par M. HERBIN, Ingénieur au corps des Mines.
Publié dans Annales des Mines, juillet-août 1947.
Le 21 février 1947 est mort accidentellement à Paris André BESSET, ingénieur-élève des Mines.
Ses camarades ont appris avec une poignante émotion la disparition brutale, à l'âge de vingt-deux ans, d'un des plus brillants sujets qu'ait formés, pendant ces dernières années, l'École Polytechnique. Ils admiraient l'élévation et la droiture de son caractère, l'ampleur et la vivacité de son intelligence.
D'origine franc-comtoise par son père et par sa mère, André BESSET appartenait à une famille où semble héréditaire, plutôt qu'un don particulier pour les sciences, une vive intelligence dans tous les domaines de la Pensée.
Son grand-père maternel était ingénieur, et fonda une entreprise de constructions métalliques, devenue depuis la Société Armand-Moisant-Laurent-Savey. Dans les carrières embrassées par son père, chirurgien-chef de l'Hôpital Péan, et par son frère aîné, ancien élève de l'École Normale Supérieure, agrégé d'allemand, André BESSET ne trouvait pas tracées d'avance la voie des sciences exactes ni celle du métier d'ingénieur. Mais il devait à l'influence familiale son goût de toutes les choses de l'esprit, ses facilités littéraires, une connaissance parfaite de plusieurs langues étrangères.
Ces qualités le firent déjà remarquer au collège Stanislas, où il poursuivit de brillantes études secondaires, dans l'ordre des lettres comme dans celui des sciences. C'est en classe de première qu'il commença à s'intéresser aux mathématiques et choisit le chemin qui mène aux écoles scientifiques. Il triompha avec aisance de concurrents pourtant sensiblement plus âgés : reçu en 1942 cinquième à l'École Normale Supérieure et major à l'X, il opta pour cette dernière. Il y conserva ce rang et une moyenne supérieure à celles de ses camarades, jusqu'à sa sortie, en 1946.
Au cours des armées troublées pendant lesquelles les études de sa promotion furent interrompues, alors qu'il faisait partie d'un régiment d'artillerie de la 1ère Armée Française, André BESSET affirma ses qualités d'endurance physique et morale, de caractère et de commandement.
Son goût pour les choses de l'esprit ne lui faisait pas négliger l'entraînement du corps et il sut toujours entre les deux maintenir un parfait équilibre. Pour en donner un exemple : à l'entrée à l'X, il ne savait pas nager. Quelques mois après il était champion de sa promotion en dos crawlé.
En discutant avec André BESSET, on était surtout frappé de la rapidité de son intelligence et de son aptitude à imaginer des solutions d'un problème. Il ne semblait pas suivre une marche logique ni analyser progressivement les éléments d'une question. Raisonnement, mémoire, imagination, étaient chez lui des instruments merveilleusement accordés comme un tout. Cette intuition pénétrante, aidée par une grande puissance de concentration, lui permettait d'extraire les idées essentielles d'un livre ou d'une théorie, à un rythme qui forçait l'admiration. Il pouvait satisfaire sans effort sa curiosité toujours en éveil, et butiner, très loin souvent des sujets du programme, les plus belles fleurs des mathématiques et de la physique.
Ces qualités exceptionnelles de son intelligence en faisaient oublier d'autres, que possèdent presque tous les esprits scientifiques : l'esprit de généralisation et de logique, la rectitude du jugement, l'ordre et la méthode. S'il est vrai que parmi les premiers de l'X, on rencontre quelques mathématiciens éminents et même géniaux, mais surtout des mémoires admirables et des volontés de fer, c'est au premier groupe que se rattachait BESSET, bien que le sort cruel ne lui ait pas permis de réaliser les espoirs que ses maîtres mettaient en lui.
Il avait eu le temps pourtant de s'initier au métier de chercheur dans les laboratoires de physique de l'École Polytechnique; mais la géométrie surtout l'avait séduit, par son caractère intuitif et, pour ainsi dire, artistique. Il était décidé d'ailleurs à compléter sa culture scientifique par une formation de technicien et approfondissait, parmi les matières enseignées à l'École des Mines, celles qu'il jugeait utiles pour sa carrière.
André BESSET était grand, d'un abord un peu froid. Sous des apparences sévères, qui sont un caractère des Français de l'Est, il dissimulait un coeur généreux et sensible. Toujours bienveillant, il savait écouter avec attention et intérêt les discours d'autrui. Son amitié qu'il accordait rarement, était solide et délicate.
Les situations difficiles où il se trouva souvent avec des camarades, lui permirent de manifester son désintéressement, son dévouement au groupe, son esprit d'équipe.
André BESSET était d'une rigoureuse probité intellectuelle. Il avait horreur de l'hypocrisie, des faux-fuyants, des compromis, et disait à chacun son fait sans ménagements. Cette franchise et cette fermeté, qui ne cessaient pas devant ses chefs, s'appuyaient sur une grande maîtrise de soi, et sur un jugement droit, objectif, dépourvu de toute passion.
Il s'interdisait la critique facile et négative à laquelle les jeunes intellectuels se laissent souvent entraîner. Il préférait chercher des solutions positives, affirmer, agir, et l'épreuve de la vie lui donnait raison.
André BESSET exerçait sur tous ceux qui l'approchaient cet ascendant qui est le privilège des personnalités parfaitement équilibrées, rayonnantes, d'un optimisme justifié par leurs succès ; ses examinateurs en subissaient le charme, dans la brève durée d'une interrogation.
Dans des paroles d'adieu émouvantes, M. Gaston Julia, professeur de Géométrie à l'École Polytechnique, a évoqué les joies qu'André BESSET procurait à ses maîtres :
"Avec ce bonheur sans pareil qui sera toujours la vraie récompense des maîtres, ils avaient reçu la résonance merveilleuse d'une intelligence qui, à leurs appels, prenait conscience de ses jeunes forces et s'éveillait aux joies les plus pures de la connaissance; ils avaient aussi perçu les battements d'un coeur fidèle, reconnaissant du don intellectuel et de l'amitié que sa pure jeunesse ne pouvait qu'attirer."