Publié par La Revue de l'Aluminium et de ses Applications (septembre-octobre 1936, p. 300) :
Le 1er août, à l'âge de soixante-quatre ans, Louis Blériot est mort subitement à Paris.
Avant d'être un grand constructeur d'avions, dont le « Santos-Dumont » a été la dernière réalisation avec trente traversées de l'Atlantique Sud, Blériot fut surtout, ce qu'il restera pour la France et pour le monde entier, le plus célèbre des inventeurs-pilotes des débuts de l'aviation. Il fut celui qui réalisa le premier envol d'un avion d'un point à un autre du territoire, en 1908, et qui osa enfin tenter et réussit, le 25 juillet 1909, la traversée de la Manche.
Sa grande et légitime gloire date de cet exploit, mais ce succès ne fut pas autre chose que le résultat mérité de longues années d'efforts obstinés et de bataille acharnée contre les difficultés de toutes sortes, techniques ou financières, qu'il dut surmonter. Jeune ingénieur, sorti de l'Ecole centrale des Arts et Manufactures, marié, père de famille nombreuse, il n'hésite pas à consacrer à l'aviation, dont on escompte encore à peine une naissance laborieuse, toute son intelligence et toutes ses ressources.
Après l'élaboration d'un premier modèle réduit à ailes battantes, en 1901, ce sont successivement, en grandeur réelle et en essais, des modèles d'hydroplaneurs, un appareil type « Canard », plusieurs « Libellules » dont un exemplaire lui permet un premier décollage sur 25 mètres de longueur, un autre huit minutes de vol en juillet 1908 et, le 31 octobre de la même année, le premier voyage au-dessus de la campagne de Toury à Artenay.
Louis Blériot, qui pilote lui-même, travaille avec ténacité, pris entre ses soucis, ses études et ses essais, sans compter les risques de chutes répétées dont il garde les traces.
C'est enfin son fameux type XI qu'équipe un moteur Anzani relativement lourd et ne donnant, avec 20 à 25 CV, qu'une vitesse maximum de 55 à 60 km à l'heure ; encore ne faut-il pas compter sur un fonctionnement trop prolongé. Tel est l'appareil avec lequel Blériot réalise audacieusement, en juillet 1909, le voyage Etampes-Orléans pour tenter, aussitôt après, sa chance dans le prix du « Daily Mail », réservé au premier aviateur qui traverserait la Manche.
Seule, la traversée de l'Océan Atlantique par Lindbergh une vingtaine d'années plus tard, peut donner une idée partielle de l'émotion et de l'enthousiasme que suscita, en France et dans tout l'univers, l'exploit sensationnel de Blériot avec tout ce qu'il révélait soudain des futures possibilités de l'aviation.
Lorsqu'on mesure actuellement tout ce que cette prouesse représentait avec un matériel dont la cellule était frêle, dont le moteur était lourd pour une puissance minime, on a vraiment l'impression qu'il s'agissait effectivement d'un « tour de force » dans lequel la science de l'ingénieur-inventeur et l'énergie du pilote jouaient un rôle compensateur de premier plan.
Le moteur Anzani était cependant remarquable pour l'époque, comme l'était aussi le moteur Antoinette. Mais les constructeurs ne disposaient pas encore des facilités qu'aurait pu leur offrir, quelques années plus tard, la connaissance nouvelle des alliages légers à haute résistance. Quelle simplification dans la rude tâche de Blériot s'il avait, en 1909, disposé de moteurs susceptibles de fournir des puissances de 20 à 60 CV avec des poids de 30 à 60 kg, comme les moteurs actuels de notre aviation légère auxquels nous avons consacré une étude récente (n° 81), en montrant le rôle essentiel qu'y jouent les alliages légers !
Il faut bien dire, d'ailleurs, que ce furent précisément les besoins urgents et importants de l'aviation, surgie des découvertes réalisées de 1906 à 1910 et de la première traversée de la Manche, qui provoquèrent les débuts d'une activité remarquable dans les recherches techniques relatives aux alliages d'aluminium, recherches qui ont, en un quart de siècle, transformé la métallurgie moderne.
Le problème de l'obtention du minimum de poids avec la plus grande résistance était, en effet, dès la réussite célèbre du premier vol maritime de Blériot, le problème dont devait dépendre, avec la puissance spécifique d'un moteur, tout l'avenir de l'aviation.