Marcel ARNOULD (1927-2011)
Professeur de géologie appliquée à l'Ecole des mines de Paris (1965-1996) puis professeur honoraire. Fondateur et Directeur du Centre de Géologie de l'Ingénieur de l'Ecole des mines de 1970 à 1994.
Hommage prononcé à la mémoire de Marcel ARNOULD
Professeur à l'Ecole des mines de Paris, directeur du Centre de Géologie de l'Ingénieur
par Roger Cojean
Présenté à la Journée technique du 27 janvier 2011, organisée par le CFGI (Comité Français de Géologie de l’Ingénieur et de l’Environnement), avec le CFMS (Comité Français de Mécanique des Sols et de Géotechnique) et le CFMR (Comité Français de Mécanique des Roches)
Roger Cojean est Président du Comité Français de Géologie de l'Ingénieur et de l'Environnement (CFGI), et directeur de recherche à MINES ParisTech
Marcel Arnould nous a quittés le
jeudi 13 janvier 2011. Il aurait eu exactement 84 ans le jour de ses obsèques
le 19 janvier dernier. A cette occasion nous lui avons rendu un premier hommage
et avons exprimé auprès de sa famille toute la reconnaissance que beaucoup
d’entre nous lui portent, notre haute estime, notre amitié, notre affection.
Aujourd’hui, devant vous et
devant son épouse qui a bien voulu honorer notre réunion de sa présence, je me
fais à nouveau, modestement, l’interprète des anciens élèves du Professeur
Marcel Arnould, de ses collaborateurs de l’Ecole des Mines de Paris et du
Centre de Géologie de l’Ingénieur, l’interprète de ses collègues et amis du
CFGI : le Comité Français de Géologie de l’Ingénieur et de l’Environnement
et aussi l’interprète de l’AIGI : l’Association Internationale de Géologie
de l’Ingénieur et de l’Environnement que Marcel Arnould a bâtie avec quelques
précurseurs et animée jusqu’à ses derniers jours. Merci à nos collègues et amis
du CFMS (Comité Français de Mécanique des Sols et de Géotechnique) et du CFMR
(Comité Français de Mécanique des Roches), de s’associer au CFGI pour cet
hommage. Ils comptent d’ailleurs parmi leurs membres beaucoup d’anciens élèves ou
collègues et amis de Marcel Arnould.
Des témoignages venus du monde
entier
Nous avons reçu, de même que sa
famille, de très nombreux témoignages de reconnaissance, de haute estime,
d’amitié, de tous les horizons de la planète. Carlos Delgado, Président de
l’AIGI, qui était avec nous aux obsèques, m’a demandé de l’associer à ce nouvel
hommage aujourd’hui.
Marcel Arnould, co-fondateur de
l’Association Internationale de Géologie de l’Ingénieur, a constamment porté et
soutenu le développement de cette discipline scientifique et technique de par
le monde. Tous les messages reçus ces derniers jours évoquent cette action
soutenue dans le temps, avec détermination, et que nous nous devons de
poursuivre, en sa mémoire et par nos propres convictions, transmettant aux plus
jeunes des valeurs essentielles. Ces messages, venus des quatre coins du monde,
ont souligné aussi ses qualités personnelles, sa bonté, son énergie, son
enthousiasme communicatif.
Ainsi plusieurs de nos amis de
Chine rappellent combien l’action du Professeur Arnould a été déterminante pour
des générations de jeunes chercheurs, géologues, ingénieurs chinois qui ont
appris beaucoup des enseignements de Marcel Arnould, encouragés par lui à
s’ouvrir vers cette discipline et à échanger avec le reste du monde. Il en a
résulté une coopération franco-chinoise très active aujourd’hui dans notre
discipline. Il en va de même avec bien d’autres pays.
Marcel Arnould a guidé ou
accompagné les parcours professionnels de beaucoup d’entre nous, nous
encourageant à dépenser de l’énergie pour une cause professionnelle du plus
haut intérêt. La géologie de l’ingénieur - l’engineering geology est fortement ancrée
dans les sciences de la Terre, et s’appuie aussi sur les sciences mécaniques et
les sciences hydrologiques. Il nous a appris que l’expertise correspondante se
construit beaucoup par une longue et raisonnée pratique des terrains
géologiques et par les retours d’expérience sur événements, en particulier relatifs
aux ouvrages du génie civil. Marcel Arnould nous a aussi enseigné le
« Design with Nature » de Ian Mc Harg, non pas « Composer avec
la Nature », mais « Concevoir en harmonie avec la Nature ».
