Chercheur et professeur à l'Ecole des Mines de Paris.
L'article suivant, non signé, a été publié dans la revue des Anciens élèves des Arts et Métiers.
C'était il y a cinquante et un ans et quelques poussières. Nous avions 22 ou 23 ans. Nous nous appelions Jean, Geneviève, Christian, Yvette, Robert, Marc. Nous faisions du canoë sur la Marne. Robert DEHAUSSE a disparu le 4 novembre 2002. Il écoutait de la musique. Depuis 1953, peu après sa sortie des Arts et Métiers (Paris 1947 - 48), jusqu'à sa retraite en 1994, Robert a consacré toute sa carrière - on pourrait dire toute sa vie - à l'Ecole des Mines. Les témoignages qui nous parviennent font état unanimement d'un professeur compétent et respecté, patient, courtois, dévoué. Ce passionné de géologie et de thermodynamique était doublé d'une vaste culture : peinture, poésie, littérature contemporaine. Le surréalisme n'avait pas beaucoup de secrets pour lui. Un après-midi où nous avions séché un cours peu enthousiasmant (ô horreur ! Est-ce possible ?) nos pas nous avaient conduits au Musée d'Orsay. Plus précisément, devant 2 ou 3 oeuvres de CEZANNE. Robert attribuait une grande importance à CEZANNE. Il m'avait expliqué qu'à ses yeux CEZANNE était un pivot dans l'histoire de la peinture. Il y avait « avant CEZANNE » et « après CEZANNE ». Il m'avait expliqué pourquoi (j'étais très ignare, lui très à l'aise). Le temps avait passé très vite : j'ai appris en 3 heures l'essentiel de ce que je sais aujourd'hui ! Robert avait été nommé Chevalier (1974) puis Officier (1982) dans l'Ordre National du Mérite. Il avait reçu les Palmes Académiques en 1994. Il était l'auteur, ou coauteur, d'un nombre impressionnant de livres, cours, articles de revues, communications, brevets, dans les domaines suivants (1980 -90) :
A sa demande, Robert DEHAUSSE a été incinéré. Mais son oeuvre reste. Merci à M.J. ADNOT, son ancien collègue et ami, devenu son successeur à l'Ecole des Mines ; merci à Michel BERNARD (Paris 48), qui a effectué plusieurs démarches et recueilli de précieuses informations tant à l'Ecole des Mines que dans la famille de Robert DEHAUSSE. Adieu Robert, notre Promo n'oublie pas. |
M. Dehausse, directeur-adjoint du Centre d'Energétique, a, sa modestie naturelle dût-elle en souffrir, joué un rôle essentiel tout au long de la phase de croissance initiale de ce Centre, de par sa présence constante auprès des chercheurs et de ses nombreux conseils très avisés prodigués avec une disponibilité sans faille.
Qui d'entre nous en effet, confronté à un problème difficile à formuler, ne s'est pas, quelquefois presque inconsciemment, glissé dans le bureau de M. Dehausse, et mis, quelques instants plus tard, à lui exposer son cas, lui demandant si, par hasard, il n'aurait pas, dans sa nombreuse documentation scientifique, quelque piste à lui suggérer.
Et c'est ainsi que M. Dehausse, abandonnant ses dossiers en cours, s'est trouvé un nombre incalculable de fois, entraîné dans des heures de discussion avec les chercheurs, pour analyser le problème posé, faire une synthèse très complète des travaux connexes, et proposer des voies d'approche originales, que ce soit sur le plan expérimental ou sur celui de la modélisation.
Car M. Dehausse a toujours eu ces deux qualités essentielles dans notre métier :
- disposer d'un sens physique très développé, allié à une culture scientifique encyclopédique
- être capable d'écouter et de se plonger dans la problématique de son interlocuteur, pour pouvoir le conseiller du mieux possible.
