendue, irréparable.

Après ces trois années ensemble, une autre vie a commencé, nous éloignant les uns des autres. Heureux ceux qui sont restés dans ton voisinage, et ont pu ainsi engranger des souvenirs impérissables. Strasbourg et ta mission d'ingénieur-conseil aux Dernières Nouvelles d'Alsace, nos rencontres entre amis et le partage de souvenirs familiaux, la naissance de Johanna que l'on promenait avec Nad, ton épouse, dans le parc de l'Europe. Ton entrée en 1973 dans le groupe Rhône Poulenc, Saint Cloud et l'arrivée de Julie, puis Mantes et tes problèmes de chef de fabrication avec l'électricité statique des films plastiques qui défilaient à la vitesse de l'éclair. Ce fut ensuite en 1980 la chimie de base à Rouen-Grand Quevilly où tu dirigeas le service technique de développement de procédés et ventes de licences (acides sulfurique et phos-phorique, acide pur, engrais, etc.). En 1983, tu es nommé à Paris Chef de secteur au Département Phénol-Intermédiaires chlorés avec responsabilité industrielle à Pont de Claix et Roussillon.

En 1987, tu pars à Dakar, en qualité de Directeur Général de la Société Sénégalaise des Phosphates de Thiès, société d'économie mixte : État du Sénégal-Rhône-Poulenc, fonction élargie ultérieurement à celles de DG Rhodia SA à Abidjan et Délégué Régional Rhodia pour l'Afrique de l'Ouest.

Ce fut la découverte d'un autre monde, économique, politique et social.

Une expérience professionnelle et personnelle de 12 ans intense et diverse : la direction de l'entreprise, les collaborateurs et personnels, la production et les relations commerciales à l'ex-port en Europe et en Asie mais aussi les charges liées à ta fonction de Secrétaire Général puis de Président de la section des Conseillers du Commerce Extérieur de la France. Durant ces années, marquées par la qualité et parfois l'apreté des relations humaines, forçant le respect des autres au-delà des différences culturelles, religieuses et sociales, tu trouvas mille occasions d'exercer tous tes talents d'homme de bien et de justice.

Le retour en France devait apporter la sérénité. Alors est arrivée la maladie. Tu as pris cette nouvelle aventure à bras-le-corps, rien de tragique au fond, rien que la vie. Dépassant l'infinie fatigue des traitements à répétition, tu continuas à t'intéresser à chacun, en particulier aux projets de tes filles et aux progrès et bons mots d'enfant de ton petit-fils. Il nous l'a dit : pour lui, tu es maintenant «La plus belle étoile du ciel».

Nous aimions ta modestie et ta façon de ne pas te prendre au sérieux, le signe le plus irréfutable de la vraie intelligence qui ne se méprend pas des distinctions et des honneurs que tes mérites et ton action professionnelle ont justifiés.

Nous aimions nos discussions amicales, parfois vives qui ne nous ont néanmoins jamais divisés. Nous aimions ta rigueur d'analyse et ta lucidité sur un monde du travail que, parfois, tu ne reconnaissais plus tant il était aux antipodes de celui que tu as contribué à faire vivre, loin de la réflexion convenue et de son instantanéité, donnant du sens à l'action et de la valeur aux personnes. Ce monde, tu y avais construit ta place, une grande place, au milieu de ceux que tu estimais et qui savaient si bien te le rendre.

La dernière leçon que tu nous as donnée est celle du courage surhumain face aux démons qui, de coups de boutoir en assauts effrénés, ont fini par avoir raison d'une forteresse que nous avons voulu croire inexpugnable. Cette leçon-là nous ne n'oublierons pas non plus.

Tant que nous vivrons, nous nous souviendrons de toi, Daniel. Tu restes présent en nous, dans notre vie, notre mémoire et nos rêves.

Non, Daniel, ton regard bleu, si bleu, ne s'est pas éteint.