Les renseignements donnés par nous dans ce chapitre sont tirés de documents appartenant aux archives de la division des mines au ministère des travaux publics, que M. Guillain, directeur des routes, de la navigation et des mines, a bien voulu faire mettre à notre disposition.
Antérieurement à la loi du 30 vendémiaire an IV (22 octobre 1795), qui avait décidé la création d'une École pratique pour les mines, l'agence des mines s'était déjà préoccupée d'établir une pareille institution. « Nous considérons, écrivaient les agents le 30 mars 1795 (10 germinal an III), l'établissement d'une école pratique comme le principe régénérateur de l'exploitation des mines ». Aussi dès que la loi précitée fut rendue, l'agence devenue le conseil des mines s'occupa-t-elle de désigner la mine sur laquelle cette école pouvait être établie. Il est vrai que le conseil ne paraît jamais avoir entendu cette loi comme son texte semblait l'indiquer; il n'admettait pas que l'École des mines de Paris dût disparaître. L'école pratique à créer devait avoir une destination différente. Plus l'École Polytechnique, avec les transformations successives de son enseignement, tendait à devenir une école de haute culture théorique, plus le conseil des mines sentait la nécessité d'avoir entre cette école et l'école pratique une école spéciale de théorie appliquée dans l'École des mines de Paris. Mais le conseil reconnaissait aussi que cette école ne pouvait suffire à la complète et parfaite préparation des ingénieurs du corps des mines. Les membres du conseil, comme tous les ingénieurs un peu distingués de cette époque, étaient allés faire leur tour d'Allemagne. Frappés de la prospérité et du développement relatifs de l'exploitation des mines dans ce pays, ils devaient avoir ce sentiment, si répandu pendant longtemps encore en France, que l'industrie des mines devait être sinon une industrie d'Etat, tout au moins une industrie dont l'Etat devait diriger l'exploitation, soit par l'intervention directe de ses représentants auprès des exploitants, soit par les exemples et l'enseignement à leur donner. Ils pensaient que les ingénieurs de l'État, pour être à la hauteur de leur tâche, pour pouvoir diriger les exploitants en gens non seulement de science mais d'expérience, devaient s'initier par eux-mêmes aux plus petits détails du métier, tout comme l'officier, pour bien commander la manoeuvre à ses soldats, doit l'avoir faite auparavant. On le voit bien par l'article 5 de l'instruction sur l'Ecole pratique, que, le 9 mars 1796 (19 ventôse an IV), le conseil soumettait au ministre : « Les élèves seront obligés de pratiquer eux-mêmes les fonctions de forgerons, mineurs, boiseurs, laveurs, essayeurs, fondeurs, affineurs et maîtres, et ne seront avancés que suivant leur degré de capacité dans chacune de ces parties. » Ces idées, qui s'appuyaient sur l'exemple de l'Allemagne, qui ne laissent pas d'avoir aujourd'hui encore leur part de vérité, devaient peser avec d'autant plus de poids alors qu'à cette époque, malgré les grands progrès relatifs des sciences, l'exploitation des mines et la métallurgie dépendaient encore de l'art, que la pratique seule enseigne, beaucoup plus que de la science qui peut s'apprendre dans des cours. L'École pratique, qui ne devait être pour certains élèves que le complément d'un enseignement théorique, devait d'ailleurs suffire aux élèves qui, se destinant à l'industrie privée, ne voulaient faire que de la pratique. Il suffisait pour cela qu'on donnât sur l'établissement à choisir comme complément des opérations industrielles un enseignement approprié, portant sur l'exploitation des mines et la métallurgie.
