Claude CHAMBON (1932-2010)

Photo : Bertrand Schwartz à côté de Claude Chambon, en 1962

Né en 1932 ; décédé le 23 septembre 2010 (cancer du larynx). Fils de Ernest Julien CHAMBON (1897-1978), colonel de gendarmerie qui fut directeur adjoint de la gendarmerie pendant la 2ème guerre mondiale, et de son épouse Marie-Louise née MANDON. Frère de Marie-Andrée (enseignante), Jean-François (EMSE 1970, professeur à l'Ecole des mines de Saint-Etienne et père de Frédéric EMSE 1996), Jacqueline (médecin).
Marié à Françoise LAFFITE, psychologue. Pas d'enfants.

Etudes au Prytanée militaire de La Flèche. Ingénieur civil des mines (promotion 1955 de l'Ecole des mines de Nancy), docteur es sciences.

Ayant travaillé après sa sortie de l'Ecole des mines aux Houillères du bassin de Lorraine à Faulquemont, Claude Chambon retourna à l'Ecole pour faire une thèse sur la plasto-élasticité des sols. Cette thèse (publiée en octobre 1966), préfacée par Louis Armand, prenait le contre-pied des croyances de certains géologues car elle démontrait que l'effondrement des galeries de mines était dans une large mesure indépendant de la nature des couches géologiques supérieures.

Claude Chambon devint ensuite, en 1967, professeur de statistique à l'Ecole des mines de Nancy, et de 1968 à 1971, directeur de l'Ecole d'architecture et d'urbanisme de Nancy.

Bertrand Schwartz, qui avait réformé en profondeur l'Ecole, et qui avait créé un centre de formation continue à coté de l'Ecole (le CUCES), s'appuya largement sur Claude Chambon pour la mise en oeuvre de ses idées.

C'est ainsi que Claude Chambon était naturellement désigné pour assurer la succession de François Davoine comme directeur de l'Ecole des mines de Nancy, direction qu'il exerça de 1971 à 1976.

Il a pris sa retraite en 2000. Il avait consacré les dernières années de sa vie professionnelle aux problèmes de risque et de pollution des sols.

Hospitalisé au Val de Grace début 2010. Décédé d'un cancer. Ses cendres ont été dispersées au Vieux cimetière de Grenois, là où est enterré son arrière-grand-père et homonyme, Claude Chambon.


Quelques souvenirs de Claude Chambon (cités dans son discours de départ de son labo)

J'ai beaucoup hésité, et sur le fond, et sur la forme, de ma contribution. Finalement, j'ai choisi une évocation de quelques souvenirs, en empruntant à Georges Perec la forme, un peu nostalgique, des "Je me souviens...". En fait, chacun des "Je me souviens..." de Georges Perec tient en une seule phrase. J'ai donc plutôt suivi le "I remember..." de Joe Brainard qui, à l'origine, avait inspiré Georges Perec, et où l'on a droit à plusieurs phrases pour chaque souvenir.

1- Je me souviens de ma première descente. C'était à Folchviller. Le porion qui nous accompagnait a dit à un moment : "Ce n'était pas plus gros qu'un grain de blé.". J'ai alors pensé à mes grands-pères qui étaient paysans.

2- Je me souviens de la mine de Zellidja au Maroc. En descendant, les mineurs psalmodiaient un chant très triste.

3- Je me souviens de la mine de Djerada. Les veines étaient très minces, en semi-dressants. Le porion qui était un peu corpulent n'était jamais descendu dans sa taille. Il suffisait de se laisser glisser et, pour freiner, de gonfler la poitrine.

4- Je me souviens de la rue Racine à Faulquemont. Nous habitions une maison rose. Les petites filles de nos voisins appelaient Françoise Mme Charbon.

5- Je me souviens que l'ingénieur en chef, chaque fois qu'il me rencontrait, m'envoyait faire un poste de nuit.

6- Je me souviens quand Bertrand Schwartz est venu à Faulquemont, dans la maison rose, et m'a proposé de venir travailler à Nancy avec lui.

7- Je me souviens de mon premier bureau, au rez-de-chaussée. Pendant plusieurs mois, des fils de pêche ont pendu du plafond avec des contrepoids. C'était pour étalonner leur allongement quand nous préparions les mesures d'expansion dans les voies boulonnées.

8- Je me souviens que, pour la thèse de François Viallet, nous faisions des essais de compression sur des éprouvettes de charbon. C'était pendant la période de l'OAS. Un soir très tard, en rentrant de Merlebach, les motards nous ont fait ouvrir le coffre de la voiture. Quand le gendarme a vu ces petits cylindres noirs alignés dans du coton, il a eu un mouvement de recul.

