Notice Historique de l'Ecole des Mines de Paris, Louis Aguillon

CHAPITRE II.

L'ÉCOLE DES MINES A LA MONNAIE.
(1783-1790)

L'arrêt du Conseil du 19 mars 1783 sur l'École des mines stipule bien, dans son préambule, « que Sa Majesté a résolu d'établir une école des mines à l'instar de celle qui a été établie avec tant de succès, sous le règne du feu roi, pour les ponts et chaussées » ; mais dans le corps de l'arrêt il semble qu'il soit moins question de la création même d'une école que du recrutement d'un personnel par la voie d'un enseignement déterminé. Aux termes de l'arrêt, en effet, deux professeurs devaient être nommés pour enseigner les sciences relatives aux mines et à l'art de les exploiter (art. 1). Ces sciences devaient comprendre, d'après l'article 2 : « la chimie, la minéralogie, la docimasie, la physique, la géométrie souterraine, l'hydraulique et la manière de faire avec le plus de sûreté et d'économie les percements et de renouveler l'air dans les mines pour y entretenir la salubrité, enfin les machines nécessaires à leur exploitation et la construction des fourneaux ». Le cours des études devait durer trois ans, du 1er novembre au 1er juin, à raison de trois leçons par semaine, de trois heures chacune, de chacun des deux professeurs (art. 3).

Les élèves ne pouvaient être admis qu'à seize ans accomplis, en justifiant qu'ils étaient suffisamment instruits de la géométrie, du dessin et des principes élémentaires de la langue allemande (art. 4).

Chaque élève devait subir tous les ans deux examens, l'un sur la théorie et l'autre sur la pratique, et à la fin du mois de mai de chaque année un examen général (art. 5 et 6). Les élèves qui s'étaient distingués par leur application et leur intelligence étaient envoyés dans les principales exploitations pour y rester, pendant les cinq mois de vacances, à s'instruire de tous les objets relatifs à la pratique des travaux (art. 7) ; les concessionnaires de mines étaient chargés de l'entretien des élèves envoyés chez eux, à raison de 60 livres par mois (art. 8), et ils devaient donner des certificats sur leur conduite et leur travail (art. 9).

Les élèves qui, après trois ans d'études, avaient convenablement satisfait aux examens et aux conditions de stage sur les exploitations, recevaient le brevet de sous-ingénieur des mines (art. 10) ; ce brevet ne conférait pas de piano le droit d'être nommé inspecteur ou sous-inspecteur du Gouvernement, mais sans lui, nul ne pouvait être nomme désormais à ces postes (art. 11). Enfin l'arrêt (art. 12) affectait une somme annuelle de 3.000 livres, pour créer 12 bourses, de 200 livres chacune, « en faveur des enfants des directeurs et des principaux ouvriers des mines, qui n'auraient pas assez de fortune pour les envoyer étudier à Paris, le surplus devant être employé à distribuer des prix à ceux qui auront été jugés les plus capables à l'examen général ».

Il est curieux de relever dans cette première charte de fondation, si rudimentaire qu'ait été relativement notre première école, des règles analogues à celles qui ont persisté pendant bien longtemps et dont plusieurs persistent encore : durée de l'instruction de trois ans, coupée chaque année en deux périodes : l'une d'enseignement théorique par des leçons, l'hiver ; l'autre d'entraînement pratique, l'été, par des voyages et des stages sur les exploitations ; mélange d'élèves destinés au service du Gouvernement et à celui de l'industrie privée ; il n'est pas jusqu'à la clause de faveur concernant les fils de directeurs dont on ne retrouve la trace dans une clause de portée analogue, que nous aurons à signaler plus tard, et qui a subsisté officiellement jusqu'en 1883.