Ces projets, tant sur le système d'exploitation des mines que sur l'enseignement spécial de la matière en France, prirent d'autant plus de force dans le conseil des mines que, par suite de nos conquêtes, le pays s'annexait des contrées possédant des mines et usines, nombreuses et relativement importantes, dont plusieurs étaient dévolues à l'État soit par la dépossession de leurs propriétaires, soit par sa substitution aux souverains étrangers qui les possédaient antérieurement. Après avoir examiné l'état des exploitations dont on pouvait disposer au moment où fut rendue la loi du 30 vendémiaire an IV (22 octobre 1795), le conseil se décida pour celle de Sainte-Marie-aux-Mines. Les gîtes de plomb et cuivre argentifères de cette localité passaient pour avoir donné jadis de beaux produits ; Les exploitations de Sainte-Marie-aux-Mines, appartenant au prince des Deux-Ponts, auquel Louis XIV les avait laissées, avaient joui d'une célébrité exceptionnelle dans le troisième quart du XVIIIe siècle, grâce surtout à la rare habileté d'un fondeur du Hartz, Schreiber, qui n'avait du reste que le nom de commun avec le futur directeur de l 'Ecole des mines de Pesey. Leur exploitation n'avait été suspendue qu'au moment de la Révolution, et on présumait qu'elle pourrait être remise promptement et à peu de frais en activité notable. Le 19 décembre 1795 (28 frimaire an IV), le conseil proposait donc à Benezech, qui venait de prendre le ministère de l'intérieur, de décider que l'École pratique serait établie à Sainte-Marie-aux-Mines, et le 18 janvier 1796 (28 nivôse an IV) Benezech rendait une décision conforme, sous réserve de ne l'appliquer que lorsque l'on pourrait allouer les fonds à ce nécessaires.
Mais les motifs qui avaient fixé sur Sainte-Marie-aux-Mines le choix du conseil des mines, avaient attiré sur ces gîtes l'attention de particuliers qui en demandaient la concession au Directoire du département, conformément à la loi du 28 juillet 1791 ; ils étaient chaudement appuyés par les représentants du département. On fit observer au conseil des mines que Sainte-Marie-aux-Mines ne répondrait pas à ses intentions ; qu'il n'y avait surplace, ni aux environs, les bâtiments nationaux nécessaire au logement du personnel ; qu'il n'existait pas de forêt disponible assez rapprochée pouvant être affectée' à l'établissement. On lui assurait que les mines de Giromagny réunissaient au contraire toutes les conditions désirables. Les mines de Giromagny, qui donnaient des plombs et cuivres gris argentifères, avaient été exploitées d'une façon à peu près continue du XIVe siècle à la réunion de l'Alsace à la France. Louis XIV, qui en était devenu propriétaire par la conquête, avait donné le comté de Resmont au cardinal de Mazarin qui s'était attribué la propriété des mines. Elles furent exploitées directement pour le compte de la famille Mazarin jusqu'en 1709; elles furent ensuite successivement affermées jusqu'en 1779, date à laquelle la dernière société fermière sombra et les mines furent inondées. En 1791, par suite de l'annulation de la donation faite à Mazarin, les mines avaient fait retour au domaine. Baillet du Belloy, rendant compte de la mission à lui donnée par le conseil des mines dans un mémoire inséré au Journal des mines de l'an VI, a décrit les anciens travaux de Giromagny et indiqué ceux qui auraient été nécessaires pour reprendre l'exploitation.
Le conseil avait bien d'abord proposé qu'avant de statuer on envoyât Baillet et Guillot-Duhamel fils examiner les choses sur place. Mais vivement pressé par les intéressés, se fiant aux renseignements donnés par les représentants du département et la régie de l'enregistrement, qui avait été consultée, le conseil proposa lui-même à Benezech de revenir sur sa décision; celui-ci, à la date du 3 avril 1796 (14 germinal an IV), désigna Giromagny pour le siège de la future Ecole pratique au lieu de Sainte-Marie-aux-Mines, dont la concession fut définitivement octroyée à ceux qui la demandaient.
A peine cette concession était-elle accordée, le conseil des mines apprit, par des renseignements exacts, que sa bonne foi avait été trompée. La reprise des mines de Giromagny exigeait des travaux considérables et coûteux, aux dépenses desquels le trésor obéré aurait été impuissant à faire face. Pour se procurer les ressources nécessaires, et, en outre, pour constituer un enseignement pratique complet, suivant des idées déjà par nous indiquées et qu'il devait aller toujours en développant, le conseil proposa, le 19 avril 1796 (30 germinal an IV), un nouveau plan à Benezech. Il demandait qu'on lui remît, pour les diriger et exploiter lui-même, outre les mines de Giromagny, les houillères de Ronchamp et Champagney, alors en pleine exploitation, et les forges de Belfort et Châtenois, également en activité.