9- Je me souviens des plans de Ste Fontaine sur les murs, tout autour du bureau. Il y avait des petits drapeaux plantés pour suivre les zones critiques. C'est comme cela qu'a été découverte l'importance des géométries d'exploitation. Un jour, l'ingénieur que nous allions voir pour lui annoncer une prévision de plusieurs mètres de convergence dans une voie a saisi son combiné de téléphone et, de colère, l'a cassé sur son bureau. Je ne sais toujours pas pourquoi.

10- Je me souviens que les réunions de travail du laboratoire avec B.S. se faisaient le samedi après-midi. Notre correspondant aux Houillères s'appelait Jacques Petetin. Quand il arrivait, il disait : "Salut, la marine!".

11- Je me souviens de la calculatrice électrique Olivetti et des tables de carrés, pour les calculs statistiques.

12- Je me souviens de l'IBM 1130. Il avait 8 K de mémoire et il fallait une très grande salle pour le réfrigérer. Une année, nous avons profité de Noël pour faire un calcul pendant toute une semaine.

13- Je me souviens de mon premier PC. C'était un cadeau d'IBM. Il avait 16 K de mémoire au début et on l'a poussé jusqu'à 32 puis 64 K. On le programmait en APL.

14- Je me souviens des Apple II et de mon premier Macintosh.

15-Je me souviens du train Nancy-Lille et du buffet de la gare de Longuyon.

16- Je me souviens que B.S. avait fait confectionner une planchette avec de gros élastiques pour mieux travailler dans le train.

17-Je me souviens que je me suis battu toute une nuit avec un moustique, au casino d'Henin-Lietard.

18- Je me souviens du train de nuit pour aller aux Houillères de Provence. A l'arrivée à Aix en Provence, au petit matin, le soleil chauffait déjà. L'attente de la voiture des Houillères, sur la terrasse du buffet de la gare, était un véritable bonheur.

19- Je me souviens que le premier article que j'ai écrit portait sur les déformations des tubbings à Merlebach. Quand B.S. expliquait, cela s'enchainait parfaitement. Tout seul, je ne retrouvais plus rien.

20- Je me souviens que B.S. nous conseillait ce qu'il appelait le "style cactus".

21- Je me souviens que, lorsque j'ai envoyé mes premiers calculs à Robert Coeuillet, sa réponse commençait par : "Errare humanum est, perseverare diabolicum".

22- Je me souviens du Büro Internationnal für Gebirgs Mechanik à Leipzig. Pour y aller, on passait le mur de Berlin à Check Point Charly. Il fallait subir une heure de sermon du recteur de l'église St Thomas, avec sa grande fraise blanche empesée, pour écouter le ThomanerChor pendant si peu de temps.

23- Je me souviens de mes collègues Salustowicz, Knothe, Smolska, Richter, Protodjakonov...

24- Je me souviens que les toasts étaient très raides et duraient très longtemps. Un soir, Protodjakonov a raconté l'opera Carmen pendant près de deux heures.

25- Je me souviens des visites de mines de charbon que j'ai faites aux Etats-Unis en 1964. Je ne savais pas que, là-bas, on ne fournit pas les vêtements. C'est Louis Umberdis qui rentrait de la Foire Exposition de New York, qui m'avait prêté casque, bottes, gants et bleu, ce dernier déjà bien noir et gras de charbon. Au retour, à la douane d'Orly, le douanier avec ses gants blancs a absolument tenu à fouiller ma valise...

26- Je me souviens que, dans la salle des Congrès à Lisbonne, le rideau de scène s'est ouvert et qu'on a vu Salazar finissant, sur un fauteuil, figé comme une momie.

27- Je me souviens que je suis allé en Roumanie la première année de la dictature de Ceaucescu. Nous avons visité une mine de sel qui était grande et belle comme une cathédrale.

28- Je me souviens que le sujet de ma deuxième thèse était "le tunnel visco-elasto-plastique" et que j'ai beaucoup paniqué quand j'ai réalisé que tous les articles que j'avais rassemblés sur le sujet étaient faux.

29- Je me souviens que j'ai participé à plus de 100 jurys de thèse et que l'instauration des mentions m'a beaucoup coûté ces dernières années.

30- Je me souviens que mon dernier thésard s'appelait Mohamed et qu'il disait très souvent "Inch Allah".


Claude Chambon nous a quittés le 23 septembre dernier. Il avait débuté sa carrière aux Charbonnages de France ; professeur à l'École à partir de 1967 jusqu'à sa retraite en 2000, il a été Directeur de l'École d'Architecture et d'Urbanisme de Nancy de 1968 à 1971, dans une période de réformes importantes de l'enseignement de l'Architecture, puis Directeur de l'École des Mines de Nancy de 1971 à 1976, où il a laissé une très forte empreinte sur tous ceux qui ont eu l'occasion de travailler avec lui.

