Jean BOVIO (1868-1918)

Ancien élève de l'Ecole des mines de Paris (promotion 1891). Ingénieur civil des mines.


Bulletin de l'Association amicale des anciens élèves de l'Ecole des mines de Paris, Janvier-Février-Mars 1920 :

Sur la liste, malheureusement trop longue, des victimes de la barbarie allemande, figure le nom de Jean Bovio. Il naquit le 20 novembre 1868, à Doussard, village situé à la pointe méridionale du lac d'Annecy, c'est-à-dire, dans la plus riante et la plus jolie de nos provinces alpestres. C'est à Albertville d'abord, au Lycée de Chambéry ensuite, qu'il fit ses premières études. Bachelier en 1884, il se prépara à l'Ecole des Mines de Paris, d'où il sortit en 1895 avec le diplôme d'ingénieur civil des Mines. Après avoir débuté à la Compagnie des Mines de Douchy et exercé pendant plusieurs années son métier d'ingénieur du fond, Bovio entra, au début de 1900, à l'Ecole des maîtres mineurs de Douai. Chargé des cours d'exploitation, de géologie, de minéralogie, de physique et de chimie, il se consacra entièrement à sa tâche, suivant de très près le travail de ses élèves, et s'efforçant d'élever chaque année le niveau de leurs études si spéciales. Dans ce but, il n'hésitait pas à se rendre dans les diverses Compagnies houillères, pour se renseigner sur les essais tentés et les résultats obtenus, pour se documenter sur les difficultés nouvelles rencontrées dans les travaux et les moyens employés pour y remédier. Il exposait ensuite, dans ses cours, les résultats de son enquête, les commentait, en développait les conséquences possibles et jetait ainsi dans les cerveaux de ses jeunes élèves, non seulement l'esprit d'initiative, mais la semence si précieuse de progrès futurs. Bovio contribua ainsi grandement à la prospérité de cette excellente école, qui, chaque année, donne aux Sociétés minières leurs futurs chefs porions et leurs meilleurs géomètres.

Arrive le mois d'août 1914, l'Allemagne nous déclare la guerre. Dès le début des hostilités, il est envoyé aux Mines de Douchy pour s'occuper des expéditions du charbon nécessaire à la défense nationale. Mais l'ennemi, après avoir violé la neutralité belge, envahit le département du Nord. Bovio quitte Lourches peu de temps avant l'arrivée des Allemands ; il va d'abord à Paris rendre compte de sa mission, puis il rentre à Douai, conformément aux ordres qui lui sont donnés. Quelques jours après, s'engage la bataille de la Marne, qui arrête l'invasion, et ensuite commence ce qu'on a appelé la course à la mer. Le bassin houiller d'où l'on espérait chasser l'ennemi se trouve coupé en deux, et le front se stabilise à la limite ouest de la concession de Lens. Voilà notre camarade prisonnier pour quatre ans. L'Ecole des Mines étant fermée, il aide à distribuer les secours et allocations ; en même temps, il traduit les communiqués et les passages intéressants des journaux allemands pour les répandre parmi les Français. Malheureusement, la chose s'ébruite peu à peu, Bovio devient suspect à l'ennemi, qui n'admet comme propagande que celle qu'il fait par l'intermédiaire de la Gazette des Ardennes. On perquisitionne à son domicile et l'on trouve des journaux français ; le délit est suffisant pour motiver 15 jours de prison, dont 8 en cellule, et dans quelles conditions ! Notre camarade n'a pas de couverture pour se protéger contre le froid humide de notre région, et comme nourriture il ne reçoit que du pain et de l'eau. A peine libéré, il est envoyé au camp de disciplinaires de Phalempin et doit travailler à l'entretien des routes. Le manque de vêtements chauds et l'insuffisance de la nourriture ont bientôt raison de sa santé ; à la suite d'une visite médicale, on l'autorise à retourner à Douai. A peine y est-il réinstallé que la Commandature le prévient qu'il est incorporé dans l'équipe des prisonniers civils qui travaillent à Equerchin. Mais l'hiver arrive, Bovin n'a plus la force physique nécessaire pour résister à ce régime ; malade à nouveau, il entre à l'hôpital général, où il reste jusqu'au printemps 1918, époque à laquelle les Allemands congédient les malades et le personnel, parce qu'ils ont besoin des bâtiments. Il rentre chez lui, mais les Allemands n'entendent pas le laisser se soigner. Ils lui commandent de retourner à Equerchin. Ce n'est qu'à grand'peine qu'il obtient l'autorisation d'être occupé comme ingénieur du jour à la Compagnie de l'Escarpelle. Il y reste tout l'été, reprenant quelques forces. Mais au début d'octobre, les Allemands reculent, Bovio reçoit l'ordre de s'embarquer sur une péniche qui se dirige vers la Belgique ; il reste ainsi dix jours, exposé aux intempéries, car la péniche est chargée. Il supporte vaillamment celle nouvelle épreuve, car il voit que les Allemands sont obligés de reculer et qu'ils seront bientôt acculés à la défaite. Libéré enfin par l'armistice, notre camarade court à Paris retrouver ses jeunes filles et se mettre à la disposition de ses chefs : mais il a trop souffert et s'il a gardé sa fermeté d'âme, sa santé a été irrémédiablement compromise. Le 22 décembre. il meurt presque subitement dans les bras de sa vaillante épouse qui, après avoir tremblé pour lui pendant près de quatre ans, croyait que l'horrible cauchemar était terminé et que la santé de son cher époux allait se rétablir. Nous adressons à Mme Bovio et à ses deux fillettes l'expression de notre profonde sympathie, et nous garderons fidèlement le souvenir de notre camarade et ami mort victime des persécutions allemandes.

L. Didier.