Ces qualités, nous en avons beaucoup profité, nous les chercheurs, mais ce sont aussi celles qui ont fait la notoriété de M. Dehausse auprès des élèves de l'Ecole, et, bien évidemment au premier chef des optionnaires Machines-Energétique. Aussi sommes-nous certains que la relève sera difficile à assurer aussi bien : A. Neveu et J. Adnot ont devant eux une tâche difficile de ce point de vue.
Figure emblématique de l'Ecole des Mines de Paris, M. Dehausse, du fait de ses qualités scientifiques, pédagogiques et humaines, a grandement contribué à forger l'esprit de son Centre d'Energétique, tel qu'il est aujourd'hui et que nous entendons le maintenir.
Sur le plan des sciences de l'ingénieur, il symbolise peut être mieux que quiconque pour nous le passage de la science à la technologie, le difficile saut du monde des idées au réel, en quelque sorte l'incarnation du jeune ingénieur ou du jeune chercheur, qui découvre à l'Ecole comment les mathématiques et la physique qu'il a apprises auparavant peuvent être appliquées pour concevoir des machines.
Ce saut, nos élèves y sont pour la première fois confrontés à l'occasion du projet machines, lorsqu'il leur faut tout d'un coup concevoir une grue ou un train d'engrenages qui ait une chance de pouvoir fonctionner, ou encore lorsqu'ils entreprennent de démonter un moteur automobile qui marche, avec l'espoir irraisonné qu'il fonctionnera de nouveau après leur intervention.
Nous avons tous été fortement marqués par l'approche des problèmes telle que M. Dehausse nous l'a enseignée, et elle continue de façonner notre démarche.
Une très grande modestie a toujours accompagné ces qualités. Bien qu'il ait participé de près ou de loin à nombre des travaux effectués au Centre, vous ne trouverez pas le nom de M. Dehausse sur nos publications. Cette discrétion est rarissime dans le milieu de la recherche, et elle méritait d'être rappelée ici. M. Dehausse, et M. Reboux qui partageait sur tous ces points la même position, ont ainsi insufflé au Centre d'Energétique l'esprit qui y règne et qui a contribué à forger son âme.
Mais s'il n'apparaissait pas sur nos publications, le nom de M. Dehausse se retrouve dans plusieurs de nos brevets, témoignant de son souci des applications industrielles, de son sens du concret et de son goût pour la technologie.
Par ailleurs, la présence à l'Ecole de M. Dehausse s'identifie avec des qualités humaines et relationnelles remarquables. M. Dehausse a su valoriser la position stratégique de son bureau, qui contrôle le détroit entre les bâtiments Vendôme et Luxembourg, et, signe incontestable de la bienveillance divine, est situé à proximité immédiate de la cafétéria.
Ainsi, pour celui qui désirait discuter de ses problèmes avec M. Dehausse sans trop en avoir l'air, et qui n'était pas suffisamment matinal pour le guetter à la porte de son bureau dès 7 h 15 le matin, les choses étaient grandement facilitées : il lui suffisait de passer un peu avant lOh, ou un peu après 15h, et de lui proposer d'aller prendre un petit café. Combien d'idées novatrices trouvent-elles leur origine dans ces moments d'échange et de sympathie partagée, je ne saurais le dire, mais certainement un très grand nombre.
De longue date, en effet, la tradition mise en place par M. Dehausse, et par la suite entérinée par M. Reboux, a fait la part belle aux différentes occasions de se retrouver autour d'une boisson, chaude à certaines heures, plus fraîche à d'autres, lors des pots Machines, déjà célèbres à l'Ecole au moment où j'y fus admis comme élève.
Je pourrais continuer longtemps à rappeler les qualités de M. Dehausse, mais on m'a demandé d'être bref.
M Dehausse, recevez au nom de tout le Centre, nos remerciements les plus vifs et les plus sincères pour ce que vous nous avez donné au cours de toutes ces années passées parmi nous : tant sur le plan de l'enseignement que sur celui de la recherche, votre départ laissera un grand vide.