L'arrêt rendu, il s'agissait de l'appliquer. Sage, qui avait été nommé directeur de l'Ecole, devait être l'un des deux professeurs ; Guillot-Duhamel père, l'autre. Sage paraît avoir rencontré tout d'abord quelques difficultés pour installer son école. Heureusement pour lui, à la fin de 1783, de Calonne était aux finances, et, comme la dépense ne lui répugnait pas, il obtint du roi une subvention grâce à laquelle Sage fit faire à l'hôtel des Monnaies, non sans un luxe qui lui fut vivement reproché par Lebrun dans ses rapports à l'Assemblée constituante, les installations nécessaires pour établir un laboratoire et surtout pour disposer, sur les plans d'Antoine, qui venait de reconstruire l'hôtel des Monnaies, les collections soi-disant destinées à l'enseignement de l'École. [Sage rapporte dans deux de ses brochures (Notice biographique, Origine de la création de l'École royale des mines) que la dépense de 40.000 francs aurait été soldée par un don à lui personnellement fait par Louis XVI pour avoir retiré 440.000 francs de vieilles dorures dont on n'avait offert au roi que 20.000 écus. Monnet, dans son manuscrit, dit que la subvention aurait été de 50.000 écus. Lebrun, dans son rapport à l'Assemblée constituante du 29 janvier 1790, a fixé la décoration du cabinet de Sage à 162.000 livres, sur lesquelles 36.000 livres étaient encore dues à cette date.]. Ces collections, qui constituaient le Cabinet de l'École des mines et subsistèrent à l'hôtel des Monnaies jusqu'en 1824, étaient formées par le propre cabinet de Sage, que celui-ci avait cédé au roi, moyennant une rente viagère de 5.000 livres [ Cette rente, à raison de son origine, fut confirmée par la loi du 1er mai 1791, relative à la liquidation des gages arriérés (V. Lamé Fleury, Législ. minér, sous l'ancienne monarchie, p. 196, note 2) ].

Sage a fait imprimer et a publié la Description méthodique du cabinet de l'Ecole des mines (1784, 1 vol. in-8), avec un supplément en 1787, qui a été considérée ultérieurement comme constituant l'inventaire des collections cédées au roi contre pension. Sage, en effet, continua par la suite à augmenter les collections de la Monnaie, mais plutôt d'objets d'ornement que d'échantillons ayant une valeur scientifique.

Sage enseignait la minéralogie et la chimie docimastique ou métallurgique ; Guillot-Duhamel l'exploitation des mines et la géométrie souterraine; en outre, il était démonstrateur, suivant l'expression de l'époque, des machines et appareils utilisés dans les mines et usines ( Duhamel avait fait établir, sur ses dessins, des modèles d'appareils, qui figuraient dans les collections de l'École), c'est-à-dire que Guillot-Duhamel, comme il l'indique lui-même dans ses manuscrits, enseignait l'art du mineur et du métallurgiste. C'étaient là les deux professeurs prévus à l'arrêt organique de 1783. Mais, dès que l'Ecole commmença à fonctionner, on leur adjoignit un professeur de dessin et tracé de plans et un professeur de mathématiques. On donnait, en outre, aux élèves des leçons de physique et de langues étrangères.

Sage touchait comme professeur 5.000 livres, en outre de son traitement de 6.000 livres comme commissaire pour l'essai des métaux et minéraux, et de la pension viagère de 5.000 livres pour la cession de son cabinet, au total 16.000 livres au compte du département des mines.

L'établissement où les élèves devaient être plus spécialement envoyés, pour l'étude de la pratique, était celui de Poullaouen, dont le directeur Brottemann était considéré comme le professeur de pratique de l'École, et recevait de ce chef 2.400 livres d'appointements.

Ce que devait être l'enseignement de Sage, on en peut juger par ses publications diverses et notamment par son ouvrage : Analyse chimique et concordance des trois règnes (Paris, 1786, 3 vol. in-8), qu'il nous dit être la reproduction de son cours. En minéralogie on n'y trouve qu'une énumération de minéraux ou de roches, distingués entre eux par des caractères extérieurs superficiels, insuffisants ou mal compris, sans trace des classifications méthodiques que la cristallographie de Hauy et la chimie nouvelle allaient permettre (la minéralogie de Sage, malgré les indications données dès 1781 par Haily, continua à abonder dans ces schorls, où l'on rangeait pèle-mêle toutes les espèces fusibles se présentant sous une apparence grossièrement prismatique, et ces zéolithes, réunion non moins disparate et hétérogène qui comprenait toutes les espèces donnant une gelée à l'attaque aux acides) ; en chimie et en docimasie, l'indication des recettes alors connues dans les laboratoires sans aucune véritable théorie scientifique pour les expliquer et les relier entre elles.

