Ingénieur civil des mines diplômé de l'Ecole des Mineurs de Saint-Etienne.
Paru dans Grands Mineurs Français, 1948.
Les houillères de Montrambert doivent leur fortune à Félix de Villaine, qui sut, le premier, tirer parti d'un gisement qui était riche mais ne s'accommodait point des techniques habituelles. Une fois découverte la méthode convenable d'exploitation, la mine jadis déshéritée devait prendre place parmi les plus prospères de France.
Félix de Villaine ou Devillaine, inventeur de cette méthode, appartenait à une famille originaire du Midi, réfugiée dans la Loire au commencement du XVIe siècle.
A l'âge de treize ans, il perdit son père, qui était notaire du canton de Montagny. Sa mère, demeurée seule avec quatre fils, le confia au petit séminaire de L'Argentière. Il en sortit bachelier es philosophie en 1843.
Après bien des hésitations, il se décida alors à devenir ingénieur des mines et entra au collège de Saint-Etienne, dans la classe préparatoire à l'Ecole des mines. Une déception l'y attendait : s'il avait étudié à fond le grec et le latin à L'Argentière, il n'y avait acquis que peu de notions de mathématiques. Cependant, après une dure année de labeur, il réussit à entrer à l'Ecole des mines avec le numéro 15 sur vingt. Pendant sa première année, il se ressentit encore de sa faiblesse en mathématiques, mais en deuxième année, où les cours techniques étaient les plus nombreux, il remonta le courant et finit par sortir le quatrième de sa promotion en 1846.
L'année précédente venait de se constituer la Grande Compagnie des Mines de la Loire, qui groupait vingt-sept concessions. Sur recommandation d'un de ses cousins qui était administrateur de la compagnie, Devillaine y fut engagé par le directeur Chatelus et nommé ingénieur en second de la concession du Treuil.
Quelques jours après son installation au Treuil, un grave incendie éclatait au puits Saint-Claude, dans la concession de Méons. L'ingénieur en second Brenier y périssait, asphyxié avec une dizaine d'ouvriers. Au bout de six mois, le feu souterrain brûlait encore, cependant que Brenier n'avait pas été encore remplacé : l'ingénieur en chef des mines Delsériès avait, paraît-il, refusé d'agréer tous les candidats présentés par Chatelus. Celui-ci finit par proposer Devillaine. « Frappé par la physionomie intelligente et distinguée et par la justesse de son raisonnement » pendant les quelques minutes d'entretien qu'il eut avec lui, Delsériès accepta sa nomination au poste particulièrement difficile de Méons.
Pendant deux ans, Devillaine lutta avec opiniâtreté et succès contre le feu, contre les éboulements dans les piliers abandonnés d'anciens travaux conduits sans méthode par les propriétaires du sol. Il s'acquit l'estime des ouvriers « par sa valeur professionnelle, son mépris du danger, son souci de la justice et son abord facile ».
Aussi fut-il désigné en 1848 pour reprendre en mains la concession de la Ricamarie, où s'étaient produits de graves désordres. Les ouvriers avaient expulsé tous leurs gouverneurs et sous-gouverneurs, les avaient brûlés en effigie et avaient nommé à leur place les meneurs de la révolte.
Le nouveau directeur de la compagnie, Raab, qui venait précisément de succéder à Chatelus, rappelé à Clermont au poste d'ingénieur des mines de l'Etat, eut du mal à décider Villaine à quitter ses ouvriers de Méons. Il n'y réussit qu'en lui affirmant que les mines de la Ricamarie étaient, de toutes les mines de la Loire, celles dont l'exploitation offrait le plus de difficultés et le plus d'occasions, pour un jeune ingénieur, de se mettre en valeur.
Devillaine eut la sagesse politique de reconnaître les nouveaux gouverneurs, nommés par les ouvriers, et de les traiter sur le même pied que les anciens. Il s'acquit rapidement leur confiance et put arriver à rétablir l'exploitation. Il eut quotidiennement à discuter avec les ouvriers qui présentaient des revendications souvent très justifiées, relatives aux salaires et à la durée du travail. Il leur fil comprendre que le ralentissement de l'activité économique et de la consommation de la houille empêchait provisoirement d'améliorer leur condition matérielle, mais leur promit de substantielles augmentations pour l'avenir.
Bientôt, en effet, l'activité industrielle reprit et Devillaine put, avec l'accord des administrateurs de la compagnie, tenir ses promesses. Aidé par les nouveaux gouverneurs, il put rétablir le rendement des ouvriers aux niveaux antérieurs à la Révolution. Il put alors se consacrer à des tâches techniques et améliorer considérablement l'exploitation de la Ricamarie.