Les houillères de Ronchamp et Champagney avaient été concédées en 1759 et n'avaient pas cessé d'être en exploitation ; elles appartenaient pour une moitié au chapitre de Lure et pour l'autre moitié aux Reinach, seigneurs de Ronchamp. Les de Reinach ayant émigré, les mines étaient devenues en entier propriétés nationales. L'exploitation de ces houillères était réputée rapporter un bénéfice net annuel de 20.000 francs, et en l'an IX, le Domaine recevait des propositions à fin d'amodiation sur la base d'une redevance à la tonne, qui était estimée devoir rapporter annuellement 63.000 francs environ.
Les forges de Belfort et Châtenois appartenaient à la famille Mazarin et, à ce titre, étaient devenues biens nationaux; elles rapportaient annuellement 64.000 francs; elles furent vendues pour 240.000 francs.
Les bénéfices de ces deux exploitations relativement très prospères devaient faciliter la reprise des travaux de Giromagny et, en tout cas, permettre de faire face à toutes les dépenses de l'École pratique et même de l'École théorique de Paris. On aurait ainsi créé, dans un rayon relativement restreint, sous la main directe des ingénieurs de l'État, un groupe ou arrondissement, permettant de donner l'enseignement pratique, tel que l'entendait le conseil, de constituer un modèle pour toutes les branches de l'art du mineur et du métallurgiste. Le conseil demandait, d'ailleurs, pour pouvoir reprendre à Giromagny l'exploitation des mines et le traitement des substances extraites, qu'on lui remît, prises sur les biens nationaux, toutes les dépendances nécessaires en forêts pour l'approvisionnement des bois et charbons, en pâturages pour la cavalerie, en champs pour les installations; il réclamait le château de Pheningstrum pour y établir le siège de la direction, et le couvent de Picpus, à Giromagny même, pour y installer les professeurs et les élèves.
Ce plan ne fut pas pour déplaire à Benezech, puisque la haute administration de tout cet arrondissement minier et métallurgique serait ressortie exclusivement à son département, bien que la combinaison parût en désaccord avec la loi de vendémiaire an IV, qui ne parlait d'affecter à l'Ecole pratique qu'une mine seulement. Cet argument juridique était de nature à fortifier la violente opposition que l'administration des finances éleva contre un pareil plan. Cette administration tenait essentiellement à vendre, pour se procurer les ressources dont le trésor obéré avait tant besoin, ou tout au moins, en attendant, elle voulait administrer elle-même. Elle était soutenue dans ses idées par les autorités des départements qui poussaient à la vente des biens nationaux, et l'engageaient même par suite du désarroi administratif, y apportant d'autant plus d'ardeur que, dans le désordre de l'époque, les administrateurs étaient les premiers à essayer de réaliser, ce qui n'était pas difficile, quelque bonne affaire, pour eux ou leurs amis, par un achat à vil prix. Il était très aisé d'engager sur place une pareille affaire au moyen d'une soumission suivie d'un premier versement. Si l'administration des finances tardait à adjuger, le soumissionnaire réclamait en se faisant énergiquement appuyer par les représentants du département, qui alors, comme dans d'autres temps, intervenaient incessamment dans l'administration.
Prairies après bois, champs après maisons, morceau par morceau, toutes les dépendances nécessaires à la reprise des mines de Giromagny échappaient au Domaine, malgré les incessantes réclamations du conseil des mines qui demandait qu'on attendît au moins qu'il eût été statué définitivement sur ses propositions. Les forges de Belfort, qui étaient un des pivots de la combinaison, furent adjugées à leur tour sur l'engagement pris par l'acquéreur d'y admettre les élèves qui lui seraient envoyés pour y recevoir l'instruction pratique. A leur place, le conseil des mines demanda qu'on lui attribuât, pour laisser entière la combinaison, les forges d'Audincourt, qui avaient été saisies sur le prince de Montbéliard.