L'enseignement de Guillot-Duhamel en matière d'exploitation de mines peut être réputé, au contraire, avoir été aussi substantiel que le comportait l'art des mines à cette époque, si l'on en juge par son manuscrit de l'Art du mineur. N'ayant plus son manuscrit de l'Art du métallurgiste, nous ne pouvons aussi bien juger la nature et de la portée de son enseignement métallurgique. Tous les témoignages rendus plus tard en sa faveur, par ceux qui avaient été ses élèves ou qui l'avaient connu, nous permettent de croire que, dans cette autre branche de l'enseignement, il fut à la hauteur de la grande réputation qu'il s'était acquise comme métallurgiste, en pratiquant de 1764 à 1775. Cuvier, dans l'éloge historique qu'il a consacré à Duhamel (Éloges historiques, t. III), a donné des renseignements circonstanciés sur les résultats remarquables que celui-ci avait obtenus-dans les forges dirigées par lui, notamment pour la fabrication de l'acier.

Parmi les professeurs secondaires Sage (Exposé des effets de la contagion nomenclative, br., 1810, p. 33-34) a indiqué : Charles pour la physique, Prud'homme pour la géométrie, Miché pour le dessin et l'architecture pratique, l'abbé Clouet pour l'allemand et l'anglais ; nous retrouverons plus tard ces deux derniers.

Monnet paraît dire dans un de ses manuscrits, plus qu'il ne le mentionne explicitement, qu'Hassenfratz, dont nous aurons tant à parler plus tard, qui avait été nommé sous-inspecteur des mines le 1er janvier 1785, a également enseigné à l'école de Sage. Une note conservée dans les archives de l'Ecole des mines indique, en effet, qu'il enseignait la physique aux élèves des mines, en 1786. Le rapport de Lebrun fait à l'Assemblée constituante, le 29 janvier 1790, ne cite que l'abbé Clouet comme professeur titulaire de langues étrangères, aux appointements de 2.000 livres, et Charles pour l'enseignement de la physique, avec gratification de 600 livres (mais ce rapport indique que deux élèves donnant des leçons à leurs confrères recevaient de ce chef 200 livres d'indemnité chacun).

Il y avait, en outre, un secrétaire-garde des collections, Trumeau de Vozelles, un sous-garde et un personnel de gens de service. Au total, d'après le décompte de Lebrun dans son rapport à l'Assemblée constituante, l'école de Sage entraînait une dépense de 26.800 livres, non compris les traitements touchés par Sage et Duhamel, en dehors de leurs allocations comme professeurs. Sage (Fondation de l'Ecole royale des mines à la Monnaie) a dit que « les dépenses de l'École ne montaient, pour les douze élèves, les professeurs, les gardes conservateurs, les frais d'expériences et d'entretien, qu'à 21.400 francs. » Les chiffres de Lebrun nous paraissent plus officiels. Monnet (ms: Essai historique sur les mines) indique 20.400 livres, mais avec un décompte certainement erroné, puisqu'il attribue 600 livres à 20 élèves.

Dès la fin de 1783, ou tout au moins aux débuts de 1784, l'École était en fonctionnement régulier. Une première promotion de huit élèves y avait été admise. Mais, contrairement aux clauses de l'arrêt de 1783, les élèves paraissent avoir été tous brevetés après une seule année de cours ( tous les renseignements sur le mouvement des élèves de l'École de Sage sont extraits d'un rapport officiel de Dufrénoy, de 1834, sur l'historique de l'Ecole des mines; mais nous n'avons pas su retrouver les documents originaux d'après lesquels Dufrénoy a pu donner ces indications). Dans cette première promotion se trouvaient Lelièvre et Lefebvre d'Hellancourt, qui vont jouer pendant tant d'années le rôle le plus important dans l'histoire de notre administration des mines et de nos écoles. Une autre promotion entra à l'École en 1786, composée de 21 élèves, dont 9 surnuméraires, et après une année de cours également, 10 d'entre eux sortaient brevetés.