Personnellement, j’ai entendu ce message dès mes premiers échanges avec lui et
ces convictions ne m’ont plus quitté depuis.
Comment résumer la vie professionnelle
de Marcel Arnould, une vie si bien remplie ? Je veux d’abord rappeler
quelques événements relatifs à sa carrière, ils sont nombreux. Puis j’évoquerai
quelques moments, sur un mode plus libre, illustrant certains traits de
caractère de Marcel Arnould.
Une vie professionnelle
exceptionnelle
Marcel Arnould, géologue, est
Diplômé de la section d’Etudes Géologiques et Minières de l’Ecole des Mines de
Paris en 1949. Il a été Géologue de la France d’Outre-Mer de 1949 à 1960. Il
est docteur es-sciences en 1961, après un travail de cartographie géologique en
Côte-d’Ivoire et Haute-Volta (actuellement Burkina Faso). Son mémoire de thèse
d’état « Etude des massifs de migmatites et de granites précambriens du
Nord-Est de la Côte-d’Ivoire et de la Haute-Volta méridionale » a été
publié dans les Mémoires du BRGM.
Marcel Arnould a été Chargé de
Cours, puis rapidement Professeur de Géologie Appliquée à l’Ecole des Mines de
Paris, de 1965 à 1996, puis professeur honoraire. Il a été directeur de la
Section d’Etudes Géologiques et Minières de l’Ecole des Mines de Paris de 1971
à 1990.
Marcel Arnould a été Professeur
de Géologie Appliquée aux Travaux Publics, à l’Ecole Nationale des Ponts et
Chaussées de 1961 à 1978, puis professeur honoraire. Il a ainsi, au sein de l’Ecole
des Ponts, formé de nombreuses promotions d’élèves, d’ailleurs plus nombreux
qu’à l’Ecole des Mines, leur faisant découvrir la géologie et l’engineering
geology.
Marcel Arnould a été membre du
Conseil scientifique du LCPC : Laboratoire Central des Ponts et Chaussées,
de 1962 à 1993. On lui doit d’avoir créé le réseau des géologues des
laboratoires des Ponts et Chaussées, apportant ainsi de précieuses compétences
géologiques dans tous les laboratoires régionaux.
Marcel Arnould a fondé le Centre
de Géologie de l’Ingénieur de l’Ecole des Mines de Paris et l’a dirigé de 1970
à 1994, puis est devenu Conseiller scientifique du Centre. Ce Centre de
Géologie de l’Ingénieur est devenu centre commun à l’Ecole des Mines de Paris
et à l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées en 1979, puis aussi centre commun
avec l’Université Marne-la-Vallée en 2000. Il a été intégré en 2006 dans une
plus vaste structure : le Centre de Géosciences de Mines ParisTech.
Marcel Arnould a été fondateur du
Centre d’Etudes Supérieures pour l’Exploitation des Carrières et Mines à Ciel
Ouvert (le CESECO) dans le cadre du CESMAT : Centre d’Etudes Supérieures
des Matières Premières du Ministère de l’Industrie, et son directeur de 1985 à
1996, puis conseiller scientifique.
Marcel Arnould a fondé en 1964 à New Dehli, avec quelques précurseurs, l’AIGI : Association Internationale de Géologie de l’Ingénieur dont il a été le Secrétaire général de 1964 à 1972, puis le Président de 1972 à 1978. Il est devenu Président d’honneur en 1978 en reconnaissance de sa contribution à la géologie de l’ingénieur – l’engineering geology et au développement de cette discipline sur le plan académique. L’AIGI est devenue en 1997 l’Association Internationale de Géologie de l’Ingénieur et de l’Environnement. Affiliée à l’Union Internationale des Sciences Géologiques, elle regroupe aujourd’hui plus de 5000 membres actifs répartis dans une cinquantaine de groupes nationaux.
Marcel Arnould a été fondateur du
Bulletin de l’Association Internationale de Géologie de l’Ingénieur et premier
rédacteur-en-chef de 1970 à 1972, puis membre du Comité de rédaction, la revue
étant actuellement éditée chez Springer.
Il a été fondateur du Groupe
français de l’AIGI : le CFGI (Comité Français de Géologie de l’Ingénieur
et de l’Environnement), vice-président de 1968 à 1972 (Jean Goguel en était le Président),
puis Président de 1972 à 1975, Président d’honneur depuis 1979.
Il a été Président des Comités
scientifiques du Symposium international Géoconfine : « Géologie et
confinement des déchets toxiques » et du Symposium international
Geoline : « Géologie et Infrastructures linéaires », organisés
par le CFGI, respectivement en 1993 et 2005.