Entre temps le conseil des mines, poussé par les délibérations de la conférence des ingénieurs, en présence des nouvelles richesses minérales que les succès de nos armes faisaient acquérir au pays, augmentait encore l'ampleur de son plan en proposant de créer deux autres arrondissements en dehors de celui des Vosges qui devait être plus spécialement affecté à l'Ecole pratique. Ces arrondissements devaient comprendre chacun, suivant la même idée, des établissements prospères et d'autres à relever avec les bénéfices de ceux-là; ils devaient être situés l'un dans les Pays réunis, l'autre dans les Alpes. Le premier aurait compris notamment les mines de plomb de Vedrin, rapportant 3.000 francs, les mines de calamine de Limbourg, qui avaient rapporté 60.000 francs net à l'empereur, et les houillères de Rolduc (du bassin houiller de la Wurm, près d'Aix-la-Chapelle), dont lo revenu net était évalué à 40.000 francs au moins; l'arrondissement des Alpes aurait compris les mines d'Allemont et de Pesey, et les forges de Saint-Hugon, jadis aux Chartreux, dont le revenu net de 6.000 francs aurait permis de reprendre l'exploitation des mines.
Toutes ces exploitations étaient à ce moment à la disposition de l'Etat. Ces arrondissements auraient été administrés directement, comme celui de l'École pratique, par le conseil des mines, sous l'autorité du ministre de l'intérieur ; les bénéfices auraient servi d'abord à payer toutes les dépenses du corps des mines et des écoles théorique et pratique ; un dixième du bénéfice net aurait été versé au trésor ; le surplus des fonds disponibles devait être employé en travaux de recherche, c'est-à-dire en travaux pour ouvrir de nouvelles mines, ou en recherches de nouveaux procédés ou d'améliorations des procédés anciens des mines et des usines. Le conseil des mines pensait que, dans l'état de la science à cette époque, l'administration était seule en mesure de faire, dans cette voie, des tentatives heureuses. En dehors de l'enseignement direct donné dans les écoles au personnel de l'État et de l'industrie privée, le conseil entendait que les exemples donnés par la conduite de ces exploitations modèles fussent un enseignement pour le pays tout entier, convaincu que l'industrie minière et métallurgique devait recevoir, à tous égards, le plus vif essor de cet ensemble de combinaisons. On reconnaîtra sans peine dans tout ce plan l'influence des coutumes allemandes de cette époque.
Pendant que l'administration des mines agitait ces problèmes, sur lesquels on peut être partagé d'opinion, mais dont le haut intérêt n'échappera pas, la question de l'École pratique parut faire un pas sur le terrain des faits. François de Neufchâteau, ayant pris le ministère de l'intérieur, annonça au conseil, en l'an VII, qu'il pourrait allouer 63.600 francs pour l'École pratique de Giro-magny, où légalement elle était restée fixée, dont 8.900 francs pour frais d'établissement, 24.700 francs pour le traitement du personnel et 30.000 pour les travaux de mines, et il invitait le conseil à se mettre en mesure d'ouvrir l'école au printemps de 1799. L'affaire n'eut pas de suite parce que les fonds manquèrent.
Aussi bien le conseil, reprenant ses anciennes observations, rappela qu'il lui serait impossible d'organiser et de faire fonctionner utilement l'École à Giromagny si on ne lui remettait pas en même temps, suivant ses anciennes demandes, les houillères de Ronchamp, ainsi que les bois et pâturages jadis affectés aux mines de Giromagny et le couvent de Picpus nécessaire au logement du personnel. Le conflit au sujet de ces affectations persistant entre le ministère de l'intérieur et le ministère des finances, la question dut être soumise au Directoire exécutif, auquel on communiqua en même temps le plan des arrondissements minéralogiques. Le Directoire ne sut pas ou ne voulut pas distinguer la question de l'École pratique de Giromagny de celle des arrondissements, et il rejeta l'ensemble du plan proposé par le conseil « non seulement par la considération du grand nombre des établissements demandés, mais encore par l'inconvénient de les ôter à la régie des domaines et de perdre l'espoir de la grande augmentation de revenu que ses soins doivent procurer dans des temps plus heureux, et par celui de les confier à des mains, très habiles sans doute dans la partie des arts, mais qui n'ont pas le même avantage ni la même tendance du côté de l'administration économique. » (Lettre du ministre des finances au ministre de l'intérieur du 4e jour complémentaire de l'an VIII, 21 sept. 1800.)