Ces élèves surnuméraires étaient ceux qui ne touchaient pas l'indemnité annuelle de 200 livres réservée aux douze élèves titulaires, ou stipendiés comme les appelle Sage, par suite d'une application quelque peu détournée de la disposition formant l'article 12 de l'arrêt organique de 1783. Sage (br. : Fondation de l'École royale des mines) dit que le traitement des élèves stipendiés était de 500 francs et leur indemnité de voyage de 200 francs; nous croyons qu'il commet une confusion.

Les élèves de l'Ecole des ponts et chaussées étaient en outre tenus de suivre, à l'hôtel des Monnaies, le cours de chimie et de minéralogie de Sage; ils accroissaient ainsi le nombre des auditeurs, sinon effectivement présents, du moins que le vaniteux professeur pouvait s'attribuer.

A partir de 1787, il n'y aurait plus eu de nouveaux élèves admis à l'École; mais ceux entrés antérieurement ont dû y rester en partie au delà du temps normal, puisque la loi du 27 janvier 1792 règle rétroactivement, tant pour 1790 que 1791, pour six élèves, l'indemnité annuelle de 200 livres. Cet arrêt dans le fonctionnement de l'École a coïncidé avec le départ de Douet de La Boullaye et la disparition de l'intendance spéciale des mines. Le besoin des économies se faisait sentir, et Chaumont de La Millière, dernier intendant des mines et des ponts et chaussées, était un administrateur trop soigneux pour ne pas essayer d'enrayer les prodigalités qu'on reprochait à Sage et à l'administration de Douet de La Boullaye. Dans son rapport du 29 janvier 1790, au nom du comité des finances, après avoir détaillé la dépense du département des mines, qui se montait à 140.800 livres (non compris les appointements de l'intendant), après avoir rappelé l'historique des créations successives de Sage à la Monnaie, Lebrun terminait en disant : « La dépense de l'établissement a été calculée pour un autre royaume que la France, pour la Suède, par exemple, ou pour l'Espagne, dont les mines constituent une grande partie de la richesse publique ; mais chez un peuple agricole, les mines ne peuvent être qu'objet de police et d'inspection; on doit à cette partie protection, encouragement, instruction, sans faste et sans magnificence ; l'intérêt particulier fera le reste. D'après les principes adoptés par le comité des finances, l'établissement des mines doit être réduit au simple nécessaire ; l'administrateur actuel, Chaumont de La Millière, l'avait considéré sous le même point de vue, et le comité se fait un devoir de lui rendre la justice d'annoncer qu'il ne proposera presque point d'économie qu'il n'eût lui-même indiquée. »

Quelques mois après, à la séance du 5 juin 1790, Lebrun exposait le plan du comité des finances, qui consistait à supprimer le corps et l'École des mines et à les fusionner avec le corps et l'Ecole des ponts et chaussées, que l'on proposait seule de maintenir. « Un objet d'économie nous a frappés, disait Lebrun (Archives parlementaires, t. XVI, p. 112) ; on a très nouvellement établi une École des mines avec un grand appareil et de grandes dépenses ; le nombre des élèves est peu considérable; après avoir pris à l'École des instructions théoriques, ils vont chercher dans les provinces à mettre ces connaissances en pratique; mais les ateliers obscurs dans lesquels ils voudraient se perfectionner leur sont ouverts ou fermés selon le caprice des propriétaires. Le comité a pensé que tout ce qui a rapport aux travaux des mines devait se lier aux études nécessaires pour les ponts et chaussées; qu'il serait intéressant pour les départements de trouver dans le même homme, dans un homme occupé par état de fouilles de terre et de constructions souterraines, les lumières nécessaires soit pour constater l'existence des mines, soit pour en éclairer l'exploitation. » Ce plan se reliait avec celui présenté le 20 août 1790 pour la réorganisation du Jardin des Plantes (Archives parlementaires, t. XVIII, p. 176). On devait y transporter tout le cabinet des mines de l'hôtel des Monnaies, et le professeur de chimie du Jardin des Plantes devait y faire désormais un cours de métallurgie.