Cependant, en 1852, un décret vient briser en quatre tronçons la Grande Compagnie de la Loire. Trois ingénieurs de haut grade choisissent respectivement la direction des mines de la Loire, de Saint-Etienne et de Rive-de-Gier.
Le quatrième tronçon, celui de Montrambert et de La Béraudière, qui comprend la concession de la Ricamarie, passe pour très défavorisé. Aucun ingénieur ancien n'accepte sa direction, qui échoit a Hutter, chef du contentieux de la Grande Compagnie. Celui-ci, ancien notaire, n'a guère de compétence technique. Mais il s'adjoint en 1850 Devillaine en qualité d'ingénieur en chef. Dès cette époque, celui-ci est le véritable directeur technique de l'exploitation.
Peu à peu, il arrivera à faire de la compagnie la plus décriée la plus prospère! Il avait affaire à des couches de houille très puissantes et très inclinées. Il imagina et mit au point une méthode d'exploitation par tranches plates, avec remblai complet et enlèvement total du combustible, qui est devenue classique. Cette méthode assurait la sécurité, en matière de feux et d'éboulements.
Il créa le type des puits jumeaux en fonçant, entre autres, les puits Dyèvre et Devillaine. Il donna à la mine une ossature très complète de galeries et de moyens de transport.
Au jour, il imagina des couloirs de triage qui permettaient, par des moyens très simples, de ne livrer au commerce que des charbons bien épurés.
Durant toute sa carrière, Devillaine continua à faire preuve des qualités de clairvoyance et de courage qui l'avaient fait remarquer dès son premier poste. Il était présent au chantier dès qu'une difficulté surgissait, dès qu'un danger menaçait.
C'est à un de ses gouverneurs qu'on doit de connaître sa conduite lors du grave incendie du puits Saint-Mathieu, aux premiers temps de la Société de Montrambert. Treize hommes venaient de tomber asphyxiés vers un barrage où personne n'osait plus s'aventurer. Devillaine, arrivé sur place, se tourna vers les ouvriers et leur dit : « Mes amis, laissez-moi y aller seul et si je tombe, n'avancez pas! »
En 1879, à, la mort de Hutter, Devillaine devint directeur de la Société de Montrambert. Il occupa ce poste jusqu'à sa retraite, en 1895, et fut ensuite nommé administrateur.
Ses qualités techniques lui valurent en 1878 la Légion d'honneur et en 1908 une médaille d'honneur de la Société de l'Industrie minérale. Son sens social fut récompensé en 1883 par la croix de commandeur de l'Ordre de Saint-Grégoire-le-Grand.
« Le devoir du patron chrétien envers ses ouvriers, a-t-il dit, n'est pas de les considérer comme de simples auxiliaires nécessaires à son industrie, mais bien comme une famille dont il est le père, dont il doit surveiller avec le même soin les intérêts matériels, moraux et religieux, et dont il doit se faire aimer. »
Devillaine a effectivement bien travaillé en faveur de son personnel. Il créa des écoles et des hôpitaux, organisa des sociétés de prévoyance et de secours mutuels, des sociétés coopératives. Il obtint du conseil d'administration de la compagnie l'institution de pensions de retraite.
Il était, dans toutes ses réalisations sociales, assisté de son épouse, qui visitait les familles les plus pauvres, leur distribuait discrètement des secours et alla jusqu'à se faire garde-malade parmi les Soeurs de Saint-Vincent-de-Paul lors d'une épidémie de petite vérole.
A l'occasion de sa retraite, en 1895, les ouvriers de Montrambert organisèrent spontanément une grandiose manifestation de sympathie. Près de trois mille mineurs, actifs ou retraités, se rassemblèrent à la Ricamarie. Les groupes se formèrent autour des drapeaux tricolores. Chacun portait en lettres d'or le nom d'un des onze puits de la société. En cortège discipliné, les mineurs se dirigèrent alors sur Saint-Etienne pour défiler sous les fenêtres de Devillaine. La cérémonie comporta l'audition de la Marseillaise et de l'hymne russe (!) et un certain nombre de discours dans lesquels les représentants des mineurs affirmèrent en termes touchants leur affection pour leur chef.
Bon patron, Félix de Villaine fut avant tout un réalisateur.
Il nous plaît de clore cette chronique en citant la phrase qui terminait la notice qu'il avait rédigée, à l'occasion de l'Exposition universelle de 1878, sur sa méthode d'exploitation des couches puissantes :
« Nous ne serions pas éloignés de penser qu'une méthode médiocre, mais pratiquement bien observée, offrira plus d'avantages qu'une méthode théoriquement excellente, mais imparfaitement appliquée. »
Cette réflexion, modeste, mais judicieuse, déborde singulièrement du cadre de la mine et pourrait servir de maxime à tous les hommes d'action.