Le ministère des finances profita de son succès pour affermer définitivement les houillères de Ronchamp et pour aliéner les pâturages de Giromagny. Toute la combinaison du conseil des mines sur Giromagny s'écroulait. Aussi Chaptal, étant devenu ministre de l'intérieur après le 18 brumaire, annonça au conseil des mines que, puisqu'il persistait à déclarer impossible, dans ces conditions, l'établissement de l'École pratique à Giromagny, il fallait chercher où la placer ailleurs.
En réponse à cette invitation, le conseil lui adressa, le 28 mai 1801 (8 prairial an IX), un travail où il faut aller chercher l'origine de l'arrêté du 13 pluviôse an X (12 février 1802).
Persistant dans l'idée qu'il fallait s'efforcer de donner une instruction pratique détaillée dans toutes les branches de l'art des mines et de la métallurgie, le conseil pensait que l'École pratique devait comprendre quatre sections ou plutôt qu'il fallait quatre écoles pratiques : une pour l'exploitation des mines proprement dite, qu'il était préférable de placer sur une mine de houille ; la seconde pour le traitement des minerais de fer et l'élaboration de ce métal ; la troisième pour le traitement des minerais de plomb et de cuivre et pour la séparation de l'or et de l'argent; la quatrième pour l'exploitation des salines.
Le conseil proposait de fixer la première école aux houillères de Rolduc et Keskraed (Meuse inférieure); la seconde à Geislautern près Sarrebrück; pour la troisième il remettait à indiquer l'établissement destiné au traitement du cuivre ; il désignait pour l'exploitation et le traitement des plombs argentifères les mines de Pesey et d'Allemont, qu'il fallait réunir à cet effet sous une même direction; la quatrième école enfin aurait été placée à Lons-le-Saulnier. En indiquant les mines de Pesey qui, d'après les renseignements de Schreiber, permettaient de concevoir à bref délai de grandes espérances moyennant de faibles avances, le conseil faisait observer que « la position de cette école pratique dans un des départements méridionaux contribuera à répandre dans ces contrées le goût de l'exploitation et les lumières propres à la faire prospérer. »
A chacun de ces établissements devait être attaché un inspecteur chargé de la direction et du professorat, un ingénieur pour le seconder, et un comptable. Le conseil indiquait comme personnel :
L'enseignement aurait été donné gratuitement aux élèves envoyés tant par le gouvernement pour leur instruction pratique, que par des particuliers, ou venus d'eux-mêmes, pour s'instruire.
Les élèves de l'Ecole des mines de Paris auraient été tenus nécessairement à y venir faire un stage, et leur avancement comme ingénieurs surnuméraires n'aurait eu lieu qu'après constatation de leurs connaissances pratiques.