Ni l'un ni l'autre de ces plans ne devaient être adoptés par l'Assemblée constituante. Les officiers des mines avaient présenté à l'Assemblée constituante, le 4 juin 1790, un mémoire (Archives parlementaires, t. XVI, p. 99) pour établir la différence des fonctions entre les ingénieurs des mines et ceux des ponts et chaussées, et par suite les différences de l'instruction professionnelle qui leur était respectivement nécessaire. De leur côté, les officiers du Jardin des Plantes avaient opposé au plan du comité des finances une organisation toute différente, beaucoup plus développée, mais où il n'était pas question de chaire de métallurgie (Archives parlementaires, t. XVIII, p. 185). Dans sa séance du 15 août 1790, l'Assemblée constituante se borna à suspendre provisoirement le fonctionnement d'une partie du département des mines et remit à statuer après rapport des comités réunis d'agriculture, du commerce et d'instruction.

Lorsque Regnault d'Epercy présenta, le 20 mars 1791, avec son rapport, le projet qui devait devenir la loi sur les mines du 28 juillet 1791, il fit observer, à la fin de son travail, qu'il n'était question, dans le projet, ni de l'administration des mines, ni de l'École, parce que ces questions devaient faire l'objet d'un rapport et d'un projet particulier dont il annonçait que l'Assemblée serait incessamment saisie (« Vous verrez avec satisfaction, messieurs, disait Regnault d'Epèrcy, à la fin de son rapport, que vous pouvez employer utilement, pour l'intérêt public, ces hommes éclairés et instruits qui faisaient partie de l'ancienne administration. Vos comités se plaisent à leur rendre cette justice : c'est à eux qu'ils doivent principalement tous les renseignements qui leur sont parvenus sur l'exploitation des mines. » (Arch. parlem., t. XXIV, p. 223)).

Il n'en fut rien, et l'Assemblée constituante se sépara sans avoir, par suite, rien statué sur la réorganisation du corps et de l'Ecole des mines. En tout cas, en réorganisant le corps et l'Ecole des ponts et chaussées par la loi du 19 janvier 1791, l'Assemblée laissa le personnel et l'instruction relatifs aux ponts et chaussées, absolument distincts, comme auparavant, de tout ce qui touchait au fait des mines (la loi de dépenses pour 1791, du 18-25 février 1791, fait mention d'une allocation de 7.000 livres pour l'École des mines). Le corps des mines continua à avoir l'existence de fait que reconnut la loi du 27 janvier 1792, en prescrivant la continuation de leurs traitements aux officiers des mines alors existants, y compris les élèves. L'Almanach royal de 1792 contient, comme les précédents, la mention des cinq inspecteurs généraux des mines et la notice des almanachs antérieurs relative à l'Ecole des mines de la Monnaie.

Telles sont les circonstances dans lesquelles s'éteignit en fait, en tant qu'institution d'enseignement, sans avoir été jamais légalement supprimée, l'Ecole fondée par Sage. C'est pourquoi Sage, en 1824, se parant encore du titre de professeur que personne ne songeait à lui discuter, se prévalait d'un enseignement à peu près ininterrompu, suivant lui, pendant près d'un demi-siècle.

Lui-même n'allait, du reste, pas tarder à être jeté en prison. « Je ne parvins à obtenir la vie et la liberté qu'en donnant 1.000 louis. » (Sage, Origine de la création de l'École royale des mines, br., 1813, p. 5.)

L'établissement fut matériellement respecté et les collections laissées intactes. Sous la Convention, le comité des finances avait bien prescrit leur transfert au Muséum ; mais il n'y fut pas donné suite à cause apparemment des contestations qui s'élevèrent sur leur répartition entre le Muséum d'une part, l'École polytechnique et l'agence des mines, d'autre part, qui tous en réclamaient une partie pour leurs collections.

Dès le début du Consulat, Sage était rétabli à la Monnaie au milieu de sa collection, et tous les Almanachs, depuis celui de l'an X jusqu'à celui de 1824, année de sa mort, contiennent une notice sur le Musée des mines à la Monnaie, où l'on reconnaît bien la plume dithyrambique de Sage, dès qu'il parlait de lui; la notice descriptive se termine par la mention : Sage, administrateur et professeur. Quel cours pouvait-il faire et quels auditeurs pouvaient le fréquenter? C'est ce qu'il serait bien inutile de rechercher.