Fondateur avec Bertrand Schwartz du "Laboratoire de Mécanique des Terrains", (devenu aujourd'hui le LAEGO), il y a fait soutenir une cinquantaine de thèses. Responsable du département "Sciences de la Terre et Environnement" (devenu Géoingénierie), il a été un enseignant emblématique de l'École, disciple de Bertrand Schwartz dont il a été l'élève et l'ami. Il a notamment assuré pendant de nombreuses années le cours de statistiques de 1ere année, les cours d'analyse de données, de géostatistique et d'aide à la décision, etc.

Nous avons recueilli le témoignage de Bertrand Schwartz que nous avons fait suivre de celui de Jack-Pierre Piguet, d'Yves Gueniffey et de Thierry Verdel, ainsi que de réactions d'anciens élèves qui ont connu Claude Chambon et travaillé avec lui.

Témoignage de Bertrand SCHWARTZ :

"J'ai rencontré Claude Chambon pour la première fois à son entrée à l'Ecole des Mines. Et je me souviens de nos premiers échanges ; je me suis très vite rendu compte que j'avais en face de moi un jeune homme sortant du lot, qui se distinguait de ses pairs par une culture générale très riche, qui explique sa nomination, par la suite, à la Direction de l'Ecole d'Architecture de Nancy.

Mais, il se distinguait aussi par son attitude à l'égard de l'autorité professorale (et je le dis aujourd'hui, le Directeur qu'il est devenu sommeillait sans doute déjà dans l'élève).

Dès nos premiers échanges, contrairement à son apparente timidité, il s'affirmait comme une forte personnalité ; il n'en faisait qu'à sa tête, mais en y mettant les formes, avec fermeté et une remarquable élégance. Et il a ainsi, plus que d'autres, réussi à ébranler les certitudes du maître qui m'habitaient encore.

A sa sortie de l'Ecole, il est parti comme ingénieur à la mine de Faulquemont, en Lorraine. A l'époque, on parlait beaucoup de pressions de terrain, mais sans les avoir jamais mesurées, et sans trop savoir ce que le terme signifiait. Mais les mineurs, eux, subissaient les mouvements de terrain qui obstruaient les chantiers dans lesquels ils travaillaient.

J'ai donc décidé de lancer une étude sur ce problème, en créant une équipe et en demandant à Claude Chambon de l'animer.

Un jour de 1960, je suis donc allé lui rendre visite dans la maison «rose» à Faulquemont, où il habitait avec sa lumineuse épouse, Françoise, pour lui demander de venir à Nancy préparer une thèse sur ce problème qui préoccupait tant les mineurs.

Il s'est avéré un homme de terrain et d'expérimentation remarquable. Par son travail à la mine, il nourrissait nos travaux de l'équipe de recherche ; il y récoltait des données que nous traitions, lors de nos regroupements du samedi après-midi, dans une ambiance amicale, devenue mémorable. Et c'est, tout naturellement, que cet itinéraire a conduit, plus tard, Claude à la direction de l'Ecole, après un passage de pionnier à la tête de l'Ecole d'Architecture de Nancy, ce qui montre à quel point notre ami était reconnu par le milieu universitaire.

Il a, par la suite, valorisé son travail de recherche et transmis à des générations d'élèves ingénieurs, ses savoirs comme professeur de statistiques, comme patron de thèses, nouant des amitiés durables aux quatre coins du monde.

J'ai énormément apprécié Claude pour son rôle dans l'équipe de recherche ; il en a été l'animateur, et il était l'ami des membres de l'équipe, je peux dire qu'il a fondé avec moi le Laboratoire de Mécanique des Terrains. Il en devint le responsable, après mon départ. Et ce responsable a eu un rôle déterminant, et a été connu internationalement par les progrès de la discipline au service de la sécurité minière. Il a attiré une cinquantaine de chercheurs français et étrangers, et il en a encadré les travaux, avec une très grande compétence.

Tous ceux qui, comme moi, ont connu Claude gardent de lui le souvenir d'un homme très chaleureux, attentif aux autres, et ont souligné sa capacité a accueillir et à s'émerveiller des découvertes, des progrès de chacun qu'il exprimait avec des mots justes, bien pesés, qui émergeaient de son impressionnante moustache.

Enfin j'ai été frappé par sa passion de la montagne ; il y a construit lui-même, avec sa femme, un chalet, espèce de nid d'aigle, qu'il appelait lui-même, le «nid d'aigle de la sagesse et de la communion avec la nature», avec, pour maître mot, «la joie de vivre». C'était son paradis sur terre, paradis qu'il partageait avec Françoise, toujours présente auprès de lui, jusqu'à son dernier souffle, fe ne l'oublierai jamais".