Plus que jamais, le conseil ne pouvait voir dans ces écoles pratiques, pour les élèves du gouvernement, qu'un complément, à un point de vue nécessaire mais spécial, de l'enseignement théorique indispensable qu'il devait prendre d'abord à l'École des mines de Paris. Cette idée, que le conseil avait toujours eue même au lendemain de la loi du 30 vendémiaire an IV, paraissait encore plus rationnelle depuis la loi du 25 frimaire an VIII (16 décembre 1799) qui venait de réorganiser l'École polytechnique. En effet, cette loi, en accentuant encore l'évolution vers la théorie pure que subissait depuis sa création l'enseignement de l'École polytechnique, indiquait nettement que, pour les élèves destinés aux services publics, cette école n'était qu'une préparation aux écoles d'application de ces services, notamment du service des mines (art. 1); et, après avoir dit, dans son article 49, que les programmes d'instruction dans les écoles d'application devaient être arrêtés de manière que l'enseignement y fût en harmonie et entièrement coordonné avec celui de l'École polytechnique, la loi ajoutait dans son article 51 que « l'Ecole de Châlons sera une école d'application pour l'artillerie à l'instar de celle de Metz pour le génie militaire, de celles de Paris pour les ponts et chaussées, les mines et les géographes ». On sait que pendant longtemps l'artillerie avait soutenu que son service pouvait se recruter directement par l'Ecole de Châlons sans que ses élèves passassent au préalable par l'Ecole polytechnique. La loi de l'an VIII eut notamment pour but de résoudre définitivement ce conflit et de mettre l'Ecole de Châlons, en tant qu'école spéciale, sous la dépendance de l'Ecole polytechnique. Cette loi, et cet article notamment, paraissaient donc consacrer explicitement l'École des mines de Paris dans des termes tels qu'il était permis de considérer désormais comme implicitement abrogé en droit, ainsi qu'on l'avait jusqu'alors admis en fait, le système de la loi du 30 vendémiaire an IV, n'admettant comme école des mines qu'une école pratique à établir sur une exploitation.
Le conseil des mines devait donc être loin de s'attendre à la décision du 12 février 1802 qui, à son plan si large, substituait cette solution mesquine de créer, en place de l'École de Paris supprimée, deux écoles pratiques : l'une à Geislautern, dans le département de la Sarre, l'autre à Pesey dans le département du Mont-Blanc (art. 1 de l'arrêté des consuls). Dans la première, on devait enseigner l'art de traiter les mines de fer et d'extraire la houille, en même temps qu'on s'occuperait de tout ce qui a rapport aux préparations dont les substances minérales sont susceptibles; dans la seconde, on devait faire connaître tout ce qui a rapport à l'exploitation des mines de plomb, cuivre, argent et des sources salées (art. 2). Chaque école, qui pourrait recevoir dix élèves, au traitement de 600 francs et entretenus aux frais du gouvernement (art. 6), devait être dirigée par un directeur, au traitement de 5.000 francs, et avoir trois professeurs, au traitement de 4.000 francs, nommés par le premier Consul, sur la présentation du ministre et les propositions du conseil (art. 8) ; l'un des professeurs devait être chargé d'instruire les élèves dans la science pratique de l'exploitation; le second professeur, dans la mécanique et ses applications aux travaux des mines ; le troisième devait donner les principes physiques et chimiques nécessaires au minéralogiste (art. 3, 4 et 5).
Cette décision, qui d'ailleurs, on le verra, ne fut pas appliquée à la lettre, est de nature à surprendre; elle dénote à coup sûr dans son programme d'enseignement peu de connaissance des nécessités d'une école des mines dont l'enseignement doit se suffire à lui-même. L'erreur d'appréciation est d'autant plus étonnante qu'on avait l'expérience acquise par huit ans de fonctionnement de l'École des mines de Paris.
Il faut évidemment chercher les motifs de cette décision fâcheuse dans le désir que l'on avait de réaliser des économies importantes dans tous les services publics ; Dufrénoy, dans une note sur l'historique de l'Ecole adoptée par le conseil de l'Ecole le 17 décembre 1834, disait : « La suppression de l'Ecole des mines de Paris fut le résultat d'une économie mal entendue. Elle a été regardée comme très fâcheuse; sans doute il était utile de fournir aux jeunes ingénieurs un moyen de suivre les travaux des mines; mais les écoles pratiques ne doivent être que le complément des écoles d'application. »
Cette mesure se reliait au système qui amenait à ne plus conserver le personnel des mines en résidence à Paris, mais à l'envoyer désormais résider dans des arrondissements d'inspection, ainsi qu'il fut décidé le 18 ventôse an X (9 mars 1802).
Cette mesure était elle-même dictée principalement par des vues d'économie; jusqu'en 1810, en effet, les ingénieurs résidant dans les départements furent en partie payés par ceux-ci.