A la mort de Sage, en 1824, l'État revendiqua, comme lui appartenant en vertu de la cession faite au roi, moyennant pension, tous les minéraux, roches et objets décrits dans le Catalogue édité et imprimé en 1787; l'Etat consentit à laisser aux héritiers Sage tous les autres objets placés dans les collections, et que rien de particulier n'établissait être propriété domaniale. L'Ecole des mines de Paris, à laquelle cette collection paraissait devoir revenir en entier à raison de son origine, reçut en 1825, à la suite de longues contestations, 3.000 objets, après que le Muséum eut été admis à prélever 466 échantillons, malheureusement pour l'École, choisis dans le peu que le cabinet de Sage contenait comme ayant une valeur scientifique. Les collections étaient faites à l'image de celui qui les avait formées, plus en surface qu'en profondeur, plus en objets de montre et d'apparat qu'en échantillons utiles à la science. Parmi les objets venus du cabinet de la Monnaie, se trouve à l'École des mines le buste en bronze de Sage, par Ricours, du reste fort beau, qui se voit aujourd'hui dans la collection de minéralogie, sur son ancien piédestal, couronné par l'inscription : discipulorum pignus amoris. Monnet élève quelques doutes sur la spontanéité mise par les élèves à offrir ce buste à leur directeur.

Les renseignements que nous avons donnés sur l'École de Sage montrent tout d'abord qu'elle n'a guère fonctionné comme l'avait prévu l'arrêt du Conseil de 1783. Au lieu d'un enseignement de trois ans, la plupart des élèves n'ont reçu d'enseignement que pendant un an; cet enseignement paraît, d'autre part, avoir été très rudimentaire et surtout peu fortifié par l'étude sur place des mines et usines. Aussi s'explique-t-on - bien qu'il en soit sorti quelques membres distingués de notre premier corps des mines, y ayant occupé les plus hautes situations - que l'École de Sage n'ait pas joui d'un grand renom auprès des contemporains. Nous ne faisons pas là allusion à Monnet, qui naturellement déclare que les élèves ne savaient rien et ne pouvaient se placer dans l'industrie; pour Monnet, des élèves de Sage et de Guillot-Duhamel ne pouvaient être que des ignares. Mais Fourcroy, dans son rapport du 3 vendémiaire an III sur l'École centrale des travaux publics, qui devait devenir l'École polytechnique, a jugé d'une façon assez sévère l'École de Sage, peut-être même plus sévèrement qu'elle ne méritait de l'être. Fourcroy avait, en effet, une forte prévention contre Sage, qui l'a accusé d'être l'auteur de son incarcération sous la Convention (Mémoires historiques et physiques, 1817, p. 74). Sage n'était pas un Perronet ; ce que celui-ci a su faire pour les ponts et chaussées, celui-là ne réussit pas à l'établir pour les mines. Leurs créations ont été très dissemblables et semblent, chacune porter leur empreinte personnelle. L'un, doué d'un rare talent d'ingénieur et d'administrateur, était un homme d'une modestie peu commune; l'autre fut un vaniteux d'assez courte science. Or, l'oeuvre qu'il avait tentée offrait des difficultés peut-être encore plus grandes que celles dont avait été chargé Perronet.

Il est juste toutefois de reconnaître que les temps et les circonstances ont peu favorisé l'oeuvre créée par Sage. A peine l'École commençait-elle à fonctionner, tous les principes sur lesquels reposait, en France, le régime de l'exploitation des mines allaient être renversés. La loi si malheureuse du 28 juillet 1791, qui venait de livrer toutes les exploitations minérales au gaspillage des propriétaires du sol, avait absolument omis de poser la moindre indication sur la police des mines ; tout ce qui touchait à l'administration des mines était décentralisé et mis à peu près exclusivement dans les mains des directoires de départements. A quoi aurait pu servir une École des mines dans de telles conjonctures? Il fallait d'abord qu'on revînt sur le mode d'interprétation et par suite d'application de la loi de 1791 pour qu'on sentît le besoin de sortir du chaos où l'on resta plusieurs années en fait d'exploitation de mines tant soit peu rationnelle. Comme en bien d'autres sujets, l'Assemblée constituante n'a fait que démolir; il appartenait à la Convention et au Directoire d'édifier à nouveau.