Il a été le Président du Jury du
Prix Jean Goguel, de 1997 à 2007, prix décerné par le CFGI.
Marcel Arnould était Professeur
conseiller du Laboratoire de Géomécanique de l’Institut de Géologie de
l’Académie des sciences à Pékin.
Il a été Conseiller de la Société
Géologique de France de 1977 à 1979.
A partir de 1992, il a été
rédacteur-en-chef de la revue « Engineering geology » chez Elsevier.
Marcel Arnould avait reçu en 1980
la médaille Hans Cloos de l’Association Internationale de Géologie de
l’Ingénieur, en 1984 la médaille Leopold Von Buch de la Société Géologique
d’Allemagne, en 1989 la médaille Jules Gosselet de la Société Géologique de
France. Il était depuis 1982 Dr Honoris Causa de l’Université Technique de
Prague et depuis 1993 Dr Honoris Causa de l’Institut des Mines de
Saint-Pétersbourg.
Marcel Arnould était Chevalier de la légion d’honneur depuis 1994.
Marcel Arnould a dirigé, puis
co-dirigé, environ 130 thèses : thèses de 3ème cycle et de docteur – ingénieur, puis thèses de
doctorat pour l’Université Paris VI, l’Ecole Nationale Supérieure des Mines de
Paris et l’Ecole Nationale des Ponts et Chaussées.
Marcel Arnould a publié, à notre
connaissance, environ 160 articles, s’intéressant rapidement aux applications
de la géologie dans les domaines du génie civil, de la mine, des matériaux, de
la cartographie géotechnique, des risques naturels, du stockage des déchets.
Quelques souvenirs gravés dans
nos mémoires
Permettez-moi maintenant d’évoquer
quelques moments que j’ai pu partager avec Marcel Arnould, comme d’autres
collègues aussi.
Un premier souvenir, environ 40
ans en arrière, lorsqu’élèves ingénieurs à l’Ecole des Ponts nous faisions avec
toute la promo cette traversée des Alpes, guidée par le Professeur Marcel
Arnould et quelques uns de ses fidèles enseignants : Excursion géologique
dans les Alpes de Savoie et du Dauphiné. Aujourd’hui, je dirais que c’était une
joyeuse fête géologique. Nous partions des Préalpes, la cluse de l’Isère en
aval de Grenoble, nous remontions les vallées du Drac et de la Romanche, avec divers
arrêts géologiques, visite du barrage du Chambon, panorama géologique de La
Grave, parcours sur le glissement de Villar-d’Arène. Nous arrivions au col du
Lautaret puis le Galibier. Nous poursuivions ensuite vers Valloire et
remontions la vallée de la Maurienne, avec arrêt au barrage du Mont Cenis, à
l’éboulement de La Madeleine, pour arriver ensuite aux gneiss du Grand Paradis.
Puis retour vers Chambéry, panorama géologique de la zone sub-briançonnaise,
arrêt à la Ravoire de Pontamafrey et au glissement de Bon Attrait. Enfin nous
arrivions à l’éboulement du Mont Granier. Pour plusieurs d’entre vous dans cet
amphi, je dois remémorer quelques bons souvenirs avec Marcel Arnould.
Personnellement je retiens surtout le panorama géologique du col du Lautaret.
Arrivant, se découvrait à nos yeux ce formidable panorama avec ses empilements
de nappes de charriage. C’est mon souvenir le plus ancien et le plus fort de
Marcel Arnould, face à l’immense Nature alpine, notre groupe assis sur la
pelouse au-dessus de l’hôtel du Col, avec entre les mains un panorama préparé,
et le professeur nous faisant découvrir le paysage, avant que nous n’allions toucher
du doigt, et du marteau de géologue, quelques contacts géologiques en montant jusqu’aux
gypses du Galibier, pour là-haut découvrir vers le Nord le massif du Mont Blanc
au loin et vers l’Est la silhouette du Mont Viso et tant d’autres sommets. Lorsque,
en septembre prochain, j’y retournerai avec un groupe d’élèves de cette même
Ecole des Ponts, et mes collègues enseignants, certainement notre émotion
géologique en sera renouvelée.
Marcel Arnould avait « l’oeil
américain ». Sans doute connaissez-vous cette expression venue des
cultures amérindiennes. Toujours en alerte dans les parcours géologiques,
toujours le premier sur l’affleurement. Cela en devenait parfois un peu agaçant !