Les difficultés budgétaires contre lesquelles on luttait dataient de quelque temps déjà. Le conseil des mines avait dû présenter d'énergiques observations contre les économies qu'en l'an VII, on proposait d'introduire encore dans le budget des mines déjà très émondé. Les appointements des conseillers, inspecteurs et ingénieurs, fixés respectivement en frimaire an IV (décembre 1795) à 8.000, 6.000 et 4.000 francs, avaient été d'abord réduits d'un quart par la loi du 2 nivôse an V (22 décembre 1796), puis ramenés en l'an VII à 5.000, 4.000 et 2.800 ; on se proposait de les réduire encore en l'an VIII. Le nombre des employés du conseil devait être réduit de treize à sept, et l'on ne voulait donner aucun fonds pour les dépenses du matériel de l'École, bibliothèque et laboratoire.
Lorsque plus tard l'École des mines fut rétablie à Paris, le conseil, qui l'administrait, reprit et poursuivit pendant longtemps, sans plus de succès d'ailleurs que pendant la période que nous venons de traverser, cette idée d'écoles pratiques ou d'établissements d'Etat, dans lesquels les élèves, leur éducation théorique achevée, viendraient se former à l'habitude du métier, en l'exerçant par eux-mêmes dans le moindre détail. En 1837-1838 ces idées furent reprises et agitées, en dehors du conseil de l'École, dans les conseils de l'administration supérieure; celle-ci entra même en pourparlers avec des industriels pour l'acquisition de leurs établissements. En outre de l'enseignement à donner dans ces écoles pratiques, on songeait aussi, il est vrai, à cette époque, à faire de ces établissements d'État des mines ou usines expérimentales, où tous les nouveaux procédés auraient été étudiés. Ces idées sur les usines expérimentales de l'État furent reprises plus tard avec moins de succès encore. Les projets d'écoles pratiques conservèrent longtemps de chauds défenseurs. Lorsqu'en 1847-1848 l'enseignement de l'École de Paris subissait une transformation assez grande, Michel Chevalier donna à ces idées l'appui de son autorité et de son expérience personnelle. Dans une note remise le 15 janvier 1848 à M. Jayr, alors ministre des travaux publics, il faisait observer que les élèves de l'École des mines suivent des cours à Paris, et n'ont d'autre initiation à la pratique que des voyages rapides, où ils stationnent à peine dans les établissements, ne recueillant que des renseignements très sommaires, ne voyant que ce qu'on veut bien les autoriser à regarder, ne prenant aucune espèce de part aux opérations et excitant la méfiance s'ils questionnent de trop près; Michel Chevalier, convaincu qu'il fallait garder l'École à Paris, pour avoir à la fois les collections nécessaires et les professeurs théoriques les plus éminents, pensait donc qu'il fallait astreindre les élèves à passer deux saisons de six mois chacune à l'école pratique qui aurait été installée sur un établissement de l'État, réunissant mine et usine, et de préférence, suivant lui, sur une mine métallique avec minerais complexes; ce n'eût été qu'à la suite de ce stage qu'un voyage serait venu servir de couronnement à cette éducation.
Désireux de nous borner à un simple rôle de narrateur, nous ne croyons pas devoir présenter la moindre observation personnelle sur un sujet qui, si facilement, prêterait aux développements les plus considérables. Il nous suffira pour l'instant, après avoir indiqué les efforts déployés pendant huit ans pour créer des écoles pratiques, de dire ce qu'a été l'école des mines de Pesey, qui s'est le plus rapprochée du type d'une école pratique, sans qu'elle l'ait jamais été effectivement comme on va le voir. Auparavant, quelques mots nous suffiront pour faire connaître la destinée réservée à l'école pratique de Geislautern.
Geislautern est à 12 kilomètres à l'ouest et en aval de
Sarrebrück, sur la Rossel, près du confluent de cette rivière avec la Sarre, au point où, vers le sud-ouest, la formation houillère du bassin de Sarrebrück disparaît sous les grès vosgiens. Le domaine français avait pris possession de tous les biens appartenant aux princes de Nassau-Sarrebrück; il disposait ainsi de trois forges et de l'ensemble des houillères, comprenant treize exploitations en activité en ce moment, dont celle de Geislautern, qui était spécialement affectée à la forge située dans cette localité.
