Ancien élève de l'Ecole polytechnique et de l'Ecole des mines de Paris (promotion 1936). Ingénieur civil des mines.
Publié dans LA JAUNE ET LA ROUGE, n° 638, avril 2008
Jean-Marie Clément est normalien, ancien directeur de recherche au CNRS.
Bachelier à 16 ans, classé premier de tous les élèves du pays dans les matières scientifiques, il fait partie des premiers boursiers envoyés en Europe par Reza Chah afin de former les futurs cadres de l'Iran. Il arrive en France en 1932, fait ses classes préparatoires au lycée Hoche de Versailles et intègre l'École polytechnique en 1934, puis l'École des mines de Paris en 1936. De retour en Iran, il devient à 23 ans le plus jeune professeur de l'université de Téhéran, où il enseigne les mathématiques et la géologie. Parallèlement, il est sollicité par des sociétés d'aménagement hydraulique.
En 1955, il est appelé comme conseiller à l'Organisation du plan, chargé au moins autant de la réalisation des grands travaux que de la planification. Il y passe la plus grande partie de sa carrière et en devient le directeur en 1961. Il est nommé ministre puis vice-premier ministre en 1966, chargé plus particulièrement des affaires liées au développement, et fait partie de plusieurs gouvernements successifs jusqu'à la veille de la Révolution.
Le pouvoir de la raison
Safi Asfia était un homme d'une conviction absolue : il avait une foi inébranlable dans le pouvoir de la raison. Par la position stratégique qu'il occupait, il était en mesure de mettre en œuvre son cartésianisme au service de son pays. De fait, il est à l'origine de la conception et de la réalisation de la plupart des projets de développement et de modernisation des infrastructures de l'Iran, comme les grands barrages de Sefid Roud, de Karadj et de Dez, encore en activité aujourd'hui. Sa grande compétence technique et sa vision à long terme font rapidement de lui le personnage clé vers qui se tournent tous les grands décideurs pour résoudre leurs problèmes. Au sein de l'Organisation du plan, il parvient à créer un climat de tolérance et de liberté d'expression où seules comptent l'excellence et l'expertise.
Il encourage la formation des ingénieurs-conseils nationaux et les impose à la place des ingénieurs-conseils étrangers qui étaient chargés jusque-là des projets de développement du pays.
Safi Asfia aimait viscéralement son pays. Il le connaissait particulièrement bien, non seulement du fait des fonctions importantes qu'il assumait, mais aussi parce qu'en tant que géologue, il l'avait parcouru en tout sens, souvent à pied, avec ses étudiants.
On peut affirmer sans conteste que peu de gens connaissaient comme lui la terre d'Iran et son sous-sol. Mais il en connaissait également l'histoire et la culture, et conformément à la tradition persane, il pouvait réciter de mémoire d'innombrables poèmes du répertoire classique.
En dépit des services qu'il a rendus à la nation et bien qu'il soit connu pour sa probité, il est arrêté en 1979 au début de la Révolution. Son insatiable curiosité intellectuelle et son cartésianisme ne sont pas ébranlés par les cinq années qu'il passe en détention. Ces années de prison, il les surmonte de façon particulièrement admirable ; loin d'être brisé, il maintient intactes ses convictions et sa morale. Il enseigne le français aux autres prisonniers, apprend l'italien, s'initie à la génétique, jusqu'à devenir expert en cette matière et en biologie moléculaire. Il s'amuse à réparer les montres et les transistors que lui apportent ses codétenus, qui le surnomment « l'horloger ». Lors d'un interrogatoire, les yeux bandés face à un juge qui perd patience devant un magnétophone défectueux, il lui propose même ses services pour un dépannage immédiat !
À sa libération, il se passionne pour la programmation informatique: il apprend et maîtrise les langages les plus compliqués et conçoit des programmes complexes d'une logique irréprochable. Il met en particulier au point un logiciel d'astronomie qui permet de visualiser les étoiles en fonction de la date, de l'heure et du lieu et de faire paraître leur nom en plusieurs langues. Il s'engage au sein d'une fondation consacrée à la vulgarisation et à la création des musées scientifiques, créée par Ahmad Zirakzadeh, un de ses camarades polytechniciens. Un lien profond le rattachait à la France, lien qu'il avait maintenu à travers ses anciens camarades (et son abonnement à La Jaune et la Rouge), mais aussi par la collaboration avec la France lors de la réalisation de divers projets de développement.
En 2003, il sort d'Iran pour la première fois après vingt-cinq ans d'exil intérieur et se rend à Paris pour voir sa famille et faire la connaissance de ses arrière-petits-enfants. Lors de ce court séjour, il fait un émouvant pèlerinage sur ses lieux de prédilection, l'École polytechnique bien sûr, mais aussi les endroits où il avait habité quand il était étudiant à Paris. Bien que trente années se soient écoulées depuis la Révolution, Safi Asfia est toujours admiré pour son esprit rapide et brillant, comme architecte du développement de l'Iran mais aussi comme universitaire et scientifique.
Son œuvre a survécu aux bouleversements de l'Histoire. Il laisse à ses collaborateurs et à ses anciens élèves ingénieurs, ainsi qu'aux Iraniens de la nouvelle génération, le souvenir d'un homme d'exception, d'une réputation irréprochable, ayant servi son pays au plus haut niveau, avec honnêteté, modestie, et un dévouement sans borne. Il a quitté ce monde, sept mois jour pour jour après son épouse, avec qui il avait traversé de nombreuses épreuves : la Révolution, la séparation pendant les années de prison, mais aussi la mort de leur fille aînée en 2001. Ses deux autres filles, à Téhéran et à Paris, gardent le souvenir d'un père aimant et attentionné malgré sa personnalité imposante.