Ainsi lors d’une mission en Chine, il y a une quinzaine d’année, nous étions
avec de jeunes collègues chinois sur un site de versant instable, au niveau de
la future retenue du barrage des Trois Gorges, sur le Yangtze, et nous
inspections le glissement de Jipazi. Tout d’un coup, il me dit : Cojean,
regardez cette coupe : ce sont des loess (pour les non spécialistes :
des limons éoliens) ! Ils n’étaient pas prévus au programme, ces loess… Mais
c’en était! Il continue : Regardez, voilà les poupées du loess ! C’en
était aussi ! Les poupées du loess, les mêmes poupées que celles que nous
pouvons trouver dans les limons du plateau de Saclay. Si certains parmi vous ne
connaissent pas les poupées du loess, voyez les bons ouvrages de géologie ou de
pédologie, ou bien consultez « le Léonards » : Les fondations, la
traduction française de 1968 que connaissent bien les anciens parmi nous :
Chapitre 1 : chapitre original et non pas traduction. Le titre : « Origine,
formation et distribution des sols en France et en Europe occidentale »,
51pages. L’auteur : Marcel Arnould. On y parle évidemment des loess et des
poupées du loess. Ce chapitre a gardé toute sa valeur aujourd’hui.
Marcel Arnould était aussi un
expert dont les avis étaient écoutés, son acuité de jugement partant toujours d’une
observation fine du cadre géologique, des matériaux, des structures, des
interfaces ouvrages-terrain. L’une de ses interventions bien connues concerne
la catastrophe du tunnel de Vierzy pour laquelle il a rédigé un rapport
géologique en 1973. Tout récemment j’ai pu le solliciter pour qu’il présente
son retour d’expérience sur cette catastrophe, à l’occasion d’une séance
technique commune de nos sociétés. Il a alors rétabli les contacts avec nos
collègues de la SNCF, souhaitant reprendre complètement le dossier. Mon premier
étonnement passé, j’ai compris qu’il voulait accéder aux archives pour prendre
connaissance d’éléments qui n’étaient pas tous établis au moment de la
rédaction de son rapport. Il s’en explique dans l’article publié dans le N°
spécial de la RFG (N°131-132), publication de 2010 : « La rédaction
du présent article me permet de faire un point plus complet. Voici, à ce jour,
mes conclusions sur les causes ». Il voulait donc, près de 40 ans après cette
catastrophe, reprendre le dossier et mieux étayer son jugement à partir
d’éléments nouveaux disponibles. C’est pour moi le signe d’une grande humilité devant
la Nature et les œuvres humaines, humilité qui doit tous nous inspirer.
Marcel Arnould était aussi un
agitateur d’idées, tenant bien son rôle, je ne dirai pas avec entêtement mais
avec détermination, un rôle essentiel s’agissant de questions relatives au développement
durable et à la géo-prospective. L’un de ses combats scientifiques les plus récents
a porté sur les conditions du stockage des déchets radioactifs dans différentes
formations géologiques et, particulièrement, dans les formations d’argilites.
Pour ces formations d’argilites, il s’est longuement interrogé sur l’importance
de la fissuration de ces matériaux et leur impact sur le confinement effectif de
ces formations, à long terme, n’hésitant pas à reprendre de nouvelles
investigations géologiques qui en particulier l’ont conduit à revenir observer
les argiles bleues de Léningrad (redevenues argiles bleues de
Saint-Pétersbourg), remobilisant des contacts scientifiques toujours vivants
avec nos amis de Russie.
Enfin, Marcel Arnould était aussi
un explorateur ! Ce sont ses petits enfants qui nous l’ont révélé à la
cérémonie des obsèques. Et comme tous les explorateurs il rapportait pour eux des
trophées : pièces de monnaie pour les collectionneurs, savons d’hôtel, et
petits souvenirs. Sur cette question, nous lui ressemblons tous, n’est-ce
pas ?
Je souhaitais terminer ainsi cette
évocation, tout en rappelant notre reconnaissance, notre attachement à l’homme
et à son enseignement, tout en l’assurant de notre amitié, notre affection.
Roger Cojean
Le témoignage ci-dessus a aussi été publié en partie dans MINES, Revue des Ingénieurs, Mars/avril 2011, sous la signature de :
Roger Cojean, directeur de recherche à MINES ParisTech, Président du CFGI. Il a obtenu un doctorat de MINES ParisTech en 1975.
Michel Deveughèle, directeur de recherche à MINES ParisTech, ancien directeur du CFGI. Il a obtenu un doctorat de MINES ParisTech en 1976.
Pour une description plus complète de l'oeuvre de Marcel Arnould consulter l'ouvrage Géologie de l'ingénieur : Hommage à Marcel Arnould, coordonné par Roger Cojean et Martine Audiguier, Presses des Mines