Les autres houillères avaient été affermées, comme elles l'étaient du reste sous les princes de Nassau-Sarrebrück, au prix annuel de 71.000 francs par bail de neuf ans qui avait commencé le 1er messidor an V (9 juin 1797), et qui fut continué d'un commun accord en attendant l'institution des soixante concessions projetées.
Toutes ces houillères, à ce moment, étaient encore exploitées par galeries. Elles produisaient environ 120.000 tonnes par an d'une valeur de 500.000 francs.
L'administration des finances aliéna deux des forges, et la troisième, celle de Geislautern, avec sa fabrique de fer-blanc, fut réservée pour l'Ecole pratique avec la houillère voisine à elle affectée.
Mais cette houillère était à peu près épuisée jusqu'au niveau des vallées ; elle ne fournissait en outre que des charbons de seconde qualité pour chauffage et grilles, impropres à donner du coke. Or, on se proposait de construire à Geislautern deux grands fourneaux au coke. On affecta donc ultérieurement à l'Ecole pratique les houillères de Dutweiler, établies sur les affleurements houillers qui émergent à 6 kilomètres au nord-est de Sarrebrück, et qui étaient à cette date les exploitations en activité les plus rapprochées de Geislautern. Ces exploitations devaient en outre permettre de compléter l'enseignement pratique en matière d'exploitation de mines. Plus tard, pour assurer la bonne marche de l'établissement un décret du 10 août 1811 lui affecta, dans les forêts domaniales et communales qui l'entouraient au sud, un périmètre pour la recherche et l'exploitation des minerais de fer.
L'usine ne put être remise au conseil des mines par le Domaine que le 1er janvier 1807. Par décret du 10 mars, Guillot-Duhamel fils, alors ingénieur en chef des mines, fut nommé directeur, poste dans lequel Beaunier devait le remplacer en février 1813.
Faute de fonds suffisants mis à leur disposition, l'un et l'autre durent se borner à faire rouler du mieux qu'ils purent les exploitations placées sous leur direction en tant qu'exploitations domaniales, mais sans pouvoir s'occuper des installations diverses que nécessitait l'enseignement à donner à des élèves. Aussi aucun professorat ne fut-il jamais constitué à Geislautern; aucun élève n'y fut placé à demeure pour y faire un stage de quelque durée; quelques élèves hors de concours venus de l'École de Moutiers ont pu y passer comme sur tout autre établissement. Il ne faut donc voir dans Geislautern que l'embryon d'un arrondissement minéralogique, c'est-à-dire d'une entreprise industrielle gérée par l'administration des mines, analogue à l'arrondissement de la Tarentaise dont nous allons parler, sans que celui-là ait eu les brillantes destinées que Schreiber devait donner à celui-ci.
Guillot-Duhamel, aidé de Beaunier et de Calmelet, a eu du reste à s'occuper principalement du travail considérable nécessaire à la délimitation des soixante concessions qui, conformément au décret du 13 septembre 1808, devaient être instituées sur le bassin houiller de Sarrebruck. Les événements de 1814 devaient survenir avant que cette importante opération eût abouti.
A l'invasion de 1814, Beaunier dut se réfugier à Metz, où il resta enfermé jusqu'à la paix. Le traité du 30 mai 1814 nous avait laissé Geislautern tandis qu'il nous avait enlevé tous les établissements de la Tarentaise. L'administration songea donc, autant que les événements permettaient de le faire, de tirer désormais parti de Geislautern pour l'enseignement. Brédif, que nous retrouverons sous-directeur de la mine de Pesey, fut placé en la même qualité sous les ordres de Beaunier qui, à la paix, était retourné à Geislautern. Mais ils furent obligés de fuir à nouveau en juin 1815, assez heureux pour sauver le matériel, les produits et les pièces de comptabilité de l'établissement que la France allait perdre définitivement cette fois.