Témoignages de 3 anciens collègues :

"Au-delà de l'empreinte laissée aux anciens élèves qui en ont témoigné, au delà des mots émouvants de Bertrand Schwartz, nous sommes un petit nombre d'enseignants actuels de l'Ecole à avoir entretenu jusqu au bout avec Claude, une relation exceptionnellement intense, de complicité et même de filiation, construite dans la durée.

Nous avons repris chacun une partie de son héritage (sa "culotte" avait-il dit à son départ en retraite), adhéré aux mêmes valeurs essentielles. Nous avons emprunté les chemins qu'il avait défrichés (ceux de la Statistique, des "Pressions de terrains"... jusqu'à la Direction de l'Ecole), sans qu'il nous ait vraiment poussé à le suivre, presque malgré nous.

Sa dernière leçon a été de nous apprendre comment on pouvait mourir "socratiquement", selon l'une de ses dernières expressions".

Quelques réactions d'anciens élèves :

"Claude Chambon, que j'ai connu comme professeur de statistiques en 1ere année était déjà pour nous, jeunes Mineurs, un professeur emblématique que sa large cravate, sa chevelure abondante rendaient encore plus imposant. Son cours était avec celui de Deviot le plus respecté. Il a beaucoup donné de son énergie pour l'Ecole".

"J'ai le très fort souvenir d'un homme chaleureux et tolérant à qui je dois beaucoup".

"Homme humain et de dialogue, il savait alterner l'autorité (rarement) avec le dialogue très facile (beaucoup plus souvent), il était chaleureux et vraiment "sympa et présent".

"Je garde de Claude Chambon le souvenir d'un professeur de très haut niveau, qui m'a fait aimer les statistiques et la taxinomie. Il était d'une pédagogie remarquable, et d'une grande et belle humanité".

"J'ai eu Claude Chambon comme professeur à l'école de 1984 à 1987, c'est un des enseignants qui m'a le plus marqué. J'ai apprécié son charisme, ses cours hauts en couleur, et les statistiques qu'il a réussies à nous transmettre. Il a été le premier à me challenger à la présentation de mon rapport de stage, de retour du Canada, où j'ai pratiqué les statistiques sur les déformations de galerie minière, y compris en utilisant les formules de Bertrand Schwartz. Ces souvenirs sont bien présents".

"Il était un professeur exigeant, et j'ai beaucoup apprécié son enseignement".

"Il a laissé une empreinte forte sur ma scolarité. Ce sont d'excellents souvenirs de hautes qualités humaines et professionnelles que j'avais gardés et qu'il laisse, et c'est beaucoup de notre jeunesse qui l'accompagne".




Autres citations d'anciens élèves de Claude CHAMBON

Badreddine Filali Baba (N75) :

En plus de sa fonction de Directeur de l’École des Mines de Nancy, j'ai connu Claude Chambon en tant que professeur de statistiques, et ensuite en tant que parrain de stage de fin d'études. J'ai à ce titre étudié une population de données géochimiques relatives à mon pays d'origine, le Maroc. Quelle fut ma surprise en trouvant un phénomène statistique fort intéressant appelé effet Guttman que Claude nous avait enseignés! J'ai ensuite eu la chance d'identifier l'explication physico-chimique à la base de ce phénomène.

Je me rappelle que cela avait particulièrement intéressé Claude. Je l'ai rencontré une dizaine d'années après ; et il m'a alors appris qu'il avait intégré les résultats de cette étude dans son cours de statistiques. Cela m'a fait plaisir de contribuer ainsi à transmettre sa passion pour les statistiques à plusieurs générations de mineurs.

L'effet Guttman apparaît lorsque la représentation d'une population de données, selon plusieurs variables, donne lieu à des nuages de points de formes particulières reflétant une corrélation entre ces variables. La compréhension de cette corrélation permet alors de caractériser cette population.

StephaneTencer (N66) :

Pour moi, Claude Chambon, ce sont trois mots : moustache, recalescence et 68!

Moustache, parceque c’est ce qui frappait dans son visage quand on le voyait pour la premièrefois ; une moustache généreuse qui faisait rêverceux d’entre nousqui se risquaient à quelques tentatives de poussée d’appendices poilus.

Recalescence, parce que c’est l’exemple qu’il proposait dans son premier cours pourillustrer l’intérêt des statistiques. La recalescence du fer est ce phénomène qui crée une creusure de profondeur variable ausommet du lingot lorsqu’il serefroidit. L’approche statistique avait permis de déterminer à quel niveau couper le lingot pour optimiser les pertes.

68, parceque dans son regard j’avais cru lirequ’il nous encourageait, pour notre formation de futurs ingénieurs humanistes, à participer aux événements plutôt que d’assister à des cours que nous pourrions rattraper. [ Remarque de R. Mahl : On peut constater que l'un des leaders du mouvement de mai 68, Alain Geismar, était élève de la promotion 1959 des MINES de Nancy. ]





Photos familiales
(C) Françoise Chambon